Chevaliers Noirs, Vif-argent - extraits
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1 Chevaliers Noirs, Vif-argent - extraits ****** Publié en ligne sur www.huguesdelalande.com Chevaliers Noirs, Vif-argent Copyright Hugues Delalande, 2013 tous droits réservés ****** Mentions légales Merci d’avoir téléchargé ces extraits. Vous pouvez les conserver pour votre propre usage, sur tout type de lecteur électronique. Il est cependant interdit de revendre ce fichier, ou de modifier son contenu, protégé par Copyright. ****** Note de l’auteur Si un mot vous échappe, vous trouverez un glossaire médiéval à l’adresse : www.huguesdelalande.com/fr/history/glossary1.html J’espère que vous apprécierez ces extraits, et vous souhaite bonne lecture… 2 9 L’heure des morts 9 L’heure des morts Au-delà de l’arche, commençait la grand rue. Elle traversait la cité de part en part, du Sud au Nord. Mais après 200 mètres, cette partie tournait et continuait hors de vue. Le long couloir d’édifices en enfilade, large comme trois hommes couchés, était réduit sur les côtés par les étalages des marchands, les comptoirs des boutiques jaillissant des arcades, les éventaires à ciel ouvert des vendeurs ambulants. D’innombrables échoppes ouvraient leurs comptoirs sur la grand rue, la proximité des portes permettant de vendre sans cesse aux arrivants et partants. Sur les côtés les artisans exhibaient leurs marchandises.

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Publié le 25 octobre 2013
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Extrait

 
  
 
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Chevaliers Noirs, Vif-argent - extraits  ******   Publié en ligne surwww.huguesdelalande.com   Chevaliers Noirs, Vif-argent Copyright Hugues Delalande, 2013 tous droits réservés  ******   Mentions légales  Merci d’avoir téléchargé ces extraits. Vous pouvez les conserver pour votre propre usage, sur tout type de lecteur électronique. Il est cependant interdit de revendre ce fichier, ou de modifier son contenu, protégé par Copyright.
 ******   Note de l’ auteur  Si un mot vous échappe, vous trouverez un glossaire médiéval à l’adresse : www.huguesdelalande.com/fr/history/glossary1.html  J’espère que vous apprécierez ces extraits, et vous souhaite bonne lecture…
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9 L’heure des morts  Au-delà de l’arche, commençait la grand rue. Elle traversait la cité de part en part, du Sud au Nord. Mais après 200 mètres, cette partie tournait et continuait hors de vue. Le long couloir d’édifices en enfilade, large comme trois hommes couchés, était réduit sur les côtés par les étalages des marchands, les comptoirs des boutiques jaillissant des arcades, les éventaires à ciel ouvert des vendeurs ambulants. D’innombrables échoppes ouvraient leurs comptoirs sur la grand rue, la proximité des portes permettant de vendre sans cesse aux arrivants et partants. Sur les côtés les artisans exhibaient leurs marchandises. Des maisons ventrues empiétaient sur la chaussée, puis des étages en saillie s’avançaient avec une forêt d’enseignes défraîchies par les pluies, avant tout en haut les toits et leurs gouttières de bois sculptées en têtes de poisson ou de gibier, mordant sur le ciel bleu. Dans ce qui restait d’espace, la foule bigarrée circulait. Deux chars en se croisant provoquaient un encombrement. La grand rue était pleine de négociations, d’affaires proposées à la criée, et du rire des enfants.  11h57  Sous la voûte d’entrée, le jeune garde s’approcha du dehors. –« Messire ? … Vous devriez passer, maintenant. On va pas tarder à fermer. » Le chevalier noir ne répondit pas. Il avait mis pied à terre près des portes Sud, et resserrait une à une les sangles de ses chevaux, comme si rien d’autre n’importait au monde. « Vous serez coincé dehors », avertit le jeune homme. Ses camarades l’examinaient aussi. L’éclat de la grand rue découpait les visages des hommes du guet, sous les heaumes de cuir rigide. Certains se retournèrent tracassés vers la cité, guettant quelque chose au-delà des toits. Sans réponse, le jeune garde serra les lèvres et fit demi-tour. Il repassa devant ses camarades, qui portaient des tuniques de cuir piquées et emplies de bourre, plus ou moins couvrantes. Les plus longues descendaient aux coudes et genoux, les plus courtes s’arrêtaient aux épaules et à la taille. Il n’y avait pas de norme. Toute la palette des bruns et beiges était visible, reflétant diverses origines et qualités de peaux. Les heaumes de cuir riveté étaient ronds. Ils étaient faits de peaux épaisses, avec un large rebord et deux bandes ve rticales qui se croisaient au sommet. Quelques-uns de ces casques possédaient une garde de nez ou « nasal », simple bande de cuir descendant sur le nez. Il était visible que le guet était formé de citoyens enrôlés pour des tâches de police et de surveillance. Sous les cuirasses, les bliauds et braies étaient ceux de tous les jours, avachis et parfois salis par le travail. Chacun venait effectuer le service du guet dans ses habits quotidiens. Quelques- uns portaient un cor sur la poitrine, au bout d’une laniè re. À la ceinture pendaient un coutelas à manche riveté ou une hachette, parfois même les outils du métier comme un marteau ou une serpe. La bourse contenant la monnaie et les effets personnels était nouée sur le devant du ceinturon, pour mieux la surveiller. Dans le passage, les hommes du guet scrutaient le voyageur maillé, préoccupés. Leurs regards revenaient parfois vers la cité, vérifiant au-dessus des toits. Puis ils se reportaient sur l’étranger. Finalement, l’homme en noir mit une botte dans un étrier et remonta en selle. Au grand soulagement des gardes, il fit avancer ses chevaux. Il s’engagea lentement sous l’arche, pénétrant dans son ombre. Sur les côtés, les miliciens empoignaient leurs courtes lances. Les hampes s’achevaient par un fer bleuté et trempé, en losange effilé. Ils regardaient l’étranger passer, quand le cheval noir fit halte et s’ébroua dans l’intense réverbération de l’arche.
 
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–« Ma taxe ? » laissa tomber l’inconnu. En temps normal, le voyageur n’était pas quelqu’un qu’ils auraient vo ulu brusquer, mais les gardes s’avancèrent en protestant dans un bel ensemble. –« Non, non ! » –« Vous n’avez rien à payer. Les étrangers payent à la passe Sud. » –« Passez ! Allez-y ! » Le chevalier noir se tourna posément en selle, les considérant et les écoutant tour à tour. Au bout du passage, le chef des portes scrutait lui aussi quelque chose par-dessus les toits. Il portait une armure appelée «broigne », faite d’écailles de cuir bouilli superposées, comme une peau de poisson. Il pivota irrité. –« Ne restez pas là ! Avancez ; avancez ! » Lentement, avec indifférence, l’inconnu donna une secousse aux flancs du cheval noir, qui se mit au pas. La voûte en berceau s’ouvrit sur le bleu glacé du ciel, les sombres façades aux encorbellements outrés sur la rue creusée, les enseignes lépreuses et bariolées. Sur les torchis ressortaient les bruns et roux vénérables des colombages. Sous les galeries hautes aux corbeaux ornés de visages féminins émoussés, les piles de moellons s’ajouraient de boutiques et officines aux planches rabattues en comptoir. De l’intérieur provenaient le roulement des tours, le crissement rêche des rabots et limes, les percussions des ciseaux. C’est ainsi que l’Homme Sombre entra à Vif-argent. Contre le chaînage d’angle, un petit mendiant était blotti comme un chien sur la paille abjecte, une main tendue. Il se troubla en contemplant la longue armure noire du pèlerin en selle. Ce dernier fit halte sur le côté, à quelques mètres du passage. Le cheval noir souffla. Le chef des portes lui fit signe de circuler. « Avancez ! Vous gênez, là. » L’étranger l’ignora. Il croisa les bras et les posa sur l’arçon de sa selle, tandis qu’à côté les miliciens jetaient de nouveaux regards par-delà les toits. Le cavalier voyait maintenant l’objet de leur attention. Loin, à plus de 800 mètres dans la cité, une fine tour carrée se dressait au-dessus des toits, dépassant tous les bâtiments alentour. Ce beffroi — une tour de guet — s’achevait en toiture d’ardoises pointue, telle une flèche braquée vers les cieux. Les yeux de l’étranger se reportèrent sur la grand rue. Les maisons enserraient une foule qui besognait et babillait : des vilains aux sarraus déformés, boueux et élimés jusqu’à la trame, des artisans avec les outils à la ceinture, des portefaix exténués par de lourdes hottes, des élégantes aux corsets brodés d’entrelacs, des mères aux longues tresses sous de légers voiles, traînant des enfants en bas âge. Les citadins s’habillaient de lin aux couleurs vives, tandis que les vilains préféraient les laine s sombres renforcées de coutil, et quelque fourrure ou cuir pour cotte. Ils composaient une symphonie de sons et de couleurs. La plupart des boutiques se situaient sous un encorbellement. L’assortiment d’enseignes au-dessus arborait des symboles limpides : vaisselle, tonneau, pain, tunique, gants. Il n’était pas nécessaire de savoir lire pour trouver son chemin. Quand l’artisan ne vantait pas l’article derrière son comptoir, il était visible à l’œuvre dans son atelier, par sa grande arcade. Ingénieusement, les volets horizontaux s’ouvraient pour faire comptoir en bas et auvent au-dessus, protégeant les marchandises des pluies. Un tonnelier assemblait des planches sur le pas de sa boutique. Un potier façonnait un vase au tour dans son atelier, les mains pleines de terre glaise. Un fabricant de paniers exhibait son travail de vannerie, alors qu’à côté un marchand de drap dépliait une étoffe rayée de jaune et vert devant une cliente. Plus loin un épicier proposait ses sirops et pulpes végétales, dont les arômes s’échappaient dans la grand rue.
 
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Mais quelques passants jetaient des regards préoccupés vers le beffroi. Et dans leurs yeux rôdait quelque chose d’indicible, une appréhension. Sous son heaume de fer, le chef à la broigne d’écailles ne quittait pas la tour des yeux. « On va pas tarder, maintenant », annonça-t-il à ses gardes. Puis il lança à des serfs qui quittaient la cité « Dépêchez- vous », et ils franchirent l’arche au pas de course. Il se retourna exaspéré vers l’homme en noir. « Ne restez pas là ! Vous gênez ! » De fait, l’étranger bloquait la rue circulaire qui longeait la circonférence des remparts. Il n’avança pas. Sans se presser, il baissa les yeux, ouvrit les cordons de sa bourse, et se mit en devoir de compter sa monnaie. Les gardes des portes semblaient de plus en plus agacés par son comportement. LÀe  dpiesttiat nmcee nddainasn t llae  rrueeg,a rildsa iét tlauiie natu sésgi.a lIel maveanitt  rneonmobnrceé uàx  tàe nldurie  jleat emrain.  des regards. L’inconnu avait quelque chose de surprenant, comme un nuage sombre dans un ciel dégagé. Ses coûteux chevaux et sa cotte de mailles auraient suffi à l’isoler du reste de la population. Mais l’attitude et les yeux verts, comme des morceaux de jade très sombre, troublaient tout autant. Derrière son calme, sans un geste de trop, sans tension, ils devinaient une force à l’œuvre. Ceux qui l’avaient remarqué se mordaient les lèvres, troublés. À l’occasion, lorsque ses yeux croisaient les leurs, les citadins se détournaient et prétendaient s’occuper. Mais les  les dérobée et murmuraient ppearspslaenxtse,s .l eÉst aimt-acrce huann dhso,mm e ddaum eDsu ca u? x Eft ecneê threasu, bleer t rnegoiarr, daaiveanntt  àm iladi ? Était-ce un présage ? Car il attendait. Le tonnelier s’était redressé, et passait le dos d’une main sur ses lèvres. Une jeune mère à la robe verte et brune le regardait du coin de l’œil, répondant distraitement au babillage de ses fillettes. Un porteur entre deux âges avait posé son colis, et observait la silhouette noire. Le tonnelier gratta sa barbe. Ses yeux quittèrent l’Homme Sombre, il fit volte- face et son regard vint se poser sur la flèche du beffroi. Plus loin dans la grand rue, des vilains tiraient un mulet chargé de hottes. Des portefaix emmenaient des sacs et tonneaux vers le Nord, là où la voie s’infléchissait en douce courbe, et où un char à bœufs fendait laborieusement la foule. De nombreuses dames faisaient leurs emplettes, déambulaient devant les étalages en touchant les écuelles, effleurant les tissus et fourrures. Quelques-unes portaient des nourrissons emmaillotés, d’autres vaquaient avec la corbeille de linge sur la tête, ou revenaient du marché avec de lourdes panières. Contre un mur, un ménestrel jouait une douce ballade au psaltérion, un sac avec quelques pièces à ses pieds. Des rires tombaient des fenêtres, où les damoiselles étendaient le linge… et s’appelaient de maison en maison, se désignant le cavalier noir près des portes. De nouvelles personnes jetèrent des regards par-dessus les toits. Le centre de la rue se vidait, là où des eaux fangeuses ruisselaient dans la rigole. Soudain la cloche du beffroi sonna. «Ah ! » s’exclama une cliente, se redressant devant un comptoir. Le joueur de psaltérion pinça une fausse note. En un instant le bourdonnement roula sur la cité. Les passants, les porteurs, les vilains s’arrêtèrent sur place. Et toute la rue se figea. La plainte lugubre vibra sur la chaussée. Le chef des portes s’était retourné. –« Maintenant. » Ses gardes se précipitaient déjà. Sous la voûte ils repoussèrent les lourds vantaux, les firent pivoter. Le jour s’amenuisa en une étroite fissure, puis les portes claquèrent, scellant l’entrée de la cité. Rapidement les miliciens basculèrent la barre en travers. Elle retomba, se logeant dans une cavité de la maçonnerie. Alors ils se retournèrent. Le troisième battement de cloche roulait. Toute la grand rue restait pétrifiée de façon spectaculaire. Immobiles, les passants attendaient en silence.
 
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Le chef des portes restait mains sur les hanches, écoutant la cloche. Dans son atelier, le potier avait arrêté son tour et fixait la forme d’argile sans la voir. Le porteur entre deux âges scrutait le beffroi. Le ménestrel retendait distraitement les cordes de son psaltérion. La jeune mère posa un index sur ses lèvres, à destination de ses fillettes. Une chape de silence était tombée sur la grand rue, troublée seulement par les battements graves de la cloche. Aucun bruit ne montait des ateliers. Dans la perspective des maisons à colombages, les regards se levaient vers la tour, hésitaient avant de se rabattre sur le sol. Tous les passants vêtus de lin ou de laine attendaient statufiés comme sur une enluminure, image même de la vie saisie de surprise, en proie au recueillement et à la superstition la plus manifeste. La grand rue s’étendait pétrifiée jusqu’au mur d’enceinte, et à la fraîcheur sombre de l’arche entre les tours, où luisaient les armes des veilleurs. Sur le chemin de ronde les sentinelles en cuirasse s’étaient figées aussi, découpées devant les contreforts montagneux. Seules les bannières oscillaient au vent. Les visages étaient empreints de dignité. Les yeux erraient sur le sol, lointains ou absents, envahis de lourds souvenirs. Le cinquième battement s’achevait. Alors des sabots ferrés frappèrent les pavés. La foule tourna la tête comme un seul homme, avec plusieurs « Oh ». Le cavalier noir et ses montures remontaient la grand rue. Sous la voûte les gardes baissèrent les bras, dans un étrange mélange de rage et d’impuissance résignée. Ils n’avancèrent que de quelques pas. Le regard du chef s’assombrit, mais il ne bougea pas. Une expression consternée s’était peinte sur les visages. Certains faisaient signe au cavalier noir de s’arrêter, une injonction muette sur les lèvres. D’autres se penchèrent pour voir, en restant sur place. Depuis l’intérieur des boutiques, on voyait passer par les arcades le cheval noir, puis le cheval bai, les muscles jouant sous leurs quartiers. Le potier se précipita à son comptoir. L’homme à l’armure d’un noir de tombeau tranchait comme une morsure. Ignorant les regards, il poursuivait son chemin, silhouette haute au milieu de la foule piétonnière. Et les sabots faisaient entendre un fracas énorme entre les battements de la cloche. Quelques citadins lui lancèrent des murmures pressants : « arrêtez », « ne bougez pas », et « attendez ». Mais une ombre se formait vite dans leurs yeux, et ils le reconsidéraient d’une manière entièrement différente, comme s’ils voyaient quelque chose de plus lointain à travers lui. Les mises en garde cessèrent. Ils suivirent le cavalier avec des regards désemparés, pleins de doutes. Toute la grand rue le soupesait. Ils revenaient sur l’armure noire, la robe sombre de l’étalon, son attitude froide et nonchalante. Quelque chose d’autreoccupait leurs pensées. Des doigts se croisèrent en guise de conjuration. Sur quelques lèvres, des prières muettes se formèrent, tandis que l’équipage remontait la voie d’un pas inexorable. L’étranger les surveillait du coin de l’œil. Il avait posé sa main droite sur la cuisse gauche près de l’épée, le s rênes dans l’autre. Le message était clair : la main près de l’arme. Il y avait quelque chose d’extrêmement dissuasif dans son attitude calme. Dans les étages, femmes et enfants continuaient d’accourir aux fenêtres… et se pétrifiaient interdits. Ils le voyaient passer sous leurs baies avec une large place autour de ses chevaux, celle qu’on accorde d’habitude aux pestiférés. Entre les lourds battements de la cloche, de part et d’autre, ils l’accompagnait tous du regard. Et dans ces yeux brillaient des émotions : l’amertume, le désarroi, la méfiance et la crainte, et parfois… des bribes d’espoir. Mais personne ne s’interposa. La mine sombre, le chef à la broigne d’écailles fit quelques pas vers l’angle. D’un coup de pied, il fit lever le petit mendiant. Il se pencha et lui parla à l’oreille, le regard sur le cavalier. Le gamin aux joues creuses braqua ses yeux dans la même direction.
 
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Le douzième coup sonna. La pulsation grondante décrut lentement sur la grand rue. Alors la foule reprit vie, comme en léthargie. Les fillettes tirèrent sur la robe brune et verte de leur mère. –« Pourquoi il a pas respecté l’heure des morts ? » Ils sortaient des échoppes, pour voir le cavalier disparaître dans le tournant. Sous l’arche, amers et défaits, les jeunes gardes s’en allèrent lever la traverse et rouvrir les portes. Les doigts du ménestrel ne touchèrent pas les cordes. Très peu d’outils s’animèrent dans les ateliers. À la place, la foule hagarde convergea au milieu la grand rue et les rumeurs bourdonnèrent, se multiplièrent rapidement sous le coup de l’émotion. –« Ça alors… » –« Il l’a fait exprès… » –« Jamais quelqu’un de pareil n’est entr酠» –« Et tout en noir. » –« … Jamais à midi. » –« Pourquoi ils l’ont laissé passer, aux portes ? » –« Il était dans les murs avant. Il attendait. » –« Vous croyez ?… » –« Oui, oui. Il attendait. » Déjà des voix s’élevaient : –« Il faut en parler au doyen… » Et d’autres demandaient : –« Il est gaucher ? Vous avez vu si c’est un gaucher ? » Et tandis que la foule balançait ple ine de doutes et de trouble, le petit mendiant remontait la rue sur les traces de l’Homme Sombre.  
 
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10 Sur la grand place
 12h10  Entre les stalles de l’écurie, le tenancier scrutait son palefrenier, qui remplissait de fourrage une mangeoire. –« Pas comme ça ! Pas comme ça, je t’ai dit.Moinsd’avoine, etplusde foin. » L’homme obtempéra en piochant avec sa fourche dans une balle. Le tenancier passa les pouces à sa ceinture l’air satisfait, et se retourna en entendant les sabots derrière lui. Entre les portes grandes ouvertes de l’écurie, un cavalier et ses hautes montures se découpaient à contre-jour. Il se précipita. « Bienvenue messire », salua-t- il affable. En silence, le voyageur maillé descendit de selle. La longueur d’anneaux de fer sombres qui le recouvrait était impressionnante. « Comme il est beau », s’extasia le tenancier en tenant le cheval noir qui le regardait d’un air hostile. « Vous les mettez en pension ? » L’inconnu avait ouvert des sacs sur le flanc de l’animal bai. Il en sortit un court étui renflé, un carquois de cuir noir, et quelque chose qui ressemblait à une grande pince enveloppée de toile. Il donna son approbation d’un signe de tête, désignant les stalles au fond de l’écurie. Sans insister, le tenancier y entraîna les bêtes. L’Homme Sombre resta à l’entrée. Il coinça sous un bras le carquois et la grande pince emmaillotée. Puis il déboucla sa ceinture, observant la place au-dehors. Dans presque toutes les villes du monde, les places étaient rectangulaires, parce qu’elles étaient plus simples à construire ainsi. Mais celle-ci était… ronde, avec des bâtiments qui s’incurvaient tout autour. C’était remarquable. Elle s’étendait peut-être sur 60 mètres de diamètre, entièrement pavée. Un cercle de riches demeures se dressait tout autour, pourvues d’escaliers extérieurs desservant trois à quatre paliers en façade, avec un foisonnement de plantes ornementales. L’étranger se demanda un instant si un rite primitif était à l’origine de cette architecture. Une cérémonie accomplie jadis au centre de la place, avec les premiers citadins rassemblés en cercle ? Puis il releva rapidement les accès. La grand rue arrivait sur la place au Sud et au Nord, comme pour la traverser en ligne droite. Une autre voie majeure faisait de même en Ouest et Est, et de nombreuses voies secondaires partaient de tous côtés, en rayonnant. C’était le plan classique des cités rondes : deux axes majeurs se croisaient au centre, où l’on trouvait une esplanade. Vers le Nord se dressait une estrade. Deux grands montants en jaillissaient, soutenant une longue poutre traversière. D’un côté du plancher, un gros levier de bois incliné parvenait jusqu’à la taille d’un homme. Il devait commander une trappe à la verticale de la poutre, permettant de précipiter dans le vide les malheureux attachés par des nœuds coulants. C’était une potence. Dans un coin, un gonfalon bleu et or flottait au bout d’un poteau. Le sinistre échafaud rappelait que justice était faite. Le noir voyageur passa l’étui incurvé à la ceinture, le faisant glisser par la gauche. Il jeta un regard vers le marché au Sud-ouest. Des allées de tréteaux et éventaires s’y alignaient. Les vilains vendaient à l’encan leur récolte personnelle, dans de grands paniers et bannetons d‘osier, sur des étals de bois loués à la cité, dans des sacs de chanvre rebondis, parfois même au dos de l’âne utilisé comme présentoir ambulant. Les passants déambulaient dans des allées pleines de brouhaha. Des mimes jouaient une scène pour les distraire, au son d’un luth et d’une flûte.
 
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L’Homme Sombre reboucla sa ceinture, ramenant l’étui incurvé dans son dos, derrière le fourreau de l’épée. Son regard revint à droite, pour un bref tour d’horizon. Au Nord se dressait un long bâtiment de bois, accolé à de riches demeures patriciennes. Le fronton paraissait chargé d’ornementations anciennes. Sous le toit pentu, un grand balcon dominait la place, permettant de s’adresser à la foule. Au-dessous, des citadins affairés entraient et sortaient par de grandes portes, sous une arcade aux piliers sculptés. Probablement un bâtiment officiel. Il suivit du regard la courbe des édifices, vers sa gauche. Au Nord-ouest une belle auberge s’étendait avec de nombreuses tables, sur une terrasse délimitée par des claies. Les premiers clients y étaient attablés. Les servantes dressaient des tables et accueillaient les habitués. Puis d’autres façades s’incurvaient, pourvues d’élégants balcons. Au-delà, les baies ouvertes laissaient voir des lambris, des tapisseries, de larges manteaux de cheminées. L’inconnu pivota légèrement. Il s’arrêta sur l’imposant grenier de trois étages qui se dressait plein Ouest, face à lui. Des serfs manoeuvraient une poulie, hissant des sacs de grain. Deux paliers extérieurs s’avançaient en façade, chacun avec une ouverture donnant sur l’entrepôt. Mais du grain, en cette saison ?Ça l’avait intrigué plus tôt. Devant le grenier, des vilains emplissaient une borne de pierre creuse pour la mesure du grain. C’était l’unité officielle de la ville pour le décompte des céréales. De telles bornes étaient simplement appelées «pierres à blé ». On les remplissait par le haut et on les vidait dans un nouveau sac, pour mesurer exactement son contenu. Non loin, un peseur attitré  une arrivaient des éventaires pour êotfrfei cpiaeisté edse vicain. tÀ cô tgér aunn dne obtaailraen ceen ràe gpilstartaeiat ulxe.s  Ltreasn svaiccttiuoanilsl edsa ns ses carnets de cire, et deux changeurs de monnaie avaient disposé leurs tables sous la surveillance des hommes du guet. Les citadins y faisaient la queue pour changer leurs pièces. Le grenier appartenait sans doute à la cité, car la mesure des sacs avec la pierre à blé semblait tout à fait officielle. Le noir voyageur estima que chaque vilain devait reverser une somme pour laisser son grain dans ce bâtiment. Sous bonne garde, il était ensuite facilement revendu au marché attenant. La cité y trouvait son compte, louant ses services et collectant plus aisément les taxes.Mais d’où venait le grain ? L’Homme Sombre leva les yeux. Derrière l’étendue de toitures, les crénelures des remparts se montraient. Au loin à environ 4 Kilomètres, les montagnes de l’Ouest dominaient le paysage avec leurs sommets arrondis et tapissés de forêts. L’étranger s’avisa que plusieurs personnes le regardaient. Les regards furtifs se multipliaient dans sa direction, quelques- uns le pointaient du doigt. Baissant les yeux, il acheva son examen vers le Sud. Après la grande voie de l’Ouest, venaient un second grenier de moindre importance puis d’autres maisons raffinées. Au Sud-ouest il remarqua un hôtel aux couleurs gaies, avec un torchis rose sur des colombages azur, puis tout un rang de demeures patriciennes. Son regard s’arrêta sur la tribune plein Sud. C’était une estrade de bois avec des stalles sous un dais, pour que les dignitaires puissent s’y asseoir. Elle fa isait face à la potence. On devinait facilement que l’autorité locale devait y prendre place pour assister aux pendaisons, séparée du gibet par la foule. Au fond de l’écurie, le tenancier examinait les sabots du cheval noir. « Vous venez de loin messire », annonça-t- il à voix haute. « Il faudrait reprendre ces fers… » L’étranger ignora les silhouettes qui l’épiaient, les premiers murmures sur la place. Il jeta un dernier regard.
 
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Dans les allées du marché, les négociations bourdonnaient. Des doigts se tendaient, proposant des prix ; des têtes déniaient ou acquiesçaient. Des crieurs faisaient l’article, annonçant de bonnes affaires. Le guet patrouillait dans ses cottes et heaumes de cuir, surveillant les étalages, faisant déguerpir les mendiants. À l’Ouest, le peseur choisissait parmi ses poid expert sur loscillation de la balance à plateauxs.  dÀe cpôltoém, lbe gs adineéusx  dceh abrnognezuer,s  ltrœoiql uvaiife pnto slée uerns  pièces, vérifiant au passage si elles étaient limées sur les bords. L’Homme Sombre repéra le cortège au Nord de la place, bien avant la plupart des passants. Des roulements de tambours s’élevèrent. –« Oyez ! … Oyez ! … » Dans les allées du marché, les vendeurs se retournèrent. Les deux serfs près de la pierre à blé se redressèrent, tout comme les changeurs de monnaie. Le peseur replié dans son manteau avait arrêté son geste poids en main, les yeux braqués vers le gibet. Un héraut montait les marches. Quelques personnes s’avancèrent vers l’estrade, tandis que d’autres apparurent aux balcons et loggias. Les convives en terrasse de l’auberge avaient interrompu leur repas, guettant l’échafaud. Le héraut déroulait un parchemin. Derrière lui, le gonfalon bleu et or montrait une Forteresse dressée sur un éperon rocheux. Le drapeau carré pendait d’une barre transversale, s’achevant en trois langues de tissu remuées par le vent. Les tambours cessèrent de battre. Le héraut entonna : –« Au nom du Duc Darius d’Olamus, seigneur de Vif-argent. Les bandits de grand chemin Denis et Almuric seront pend us demain, ici. Qu’on se le dise, qu’on se le dise ; venez nombreux. L’heure exacte de la pendaison sera annoncée ce soir. Que justice s’accomplisse, par la volonté du ciel éternel. » Il enroulait l’acte, et repartait vers les marches, mais devant les visages des gens, leur attente silencieuse, pleine d’espoir et de trouble, il se ravisa. Il leur avoua, sur un ton qui n’avait rien d’officiel. « En ce qui concerne Maximillien Werner, le Duc n’a pris aucune décision… » Et il tourna les talons vers les marches. La foule mit quelques instants à assimiler ces propos. Ils furent plusieurs à rester graves et songeurs, dans un lourd silence. Le nom signifiait quelque chose pour eux. Puis comme le héraut descendait de l’estrade, la vie reprit ses droits et les gens sur la grand place vaquèrent comme s’ils ne voulaient plus y penser. Le peseur plaça le poids tintant sur le plateau de la balance. Les changeurs de monnaie traitèrent avec leurs clients, les exclamations du commerce reprirent entre les étals. Seules quelques personnes s’attardèrent avec des regards moroses devant le gibet. Sombrement, les deux serfs se penchèrent sur la pierre à blé. Ils soulevèrent la coulisse, et un flot mordoré se répandit par la gueule de la gargouille de bronze, remplissant le sac au-dessous. Le tenancier de l’écurie s’avança derrière l’étranger, s’éclaircissant la gorge. –« Le… traitement complet avec exercice coûte huit Sicles d’argent. Pardonnez - moi messire mais… si vous pouviez payer avant. Hélas, c’est la règle de notre établissem ent. » L’Homme Sombre ne répondit pas. Il regardait le gibet dehors, avec son gonfalon bleu qui flottait au vent. Distraitement, il ouvrit sa bourse de la main gauche. « Bien sûr, nous pouvons avoir juste la pension pour quatre Sicles par jour. Tout dépend… » Sans le regarder, le chevalier noir lui tendit deux pièces. –« Ne reprenez pas les fers. Tenez- les prêts à partir. » Le tenancier contempla les pièces, incrédule. Elles étaient d’un bel or roux, avec au centre l’effigie d’un Empereur, puis la devise concentriqueFortitudo numquam perit force La (« d’âme ne meurt jamais »), avant un grènetis sur le bord externe. Il s’inclina cérémonieusement.
 
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–« Merci monseigneur. Vos chevaux seront soignés. » Du menton, le voyageur désigna le fond de l’écurie. –« Les sacs noirs sur le cheval bai. Ils sont sous votre garde. » Les yeux de l’étranger se rivèrent aux siens. « Veillez à ce qu’il ne manque rien. » –« Bien sûr, monseigneur », garantit le tenancier. « Sur la tête de mes enfants, rien ne disparaîtra d’ici. » L’Homme Sombre reprit le carquois et la grande pince couverte de tissu. –« Où sont les bas quartiers ? Tavernes, jeu, filles ? » Le tenancier fit la grimace, gêné. –« Il y a le quartier du labyrinthe », hésita-t- il. «Mais le guet n’y entre pas souvent. » Le voyageur lui jeta un regard. « Enfin, si vous cherchez ce genre de distractions, vous trouverez ce qu’il vous faut là-bas. C’est facile, prenez deux fois à droite. » Il indiqua les directions d’une main. « Longez l’écurie, puis première à droite. Mais n’allez pas trop loin, je ne vous recommande pas… » L’étranger lui jeta une pièce d’argent, que le tenancier attrapa au vol. « Merci monseigneur », dit- il avec une courbette obséquieuse. L’Homme Sombre sortit sur la place où la foule bigarrée vaquait, lui lançant de plus en plus de regards. Le grand gibet se découpait contre le ciel. Le carquois et la mystérieuse pince en main, il longea les édifices à sa droite. Toutes ces maisons avaient du cachet et un caractère pittoresque. Sur les torchis ocres, fauves, beiges et blancs, ressortaient des colombages revernis comme du pain bis. Les maisons rivalisaient en façade pour avoir les plus beaux bois, rehaussés de discrètes sculptures. Les plantes retombaient en masses des balcons. Sur toute la circonférence de la place, c’était un moutonnement de feuilles vertes parsemé d’éclats rouges et roses, blancs et indigos. L’ensemble faisait bel effet à l’oeil. Assis sur la margelle du puits, le petit mendiant suivit la silhouette noire des yeux. Il se leva. L’étranger approchait du Nord de la place. Il étudia le bâtiment officiel au fronton richement décoré d’entrelacs et de feuillages. Le balcon était assez vaste pour accueillir une trentaine de personnes. Sa balustrade s’ornait de rosaces sculptées, avec une plus grande au centre très ajourée. Au-dessous, le portique le soutenait. Il remarqua les sculptures au sommet des piliers, qui montraient des scènes de métiers, la vente au marché, des serfs fauchant le blé. Les yeux de l’inconnu revinrent un instant sur l’échafaud. Puis il avisa la rue secondaire devant lui. Il tourna à droite.  
 
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