Mme GORRE FERRAGU Le déni de grossesse : une revue de littérature Université de Rennes 1 2002 Dr. G. Levasseur (directeur) ªÆÆÆÆƾpÆoª¾ªÆnƪ¾Ænªªp¾Æ¾ªpÆoonªªªªÆÆ 2 Plan Introduction Définition Chapitre I : Historique : Contraception – Avortement – Abandon d’enfant et infanticide Dans l’Antiquité grecque et romaine L’influence de la religion en occident Le Moyen-Age Les XVI et XVIIe siècles : un regain d’austérité e Le XVIII siècle : un mouvement de déchristianisation e Le XIX siècle : le déclin des naissances e Le XX siècle : e- première moitié du XX siècle : une politique nataliste e - seconde mo siècle : "Un enfant si je veux, quand je veux." Conclusion Chapitre II : La surveillance médico-sociale de la grossesse I. Le diagnostic de la grossesse Orientation diagnostique Les symptômes de la grossesse a. Les troubles digestifs b. Les manifestations neuro-psychologiques c. Les manifestations cutanéo-muqueuses d. Les troubles urinaires La confirmation diagnostique de la grossesse a. L’entretien avec la patiente b. L’examen clinique général c. Les manifestations d. Les examens complémentaires e. La détermination de l’âge gestationnel II. La surveillance de la grossesse Le cadre législatif Le cadre médical La protection sociale de la grossesse Chapitre III : Psychologie de la grossesse "normale" I. L’acceptation de la ...
Mme GORRE FERRAGU Le déni de grossesse : une revue de littérature Université de Rennes 1 2002 Dr. G. Levasseur (directeur)
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Plan
¾ Introduction ¾ Définition ¾ Chapitre I : Historique : Contraception Avortement Abandon denfant et infanticide ª Dans lAntiquité grecque et romaine ª Linfluence de la religion en occident ª Le Moyen-Age ª Les XVI et XVIIe siècles : un regain daustérité ª Le XVIII e siècle : un mouvement de déchristianisation ª Le XIX e siècle : le déclin des naissances ª Le XX e siècle : - première moitié du XX e siècle : une politique nataliste - seconde moitié du XX e siècle : "Un enfant si je veux, quand je veux." ª Conclusion ¾ Chapitre II : La surveillance médico-sociale de la grossesse ª I. Le diagnostic de la grossesse n Orientation diagnostique o Les symptômes de la grossesse Æ a. Les troubles digestifs Æ b. Les manifestations neuro-psychologiques Æ c. Les manifestations cutanéo-muqueuses Æ d. Les troubles urinaires p La confirmation diagnostique de la grossesse Æ a. Lentretien avec la patiente Æ b. Lexamen clinique général Æ c. Les manifestations Æ d. Les examens complémentaires Æ e. La détermination de lâge gestationnel ª II. La surveillance de la grossesse n Le cadre législatif o Le cadre médical p La protection sociale de la grossesse ¾ Chapitre III : Psychologie de la grossesse "normale " ª I. Lacceptation de la grossesse normale n Désir de grossesse et désir denfant Æ a. Le désir denfant Æ b. Le désir de grossesse o La culpabilité p Les troubles physiques du début de grossesse Æ La concrétisation de létat de grossesse Æ Lambivalence
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ª II. La présence du ftus n Impact de léchographie ftale o Les mouvements ftaux p Les modifications corporelles ª III. Les troubles de lhumeur physiologiques n La vulnérabilité psychique o Lintroversion p La "transparence psychique" q Les préoccupations anxieuses Æ a. Lanxiété du premier trimestre Æ b. Lanxiété du deuxième trimestre Æ c. Lanxiété du troisième trimestre ª IV. Conclusion ¾ Chapitre IV : Epidémiologie ª I. Les dénis de grossesse A. Introduction B. Enquêtes n Enquêtes prenant en compte les grossesses déniées jusquau terme et révélées par laccouchement Æ a. BERNS (1982) Æ b. BREZINKA (1994) Æ c. BEIER (2000) o Enquêtes sur la surveillance médicale de la grossesse Æ a. En France Æ b. Aux Etats Unis p Enquêtes incluant les déclarations tardives et la découverte de la grossesse lors de laccouchement q Conclusion ª II. Infanticide et déni de grossesse n Linfanticide o Le néonaticide p Fréquence de linfanticide dans le déni de grossesse Æ Etudes portant sur les dénis de grossesse Æ Etudes portant sur linfanticide Æ Conclusion ¾ Chapitre V : Le déni non psychotique de grossesse ª Introduction ª Historique ª I. Etude clinique du déni n Les aspects sémiologiques o Conséquences du déni sur le comportement de la femme ª II. La levée du déni ª III. Population de femmes concernées n Généralités o Les adolescents
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p Déni de grossesse et troubles du comportement Æ a. Trouble du comportement Æ b. Conduites addictives : la toxicomanie Æ c. Les troubles psychotiques ª IV. Hypothèses étiologiques du déni de grossesse n Linfluence socio-culturelle o Les facteurs psychologiques Æ a. Ambivalence du désir de grossesse et du désir denfant Ö α . Le refus de létat gravide Ö β . Ambivalence du désir denfant Æ b. Déni de grossesse à la suite dun traumatisme sexuel p Théories médicales Æ a. Déni de grossesse et pilule contraceptive Æ b. Déni de grossesse et stérilité q Théories psychiatriques ¾ Chapitre VI : Linfanticide ª I. Définitions n Généralités o Définitions juridiques p Définitions psychiatriques ª II. Apparition du concept de psychopathologie dans linfanticide n Evolution des murs et infanticide o Evolution des idées sur linfanticide Æ a. La folie puerpérale transitoire Æ b. Trouble mental et infanticide Ö α . La psychose puerpérale Ö β . Le retard mental p Les mères infanticides au XIX e siècle Æ a. Eléments communs à linfanticide Æ b. Infanticide actif ou passif Æ c. Etude psycho-sociale de la mère infanticide ¾ Chapitre VII : Accouchement anonyme et remise de lenfant en vue dadoption n Cadre législatif Æ a. Procédure daccouchement anonyme Æ b. Le consentement à ladoption o Epidémiologie p Caractéristiques psycho-sociales des femmes accouchant anonymementÆ a. Données quantitatives Æ b. Profils psychotiques Ö α . Grossesse reconnue Ö β . Déni de grossesse
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¾ Chapitre VIII : Le déni psychotique de grossesse ª Introduction n Généralités sur la maternité psychotique Æ a. Statistiques Æ b. Circonstances de survenue de ces maternités Æ c. Le diagnostic de grossesse o Le déni psychotique de grossesse Æ a. Fréquence Æ b. Caractéristique du déni psychotiques Æ c. Hypothèses du déni Ö α . Antécédents denfants placés Ö β . Doute concernant ses capacités maternelles Ö χ . Le rôle de lentourage p Conséquences du déni psychotique Æ a. Le suivi de la grossesse Æ b. Laccouchement Æ c. Le devenir de lenfant q Conclusion
¾ Conclusion ¾ Annexe I : cas cliniques de littérature ¾ Annexe II : cas clinique ¾ Bibliographie
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Introduction
Ce travail sur le déni de grossesse s'inscrit dans le cadre d'une réflexion née de l'observation d'un cas clinique au cours de mes études de médecine. Une jeune femme, enceinte de neuf mois, ne semblait pas avoir pris conscience de sa grossesse. Une question s'est d'emblée imposée au personnel médical et paramédical : quelles raisons pouvaient amener une femme à dénier un état qui représente, en général, une étape attendue et désirée de son existence ? Ce travail se propose d'apporter quelques hypothèses étiologiques sur la nature du déni de grossesse. Mais son objectif principal est de sensibiliser le praticien à cette question. Le déni de grossesse est certainement sous-diagnostiqué. Il mérite donc que l'on participe à une plus ample information à son sujet. Nous verrons, en retraçant l'historique du concept de maternité, que celui-ci a été reconnu dès la fin du XIX e siècle. L'évolution de la contraception, de l'avortement, de la notion "d'abandon d'enfant" et de l'infanticide, tant aux niveaux social, économique, juridique, que médical, a probablement participé à la découverte et à la progression de ce concept dans les mentalités. Il semble indéniable que la surveillance médicale obligatoire de la grossesse, que les aides sociales aux femmes enceintes, en difficulté ou non, ne semblent pas avoir permis de réduire le pourcentage des dénis de grossesse dans la population. Ce taux est resté constant depuis plusieurs décennies. Avant d'aborder les mécanismes de la psychopathologie du déni, il est indispensable d'étudier la psychologie et le vécu d'une grossesse "normale". Nous verrons, en reprenant des exemples cliniques de la littérature médicale, qu'il s'agit d'un concept difficile et polymorphe, tant dans son expression que dans ses mécanismes. Il est susceptible de concerner, en réalité toute femme en âge de procréer. L'accouchement anonyme et la remise du nouveau-né en vue d'adoption en sont les conséquences possibles. D'autre part, infanticide et déni de grossesse apparaissent étroitement liés. Le dernier chapitre de ce travail envisage d'étudier le déni psychotique de grossesse.
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Définitions
- Historique Le terme "dénier" apparaît dans la langue française en 1160. On lui connaît actuellement deux significations : ♦ refuser de reconnaître quelque chose comme vrai ou comme sien. ♦ refuser d'accorder quelque chose qui lui est dû. Le terme "déni", dérivé nominatif du verbe dénier, apparaît au XIII e siècle, au sens généralde : "action de refuser quelque chose à quelquun." Il existe comme terme législatif à partir de la première moitié du XIV e siècle : "Action de dénier quelque chose, ce qui est légalement dû." Ce nest quau début du XVIIe siècle quon lui donne le sens de : "Action de nier un fait." -Psychopathologie Pour LAPLANCHE et PONTALIS [43] : "Le déni est un terme employé par Freud dans un sens spécifique : mode de défense consistant en un refus par le sujet de reconnaître la réalité dune perception traumatisante."
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CHAPITRE I HISTORIQUE
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HISTORIQUE
Contraception Avortement Abandon denfant Infanticide Le souhait de limiter les naissances a existé de tout temps et dans toutes les sociétés. En labsence de connaissances anatomo-physiologiques, on recourait à lavortement, à la contraception, à labandon denfant, ou à linfanticide, actes parfois réalisés dans la clandestinité. En occident, lacquisition des techniques de contrôle de la procréation a permis de dissocier avortement et contraception, bien souvent confondus. Elle a fait régresser le taux dinfanticide et dabandon denfants. Leur histoire, celle de la législation, et linfluence de la morale religieuse sont étroitement liées. Elles ont contribué à améliorer le statut social de la femme, traditionnellement définie par sa fonction reproductrice. La maternité est aujourdhui, le plus souvent désirée, et lenfant attendu est choyé. Certaines observations tendent à démontrer que cet idéal nest cependant pas toujours une constante. Dans lAntiquité Grecque et Romaine La contraception nest interdite ni par les lois antiques, ni par les religions. La civilisation grecquo-romaine a connu quantité de procédés contraceptifs et abortifs : les préservatifs en vessie de chèvre, les tampons obturateurs à base de racines de mandragore, cyprès, baies de laurier, concombre, cumin, aneth dHippocrate, les potions contraceptives au trèfle et au vin blanc dHippocrate, etc. [63] La vie humaine naissante ne possède pas de valeur en soi. Pour Aristote, le ftus est censé être habité par une âme 40 jours après la conception pour les "mâles", et 90 jours pour les "femelles". Hippocrate estime cette durée respectivement à 30 jours et 42 jours. Linfanticide est très répandu : A Rome, le père dispose dun droit de vie et de mort sur ses enfants, cest le "Patria Potestas" romain. A Athènes, le nouveau-né est présenté à son père. Il est libre de le refuser, auquel cas lenfant sera "exposé" (abandonné en laissant le nourrisson à la volonté divine). Hippocrate considère ce type de sélection comme "naturelle". Ainsi lavortement, labandon, linfanticide ne soulèvent pas les problèmes moraux rencontrés dans la société occidentale daujourdhui, et participent à la régulation des naissances. Linfluence de la religion en occident Progressivement, les comportements se modifient, sous linfluence de la morale des religions monothéistes (judaïsme, islam, christianisme,) qui ont participé à la construction de notre culture occidentale.
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Au IV e siècle, linfanticide et labandon sont condamnés par Constantin, premier empereur chrétien. La loi donnant au père le droit de vie ou de mort sur ses enfants est abrogée à Rome en 374 après J-C. Dans la société chrétienne, les pères sont tenus délever tous les enfants quils ont engendrés. Au V e siècle, un enfant exposé et trouvé, doit être porté à léglise. Le prêtre annonce aux fidèles le recueil du nourrisson, et sil nest pas réclamé dans les 10 jours, il est confié à des parents adoptifs. Les pères de léglise, dont Saint Augustin au Ve siècle, ne distinguent pas lavortement de la contraception. Le ftus est censé faire partie intégrante du corps de la femme. Lavortement est perçu, non comme un homicide, mais comme un vice. Ainsi, le christianisme condamne linfanticide et labandon, comme toute religion monothéiste. Sa position concernant lavortement et la contraception nest pas encore bien définie. Le Moyen-Age La tradition de linfanticide est si bien établie quelle a pu se maintenir en France pendant plusieurs siècles après le conversion au christianisme. Moyen de contrôle post-natal des naissances, linfanticide persiste pour plusieurs raisons : -Il permet dassurer une descendance masculine en éliminant les nouveaux-nés de sexe féminin. -Il est préféré aux produits abortifs, aux résultats aléatoires, et très toxiques, qui mettent en jeu la vie de la mère. -Il assure aux couples une pratique sexuelle libre pendant plusieurs mois. Linfanticide reste donc très répandu, parmi les couples légitimes ou non. Son augmentation en période de disette montre quil sagit dun crime principalement motivé par la misère économique, et non pour sauver "lhonneur moral" dune mère. Le concubinage est dailleurs fréquent, même dans le monde ecclésiastique, et les naissances illégitimes sont bien acceptées. Les femmes "séduites" ont la possibilité de désigner le père de leur enfant. Il est alors tenu délever celui quil a engendré. Selon lancienne coutume : "Qui fait lenfant doit le nourrir" [40] La femme doit prêter serment sur lidentité du père pendant les douleurs de laccouchement, ou simplement porter le nouveau-né chez son géniteur. La femme enceinte et seule voit même parfois dans sa maternité un moyen de subsister, puisquelle bénéficie officieusement dune priorité lorsquelle fait laumône. Au XII e siècle : "Ce ventre est redouté, si grand est son mystère" [40] LEglise lutte pour combattre les infanticides et les naissances hors mariage. Pour limiter les naissances, elle prône la continence des rapports conjugaux. Au XIII e siècle, Saint Thomas dAquin affirme : "Le plaisir charnel est un péché sil ne tend pas à la procréation" [7]
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Le mariage est considéré comme un pis-aller, pour ceux qui ne peuvent résister à la "tentation de la chair". Il assure la procréation dans une union stable. Aussi, après le XII e siècle, un changement se perçoit. La distinction se fait progressivement entre grossesse légitime et illégitime : lHôpital du Saint Esprit, fondé au XII e siècle, accueille uniquement les femmes mariées, prêtes à accoucher et trop pauvres pour nourrir leur enfant, et les enfants légitimes. Au XIV e siècle, la naissance dun "bâtard" est la sanction du péché. [40] La doctrine chrétienne condamne la contraception, comprenant alors lavortement. Lemploi de drogues contraceptives ou "poisons de stérilité" est associé au crime de la sorcellerie. [5] Lavortement fait appel à des herbes diverses et à des maléfices. Il est assimilé à un infanticide sil est réalisé après "lanimation du ftus", soit 40 jours après la conception. Au Moyen Age, lEglise ouvre un hôpital pour lutter contre labandon et linfanticide. Elle condamne les naissances illégitimes (hors mariages) et assimile avortement et contraception à de la sorcellerie. Les XVI e et XVII e siècles : Un regain daustérité Les autorités ecclésiastiques accroissent leur exigence de respect des lois de lEglise par les fidèles. Le concubinage nest plus toléré. Le scandale de la "bâtardise" et des "grossesses délictueuses" (hors mariage) apparaît. Les mères illégitimes sont poussées à des solutions désespérées : lavortement, labandon et linfanticide. [40] La gravité de linfanticide, pour lEglise, réside dans le fait quon prive une âme du baptême, et un corps de la sépulture chrétienne. En même temps, lEtat prend des mesures essentiellement répressives. En 1546, le parlement de Paris prohibe lexposition abandon denfants. En 1556, devant laugmentation du nombre dinfanticides, Henri II publie un édit punissant de mort linfanticide et la présomption dinfanticide ; et rendant obligatoire la déclaration de grossesse : "Et, étant dûment averti quun crime très énorme et exécrable, fréquent en notre royaume, qui est que plusieurs femmes ayant conçu des moyens déshonnêtes, ou autrement, persuadées par mauvais vouloir et conseil, déguisent, occultent et cachent leurs grossesses, sans lieu en découvrir et déclarer. Et avant le temps de leur part de délivrance de leur fruit, occultement sen délivrent, puis le suffoquent, meurtrissent et suppriment sans leur avoir fait impartir le saint sacrement du baptême. Celles qui se trouveront dans ce cas sans en avoir pris témoignage suffisant même de la vie et de la mort de leur enfant lors de lissue de leur ventre, et lenfant ayant été privé du baptême et de la sépulture publique accoutumée, elles soient tenues pour avoir, homicidé leur enfant, et pour réparations publiques punies de mort et du dernier supplice de telle rigueur que la qualité particulière du cas le méritera" Edit dHenri II, 1556. [40]