Francique, vous avez bien dit francique ?
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FRANCIQUE ?VOUS AVEZBIEN DIT FRANCIQUE ? Alain Simmer, Passerelles,n°17, 1999,p. 81-91. Interrogation pertinente ? Ce terme correspond-il toujours à la réalité, non plus celle des théories héritées du XIXe siècle, mais celle des plus récents progrès de la recherche scientifique ? En effet, depuis un siècle, aucune étude nouvelle sur le dialecte mosellan: pour tout un chacun, il est censé être l'émanation de la conquête franque du Ve siècle. Pourtant, il suffit d'ouvrir n'importe quel livre d'histoire récent et bien documenté - français et 1même allemand - pour s'apercevoir que les invasions franques et la fameuse germanische Landnahme ont été reléguées aux oubliettes au profit d'un vaste mouvement socio-politique, beaucoup plus pacifique, nettement moins sanglant et beaucoup moins massif qu'on nous l'a présenté pendant longtemps. Petit retour en arrière: toutes nos connaissances touchant le francique sont étroitement dépendantes des théories allemandes sur la colonisation franque, dont on nous a dit qu'elle avait submergé tout le Nord-Est de la Gaule exsangue du Vesiècle. Il faut savoir que ces thèses émanent de la fin du XIXe siècle, époque marquée par un climat politique centré sur un antagonisme franco-allemand exacerbé: une "conquête" des terres du voisin était donc la bienvenue et la "colonisation franque" de l'Est de la France tombait à point nommé ... Et jusqu'à ce jour, la recherche française - dans la mesure où elle a daigné s'intéresser au problème...

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Publié le 25 août 2014
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Langue Français

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FRANCIQUE ? VOUS AVEZ BIEN DIT FRANCIQUE ?
Alain Simmer,Passerelles, n°17, 1999, p. 81-91.
Interrogation pertinente ? Ce terme correspond-il toujours à la réalité, non plus celle des théories héritées du XIXe siècle, mais celle des plus récents progrès de la recherche scientifique ?
En effet, depuis un siècle, aucune étude nouvelle sur le dialecte mosellan: pour tout un chacun, il est censé être l'émanation de la conquête franque du Ve siècle. Pourtant, il suffit d'ouvrir n'importe quel livre d'histoire récent et bien documenté - français et 1 même allemand - pour s'apercevoir que les invasions franques et la fameuse germanische Landnahmeont été reléguées au oubliettes au profit d'un vaste mouvement socio-politique, beaucoup plus pacifique, nettement moins sanglant et beaucoup moins massif qu'on nous l'a présenté pendant longtemps.
Petit retour en arrière: toutes nos connaissances touchant lefranciquesont étroitement dépendantes des théories allemandes sur la colonisation franque, dont on nous a dit qu'elle avait submergé tout le Nord-Est de la Gaule esangue du Ve siècle. Il faut savoir que ces thèses émanent de la fin du XIXe siècle, époque marquée par un climat politique centré sur un antagonisme franco-allemand eacerbé: une "conquête" des terres du voisin était donc la bienvenue et la "colonisation franque" de l'Est de la France tombait à point nommé ...
Et jusqu'à ce jour, la recherche française - dans la mesure où elle a daigné s'intéresser au problème... - est restée dans le sillage de ces théories germaniques, tant la toute puissance de la science allemande, notamment en linguistique et en archéologie, semblait inattaquable.
Pourtant, il faut savoir que ces belles théories ne reposent sur absolument aucun fondement scientifique... Elles sont basées sur des déductions toponymiques, d'après lesquelles les noms de lieu en -ingenviendraient dede nos régions germanophones conquérants "francs" censés, selon quelques auteurs chrétiens de la fin du Bas-Empire, 2 avoir envahi une Gaule romaine en pleine déchéance. Ce sont ces thèses qui ont fait autorité depuis un bon siècle, et qui ont généré tout un système de pensée prétendument scientifique: les Francs s'étant installé dans l'Est, ils auraient, le plus naturellement du monde, créé des centaines de village de nom germanique et implanté leur dialecte "francique", qui subsisterait encore aujourd'hui. La frontière linguistique aurait ainsi séparé deu mondes antagonistes: d'une part, les Francs et de l'autre les pauvres Gallo-Romains - du moins ceu qui n'avaient pas été dévorés ou eterminés ... alheureusement, jamais aucune étude archéologique ou historique n'a été tentée pour étayer ce système. C'est pourtant par là qu'il aurait fallu commencer: étudier, d'abord l'occupation du sol en Gaule au Ve siècle et ensuite, mais ensuite seulement, en tirer des conclusions linguistiques et toponymiques.
ais la réalité semblait tellement coller au conceptions historiques d'une époque pour laquelle les Barbares avaient eu raison d'une Rome à bout de souffle que le christianisme allait s'empresser de régénérer. Et il faut bien admettre que pendant longtemps, l'archéologie de ces périodes troublées est restée démunie et n'a pu pallier les manques criants du système. Ce n'est heureusement plus le cas aujourd'hui.
1 Parmi de nombreu eemples récents: S. LEBECQ,Les origines franques, Nouvelle histoire de la France médiévale, Paris 1990; K.F. WERNER,Les origines, Histoire de France, t.1, Paris 1984. 2 Les théories de base peuvent être aisément résumées par l'ouvrage de E. PETRI,Siedlung, Sprache und Bevölkerungsstruktur im Frankenreich, Darmstadt, 1973.
UNE CONQUETE
"FRANQUE" ?
Décrire un pays ruiné par des milliers d'envahisseurs germaniques est une chose, l'appuyer par une démonstration archéologique en est une autre... S'il est vrai que les Invasions du Ve siècle on été la cause de nombreuses dévastations, elle n'ont jamais rayé de la carte la moitié des implantations humaines de l'Est: elles furent synonymes de désolation mais en aucun cas de colonisation. Ce fut une crise politique, dont les 3 populations civiles payèrent un lourd tribu mais en aucun cas la fin du monde antique.
Il n'est pas question de retracer l'histoire des Invasions, dont le but était, on l'oublie trop souvent, l'Italie... On ne retiendra ici qu'un seul point fondamental: la désagrégation du pouvoir, entamé depuis longtemps, allié à une anarchie militaire, favorisa l'éclatement politique de la Gaule à la fin du Ve siècle, qui se retrouva scindée en plusieurs petits royaumes barbares. ais ce fut un bouleversement socio-politique, en aucun cas ethnique. Si tel avait été le cas, l'archéologie aurait mis au jour des centaines de nécropoles germaniques dans tout le pays: on les attend toujours, et pour cause. La population est restée gallo-romaine, dans son immense majorité, car des dizaines de milliers de Barbares hurlants de nos livres d'histoire, la recherche moderne n'a retenu que quelques milliers d'étrangers, dont beaucoup servaient dans les armées romaines -répartis sur un très vastes territoire - très largement romanisés car originaires de contrées de l'Empire sous obédience romaine depuis longtemps et qui se sont très rapidement assimilés au populations locales. De plus, si le Sud de la Gaule a réellement connu la création de royaumes barbares, il faut rappeler que la Lorraine actuelle n'a jamais été conquise par aucun peuple germanique et que l'ancienne 4 province de Belgique Première fut le dernier bastion de la romanité.
Parmi ces "Barbares", les Francs. Les considérer comme envahisseurs de la Gaule est une hérésie historique. Connus depuis le IIIe siècle, ils compteront très vite parmi les défenseurs de l'Empire romain les plus efficaces et les plus fidèles. Ils seront de toutes les batailles - notamment en 451 contre les Huns d'Attila. Childéric, le père de Clovis, était général romain (il en portait les insignes dans sa tombe) et avait en charge la sécurité et l'administration de toute la province romaine de Belgique Seconde. On est loin, une fois encore, des caricatures véhiculées pendant longtemps à leur sujet. Barbares, ils ne l'étaient plus depuis longtemps car, de par leurs fonctions et leurs résidences, ils ne pouvaient échapper à la romanisation et à l'intégration au sein de l'armée et de la société gallo-romaines. Lorsqu'à la fin du Ve siècle, Clovis, un petit roi franc, s'empara du pouvoir, il réussit là où tous les autres roitelets germaniques avaient échoué. ais cette prise de pouvoir ne fut qu'un geste politique, sans conséquence aucune sur la vie quotidienne des populations de Gaule du Nord. La fameuse date de 476, censée marquer la fin de l'Empire romain d'Occident, n'est qu'une repère inventé de toutes pièces par l'historiographie du XIXe siècle: aucun auteur contemporain n'en a jamais fait mention...
La "conquête" de la Gaule, au sens habituel du terme, n'a jamais eisté que pour quelques historiens en mal de sensationnel. On est à présent en mesure d'affirmer qu'elle n'a jamais eu aucune conséquence ethnique, et pour cause: comment les quelques milliers de Francs qui gagnèrent le pouvoir auraient-ils pu être responsables de quelque bouleversement que ce soit ? Limités en nombre, romanisés depuis longtemps, ils n'avaient qu'un seul désir: s'intégrer le plus rapidement possible à la société gallo-romaine - qui les accepta sans aucun problème, tout comme notre société mosellane intégra il y a peu les immigrés italiens. Leur but n'était en rien de détruire un cadre socio-économique qu'ils admiraient et dont ils voulaient, eu aussi, tirer un maimum de profits. 3 Voir P. PERIN, L.C FEFFER,Les Francs, Paris, 1987. 4 Pour une synthèse des "invasions" en Lorraine, cf. A. SIER,L'origine de la Frontière linguistique e en Lorraine. La fin des mythes ?édition 1998), p. 15-48.Knutange, 1995 (2
C'est pour cette raison que l'on rechercherait vainement les traces, tant archéologiques qu'anthropologiques, d'une quelconque colonisation de masse en Gaule du Nord. Et en oselle , puisqu'on a toujours prétendu que cette colonisation aurait été massive dans notre région ? L'archéologie peut à présent apporter une réponse précise, bien loin des considérations simplistes qui ont prévalu pendant longtemps.
UNE ARCHEOLOGIE "FRANCIQUE" ?
Aucune grande nécropole germanique du Ve siècle n'y a jamais été repérée: rien de plus normal puisque l'epansion franque, la seule qui ait amené l'implantation de nouveau venus sur le sol lorrain, ne débuta qu'au début du VI e siècle. Jusque là, maintien des traditions gallo-romaines et inhumation sans mobilier funéraire. Les sites de la première moitié du VIe siècle sont rares chez nous et cette situation ne semble pas évoluer durant les décennies suivantes. Les nécropoles du VIe siècle de Lorraine sont en moyenne cinq fois moins nombreuses que celles du VIIe siècle, et particulièrement dans l'actuel département de la oselle... Les cimetières lorrains sont d'étendue très moyenne, pour ne pas dire limitée, la plupart ne comptant guère plus de quelques dizaines de tombes. Rares sont ceu qui dépassent la centaine comme Cutry (eurthe-et-oselle), Ennery, au Nord de etz et Dieue (euse): encore ont-ils souvent révélé des inhumations attribuables à l'ensemble du Haut oyen Age. Quant au grands sites, atteignant le millier de sépultures, ils sont quasiment inconnus: on ne peut citer que Dugny (euse) et Pompey (près de Nancy) , mais là encore, leur occupation s'est étalée sur plusieurs siècles. Une mention spéciale pour etz, où les découvertes funéraires mérovingiennes sont quasiment ineistantes, preuve supplémentaire, s'il en fallait encore, démontrant que la ville - qui devint pourtant capitale de l'Austrasie - continua à vivre longtemps encore au rythme gallo-romain. En fait, la majorité des nécropoles du VIe siècle est à rechercher au coeur de la zone romane: à l'Ouest, dans la région verdunoise, ou 5 nettement plus au Sud, dans la partie méridionale de la vallée de la oselle.
La surprise vient du secteur ditfrancique,situé au-delà de la frontière linguistique: on y trouve la plus faible occupation de toute la Lorraine, avec des zones très clairsemées, ou quasiment vides, comme la région de Sarreguemines. Certains secteurs sont mieu fournis; ainsi le pays thionvillois, avec une densité assez conséquente. Sur une quarantaine de nécropoles, une quinzaine a été occupée de façon certaine au VIe siècle, mais aucune ne dépasse quelques dizaines de tombes. Toutes concentrées dans le secteur de Koenigsmacker-Waldwisse, elles se situent quasiment toutes sur la rive droite de la oselle, la rive gauche n'ayant révélé que très peu de nécropoles contemporaines. ais l'occupation ne se poursuit que rarement au siècle suivant dans des proportions importantes: deu cas seulement sont bien attestés, Koenigsmacker et étrich. Au VII e siècle, si la masse des nécropoles augmente nettement, correspondant à un epansion démographique indéniable, la poussée est bien plus nette en zone romane: la oselle germanophone y fait toujours figure de parent pauvre et ce que l'on a toujours considéré comme le fer de lance de "l'epansion franque" fait piètre figure ...Rien qui puisse être considéré comme la preuve d'une quelconque colonisation, d'autant que les rares grands sites du VII e siècle (Audun-le-Tiche, par eemple) naissent sur des terroirs bien peuplés à l'époque romaine et n'ont rien de commun avec un colonisation germanique.
Situation pour le moins surprenante, dans une région qui fourmille de témoignages d'une occupation gallo-romaine massive. Pourtant, d'autres régions ont révélé des sites bien plus importants, correspondant à l'évidence à une population bien plus nombreuse au VI e siècle: ainsi dans les Ardennes, ou dans l'Aisne, où les nécropoles dépassent systématiquement plusieurs centaines de sépultures et où les sites renfermant des milliers de tombes ne sont pas rares.
5 A. SIER,op. cit, p. 56- 74; cf. la carte des nécropoles mérovingiennes p. 73.
On est bien loin de ce qu'on attendait: où sont donc les milliers de sépultures "franques" censées émaner de lagermanische Landnahmeet au déferlement humain dont on nous a rebattu les oreilles pendant des décennies ? Et comment envisager dans ces conditions, l'implantation d'un dialectefranciquepar des envahisseursfrancsqui n'ont jamais été au rendez-vous, mais qui sont néanmoins réputés avoir créé une frontière linguistique aussi solide qu'un roc, quasi-immuable pendant deu millénaires ?
DES DIALECTES "FRANCIQUES" ?
Pourtant, sur plus de 700 communes mosellanes, 350 se situent en zone germanophone et pas moins de 200 000 personnes pratiquent un dialecte. Inutile d'insister sur l'importance et l'enracinement d'un tel phénomène, qui couvre une aire de 3 000 km², soit plus de la moitié du département de la oselle et qui perdure encore aujourd'hui.
On sait que l'origine des parlers mosellans a été attribuée, lors des grandes avancées de la philologie germanique - toujours à la fin du XIXe siècle - à l'époque des "Grandes Invasions"; mais c'est par simple association historique qu'on a décidé que la germanisation serait intervenue "vers le Ve siècle" suite au migrations germaniques en Gaule du Nord. Et, le plus naturellement du monde, ils ont été baptisésfranciquespar référence au Francs. Pourtant ...
Les Francs, au moment de leur entrée en Gaule, parlaient, de par leur origine géographique - l'ancienne Toandrie - un dialecte bas-allemand, lointain ancêtre du néerlandais actuel. Or, les dialectes mosellans sont de type "itteldeutsch", sans aucun rapport avec le "francique", au sens étymologique du terme.
La question se pose donc de manière fort claire: comment des gens du Nord auraient-ils pu introduire une langue, foncièrement différente car presque méridionale? Le terme franciquequi s'applique à plusieurs subdivisions dialectales actuelles, correspond à une réalité politique, en aucun cas linguistique, les parlers ainsi dénommés relevant aussi bien du haut-allemand que du bas-allemand. Ce nom a néanmoins servi de base au philologues pour distinguer, entre autres, les parlers rhénans (francique rhénan) des parlers mosellans (francique mosellan) ou luembourgeois (francique luembourgeois). Pourtant, de nos jours encore, les dialectes du Nord, de souche néerlandaise (bas-allemand) n'ont rien de commun avec ceu de l'Est (moyen-allemand).
Aucune unité linguistique ne se dégage de l'aire dialectale mosellane où coeistent plusieurs systèmes différents, au point que les gens ne se comprennent pas entre eu: un Thionvillois ne parle pas le même dialecte qu'un Sarregueminois. Une ligne Faulquemont-Saint-Avold coupe l'aire mosellane en deu partie: à l'Ouest, le domaine dufrancique mosellan- qui s'étend jusqu'à Coblence - à l'Est, celui dufrancique rhénan- pratiqué jusque bien au-delà de Francfort ; mais de nombreuses distinctions supplémentaires font éclater cette unité de façade. Lefrancique mosellande la région Thionville-Sierck, très proche du Luembourgeois, constitue une zone particulière qui se distingue dufrancique rhénanen usage ailleurs; mais ce dernier se subdivise lui-même en plusieurs sous-ensembles: Boulay-Bouzonville, Saint-Avold-Faulquemont, Bitche et Sarreguemines alors que la région de Phalsbourg s'apparente à l'alémanique de l'Alsace voisine . De fortes divergences se rencontrent dans tous les domaines, tant phonétiques (évolution de certaines consonnes et voyelles) que leicales (vocabulaire) ou encore syntaiques; isophones et isoglosses - limites phonétiques et leicales séparant les aires dialectales - s'entremêlent ainsi de façon inetricable. Il ne subsiste aucun témoignage des dialectes médiévau: il est donc impossible d'en établir l'origine mais la plupart de isophones, distinguant les aires dialectales entre elles, sont basés sur les conséquences de la Deuième utation Consonantique,
intervenue entre le Ve et le VIIIe siècle. La différenciation ne date donc pas d'hier. algré toutes ces divergences, on n'a pourtant pas hésité à attribuer les dialectes mosellans à la langue des Francs, à partir d'a priorihistoriques, alors que le terme franciquedevrait être banni de ces dénominations, au profit derhénanoumosellan.
Si les Francs avaient joué un quelconque rÔle dans la transmission des dialectes lorrains, les osellans parleraient néerlandais, tout comme les trois-quarts de l'Allemagne et une bonne partie de la France du reste, puisque leur hégémonie politique s'est étendue sur ces deu futurs pays. Et si lefrancique, au sens originel, des pseudo-conquérants de Lorraine avait jeté les bases de la frontière linguistique, les nombreu isophones, distinguant les dialectes, seraient-ils tous de direction Nord-Est/Sud-Ouest, soit radicalement à l'opposé du tracé de la frontière des langues, qui est Ouest-Est....? Enfin, l'hétérogénéité qu'on vient d'entrevoir aurait-elle pu être le fondement d'un système toponymique unitaire tel qu'il eiste en Lorraine germanophone et dans les régions voisines ? En effet, alors que les dialectes divergent fortement entre eu, comme on vient de le voir, les noms de lieu germaniques font preuve d'une surprenante homogénéité, qui dépasse largement les frontières lorraines et déborde largement sur l'Allemagne, la Belgique et le Luembourg.
En fait, il faut envisager que les Francs du VIe siècle, linguistiquement intégrés dans les zones où ils s'étaient progressivement établis, ne parlaient plus le dialecte bas-allemand de leur région d'origine. Largement minoritaires au sein des populations de l'Est, ils n'ont fait qu'adopter la langue des régions politiquement occupées: lefranciquea donc probablement disparu selon un processus tout à fait naturel...
Il est en outre un peu simpliste de raisonner sur la base d'unelangue des Francsqui aurait tout submergé sur son passage. Que nous apprend donc l'histoire des temps mérovingiens ? Clovis s'eprimait-il en germanique avec les gens de son entourage ? On n'en sait strictement rien. ais est-il vraiment utile de préciser qu'il comprenait et parlait bien évidemment le latin ? Rappelons que tout comme son père avant lui, il eerçait des fonctions romaines, et était issu d'un milieu romanisé depuis longtemps, où l'assimilation linguistique était probablement aussi profonde que l'intégration culturelle; s'il avait parlé francique à la cour, sa langue se serait automatiquement imposée, ne serait-ce que provisoirement, dans les hautes sphères du pouvoir: cela se saurait depuis longtemps. Le fait que l'usage d'une autre langue n'ait pas laissé de traces dans l'histoire n'est probablement pas dÛ au hasard...
Du reste, comment quelques milliers de gens - fussent-ils des aristocrates détenteurs du pouvoir - auraient-ils pu imposer en quelques décennies leur langue à de vastes territoires dont on sait à présent qu'ils étaient restés gallo-romains, et qui n'avaient jamais cessé de parler latin ? Certaines zones plus fortement romanisées comme Trèves et sa région, mettront même des siècles pour accepter une empreinte germanique... On a prétendu longtemps que l'etension maimum du germanique s'était établie au VIe siècle, que le latin avait complètement disparu de la rive gauche du Rhin, que l'etinction du germanique se serait étalé jusqu'au IXe siècle au moins. Il faut bien se rendre à l'évidence: un siècle, soit l'espace de trois ou quatre générations a suffi; la langue est morte en même temps que les hommes qui étaient susceptibles de la pratiquer comme langue maternelle. Il ne faut pas se tromper d'époque; rien n'a jamais été entrepris pour la transmission dufrancique: langue écrite, système éducatif, administration, rien de tout cela n'a joué en sa faveur. Tout le reste n'est que vaines spéculations. La disparition dufranciqueétait inéluctable, de par la supériorité du latin, langue officielle et langue sacrée, mieu adaptée, émanant d'une civilisation ancestrale plus évoluée.
Un eemple du même ordre, bien mieu documenté que celui des Francs, est édifiant: celui des Wisigoths. Peuple d'envahisseurs germaniques fiés dans le Sud de la Gaule,
ils possédaient une langue propre, bien établie sur des bases écrites, phénomène unique pour l'époque dans la sphère linguistique germanique. Dès le IVe siècle, l'évêque Ulfila avait traduit les Evangiles dans l'idiome de son peuple, à l'aide d'un alphabet spécifique, créant ainsi le premier monument de la littérature germanique. Tous les philologues s'accordent à reconnaître le haut degré d'évolution de cette langue. Et on sait qu' au Ve siècle, les Wisigoths de Toulouse pratiquaient encore leur langue vernaculaire. L'implantation wisigothique en Gaule reposait donc sur des bases linguistiques solides -contrairement à tous les autres peuples étrangers fiés sur le sol gallo-romain - qui auraient pu générer une influence profonde et durable: or, leur langue ne s'est non seulement jamais fiée sur les rivages de la éditerranée, mais elle est la seule à avoir totalement disparu de l'éventail des langues germaniques. Comment envisager un impact quelconque de la part d'autres dialectes, tel lefrancique, là où le plus structuré et le plus évolué d'entre eu a échoué ? De plus, dans la mosaïque de dialectes germaniques pratiqués par les "étrangers" implantés en Gaule, l'hétérogénéité était telle que la seule langue de communication supranationale, maîtrisée par le plus grand nombre à des degrés très variables, ne pouvait être que ... le latin ! Un argument supplémentaire en faveur de la disparition rapide des parlers germaniques et de la 6 survivance, indispensable, de la langue latine.
Comment, de tant de telles conditions, pouvoir continuer de parler d'une langue franciqueen oselle ? Les Francs n'y sont donc pour rien: pourtant la langue, et la toponymie, vestiges tangibles d'une imprégnation ancienne de nos régions sont bien là. Et le tracé de la frontière linguistique, qui n'a pas varié durant deu millénaires, renforce encore cette impression d'ancienneté et de puissance bien établie.
UNE TOPONYIE "FRANCIQUE" ?
Une seule solution: lorsque les Francs sont arrivés, tout était déjà en place et depuis longtemps...Au delà des légendes qui encombrent encore nos livres d'histoire, la réalité se fait jour. ais il reste encore bien des contrevérités à etirper; une des plus tenaces: les chefs francs, en s'implantant en Lorraine, auraient fondé des milliers de villages en -ingen.De là, notre toponymie propre, assimilant la oselle à unnid d'anges.... L'archéologie a fait table rase de tout cela: comment créer des villages ... qui eistaient déjà depuis des centaines d'années et qui n'ont jamais été désertés ?
Plus de 500-ingenparsèment la oselle; ils ne sont pas massés le long de la frontière linguistique comme on a toujours tenté de le faire croire, mais se situent en zones rurales, souvent par petits noyau homogènes. Aucun dans les zones urbanisées à l'époque gallo-romaine - rien autour de etz par eemple. Quasiment.aucun des sites gallo-romains importants, en fonction des découvertes archéologiques, ne porte de toponyme en -ingen. De plus, ils s'écartent des voies romaines: panorama pour le moins curieu pour des conquérants...Faut-il s'étonner de ne pas y trouver systématiquement de nécropole mérovingienne, alors que beaucoup ont révélé des vestiges archéologiques bien plus anciens ? Pourtant, en suivant les théories classiques, sur les 500 villages en -ingenmérovingiennes, on devrait trouver autant de nécropoles ... alheureusement, on est bien loin du compte, puisque la oselle en comporte environ cinq fois moins.
Quelques eemples significatifs. On connaît quelques sites d'implantations "franques" précoces, en fait, probablement des aristocrates locau devenus mérovingiens par opportunisme politique. Leurs superbes sépultures regorgent de bijou et d'armes de parades: or, elles se situent souvent dans des villages porteurs de toponymes celtiques ou gallo-romains. Ainsi à Kirschnaumen, où un personnage (chrétien...) qui s'appelait Agnusd'après une boucle de ceinture fut inhumé entre 500 et 530 dans un centre resté gallo-romain mais portant toujours le nom celtique deNoviomagus, germanisé bien 6 Ibidem, p. 114.
plus tard.7ais pas d'eclusive: on signale des trouvailles identiques à étrich (un -acumgallo-romain) et à Waldwisse (unvicus). En fait, la toponymie mosellane se moque éperdument des Francs. et les villages en -ingenpas plus dene comportent nécropoles mérovingiennes que les autres. ieu: aucun des plus grands sites mosellans du Haut oyen Age ne correspond à un toponyme en-ingen; ainsi Audun, Fontoy, Koenigsmacker sont tous trois d'origine latine. Que dire d'Ottange, (un-ingen), oyeuvre (unodoveraceltique) Hamevillers et ontenach (des formations latines ), toponymes plus que diversifiés mais qui ont tous révélé des sites mérovingiens de datation semblable... ?
Si on se tourne vers les documents d'époque, pas plus de chance: car les-ingenne représentent qu'un pourcentage ridicule au sein des attestations du VII° siècle: deu pauvres mentions seulement ! Et lorsque des chartes contemporaines citent nommément 8 des créations mérovingiennes, il s'agit de termes latins en-acum...
Histoire, archéologie, linguistique et toponymie convergent enfin: les Francs n'ont été qu'une parenthèse dans l'histoire de la oselle germanophone.
UNE ORIGINE INDIGENE
L'origine en est bien plus ancienne: elle ne peut provenir que de populations indigènes installées là depuis longtemps, des Trévires, ou des édiomatriques, qui ont, de tous temps, parlé germanique. Et la conquête romaine n'a rien bouleversé au niveau linguistique. Les Romains savaient parfaitement qu' imposer une langue nouvelle était une entreprise vouée à l'échec, alors que le latin s'installerait de lui-même par les nouveautés culturelles et socio-économiques qu'il véhiculerait. Dans toute la Gaule, le gaulois est resté, jusqu'au Haut oyen Age, la langue du peuple, là où il était pratiqué. Chez nous et dans une bonne partie du Nord-Est, c'est un dialecte germanique qu' a utilisé le peuple autochtone et une frontière linguistique a très vraisemblablement déjà séparé gaulois et germanique, bien avant l'arrivée de César. Plus tard, elle séparera les zones d'epression germanique - toutes rurales - des zones gallo-romaines, plus urbanisées. Et lorsque les Francs, arriveront dans les territoires qui constitueront plus tard la Lorraine, ils trouveront des villages en-ingenoccupés depuis des lustres et une situation linguistique bien en place et, à laquelle ils ne modifieront pas un pouce.
C'était du reste le dernier de leur souci que de fonder des centaines de villages, alors qu'ils ont occupé en priorité les zones urbanisées desviciet des villes: ainsi levicus Francorumtous les ateliers monétairesde etz (terme on ne peut plus latin ! ) et mérovingiens, installés - certainement pas par hasard - dans la vallée de la Seille au passé plus que millénaire, mais où on serait bien en peine de trouver un toponyme germanique.
Quant à la toponymie particulière à la oselle, elle est, contrairement au apparences, de création romaine. Comment ne pas mettre en parallèle les milliers de villages en-iacumde Gaule avec les mêmes formations, mais comportant un suffie germanique ancestral en-ingende chez nous (et d'autres régions d'Allemagne )? C'est l'administration romaine - qui a dÛ imaginer un système standardisé pour un évaluation fiscale commode - qui s'est contentée d'adapter le système eistant: un nom propre associé à un suffie eprimant la propriété (-iacum/-ingen) mais en respectant la langue en usage. Et unontiniacumcorrespondait parfaitement à unRotkinsingas!
ais la toponymie a toujours été l'epression de la langue parlée. Preuve éclatante: alors que la frontière des langues n'a jamais correspondu à aucune démarcation
7 A. SIER,Une redécouverte d'époque mérovingienne: la riche sépulture de Kirschnaumen. Revue Archéologique de l'Est, t.36, 1985, p.311-316 et t. 40, 1989, p; 266-268. 8 Cf carte des toponymes enacum/ingen: A. SIER,L'origine de la Frontière linguistique...,p. 81.
ethnique, historique ou politique, elle suit, au mètre près, la limite des archidiaconés du diocèse de etz, qui regroupent, comme directement sortis de l'Antiquité, les villages en fonction de leurs toponymes. Ainsi les archidiaconés de etz et de Vic-sur-Seille ne comportent-ils aucun nom de lieu germanique, alors qu'ils sont tous regroupés dans 9 ceu de arsal et de Sarrebourg. Ce sont les démarcations linguistiques ancestrales qu'a suivi l'administration romaine, sans se préoccuper le moins du monde d'en changer l'essence, limites qui seront reprises par l'Eglise, dont on sait fort bien qu'elle hérita des structures de l'Empire Romain. Là encore: pourquoi détruire, alors qu'il suffisait de changements minimes pour continuer à faire fonctionner un système qui avait fait ses preuves ? Quant au rÔle des Francs dans tout cela, on serait bien en peine de l'établir...
Et la langue ? Elle est restée étonnamment vivace pendant deu millénaires, résistant à tous les envahisseurs, réels ou imaginaires, qui sont passés par la Lorraine. Au grand étonnement des historiens, qui n'ont jamais compris que ce dialecte, faisant fi de tous les bouleversements historiques, avait survécu précisément parce qu'il ne devait rien à des envahisseurs mais tout au racines du peuple de Lorraine et qu'il était capable d'adaptation.
Adaptation et non disparition car bilinguisme et diglossie ont toujours pallié au difficultés: la langue "vulgaire" - le dialecte germanique mosellan - est restée cantonnée au domaine quotidien alors que la langue officielle , le latin d'abord puis le français, ont été utilisés pour les actes officiels du cadre administratif et économique . Et le problème souvent évoqué du changement de langue en oselle ne s'est en fait jamais réellement posé.
ais, alors que la langue officielle a changé au rythme des variations politiques de l'histoire, le dialecte originel est toujours resté le même au delà de toute invasion. L'histoire ne se fait d'ailleurs jamais l'écho de ces changements de langue, alors que les attestations de bilinguisme sont innombrables. Du reste, les problèmes surgissent seulement lorsque quelque matamore se met en tête d'éradiquer les dialectes, perçus comme une atteinte à l'unité nationale, selon les conceptions éculéesune langue = un pays. ais il n'a jamais eisté aucune politique linguistique avant les Temps odernes car les régimes antérieurs s'en moquaient éperdument: les langues s'imposaient ou se surimposaient d'elles-mêmes, le peuple conservant la sienne, utilisant celle des autres comme langue de communication lorsque le besoin - le plus souvent économique - s'en faisait sentir, mais se gardant bien d'oublier son patois. Les eemples de ce genre abondent, à toutes les époques: jusqu'à la Première Guerre ondiale, le français n'était la langue réelle que de bien peu de gens en France... Il n'est peut-être pas inutile de rappeler que l'actuel Luembourg a trois langues officielles et ne s'en porte pas plus mal, alors que l'Inde en connaît 1650 !
Cette réalité est à distinguer soigneusement des légendes qui encombrent encore nos livres d'histoire: ces Romains qui ne parlaient que latin, ignorant superbement les autres langues "barbares" ... alors que les "Romains" de souche n'ont jamais été que quelques milliers, dispersés dans un immense Empire où toutes les langues se cÔtoyaient allègrement ... Sait-on que l'empereur Septime Sévère pratiquait mieu le numide que le latin ; qu'on entendait encore parler gaulois à Trèves au IVe siècle; qu'Aetius, dernier représentant de la Romanité en Gaule du Nord était polyglotte et connaissait - entre autres - parfaitement la langue des Huns; qu' à partir de 535, tous les actes impériau de Constantinople seront rédigés ... en grec, de même que les fameusesNovellesdu Code Justinien ? Et Charlemagne, le père des peuples et ancêtre de l'Europe , qui n'a jamais su écrire et qui avait appris le latin comme une langue étrangère, n'a jamais pu se départir de son dialecte germanique, dont on ignore, soit dit en passant, toujours la nature eacte: rhénan ou mosellan ? Comme on ne connaît pas son lieu de naissance
9 Ibidem, p. 223.
avec précision, on en est réduit à des conjectures... ais son fils Louis le Pieu chassait encore, en allemand, les démons qui le hantaient à l'article de la mort, en 840 !
L'AVENIR DU GERANIQUE OSELLAN ?
Après le passé, l'avenir: celui du germanique mosellan parait bien sombre. Et plutÔt que de lutter contre des moulins à vent, il serait peut-être plus judicieu de se pencher sur les raisons pour lesquelles lepseudo-franciquerésiste si mal au attaques du monde moderne et sur les remèdes susceptibles d'éviter son etinction définitive: des panneau routiers et quelques manifestations folkloriques - au sens étymologique - sont insuffisants. Curieu paradoe: il a aussi bien résisté que les autres dialectes, comme l'atteste le tracé quasi-immuable de la frontière linguistique, il vient de se voir reconnaître un droit de cité officiel comme les autres langues régionales, des dizaines de candidats bacheliers le choisissent comme matière à option, mais il décline irrémédiablement... Alors qu'en Bretagne des milliers d'enfants l'apprennent quotidiennement en classe !
L'immigration aurait-elle été trop forte en Lorraine mosellane ? Elle a connu une ampleur identique en Alsace où pourtant leplattse porte fort bien. Il est vrai qu'à l'heure des bouquets numériques et des autoroutes de l'information, seuls l'éducation familiale et l'enseignement pourraient éviter son etinction. ais l'âme mosellane est-elle encore suffisamment forte ? La presse a rapporté, il y a peu, diverses manifestations pour la reconnaissance des langues régionales. Il y était question, entre autres, de la Bretagne et du Pays Basque. ais pas un mot pour la Lorraine.
============================================================== = le 23 janvier 99
Vous trouverez ci-joint l'épreuve de mon article corrigée.
Pour vous être agréable, j'ai modifié la phrase de la p.4 sur l'origine des dialectes (bien que les ouvrages que vous citez n'aient rien modifié au concepts des origines du dialecte).
Idem pour la phrase de dernière page concernant l'immigration; si la modification ne vous convient pas, supprimez toute mention de l'immigration, cela ne changera en rien l'essence de mon tete.
Quant à la carte à rajouter éventuellement, celle de la p. 73 de "L'origine de la frontière linguistique" (nécropoles mérovingiennes) conviendrait bien, à mon avis, entre les p. 3 et 4. Sinon, je ne vois rien d'autre.
Restant à votre disposition.
= 10 pages imprimées, dont une carte.
Cordialement.
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