Séminaire de thèse du 4 février 2002.rtf
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NOTE DE TRAVAIL - DOCUMENT SEMINAIRE - L.E.S.T.- CNRS – UMR 6123Université de Provence (U1) et Université de la Méditerranée (U2) - 35 avenue J. FERRY - 13626 AIX-EN-PROVENCE CEDEXTél. : Standard : 04.42.37.85.00 - Fax : 04.42. 26.79.37 email lest@univ-aix.frDe la construction d'une génération sacrifiée à la formation d'une "classed'âge": mouvement social et jeunesse dans l'espace public au QuébecIntervenante :Léa LimaInvité : Gérard Mauger4 février 2002Avertissement :Ce papier s'inscrit dans une thèse comparative France-Québec portant sur la construction de lacatégorie des "jeunes en difficultés" dans les politiques de l'emploi. Suite à un séjour de 5mois au Québec, une première série de données documentaires et vivantes nous a faitcomprendre que la catégorisation administrative des jeunes dans les politiques publiques del'emploi s'inscrivait dans un débat public plus large sur le problème social de la jeunesse, denombreux groupes de jeunes participant à sa définition. Ce papier est donc le résultat encoreimparfait d'une recherche en amont de notre objet principal qui reste centré sur les catégoriesde l'action publique. La dimension comparative que nous avons choisi de gommer ici dans la1mesure où la construction de la jeunesse en France est un sujet largement exploité , estcependant ce qui justifie ce papier de travail: en effet nous proposons ici un modèle différentde celui que nous connaissons de définition du problème social de la jeunesse tant ...

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NOTE DE TRAVAIL - DOCUMENT SEMINAIRE - L.E.S.T.- CNRS  UMR 6123 Université de Provence (U1) et Université de la Méditerranée (U2) - 35 avenue J. FERRY - 13626 AIX-EN-PROVENCE CEDEX Tél. : Standard : 04.42.37.85.00 - Fax : 04.42. 26.79.37 email lest@univ-aix.fr De la construction d'une génération sacrifiée à la formation d'une "classe d'âge": mouvement social et jeunesse dans l'espace public au Québec
Avertissement :
Intervenante :Léa Lima Invité : Gérard Mauger
4 février 2002
Ce papier s'inscrit dans une thèse comparative France-Québec portant sur la construction de la catégorie des "jeunes en difficultés" dans les politiques de l'emploi. Suite à un séjour de 5 mois au Québec, une première série de données documentaires et vivantes nous a fait comprendre que la catégorisation administrative des jeunes dans les politiques publiques de l'emploi s'inscrivait dans un débat public plus large sur le problème social de la jeunesse, de nombreux groupes de jeunes participant à sa définition. Ce papier est donc le résultat encore imparfait d'une recherche en amont de notre objet principal qui reste centré sur les catégories de l'action publique. La dimension comparative que nous avons choisi de gommer ici dans la mesure où la construction de la jeunesse en France est un sujet largement exploité1, est cependant ce qui justifie ce papier de travail: en effet nous proposons ici un modèle différent de celui que nous connaissons de définition du problème social de la jeunesse tant du point de vue du processus politique de définition (quel type d'acteurs sociaux prennent part au processus et avec quelle légitimité) que des référentiels qui sont mobilisés (quels registres de discours et avec quelles représentations de la jeunesse).
                                                     1 On pourra notamment se référer à l'article de Francine Labadie (2000), L'évolution de la catégorie jeune dans l'action publique depuis vingt-cinq ans, Recherches et Prévisions, n° 65, septembre, pp. 19-29.
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Introduction
Plan du papier
1. Une génération "sacrifiée": production de la cause de la jeunesse et travail d'unification symbolique 1.1. Le travail des porte-parole: la formulation publique de la "cause" des jeunes 1.2. La figure de la "relève": institutionnalisation de la jeunesse et cause nationale
2. Une jeunesse discriminée et lésée: mouvement social et requalification de du problème social des jeunes 2.1. dans le registre technico-politique: l'appel aux politiquesLes revendications d'insertion 2.2. Les registres holistes 2.2.1. Le registre politico-civique 2.2.2. Le registre socio-politique
Conclusion
Bibliographie
Annexe Bibliographique
Résumé: A l'heure où la France s'interroge sur sa politique de la jeunesse, l'expérience québécoise nous apporte un éclairage intéressant sur les différentes manières de construire la jeunesse dans l'espace public. En effet, au Québec, la mobilisation politique de groupes sociaux pour lesquels la "jeunesse" constitue une catégorie de référence, a permis la requalification du problème social de la précarité des jeunes. D'un problème individuel et lié à un moment du cycle de vie (registre technico-politique), la précarité juvénile est reformulée sous une double modalité: dans un registre politico-civique comme effet de la discrimination envers les jeunes et dans un registre socio-politique comme le produit de rapports intergénérationnels inégaux. Dès lors la "classe d'âge" devient une catégorie légitime de division du monde social qui donne à la politique de la jeunesse sa véritable cohérence.
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Introduction
En France la catégorie de "jeunesse" souffre d'un déficit de légitimité tant sur un plan scientifique que sur le plan politique. Dans le champ des sciences sociales tout d'abord, on s'est appliqué à démontrer la pluralité des jeunesses, cest-à-dire la pluralité des expériences possibles qui couvrent cet âge de la vie (Thévenot 1979; Bourdieu, 1984a). Pour Bourdieu qui puise ses analyses dans létude de la société française, les logiques de générations résistent peu aux logiques de classes sociales dès lors que se pose la question de la transposition dans lespace public du conflit interpersonnel sexprimant au sein de la famille et sur les lieux de travail. Si les discours sociaux sur la jeunesse ou la génération sont bien réels, la sociologie française a appris à sen méfier : les conflits de génération sont là pour masquer, en faisant appel à une catégorie naturelle (lâge), des oppositions bien plus structurantes du monde social pour qui sait les dévoiler, à savoir les rapports de classes. Ce sont ces travaux fondateurs qui ont initié, comme le souligne Paul Bouffartigue en 1986 dans une table ronde consacrée à la sociologie de la jeunesse, cette sorte de rituel consistant pour les sociologues à « [commencer] leur article en critiquant la catégorie de jeunesse comme catégorie idéologique » (Battagliola, Bouffartigue, Godard, Mauger, Clot, 1986)2 . Cette déconstruction théorique de la jeunesse trouve un écho dans le fait qu'en France, la jeunesse ne présente que très peu les attributs d'un acteur social. Il y a certes des mouvements étudiants et lycéens ou un mouvement des jeunes issus de l'immigration mais ils n'ont rien en commun tant objectivement que subjectivement (Dubet, 1996). On ne peut parler de "mouvements « jeunesse »", tout au plus de "mouvements de jeunes": des explosions plutôt que des organisations structurées et durables, des acteurs culturels et non politiques. Enfin, l'Etat français qui du fait même de cette absence d'acteur social non professionnel se réservait la définition de l'action publique en matière de "jeunesse", n'a eu de cesse que de la segmenter. A partir des années 1980, le référentiel de "l'insertion" prime nettement sur celui de la catégorie "jeune", les politiques publiques s'appuyant sur la conception individualiste de la jeunesse comme moment du cycle de vie. Une évolution est cependant sensible dans le Rapport « Jeunesse, le devoir davenir »3avec lélaboration dune vision générationnelle qui met laccent sur l« effet de période » pesant sur la situation des jeunes. La jeunesse est présentée comme annonciatrice des changements de la société dans son ensemble. Dans les deux visions cependant, la jeunesse nest nullement considérée comme un groupe social, porteur dintérêts propres. Face à cette configuration française, l'expérience québécoise apparaît intéressante dans la mesure où le chômage massif des jeunes mis à jour au début des années 1980 a eu un impact important sur la recomposition des catégories de référence du débat public sur les jeunes. L'avènement de la catégorie d'âge comme catégorie légitime de lecture et de division du monde social a été rendue possible par l'émergence et la consécration étatique d'une conscience générationnelle forte. Les groupes sociaux mobilisés sur une base catégorielle "jeune" ont ainsi réalisé un travail politique de requalification du problème socio-économique des jeunes. Si on retrouve dans le discours de ces groupes un appel aux politiques d'insertion                                                      
2révéler dans les discussions de la TableOn voit très bien les tensions de la sociologie de la jeunesse se Ronde (1986) qui, tout en rassemblant dans cette revue marxiste les spécialistes de la sociologie de la jeunesse soppose à son intronisation. 3 Général du Plan (2001) : CommissariatJeunesse, le devoir davenir, Rapport de la Commission présidée par D. Charvet, La Documentation française, 441 p.
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sociale et professionnelle dans un registre (que nous qualifions denichtetilop-oceuqi) tout à fait semblable à celui employé en France, l'originalité de leur action politique réside dans la reformulation du problème social des jeunes sous une double modalité: celui de la discrimination d'âge (registre politico-civique) et celui des inégalités de rapports sociaux de classes d'âge (registre socio-politique). Ainsi la classe dâge est-elle appelée à devenir une catégorie sociale transversale à l'ensemble des enjeux socio-économiques et non plus la catégorie cible de politiques spécifiques4.
1. Une génération « sacrifiée » : Production de la cause des jeunes et travail d'unification symbolique de la jeunesse Il y a tout dabord au Québec comme en France, une « situation de génération », comme lappelle Karl Mannheim (1990), objective, qui correspond à une place dans une structure sociale et économique pour les individus relevant dune même génération. Il est certain, comme lexplique Pierre Bourdieu que la déqualification structurale (cest-à-dire la dévalorisation des titres due à leur massification) qui touche la génération issue de la démocratisation scolaire, a été propice à la production dune unité générationnelle marquée par la désillusion collective (Bourdieu, 1979, pp. 159-166). Il y a dans le décalage entre les aspirations nourries par louverture du système scolaire et les chances réelles daccès à lemploi et au statut, les fondements dune communauté dexpériences qui traverse les couches sociales pour former une « sorte dhumeur désenchantée » chez les jeunes des années de crise. Cette situation de génération qui produit une certaine unité noffre pourtant quun potentiel de mobilisation dont il faut analyser les conditions effectives dactivation. Dans le processus de transformation d'un "problème "en "problème social", deux phases ont été mises en lumière par Rémi Lenoir (Lenoir, 1989). Il faut tout d'abord que des porte-parole se saisissent du problème pour le reformuler publiquement de manière à en faire une "cause" reconnue par l'ensemble de l'opinion publique et légitime à ses yeux. La phase d'institutionnalisation vient ensuite figer les catégories sociales, les solidifier de telle manière que la catégorie prenne son autonomie par rapport aux individus singuliers qui appelaient à sa formation. La construction de la jeunesse dans lespace public québécois sest réalisée contre une division administrative et juridique de la jeunesse fortement structurante de lordre social et de ses représentations. La transformation, jamais complètement stabilisée, des jeunesses statutairement différenciées en une « génération sacrifiée » est le produit dune convergence entre les intérêts du gouvernement provincial et un mouvement social de « jeunesse » qui sest perpétué tout en se transformant depuis la fin des années 1970. Ainsi la construction par le gouvernement et ses institutions dun « collectif nominal » (Mauger, 1994), qui résulte de la « totalisation sur le papier » a accompagné et supporté la constitution dacteurs sociaux permettant de produire une croyance collective en une classe dâge dont les membres sont a priori marqués par des conditions et des expériences fort diverses.
                                                     
4Ce travail s'appuie sur l'analyse de documents et sur trois entretiens complémentaires. Deux événements paroxystiques jalonnent la production de la "jeunesse" de ces vingt dernières années: le Sommet québécois de la jeunesse en 1983 et le Sommet du Québec et de la jeunesse en 2000. Nous nous sommes appuyé sur ces deux moments pour notre recherche en traitant les revues de presse et les documents officiels et semi-officiels accompagnant le déroulement de ces événements. Enfin la littérature grise de plusieurs groupes de jeunes acteurs du processus a été aussi utilisée. La liste des données documentaires est présentée en annexe.
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1.1. Le travail des porte-parole: la formulation publique de la "cause"
La mobilisation de la jeunesse comme groupe social se fait tout dabord par une prise de conscience générationnelle. Entre 1982 et 1983, lidée que les jeunes de 20 ans vivent des conditions socio-économiques radicalement différentes de celles de leur aînés simpose comme une idée maîtresse. En 1983, le Conseil Supérieur de lÉducation, chargé daviser le gouvernement sur sa politique scolaire, publie un rapport accablant sur la situation des jeunes adultes faisant état dun taux de chômage de plus de 24% chez les jeunes entre 18 et 24 ans ainsi quune augmentation du nombre de jeunes de moins de 30 ans prestataires de laide sociale5. Cette idée suppose dans un premier temps que le chômage des jeunes est le résultat dun double effet : effet de la crise donc conjoncturel mais aussi effet de linégalité des groupes dâge devant la crise, ce qui relève dun effet structurel. La jeunesse « défavorisée » cest-à-dire un groupe dâge collectivement frappé par le même différentiel dans les conditions socio-économiques par rapport aux aînés, fait son apparition sur la scène publique au début des années 1980 et plus particulièrement alors que se prépare le « sommet québécois de la jeunesse » qui aura lieu en août 1983. Les journaux de lépoque se font lécho de cette mobilisation en même temps quils rendent visible la « génération sacrifiée ». On voit se former un effort collectif pour subsumer les différences de conditions qui divisent le groupe dâge pour présenter une génération unanimement « hantée par une même obsession, celle du non emploi ou du sous-emploi »6. Le processus repose sur la mobilisation dune subjectivité commune, dun vécu semblable plus que sur le rapprochement des conditions économiques objectives. En effet il ne suffit pas de dire que les jeunes les plus favorisés en terme de scolarité sont aussi touchés par le chômage pour faire naître un sentiment de solidarité (donc un lien) entre le jeune diplômé et le jeune bénéficiaire du revenu minimum. Car tous deux ne sont pas dupes quant à leur chance respective sur le marché du travail. En revanche les professionnels de la mobilisation insistent sur létat desprit commun qui les rassemblent : «les uns et les autres éprouvent de semblables frustrations et les mêmes affres de lanxiété»7. «Insécurité», «précarité» et «état de dépendance chronique» sont le lot de tous les jeunes confrontés à une crise qui, sans remettre en cause la hiérarchie sociale interne, limite les opportunités de chacun. On met laccent sur le sentiment de dépendance qui concerne aussi bien le prestataire de laide sociale que les 200 000 jeunes sans aucune aide et les 275 000 étudiants qui, parce quils nont pas pu trouver de travail saisonnier en été, «étaient obligés de vivre au crochet cette fois-ci de leur famille immédiate»8. Le Sommet québécois de la Jeunesse représente un moment d'explosion de ces porte-parole qui contribuent par la mobilisation des différents médias à la formulation publique du problème de la "jeunesse".
                                                     
5Conseil Supérieur de lÉducation (1983) :Pour que les jeunes adultes puissent espérer  Avis sur la formation des jeunes adultes défavorisés et leur insertion sociale et professionnelle, Québec, Conseil Supérieur de lÉducation, 59 p. 6Léon Dion, Président du comité des Ami(es) de la jeunesse, dansLe Devoir, 3 août 1983. e 7Léon Dion, dansLe Devoir, 1raoût 1983. 8 La Presse, 20 août 1983.
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Le mouvement social auquel nous faisons référence regroupe plusieurs groupes de jeunes et institution de jeunesse dont lobjectif est de représenter le groupe social dans sa globalité. Le RAJ (Regroupement Autonome des Jeunes du Québec) : cest le groupe le plus ancien. Il est né en 1983 dans le but premier dun rehaussement général du niveau de vie de toutes les catégories de jeunes (jeunes sans emploi, étudiants et travailleurs). Il rassemble des organisations de jeunes et des adhérents à titre individuel entre 18 et 35 ans. Ce groupe est issu dune tradition combative et sest distingué, surtout dans les années 1980, par des actions spectaculaire à forte portée médiatique (occupation de bureaux dattribution du revenu minimum, occupation du Secrétariat à la Jeunesse, manifestations, etc.). Depuis sa dernière campagne de 1991, le RAJ a quelque peu délaissé les actions déclats pour se recentrer sur léducation populaire des jeunes (organisation de débats et de forums publics, de camps de formation et déducation des jeunes sur les droits sociaux, etc.). Au niveau du groupe de référence, le RAJ a aussi quelque peu abandonné sa vocation unitaire pour se rapprocher des jeunes les plus démunis. Il prend place désormais dans un vaste ensemble de groupes de défense des droits sociaux des personnes démunies. Le CPJ (Conseil Permanent de la Jeunesse): il représente le versant institutionnalisé de la jeunesse. Cette instance consultative a été créée en 1987 afin de conseiller le gouvernement sur toute question concernant la jeunesse. Il est formé de 15 membres âgés entre 15 et 30 ans, nommés par le conseil sortant pour une période de 3 ans, le ministre d'Etat en charge de la jeunesse effectuant une première sélection de 40 candidats. Pour être nommés, les candidats doivent être soutenus par trois organismes de jeunesse travaillant dans au moins deux secteurs différents. L'activité majeure du Conseil est la production d'avis ou de mémoires portant sur des dossiers politiques importants pour la jeunesse. Sa légitimité est tirée d'une double démarche: la consultation (des jeunes et des organismes jeunesse) et la recherche grâce à une équipe de recherche à même de produire une expertise. Sur bien des sujets, les documents que le CPJ édite ont valeur de référence pour les autres groupes de jeunes. Le mandat du CPJ s'est également élargi depuis 1997: lorsqu'il conseille le ministre, le Conseil doit dorénavant tenir compte des questions relatives à la solidarité entre les générations, à l'ouverture au pluralisme et au rapprochement interculturel. Force Jeunesse: Force Jeunesse est un regroupement de jeunes travailleurs (rejoints par deux associations d'étudiants) qui désirent améliorer les conditions de travail et les perspectives d'emploi de la jeune génération. Le groupe s'est principalement fait connaître par la lutte féroce qu'il a mené à la prolifération des clauses «orphelin» dans les contrats de travail. Cependant son action s'est élargie à tous les domaines qui touchent la situation des jeunes sur le marché du travail et dans la société: la protection sociale des jeunes non syndiqués, la réforme du code du travail, l'amélioration de l'aide aux jeunes familles, les conséquences sur le système de santé et d'éducation du remboursement de la dette nationale, etc. Le Pont entre les générations: A lorigine de ce groupe qui créa des émules jusque dans le cénacle du Sommet du Québec et de la Jeunesse, se trouve une recherche-action de la faculté de théologie de lUniversité de Montréal et du diocèse de Saint Jérôme sur la question des rapports des différentes générations aux religieux et à la foi. La démarche construite autour de la notion de transmission (des valeurs et de la culture) suscitera de vifs débats lors de la publication largement médiatisée du deuxième volet du rapport intituléVers un nouveau conflit des générationsen 1992. Le groupe issu de cette recherche et composé démérites
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retraités9 détudiants, se montrera particulièrement actif sur le dossier de la dette qui et émerge à la même époque. LAJFP (Association des Jeunes de la Fonction Publique Québécoise) : elle sest crée en 2000 dans le but de défendre et de promouvoir les droits et intérêts des jeunes dans la fonction publique québécoise. Très active au moment du sommet du Québec et de la Jeunesse, elle a une mission de sensibilisation affirmée. Ceci explique sa forte visibilité dans lespace public. On doit aussi faire mention de la vivacité des groupes de représentation de jeunes dans les différentes régions du Québec: les Forums Jeunesse, sorte de conseils élus par les jeunes ont fleuri dans toute la province à l'occasion du Sommet du Québec et de la Jeunesse et sont devenus des organismes consultatifs des collectivités locales sur la jeunesse. Ils travaillent notamment à la participation politique des jeunes au niveau local.
En sappuyant sur le sujet collectif quest la Jeunesse, ces groupes «supposent résolue la question de lexistence du groupe concerné» (Bourdieu, 1984, p.12). A grand renfort de manifestations et dincantations quifont parler, mais aussi parlentpour la jeunesse, ils organisent le"déploiement théâtral de la [jeunesse] en représentation». Aux débordements violents du RAJ a succédé le processus civilisé de représentation de la jeunesse incarné par le CPJ, mais la pratique politique demeure la même: faire exister la jeunesse «de cette réalité magique qui [] définit les institutions comme fictions sociales» (Bourdieu, ibid.). Ces coalitions peuvent être le regroupement dorganisations plus statutaires comme des associations détudiants et des travailleurs mais la création dun regroupement qui ait une visibilité propre (moyens de diffusion médiatiques, représentation politique à travers la personne du président) témoigne de la volonté de transcender les intérêts catégoriels différentiés pour présenter un front commun. Cet objectif était sous-jacent au Sommet de 1983 puisque lultime résolution de ce sommet consistait en la création une «nouvelle organisation permanente et indépendante des pouvoirs politiques mis en place [qui] agisse comme porte-parole des jeunes pour pousser faire avancer et appliquer les recommandations issues du sommet» (Sommet québécois de la Jeunesse, 1983). Lidée dune représentation politique sur une base exclusivement « jeunesse » sest heurtée aux rivalités internes du comité organisateur appelé à prendre la tête de cette « confédération » mais cette idée est à lorigine de la création de nombreuses formations de ces vingt dernières années, quelles soient dailleurs le fait du gouvernement (CPJ) ou le fait de jeunes eux-mêmes. Dans ces mobilisations se joue la question de la citoyenneté problématique des jeunes. Cette question cest Pierre Noreau, étudiant et Président du Sommet québécois de la jeunesse (1983) qui le premier la pose. En effet dans son discours inaugural du sommet, il clame le refus des jeunes dêtre des « demi-citoyens »10: « Parce que les jeunes se sentent beaucoup plus concernés quon aura voulu le laisser croire, ils veulent aussi leur part dintervention. Car au-delà du strict droit de vivre en société, ils ont aussi réclamé leur droit dy jouer un rôle actif. [] Ils ont demandé des outils                                                      
9des professeurs dUniversité, des syndicalistes, des membres du monde économiques, On y retrouve un ex-maire, et une journaliste, tous des personnalités bien en vue sur la scène médiatique. 10 Le Journal de Québec, 19 août 1983.
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dintervention et déclaré leur droit de changer les choses qui doivent être changées . Ils veulent cesser dêtre des consommateurs dans la société. Ils veulent en être les membres les plus actifs. Etre responsables des changements à venir, au même titre que tous ceux qui prétendent avoir le droit dy vivre, plus tard dans lavenir. Dune façon plus consciente que jamais, ils veulent agir et laisser aux autres le soin de réagir »(Sommet québécois de la jeunesse, 1983). On voit dans ce passage qui ouvre le document de référence du sommet, combien la question de la participation politique des jeunes à la construction du sens de la société, est au centre des revendications. Le processus politico-administratif délaboration de la politique de la jeunesse qui sest déroulé entre 1999 et 2001 offrait une vingtaine dannées plus tard un espace de représentation particulièrement bien adapté aux organisations peu structurées. En effet, contrairement au processus français de définition de la vision « jeunesse » mené par le Commissariat du Plan, processus fortement hiérarchisé et construit sur le mode de lexpertise, la forme du Sommet11constitue un modèle de négociation ouvert, citoyen avant dêtre expert organisant une rencontre sans médiation entre le gouvernement et la société civile. Cet événement offre des opportunités dactions spectaculaires pour les groupes de jeunes qui peuvent sappuyer sur les médias, fortement présents, pour relayer leur opinion et augmenter leur visibilité. Bien entendu cette pratique incantatoire des acteurs sociaux qui consiste à subsumer les différences sous une même catégorie générique ne se fait pas sans tensions, car au Québec la différenciation des statuts est largement institutionnalisée : les « chômeurs » qui désignent les bénéficiaires de lassurance-chômage, les assistés sociaux et les étudiants relèvent de « mondes » bien différents, segmentés par un appareil administratif largement cloisonné qui recoupe la division des compétences fédérales et provinciales12. Du même coup ils sont le support tant didentités subjectivement et collectivement construites que de groupes de représentation politique (associations détudiants et ADDS-mm13 exemple). Dès lors la par lutte entre ces groupes pour lappropriation du classement « jeune » est inévitable. Lenjeu de la lutte entre ces groupes est bien de définir la « vraie » jeunesse et donc les organisations légitimement appelées à la représenter. Cet enjeu est très conscient lors du sommet de 1983. Sans une juste représentativité despouvait que difficilement parler au nom dejeunesses au sein du sommet, ce dernier ne toute la jeunesse. Les organisateurs sétaient dailleurs dans un premier temps assurés dun dispositif de représentation démocratique des différentes catégories pensées comme pertinentes : les inscriptions au sommet étaient sensées respecter une stricte parité entre les sexes, mais aussi entre les 7 sous catégories de statuts (travailleurs, chômeurs, prestataires du revenu minimum, étudiants au secondaire, étudiants au collégial14, étudiants à luniversité et
                                                     
11Cette forme était particulièrement appréciée du dernier premier ministre québécois, Lucien Bouchard, puisquil en a organisé 4 entre 1999 et 2000. 12Cette différenciation est reproduite et du même coup diffusée par les études produites par lappareil dEtat : voir par exemple lavis du Conseil Supérieur de léducation (1983) intituléPour que les jeunes adultes puissent espérerou bien le portrait statistique commandé par le Secrétariat à la Jeunesse (1984). 13Association de Défense des Droits Sociaux  Métropole Montréalaise. 14 catégorie "étudiant" au Québec regroupe aussi bien nos "élèves" du secondaire que la catégorie La d'"étudiants" dans le supérieur. Les étudiants au collégial désignent ainsi l'équivalent des élèves du lycée.
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« divers ») ainsi quentre 3 sous catégories dâge (15-19 ans, 20-24 ans, et 25-29 ans)15. Et immanquablement le bilan du sommet passera par une objectivation de la représentativité.La Pressestatistiques sur les participants aux sommets régionaux. Puisdu 20 août publie les Le Soleil bien que sur les 410 délégués du » portrait fidèle de la jeunesse un 23 août titre « du sommet, seuls 76 (soit 18,5%) étaient sans emploi ou assistés sociaux. Cette opération de légitimation par les chiffres nempêche pas « les vieux loups de lintervention jeunesse »16de se désolidariser, au même titre que les mouvements de défense des droits, du sommet organisé par une fraction des mouvements étudiants.
1.2. La figure de la « Relève » : institutionnalisation de la jeunesse et cause nationale
Ce travail politique qui consiste pour les porte-parole à présenter un visage unifié dun groupe social est certes nécessaire mais il est loin dêtre suffisant : encore faut-il faire entendre sa cause et la définir de manière à ce quelle soit légitime aux yeux de la société et des pouvoirs publics. Dans notre cas, les mouvements jeunesse doivent la réussite de leur travail dintéressement à la mobilisation dun registre nationaliste dont lefficacité politique est propre à la société québécoise. En effet, la problématique de la génération sacrifiée naurait été quun épiphénomène médiatique sans conséquences structurante si les groupes de jeunes navaient su en faire une « cause nationale », cest-à-dire un problème « défini comme mettant en cause la reproduction de la société et la perpétuation du groupe national » (Lenoir, op. cit.). Or cette définition du problème trouve un écho particulièrement retentissant dans le contexte politique québécois du début des années 1980 et plus encore de la fin des années 1990. La figure générationnelle prend tout son sens dans une histoire à la fois politique et démographique. En effet on ne peut comprendre limportance de cette figure quen la resituant dans une mémoire collective nationale qui fait de la génération des baby boomers une génération représentative de lémancipation nationale du Québec francophone dont le pouvoir dans les années 1980 repose non seulement sur sa force démographique mais aussi sur un capital symbolique acquis au cours de la « Révolution Tranquille ». Cet événement, véritable mythe des origines pour le Québec daujourdhui, désigne le processus engagé en 1960 qui signa la rencontre entre une communauté culturelle (les canadiens français) et un appareil dÉtat, fondant ainsi une citoyenneté sociale indépendante de la citoyenneté politique quoffre la Fédération canadienne17avait donc 20 ans dans les années. La génération qui 1960, et tout particulièrement son élite intellectuelle francophone, a participé à la construction dun « quasi État-Nation », réformant les grands piliers du développement social et économique à savoir lÉducation, le système de protection sociale et les entreprises publiques.
                                                     
15 Sauvé dans SylvainLe Devoir, 6 juillet 1983. Cet ancien membre de la corporation du Sommet du Québec et de la Jeunesse sen est désolidarisé entre autres du fait quil dénonce le « noyautage des militants étudiants professionnels ». 16 Claude Saint Pierre dansLe Devoir du 8 juillet 1983 désigne par cette expression les mouvements communautaires jeunesse comme les Maisons de Jeunes, la JOC, et le Bureau Consultation Jeunesse qui ont à cur les problèmes de cette « autre » jeunesse, non étudiante. 17sur les origines produit par les intellectuels et les hommes cette politologue, le discours  Pour politiques dans les années 1970 et 1980, véritable «récit biblique», «fut celle de la mort dun Etre collectif, Le Canadien français à la personnalité traditionnelle, cléricale et colonisée, et son remplacement par un nouvel Etre collectif, le Québécois laïc, politique et désireux de se dépasser» (Letourneau, 1992, p. 772).
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Lhéritier politique de ce mouvement démancipation nationale, le Parti Québécois (PQ), dirige le gouvernement entre 1976 et 1985 puis à nouveau depuis 1995. Autour des deux événement paroxystiques que représentent les sommets de 1983 et de 2000, il trouve dans le thème de la jeunesse une opportunité de faire revivre la question de lavenir national à des moments où la question de la souveraineté nationale semble en panne : les deux référendums de 1980 et de 1995 que le PQ a organisé sur la question de la souveraineté ont en effet été un échec et le parti souverainiste apparaît comme étant dans une impasse politique. Dès lors le PQ a participé à la dramatisation de la cause des jeunes en lassociant systématiquement à la survie du « fait national québécois ». La mise en scène dune jeunesse en danger fait partie dune dramatisation plus globale de lhistoire nationale, marquée par le spectre de lextinction ou de labsorption de son peuple. La question sociale de la jeunesse est donc relue à la lumière de lavenir de la société québécoise dans son ensemble. A travers la précarité des jeunes, cest le Québec tout entier qui est menacé dextinction. Elle entrave en effet le remplacement de lancienne génération, celle de la Révolution Tranquille, par la nouvelle dans laccomplissement dun destin national. Cette traduction idéologique de la cause des jeunes dans la figure de la « Relève », terme qui fait partie des ressources politiques communes au groupes de jeunes et aux élites politiques, a gagné en puissance dans les années 1990 avec la mise en évidence du vieillissement de la population québécoise. Au début des années 1980, le débat démographique est peu présent. On remarque bien entendu que la génération qui entre sur le marché du travail est moins nombreuse mais cest pour mieux souligner le caractère anormal des chiffres du chômage des jeunes. En effet la moindre importance numérique a un effet positif sur le chômage des jeunes qui se concurrencent moins entre eux (Fortin, 1984). Au milieu des années 1990, la thématique de la Relève devient centrale du fait de prévisions démographiques alarmantes18. De fait la transition démographique notamment parmi la population canadienne française a été extrêmement brutale, soulignant là encore les fractures entre les générations. La représentation de la jeunesse dans lespace publique comme génération politique, nécessairement unifiée puisquincarnant la Nation en devenir, est en tension avec un traitement bureaucratique de cette jeunesse, qui fait exister les catégories statutaires fondées sur lordre juridique ou administratif et non politique. On en veut pour preuve lévolution du portrait statistique de la jeunesse québécoise (15-30 ans) publié pour la première fois en 1984 par le Bureau Statistique du Québec : ce nest quen 1992 que lédition abandonne un découpage par statut socio-économique (chaque groupe social - les étudiants, les travailleurs, les chômeurs, et les prestataires de laide sociale- faisant lobjet dun chapitre particulier) pour adopter une entrée par thèmes qui traversent la jeunesse dans son ensemble.
                                                     
18 Une personne sur 5 au Québec est actuellement âgée entre 15 et 29 ans. Lindice synthétique de fécondité est passé de 4 en 1957 à 1,4 en 1986 pour remonter à 1,6 en 1996 : cest un des plus faibles du monde. Source :portrait statistique des familles et des enfants au QuébecUn , Gouvernement du Québec, 1999.
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Linstitutionnalisation de la « jeunesse » québécoise Parallèlement aux développement dactions sectorisées dans des ministères concernés par les problèmes des jeunes (Sécurité du Revenu, Éducation, Famille, Secrétariat à lAction Communautaire, etc.), le Québec sest doté dun appareil politique de la jeunesse chargé de coordonner les différentes politiques de manière à produire une vision de la jeunesse québécoise. 1983 : Création du Secrétariat à la jeunesse 1984 : Première parution du Portrait statistique de la jeunesse québécoise 1985 : Année internationale de la jeunesse Symposiums sur les jeunes et lemploi 1988 : Création du Conseil Permanent de la Jeunesse (CPJ) 1989 : Audiences Publiques sur la jeunesse organisées par le CPJ 1998 : Le Plan daction Jeunesse 1998-2001  Création de l'Observatoire Jeunes et société 2000 : Sommet du Québec et de la Jeunesse 2001 : Politique québécoise de la jeunesse
La figure dune jeunesse porteuse de lidentité nationale et acteur du rayonnement du Québec au plan international (et donc de son affirmation au niveau fédéral) est récurrente dans le texte fondateur de la politique de la jeunesse (Secrétariat à la jeunesse,op.cit.). La quatrième et dernière orientation de la politique de la jeunesse sintitule «développer un sentiment dappartenance «» :tout comme leurs aînés, ils ont besoin de relation avec les autres membres de la société au sein dune culture à laquelle ils ont conscience de contribuer» (p. 45). Ce qui est visé cest moins la transmission de valeurs universelles et dune culture unique recensée comme traditionnellement québécoise19que le développement de liens sociaux effectifs, de proximité qui assurent linclusion dans une société dont un des traits doit demeurer sa pluralité. La rhétorique de la Relève est amplement mobilisée lors de l'élaboration de la politique de la jeunesse aujourd'hui: «Ce qui est en jeu, cest la vitalité de la société québécoise à long terme, sa faculté dadaptation aux valeurs émergentes, en particulier celles qui sont portées par les jeunes, ainsi que sa capacité à entretenir et à renouveler son dynamisme partout sur le territoire. Sa capacité à demeurer une société originale et prospère dépend aussi de cela» (p. 16). La vision dune société dynamique (et non figée dans ses traditions), économiquement innovante ne peut que placer la jeunesse au centre de son développement : «le Québec sinscrit déjà de façon dynamique dans le mouvement de la mondialisation. Il peut faire partie de ces nations qui influenceront ce courant par sa créativité, son originalité culturelle et ses valeurs sociales démocratiques» (p. 17). Rayonnement international et renforcement de lidentité culturelle des jeunes se nourrissent                                                      
19aspect est bien présent à travers des mesures comme « cet  Toutefoisrenforcer la connaissance de lhistoire, du patrimoine québécois et des valeurs civiques communes» et surtout «assurer la connaissance et lusage du français comme langue officielle et commune du Québec» (p. 48).
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