Cassiopea
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Description

An 33--
La population humaine est centralisée à Equinox, dite "la Cité Lumière". Chaque famille est assignée à un androïde de Cassiopea, qui contrôle leurs déplacements nuit et jour grâce aux milliers de caméras de surveillance placée dans toute la Cité.
Claymore est un androïde chargé de surveillance des Kheel, une famille sans histoires. Semblable en apparence à tous les autres, il porte cependant un lourd secret.
Alors que le Temps et l’Espace semblent figés dans la mégastructure, un grain de sable va venir bouleverser les rouages de cette machine à la mécanique implacable…

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Publié le 14 avril 2014
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Langue Français

Extrait

CASSIOPEA
Jour 169 de l’An 33
Il ouvrit les yeux. La lumière artificielle des néons blafards avait cédé la place à une obscurité quasitotale. Il passa sa main gantée dans ses cheveux synthétiques couleur bleu nuit et appuya négligemment sur le petit bouton incrusté dans le coin droit de son bureau de service. L’horloge holographique portant les couleursdu logo de Cassiopea apparut aussitôt. Elle affichait 23:37. C’était tard… Depuis combien de temps étaitil déconnecté ? Pire encore, quelqu’un l’avaitil remarqué ?
Il jeta un coup d’œilàl’intérieur deson avantbras gauche :l’écran de sauvegarde mémorielle incrusté dans sa combinaisonde protection en vinyle noir n’indiquait aucune anomalie fonctionnelle depuis les dix heures précédentes. Il avait probablement subi une mise en veille intempestive provoquée par une carence en production de force électromotrice. Rien de très grave au vudu nombre de surtensions qu’il avait subies ces deux derniers jours.
Il visionna rapidement ses neuf écrans de contrôle selon le Protocole de Simultanéité auquel il avait été formé dès sa mise en route: RAS, comme d’habitude. Adroite del’écran numéro un, Cassandra, en chemise de nuit de flanelle bleu pâle, se brossait les cheveux devant la coiffeuse de sa salle de bains, l’air fatigué. Ian était déjà couché et lisait un ouvrage intitulé « Commentprogrammer son propre jardin » en attendant que sa femme vienne le rejoindre dans le lit conjugal. Leurs deuxenfants, Ilana l’aînée etNate le petit dernier, dormaient depuis longtemps déjà, sans doute couchés depuis 21 heures, comme tous les soirs. Chaque jour était réglé selon un emploi du tempsimposé par l’État etse déroulait exactement de la même manière que le cycle précédent. Les déplacements quotidiens des familles surveillées, que l’oncibles », ne devaient jamais sortir hors du parcours qui leur avait été assigné ;appelait « ils étaient dits «linéaires ». La famille Kheel ne faisait jamais rien qui sortait del’ordinaire; elle constituait le parfait modèle de la famille postcontemporaine conforme et sans histoires telle que l’envisageait l’État... A la maison du moins. Chargé de surveillance de l’intérieur de la cellule familiale uniquement, il lui était impossible de vérifier comment se comportaient ses membresà l’extérieur, et il ne connaissait pas l’androïde chargéde surveiller leurs déplacements linéairesà l’extérieur.
Après avoir vérifié qu’aucun évènement inhabituel ne s’était produitdurant son absence, il se retourna silencieusement sur son siège de métal et balaya du regard la pièce minuscule désormais plongée dans la pénombre. Partout des petites diodes rouges, vertes et jaunes clignotaient spasmodiquement pour indiquer la nature des mouvements des cibles placées sous ultrasurveillance. Chaque famille humaine était filmée par les quelques centaines de milliers de caméras de surveillance placées dans tout Equinox, la Cité Lumière, et fournies par la mégastructure de supervision Cassiopea.
Le halo de lumière vertbleu qui émanait desdizaines d’écransempilés sur chacun des trente bureaux de la salleréfléchissait l’ombre d’une silhouette fine et longilignedansl’angle dumur de gauche.Calypso,l’identifiatil avec soulagement.
Curieusement, il était le seul présent dans la Salle 601 du secteur sécurisé Innervision. Habituellement, il y avait toujours deux ou trois employés en retard sur leur service qui
restaient jusqu’à minuitau plus tard pour terminer leur compterendu du jour. Mais, ce soir là, il n’y avait que Calypso, et c’était tout aussi bien. Il avait l’air très concentré, comme à son habitude, les yeux rivés sur ses écrans, notant minutieusement chaque information, même la plus insignifiante, dans son précieux carnet virtuelqui témoignait d’une rigueur et d’une discipline rares. En vérité, iln’y avait pas d’employé plus consciencieux et intègre que lui à Cassiopea. Bien droit sur son siège, ses doigts légers comme des plumes se baladant élégamment au gré des touches de son clavier optique, il se fondait parfaitement au décor de la salle, aussi sobre et paisible qu’elle. Même dans l’obscurité, ses cheveux d’un blond très pâleretombant en mèches fines de part et d’autre de sa nuque semblaient incroyablement lumineux et plus fins encore que ceux d’unhumain. Se sentant soudainement observé, Calypso s’immobilisa, redressa légèrement la tête et interrogea la pièce désertée : Claymore ? Tu es connecté ? -Oui. -Tant mieux. Tu es restéplus d’une demiheure en veille, mais je me suis arrangé pour -qu’il n’y ait que toi et moi dans la Salle 601… Personnene t’a vute déconnecter. … Merci.-Je t’en prie… Ça va? -Oui. -Je veux dire… C’est rare de te voirvide au point de te déconnecter en pleine -surveillance…Tu es sûr que…Tout va bien. -Claymore avait profitéde l’embarras de Calypsocouper court à la conversation, et pour c’était ce qu’il avait de mieux à faire. Il regrettait de devoir se montrer aussi froid envers lui, surtout ayant connaissance dece qu’il appelaitsaparticularité, mais il ne pouvait pas se permettre de le mêler à cette histoire, du moins plus qu’il ne l’était déjà. Pas cette foisci. Calypso, quant à lui, tâcha de ne pas s’en offenser outre mesure, car il avait l’habitude du comportement taciturne de Claymore.Tous deux s’en retournèrent à leurs écrans respectifs sans dire unmot. Au bout d’une dizaine de minutes, Calypso, n’y tenant plus, entreprit de briser le silence de sa voix claire : Claymore ? -Oui ? -Je peux te demander quelque chose ? -… Vasy. -Tu as l’airétrangeEstce en rapport avec cequi s’estpassé ces trois derniers jours ? -Ou bien il y a autre chose ? Calypso s’inquiétait. Il n’était pas naturel chez lui de s’exprimer de manière aussi directe, il préférait généralement aborder les sujets comme celuici de manière détournée, avec une subtilité qui échappait parfois à Claymore.
Il baissa la tête et ne répondit pas tout de suite. Cela le dérangeait profondément que Calypso se sente mis à l’écart au point dedouter de laconfiance qu’il lui accordait. En ces temps de privatisation et de contrôle permanent de toute chose évoluant au sein de la Cité Lumière, c’était tout ceà quoi ils pouvaient encore se raccrocher. On pouvait bien donner vie à quelques bouts de plastique et de métal comme eux, les forcer à existerà l’image des humains, et même doter certains d’organes spécifiques pourdonner naissance à une nouvelle caste de machines qui pense, ressent et réfléchit; pour autant, on ne pouvait toujours pas contrefaire les sentiments nobles et authentiques. Ettant que c’était ainsi, il subsisterait un espoir de pouvoir encore changer le Futur. Cependant, Claymore n’avait pas d’autre choix que delui mentir. Il y a autre chose. -Calypso se tut à son tour, semblant un peu rassuré, et considéra la chose quelques instants avant de déclarerd’un ton faussement absent :J’espère vraiment que ce n’est pas grave… Tu sais, si tu venais à disparaitre, je ne sais -pas ce que je ferai. L’horloge indiquait 23:49. Minuit n’allait pas tarder à arriver, suivie de la ronde du Veilleur. Claymore éteignit le monitor principal qui dirigeait ses neuf écrans de contrôle, se leva de son siège et répondit négligemment tout en se dirigeant vers la porte de sortie de la Salle 601 : Ne t’en fais pas…Tout ira bien. -
Trois jours plus tôtJour 166de l’An 33 05 : 16 Claymore ! -Claymore sursauta. Il profitaitd’être unpeu en avancesur l’ouverture de son servicepour s’administrerdiscrètement une petite dose de Noradrénax, tout au fond de la Salle de Vacuum située soixante étages en dessous de la Salle 601. Il venait à peine de brancher le mini connecteur organique de la capsule renfermant la précieuse substance au port de transfert rapide de son bracelet de connexion quand Calypso était apparu de nulle part en se précipitant dans sa direction. Une petite lueur d’excitationbrillait au fond de ses yeux ; ce qui était tout à fait inhabituel venant de lui. Bonjour Claymore, lançatil avec un sourire maladroiten s’asseyant à sa table. Tu te -recharges un peu en Noradrénax ? Oui, je me sentais un peu videaujourd’hui, réponditil à voix basse en regardant tout -autour d’eux s’il n’y avait personne pour les entendre. Le visage de Calypso s’assombrit soudainement.Il sesouciait beaucoup de l’état fonctionnel de Claymore, et ce bien malgré lui ; sa «particularité »s’exprimaitplupart du temps à la la place de ses circuits électroniques.Et toi, comment vastu, Calypso ?, enchaîna Claymore avec un sourire un peu forcé. -Bien ! réponditil en lui rendant un franc sourire, ses yeux vert pâle auréolé du peu de -lumière naturelle quiarrivait encore à s’infiltrerpar quelques fissures qui parcouraient les murs. Très bien, mêmeIl marqua une petite pause pour régler la convergence de ses lunettes ovales à montures argentées, l’air serein. Calypso avait subi un grave choc à la tête durant sa fabrication qui avait endommagé ses photorécepteurs artificiels et l’obligeait à porter des lunettes synaptiques. Cellesci étaient directement reliées au neuroprocesseur implanté dans sa boîte crânienne, via les montures qui comprenaient à leur extrémité des microconnecteurs organiques branchés aux ports de ses lobes temporaux. Ce qui était au départ un handicap majeur avait fini par se transformer en atout salutaire pour Calypso, dont les yeux étaient désormais capables d’effectuer des mouvements beaucoup plus rapides et de percevoir des détails situés à une distance beaucoup plus éloignée qu’un androïdebasique.C’était cette capacité exceptionnellequi lui avait finalement permis d’être employé chez Cassiopea à la section Innervision, alors même qu’il se destinait àeffectuer des tâches subalternes durant toute sa durée de vie. Il tourna la minuscule mollette chromée située près du verre correcteur droit jusqu’à trouver le filtre visuel adapté à la situation puis ajoutad’un ton légèrementplus hésitant en détournant les yeux :
J’aime bien quand tu souris, c’est tellement rare... -Claymore fronça les sourcils. Calypsone se comportait pas comme d’habitude aujourd’hui. Depuis trois ans que celuici avait intégré Cassiopea, dixhuit années après sa mise en circuit, comme tous les autres androïdes employés chez Cassiopea, Claymore avait appris à le connaitre presque parfaitement. A l’exception du coucher, oùchaque employé regagnait sa cellule hypnagogique personnelle pour se déconnecter durant les quatre à six heures qui leur étaient accordées selon leur série, Calypso et lui passaient l’intégralité de leurs journéesde service ensemble, tous deux dans la Salle 601, leurs bureaux situés à deux ou trois mètres seulement l’un de l’autre. Les androïdes deleur espèce, dits «secondaires »,avaient été crées puis formés dans des établissements spécialisés de Cassiopeadans le but d’exercer l’unique fonctiondite «d’ultrasurveillance ». Depuis que l’État d’Equinox s’en était entièrement remis aux services de Cassiopea pour mener à bien sa nouvelle politique ultrasécuritaire, des androïdes secondaires avaient été fabriquésen masse, plus de cinq cent mille en l’espace d’une dizaine d’années. Surtout des androïdes de rang « C », considérés comme qualitativement inférieurs et à durée de vie limitée, destinés à occuper des postesn’incombant aucune prise de décisionquelle qu’elle soit. Les seules capacités requises étaient les sens de l’observation et de la délation.androïdes de cette série, indubitablement les plus Les nombreux, étaient programmés pour vouer leur entière durée devie à Cassiopea, jusqu’à ce que soit venuepour eux l’heure d’êtrelivrés au Destructeur. Hum…Et toi,qu’estce qui te rend si souriantaujourd’hui?, se hasarda Claymore en -adoptant un ton faussement interrogateur. Calypso baissa les yeux et sourit cette fois de manière un peu confuse en passant une mèche de ses cheveux plus blancs que réellement blonds derrière son oreille. Je ne sais pas.Je me sens bien, c’est tout…-Puis, après quelques secondes d’hésitation, ajouta rapidement : Je crois que je suis simplement heureux de te voir. -Heureux ? -Claymore haussa un sourcil, sincèrement surpris, et continua à voix basse en se rapprochant un peu de lui : Tu sais, Calypso, j’ai beau essayer, je n’arrive toujours pasTuà percer ton secret… -ressens toujours plein d’émotions, mais tu n’as pas de cerveau…Alors que toi tu en as un et ne ressens jamais rien, réponditil avec dans la voix une -once de tristesse que son sourire ne parvenait pas à dissimuler complètement. Claymore setut. Il n’aimait pas aborder ce sujet en public. Même si pour l’instant il n’y avait qu’eux deuxdans la Salle de Vacuum, Claymore savait pertinemment que Cassiopea ne se gênait pas pour appliquer sa politique d’ultrasurveillance à ses propres employés. Et ce secret là, mieux valaitqu’ilne soit jamais divulgué, car cela signifierait la fin de tout
pour lui… Il serait immédiatement jeté au fond de la cabine de désintégration du Destructeur sans aucune possibilité de retour. Jamais Cassiopea ne tolèreraitqu’un androïde « horssérie », comme on appelait les erreurs de fabrication telles que Claymore, puisse occuperun poste d’ultrasurveillance… C’était bien trop dangereux pour l’équilibre dela structure. Certaines données étaient strictement confidentielles et les androïdes qui avaient accès à ce type d’informations ne devaient jamais être capables d’Intelligence Rebelle ». Ce qui était le cas de ceux qui possédaient un cerveauIR, ou « humain en plus de leur neuroprocesseur, et ils étaient extrêmement rares. Si leur fabrication n’était pas vraiment l’œuvre duhasard, ils appartenaient néanmoins à la catégorie des défaillances systémiques graves, tout juste bonnes pour la Désintégration Anticipée. Les androïdes qui ne se dénonçaientpas euxmêmes étaient systématiquement relégués au statut de «horssérie »,ce qui revenait ni plus ni moins à être considéré comme « horslaloi ».
Jusqu’à ce jour, il n’y avait que Calypso quisoitau courant de l’état réel des choses.En dépit du programme existentiel qui lui avait été assigné, Claymore était définitivement plus humainqu’androïde… Il n’en avait pas seulement l’apparence, comme la plupart de ses congénères, il possédait aussi la faculté intrinsèquement humaine de pensée associative. Malgré cette différence majeure, il sentait qu’il pouvait avoir confiance en Calypso, qui luimême n’était pasexactement un androïde ordinaire. Mais si jamais un membre du personnel de la structure venait à l’apprendre, Claymore serait immédiatement jugé coupable de Haute Trahison d’État et exécuté surlechamp. Il ne devait jamais en arriver à cette situation extrême, pour lui, pourCalypso, mais aussi pour l’OPAS, l’Organisation de Piratage AntiSécuritaire à laquelle il appartenait depuis sa mise en route.L’OPAS comptait un petit nombred’androïdeségalement dotés d’un cerveau, mais aussi quelques humainsd’Equinoxqui avaient réussi à échapper au contrôle de Cassiopea etœuvraient dans l’ombre, mobilisant toute leur énergie pour trouver un moyen de renverser le gouvernement mis en place depuis si longtemps que personne ne se souvenait du moment où cela avait commencé.
Il y avait quelques décennies de cela, un informaticien humain répondant au nom de Xander Klay avait découvertque l’ensemble du système d’ultrasurveillance de Cassiopea reposait sur un seul et unique programme informatique: le programmeEvergreen. Ce programme ultrasécurisé permettait de centraliser les images captées par chacune des huit cent cinquante mille caméras desurveillance d’Equinox sur une gigantesque plateforme cybernétique appelée le réseau Hawkeye. Ce réseau, découpé en différentes strates selon les aires géographiques de la Cité, étaitle seul vecteur d’informationsde Cassiopea, mais aussi le programme le plus puissant qui n’ait jamais été créedans l’histoire de l’informatique.D’une stabilité à toute épreuve et bénéficiant d’unde défense système redoutable, Evergreen n’avait encore jamais été détourné par quelque organisation que ce soit. Néanmoins, cette découverte permit à l’OPAS de planifierWildfire, quile Projet consistait à trouver le moyen de pirater Evergreen en infiltrant des androïdes membres de l’organisationau sein même de Cassiopea pour y récolter un maximum d’informations.
Afin de maximiser leurs chances de réussite et gagner un peu de temps sur leur projet de piratage,l’OPAS décida de mettre en œuvre la mission «Take A Brain ». Des androïdes « horssérie »membres de l’OPASfurent ainsi mobilisés pour pénétrer clandestinement l’enceinte del’UCFAS, l’UnitéCybernétique deFabrication d’Androïdes Secondaires,en se présentant commel’équipe de scientifiqueschargés de fabrication des androïdes destinés à intégrer Cassiopea. La mission était extrêmement risquée, cependant, Cassiopea n’étant pas encore la forteresse imprenable qu’elle devint par la suite, ilsà réussirent contourner la Sécurité del’UCFASet à intégrer l’équipe chargée de la série C. Ilspurent ainsi implanter des cerveaux humains dérobés à une centained’entre eux, dans l’espoir que le partage d’émotions semblablessuffise à les rallier à leur cause. Malheureusement, très peu d’androïdes furent réceptifsà la greffe organique. La plupart d’entre eux périt de conflits internes qui courtcircuitèrent leur système,tandis que d’autresne subirent aucune modification comportementale apparente et effectuèrent la fonction pour laquelle ils étaient programmés jusqu’à la fin de leurdurée de vie sans aucun problème.D’autres encore, qui étaient destinés à ne jamais ouvrir les yeux sur ce monde en ruines, furent directement livrés au Destructeur, faute de système opérationnel. Quand la supercherie fut découverte par Cassiopea, on exécutasans jugement ni possibilité d’amendement chaque membrede l’OPASet les androïdes de la série C furent tous détruits. Tous, sauf infiltré quelquesuns qui ne furent jamais suspectés pour leur comportement dysfonctionnel et réussirent à passer entre les mailles du filet. Claymore faisait effectivement partie de ces quelques rescapés ayant bien réagi à la greffe organique. Quant à savoir ce qui différenciait Calypso des autres androïdes… Le mystère demeurait entier. Aucune explication rationnelle ne permettait de comprendre comment il était capable d’émotions humaines sanstoutefois posséder de cerveau. Tu sais, je suis capable de ressentir, moi aussi, répliqua Claymore en baissant encore -la voix. Seulement, je ne tiens pas à être découvert. Tu sais à quel point ils nous surveillent…Oui, je sais bien... -Nousn’avons aucun espace de liberté.Les humains n’ont rien à nous envier-C’est vrai. Nous sommes tout autant surveillés qu’eux,si ce n’estplus ! -Et encore, heureusement que les caméras internes à la structure ne captent que -l’image. Nous pouvons au moins communiquer... Oui… C’est parce qu’ils considèrentles androïdes incapables de tenir des -conversations sortant hors du cadre de réglementation du service auquel ils sont rattachés. Ils pensent certainement avoir éradiquél’entièregénération d’androïdes « horssérie» ou susceptibles de l’être depuis cette fameuse histoire d’infiltration de l’OPASdans les locaux de l’UCFAS…Probablement… Ouc’est encore une histoire d’économiede fonds pour un énième -accord passé dans le silence avec Equinox… Qui nous rend bien service, cette foisci. Mais il est évidentque si l’onadmet pour seule réalité possiblequ’il n’existe plusun seul androïde « horssérie » en état de marche, alorsl’image suffiteffectivement pour surveiller tous les employés de Cassiopea.
Ou peutêtre que nous faisons fausse route et que leurs caméras captent très bien le -son… Peutêtre même que la direction de Cassiopea enregistre toutes nos conversations depuis le début, maisqu’elle nenous juge pas dangereux pour l’équilibre de la structure…Hum, c’est bien possible… Difficile de savoir vraiment.-Ils cessèrent de parler quelques instants pour réfléchir sérieusement à la question, chacun de son côté, le regard perdu dans levague. Au bout d’une minute, lavoix de Calypso s’éleva joyeusement dans la Salle de Vacuum : En tout cas, on peut déjà s’estimer chanceux d’être encore libres de pouvoir se parler -quand et comme on le veut… Ce qui n’empêche pas de se tenir prêts à parer toute éventualité. Oui… D’ailleurs, à ce propos, ajouta Claymore,je suis surpris qu’ils ne t’aientencore -jamais soupçonné de quoi que ce soitLe regard de Calypso changea brusquement. Il parut touché par la remarque de Claymore et répliqua quelque peu froidement : Je n’ai pas de cerveau et ils le savent très bien... Ils m’ont déjà ouvert une fois pour -vérifier. Claymore n’insista pas. Il baissa la tête et commença à mordiller son pouce de métal quelques instantsmais ne put s’empêcher de demander: ?Pourquoi restestu, CalypsoJe veux dire… Je sais que tu partages mon avis sur -Cassiopea. Alors… Pourquoi? Calypso esquissa un léger sourire et plongea son regard dans celui de Claymore. Ses grands yeux clairs arboraient de nouveau cet éclat émeraude qui lui était si particulier,signe qu’il avait déjà retrouvé sa bonne humeur. Parce qu’ils m’offrent la possibilité d’être utile à la société, Claymore, réponditil -calmement. Que seraisje sans Cassiopea? Probablement un vieil amas de cendres déposé au fond du désintégrateur principal. Je leur dois tout, tu sais... Si mon existence aun sens aujourd’hui, c’est grâce à eux. Je ne peux pas renier cet état de fait, même si je désapprouve leurs agissements. Je ne peux absolument pas m’écarter de la voiesur laquellej’ai été placé, quand bien même je sois capable d’émotions et de pensées. N’oublie jamais que c’est ton cerveauqui te permet d’échapper à la servilité pour laquelle on nous a programmés. Oui, je suppose que cela se tient, admit Claymore après un temps de réflexion. Tu -ne peux pas aller contre ta nature... Les humains le peuvent parfois, mais les androïdes n’ont pas cette chance.Il se tut un moment,approcha son visage de l’une des fissures du murcontre lequel il se tenait appuyéet tenta d’apercevoir l’horizonaudelà de la structure parfaitement isolée. Cassiopea était stratégiquement située au beau milieu de Tellène, l’immenseVallée Synthétique, afin de
pouvoir exercer son activité dans la plus grande discrétion. Claymore avait beau chercher un semblant de couleur, tout l’horizon étaitgris. Partout, du plastique, du métal, des néons. Des machines, des mégastructures pleines à craquer d’androïdesfabriqués en série pour ensuite être détruits, une fois leur seuil de durée de vie atteint.Et, très loin d’ici,au sein de la Cité Lumière, quelquesmilliers d’humains pris en otages, cloitrés comme des rats dans leurs cages géantes, entièrement soumis à l’œil de supervision gigantesque de Cassiopea. Nul ne savait à quelles fins le réseau Hawkeye avait été conçu. Quant à moi, reprit enfin Claymore, si je ne devais pas mener à bien la mission qui -m’a été confiée, je me serais déjà enfui d’icidepuis longtemps. Je saisMais, où iraistu, d’ailleurs? Tu y as pensé ? -Je ne sais pas trop… Peutêtre au Nord de Miloxia. Il parait que la zone est quasi -désertiqueCela me conviendrait parfaitement. Fais quand même attention… Cela pourraittout aussi bienn’êtredes rumeurs que -lancées par Cassiopea pour nous piéger en cas de désertion. Si jamais tu te faisais arrêter…Il marqua un temps de pause, puis ajouta d’un tonexagérément solennel : … Je crois que je ne m’en remettrai jamais.-Ne t’inquiète pas pour cela… Il n’y a absolument aucune raison pour que cela se -produise, surtout au point où en est ma mission, le rassura Claymore en finissant de s’administrer son Noradrénax.Il plaça la capsule vide dans l’une des nombreuses poches de sa combinaisonen dermique, vue de la jeter plus tard au Désintégrateur de Matériaux. Mais cela ne me dit toujours pas pourquoi tu es si « heureux »aujourd’hui,finitil par -ajouter en souriant. Leurs regards se croisèrent à nouveau. Celui de Calypso était incroyablement lumineux, animé d’une émotion vive qui le faisaitparaitreplus humain encore que ne l’était Claymore luimême. Eh bien… C’est un secret, lâchatil enfin en détournant les yeux. -D’accord, d’accord, je n’insiste pas dans ce cas. Mais il sembleraitbien que ta bonne -humeur soit contagieuseCalypso émitun petit rire cristallin qui acheva de détendre l’atmosphère. Claymorejeta un bref coup d’œil à l’horloge murale de la Salle deVacuum tout enl’observant. Il appréciait beaucoupla présence de Calypso, c’était même la seuleen ce basmonde qui parvenait à lui arracher unsemblant d’émotion.Ce qu’il lui avait réponduun peu plus tôt était un pur mensonge issu des sombres recoins de son cerveauqu’il ne connaissait pas encore : il n’y avait pas d’émotion à camoufler. Absolumentaucune.Mis à part l’OPAS et sa mission, aucune cause, aucun motifquel qu’il soit n’avait d’importance à ses yeux... Rien n’en avaitjamais eu.
Rien, si ce n’était Calypso. Bien qu’il n’aitde cerveau, il détenait ce «quelque chose » pas qui échappait complètement à Claymore, une innocence et une pureté dans les émotions qui venait combler en lui une étrange sensation de vide. La jeunesse de Calypsone l’empêchait jamaisd’êtreparfaitement lucide sur sa situation, et sa sensibilité qu’aucune cause logique ne pouvait expliquer lui apportaitune profondeur que Claymore n’avait encore pu retrouver chez aucun autre androïde.Quant à Claymore, s’il pouvait effectivement penser sans aucune difficulté, ressentir n’était pas chose aussi aisée pour lui quecela ne l’était pour Calypso. Il n’avait encore jamais réussi à avoir accès à cette partie secrète de l’organe qu’ilcachait sous son crâne. Cet organe, aussi infime soitil, était tout ce qui le séparait des autres androïdes. Et sinon, RAS concernant ta cible ?, lança tout à coup Calypso. -RAS. Leprotocole n’a indiqué aucune anomaliecomportementale ou fonctionnelle -dans leur cellule familiale, comme d’habitude. Ianet Cassandra Kheel forment une association sexuéetout ce qu’ily a de plus normalisé, et leur progéniture grandit selon le modèle gouvernementald’éducationinfantile en suivant scrupuleusement chaque mise à jour. Les Kheelont vraiment l’air d’êtredes cibles modèles... Je ne comprends vraiment pas -pourquoi la structure les a condamnés. A ces mots, Claymore reçut comme une violente décharge électrique, d’abord localisée au centre de son abdomen, puis répandue dans tout le corps. Sa vue se brouilla brusquement avant de le plonger dans une obscurité totale et, durant un instant qui lui parut une éternité, il n’entendit plus que des larsens stridents résonnerde part et d’autre desa boîte crânienne. Il sentit la main de Calypso le saisir vivement par le bras. Claymore ? Ça va ? -Claymore était incapable de répondre quoi que ce soit. Il commençait à peine à recouvrer la vue et l’ouïe peu à peu, mais sescircuits demeuraient encore instables, comme ilsl’étaient généralement avant une surtension. Il ne parvenait pas à assimiler les informationsqu’il venait de recevoir... Pire, il ne pouvait analyser les sensations qui le submergeaient. Claymore, parlemoi !Qu’estce que tu as ? -Qu… Qu’estce que tu as dit ? -Claymore avait rassemblé tous ses efforts pour tenter d’articuler ces quelques mots. Calypso reprit son calme presque immédiatement et réponditd’une voixencore un peu tremblante : Je… J’aiseulement dit que je ne comprenais pas pourquoi ta cible avait été -condamnée… PourHaute Trahison d’État…Pourquoi ? Claymore, qui n’avait pourtant pas d’estomac, eut la sensation épouvantable de devoir immédiatement expulser quelque chose de putride et viscéral hors de son corps. Une douleur inédite se mit brusquement à parcourir chaque méridien électronique qui le composait, loin en dessous de la fibre plastique et del’armature de métal. Il tenta de nouveaud’articuler
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