Utopsy, Les batailles de l’autisme & L’apport de Bruno Bettelheim
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Depuis son individualisation en 1943 par un psychiatre américain, Leo Kanner, ce syndrome, caractérisé par un « trouble inné du contact affectif », une tendance très précoce de l’enfant à s’isoler, à refuser les changements et l’imprévu et à s’absorber dans des rituels, des stéréotypies et des intérêts restreints, fait l’objet de véritables batailles.
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. L’équipe d’éducateurs, supervisée par le célèbre psychanalyste, est en permanence à l’écoute de ces enfants atypiques. Leur engagement est total, à la mesure de celui que l’on appelle le docteur B. Les résultats, bien que lents, sont là. Les enfants évoluent, se socialisant et s’humanisant peu à peu. Un psychotique, pour la théorie psychanalytique, est un sujet incapable d’affronter la réalité à cause d’une angoisse de mort phénoménale. L’instance inconsciente que Freud nommesurmoi est inexistante, forclose selon Jacques Lacan.
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Langue Français

Extrait

L’apport de Bruno Bettelheim pour la psychanalyse
Analysé par Richard Sterba, proche disciple de Sigmund Freud, Bruno Bettelheim est le premier grand psychanalyste à avoir rendu accessible au plus grand nombre les théories freudiennes. Ses écrits, rédigés dans un langage simple mais précis, témoignent toujours d’une expérience, s’étayant sur la réalité du terrain clinique. Par ailleurs, une longue année passée dans l’horreur des camps de Dachau et de Buchenwald reste à l’origine d’une œuvre révolutionnaire : le traitement psychanalytique de l’autisme infantile.
Bruno Bettelheim est né à Vienne avec le début du XXème siècle, précisément le 28 août 1903. Issu d’une famille juive, il se destine tout d’abord à des études littéraires mais des problèmes conjugaux et le décès de son père le poussent à s’intéresser à la psychanalyse. C’est grâce à cette discipline qu’il survivra au pire, ayant pour compagnon d’infortune le psychanalyste Ernst Federn, îls de Paul Federn, lui-même disciple freudien de la première heure.
La sublimation Bruno Bettelheim a 35 ans lorsqu’il est arrêté par la Gestapo le 3 juin 1938. Il connaït alors l’expérience qui va conditionner les choix de toute une vie au service des sujets plongés dans des situations extrêmes d’enfermement psychique. Les travaux d’Anna Freud, et notamment ceux sur « L’identiîcation à l’agresseur », lui permettent de transformer sa captivité en terrain d’observation et de ne pas sombrer. Le titre d’un de ses derniers ouvrages, « Survivre », témoigne de la nécessité de donner du sens aux pires situations. Il y écrit : Je pus ainsi vériîer la validité de ce que m’avait appris ma propre psychanalyse : combien il peut être psychologiquement reconstructif d’essayer de comprendre ses propres réactions à une certaine expérience et combien il est utile de sonder ce qui se passe dans la tête de ceux qui subissent le même sort… Au-delà de toute phraséologie, Bruno Bettelheim donne l’exemple extrême des bienfaits d’une psychanalyse et d’une autoanalyse. Il montre que cette forme de travail sur soi a pour but essentiel de faire que les pulsions de vie prennent le dessus sur les pulsions de mort. Magniîque témoignage ! Bruno Bettelheim sort des camps de concentration en 1939 et n’a d’autre choix que d’émigrer aux États-Unis. En 1943, le général Eisenhower propose à tous les ociers de l’armée américaine la lecture d’un rapport de Bruno Bettelheim sur le comportement de masse et individuel dans les cas d’intense détresse, conîrmant ainsi l’exceptionnel talent du psychanalyste en matière de transmission. On peut lire le contenu de ce rapport dans son livre « Le cœur conscient ».
La forteresse vide En 1944, à Chicago, Bettelheim se voit conîer la direction d’un Institut destiné aux enfants en grande diculté. Cet établissement devient « L’École orthogénique » et le théâtre d’une entreprise colossale : tenter de sortir de jeunes psychotiques de leur « forteresse vide » grâce à l’outil psychanalytique. À une époque où l’autisme est considéré comme une atteinte essentiellement physiologique et où il n’est pas rare d’assister à deslobotomisations, Bruno Bettelheim fait le pari d’imposer une autre manière de considérer cette pathologie. Il prend, pour y parvenir, l’inverse de ce qu’il a vécu dans les camps. Si un environnement extérieur mauvais peut faire régresser des individus à une sorte d’autisme, reproduire un bon environnement maternel – voire matriciel – a des chances de faire évoluer un sujet vers l’extériorité.
Le public français découvre avec bonheur cette expérience originale grâce à un reportage de Daniel Karlin eectué en 1974, intitulé « Un autre regard sur la folie ». Dans son ouvrage « La forteresse vide », Bettelheim transmet sa méthode et suscite une magniîque espérance quant au traitement de la psychose infantile. Des cas cliniques y sont décrits, tel «Joey, l’enfant machine», dont l’activité se résume en la construction – parfois sophistiquée – d’objets nécessaires à faire fonctionner fantasmatiquement son organisme. L’équipe d’éducateurs, supervisée par le célèbre psychanalyste, est en permanence à l’écoute de ces enfants atypiques. Leur engagement est total, à la mesure de celui que l’on appelle le docteur B. Les résultats, bien que lents, sont là. Les enfants évoluent, se socialisant et s’humanisant peu à peu. Un psychotique, pour la théorie psychanalytique, est un sujet incapable d’aronter la réalité à cause d’une angoisse de mort phénoménale. L’instance inconsciente que Freud nommesurmoiest inexistante,forcloseselon Jacques Lacan. Cette instance est en lien avec les identiîcations aux personnes tutélaires. Or, les enfants psychotiques ne peuvent s’identiîer, l’extérieur étant synonyme de mort. Tout l’art du génial psychanalyste qu’est Bettelheim consiste à réhabiliter, à l’aide de son équipe, un bonsurmoi. Ainsi, l’École orthogénique, après avoir reproduit un espace hyper sécurisant, a pour objectif l’évolution. Pas question, par exemple, d’accepter qu’un enfant soit violent avec un de ses camarades. L’alchimie fonctionne dans la mesure où la compétence professionnelle est sans cesse mise à l’épreuve et ce, jour et nuit !L’amour ne suIt paslance, un brin provocateur, cet infatigable travailleur qu’est Bettelheim. Ce qui lui vaut d’ailleurs une certaine incompréhension, lui qui a consacré 30 années de sa vie à des enfants dont personne ne s’est occupé avec autant de perspicacité et d’empathie.
Un homme de liberté Outre sa formidable implication pratique à «L’École orthogénique», Bruno Bettelheim est l’auteur de seize ouvrages et de nombreux essais et articles. Parmi ceux-ci, notons «Psychanalyse des contes de fées», «Pour être des parents acceptables» ou encore «Dialogues avec les mères». Ce grand psychanalyste est d’ailleurs un des premiers à inaugurer des groupes de paroles, faisant preuve ici aussi d’un talent exceptionnel. Aucune recette n’est délivrée mais le docteur B. répond à une interrogation par une question. Ainsi chaque mère trouve en elle sa propre réponse. La maeutique socratique, ancêtre de l’entretien psychanalytique, est à l’honneur. Bettelheim est totalement îdèle à la dialectique freudienne qui veut que la cure par la parole ne soit ecace que lorsque l’analysant est acteur de sa guérison et libre d’agir ou non sur sa destinée. La liberté, Bruno Bettelheim l’a exercée jusqu’au bout, à l’âge de 86 ans, après une vie accomplie, lorsqu’il prend en toute conscience la décision de quitter une existence qui n’a plus de sens pour lui. Ainsi reste-t-il dans la lignée d’un autre homme qui en 1939, à peu près au même âge, avait pensé de la même manière, non sans avoir oert, comme Bruno Bettelheim, un héritage vital pour l’humanité : la psychanalyse !
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Clinique et politique
Utopsy
Séminaires / Patrick Chemla
samedi 16 juin 2012
Chers utopsystes,
Pour terminer cette année qui aura été riche en rencontres, nous aurons le plaisir d’accueillir le lundi 18 juin à 20h30 précises Patrick CHEMLA, psychiatre et psychanalyste, responsable d’un secteur de psychiatrie adulte à Reims et fondateur du Centre Antonin Artaud.
Patrick Chemla a développé une expérience de psychothérapie institutionnelle dans le secteur public depuis bientôt trente ans. Son engagement dans la transmission vivante de l’articulation entre psychothérapie institutionnelle,
psychanalyse et politique est situé sur plusieurs registres, que ce soit à la CRIEE (Collectif de Réexion Institutionnel Et d’Ethique), dans la clinique quotidienne avec l’équipe du Centre Antonin Artaud ou dans son engagement dans le collectif des 39. Son intervention sera centrée autour d’une psychothérapie analytique d’un sujet limite s’inscrivant dans le support d’un service travaillé par la psychothérapie institutionnelle, il nous introduira aux concepts de cryptes et de fantômes développés par Nicolas Abraham et Maria Torok.
Le Centre Artaud a fait l’objet de nombreuses émissions radiophoniques et télévisuelles depuis quelques années où l’on peut apprécier toute la vivance de ce travail. Nous vous recommandons notamment :
France Culture, émission sur les docks, « Voyage en folie ordinaire » réalisé par Charlotte Hess et Valentin Schapelynck http://www.franceculture.fr/emission-sur-les-docks-partager-la-dierence-34-voyage-en-folie-ordinaire-2012-05-09
France 5, émission In vivo, « Pour une psychiatrie plus humaine » Téléchargeable en intégralité à l’adresse suivante : http://lacriee51.blogspot.fr/2012/05/france-5-lemission-in-vivo-pour-une.html
France 5, documentaire de Philippe Borrel : « Un monde sans fous » http://www.mediapart.fr/content/un-monde-sans-fou-entretien-avec-patrick-chemla
La radio « la patatose » animée par le collectif du centre Artaud http://www.collectifpsychiatrie.fr/?p=2445
Bibliographie
Ouvrages collectifs coordonnés par Patrick Chemla et articles : http://www.editions-eres.com/parutions-auteurs/573-patrick-chemla.htm
Abraham, N. ; Torok, M. 1999. L’écorce et le noyau, Paris, Flammarion.
Les batailles de l’autisme : hier et aujourd’hui
vendredi 20 janvier 2012
Ce texte de Jacques Hochmann a été d’abord publiésur le site de Michel Balat
L’autisme a été déclaré « grande cause nationale » en 2012. On ne peut que s’en réjouir et espérer, à cette occasion, l’ouverture de débats apaisés qui permettront une meilleure information du public. L’aaire semble pourtant mal
partie ! Depuis son individualisation en 1943 par un psychiatre américain, Leo Kanner, ce syndrome, caractérisé par un « trouble inné du contact aectif », une tendance très précoce de l’enfant à s’isoler, à refuser les changements et l’imprévu et à s’absorber dans des rituels, des stéréotypies et des intérêts restreints, fait l’objet de véritables batailles. Des points de vue exclusifs s’arontent, avec un refus, une caricature voire une diabolisation de la perspective de l’autre qui donnent parfois l’impression que l’autisme contaminent ceux qui s’y trouvent confrontés, parents, professionnels ou même politiques, et entraînent les polémiques sur des positions d’une intolérance dont on trouve ailleurs peu d’exemples dans nos sociétés démocratiques. Un détour historique peut éclairer les conits actuels. Autrefois, les autistes étaient confondus dans la grande masse des arriérés mentaux dénommés « idiots ». Ce terme dérive d’un mot grec au sens voisin de celui d’autos qui a donné autisme. Les deux mots ont subi d’ailleurs des glissades sémantiques analogues et pris un même sens insultant, très mal vécu par les intéressés et leur famille. En dehors de quelques rares expériences médico-pédagogiques vite abandonnées, les enfants autistes ont longtemps connu l’enfermement et l’abandon dans les services les plus défavorisés des anciens asiles d’aliénés où ils étaient généralement laissés sans soins et sans éducation. Seules étaient utilisées, devant les cas d’agitation, la psychochirurgie et massivement, lors leur mise en circulation, les neuroleptiques. Considérés comme des dégénérés inéducables, à l’époque où régnait une théorie pessimiste de la tare héréditaire, ils ont été victimes, dans plusieurs états des États-Unis ou en Europe du Nord, sous prétexte d’eugénisme, de stérilisation, de castration et même, en Allemagne, à la prise de pouvoir d’Hitler, d’extermination, alors que la France se contentait de l’internement à vie et de la ségrégation des sexes C’est, en réaction contre des pratiques deshumanisantes et qui leur refusaient toute perspective d’amélioration, que, à la ïn de la Deuxième Guerre Mondiale, dans tout le monde occidental, des psychiatres en rupture avec la tradition asilaire, ont mis sur pied des équipes multidisciplinaires associant psychologues, assistants sociaux, éducateurs spécialisés, inïrmiers et inïrmières, et transformé les vieux services d’asiles en internats thérapeutiques
De nouvelles professions, d’orthophoniste, de psychomotricien, d’ergothérapeute, y ont vu le jour et le détachement d’enseignants de l’Éducation Nationale a permis d’y créer des classes spécialisées. Grâce à une prise en charge de plus en plus intensive et individualisée, un anement de la sémiologie et une étude poussée des mécanismes psychopathologiques ont été rendues possibles. Après les premières descriptions de Kanner, les auteurs ont été amenés à regrouper, sous le nom générique de psychoses de l’enfant, un ensemble de troubles divers, dont l’autisme proprement dit ne formait qu’un sous-ensemble.
La psychiatrie dans son ensemble connaissait alors une véritable révolution, En France, un corps de psychiatres publics, dont beaucoup étaient issus de la Résistance, découvraient, avec horreur, le parallélisme entre la situation des malades internés survivants de la famine qui avait décimé les hôpitaux psychiatriques pendant l’Occupation et celle des rescapés des camps de concentration. Ils se convertissaient progressivement à l’approche psychopathologique. Issue des travaux d’un certains nombres de médecins, psychologues et philosophes, elle consistait, au delà des comportements observables, à chercher à se mettre à la place du patient pour tenter d’envisager le monde de son point de vue et essayer de comprendre de l’intérieur ses croyances, ses désirs, ses émotions. Se fondant sur un mode de connaissance particulier, l’empathie (et pas seulement sur la perception visuelle ou auditive ), elle permettait de construire des hypothèses sur la signiïcation d’un symptôme, sur la place qu’il prend dans le vécu global d’un patient, sur la manière dont il s’inscrit dans son histoire personnelle. Ce dialogue générateur à la fois de connaissance et aussi de thérapie (le sentiment d’être compris par un autre entraînant une meilleure compréhension et une meilleure gestion de soi-même) était certes facilité par l’introduction des nouveaux « médicaments de l’esprit » qui calmaient les formes les plus violentes de folie. Mais il était rendu surtout possible par une modiïcation générale du climat institutionnel où des groupes jusque là condamnés à s’observer sans se parler (les soignants et les soignés) commençaient à communiquer entre eux. C’est ce qu’on a appelé, en France, la « psychothérapie institutionnelle ». Elle rejoignait les pratiques des communautés thérapeutiques anglaises et la milieu therapy américaine. Certes, sur le plan théorique, elle devait beaucoup aux apports de l’écoute particulière de l’autre inaugurée par Freud et à sa formulation d’une « autre scène » inconsciente sur laquelle se déploient des représentations articulées en scénarios (les fantasmes) que le sujet conscient ignore, mais qu’on peut reconstituer à partir de ses rêves, de ses lapsus, de ses actes manqués et des associations libres auxquels ces éléments donnent lieu dans un échange spéciïque, la cure analytique. Mais on a encore trop tendance à confondre avec la psychanalyse une psychiatrie dynamique aux sources beaucoup plus diverses (l’éducation active de Freinet, la phénoménologie, la psychosociologie, la dynamique des groupes) et qui n’a jamais oublié son ancrage médical : la prise en compte des désordres organiques et l’utilisation des médicaments pour les corriger.
D’abord expérimentée dans les services d’adultes, ces orientations ont rapidement gagné les services d’enfants. Avec les mêmes outils théoriques, mais en utilisant beaucoup moins les médicaments, les pédopsychiatres de la deuxième moitié du siècle dernier, ont développé des approches pluridimensionnelles où la vie quotidienne rythmée par un certains nombres d’activités éducatives, pédagogiques et thérapeutiques était utilisée pour
permettre à l’enfant d’acquérir, avec des compétences sociales et scolaires, un développement des facultés d’imagination et de symbolisation.
Au début à temps plein, ces prises en charge institutionnelles, ont évolué, avec la mise en place, en 1972, des secteurs de psychiatrie infantojuvénile, mais aussi avec l’évolution de la société et des demandes des parents, vers des prises en charge à temps partiel (hôpital de jour) voire très partiel (centre d’accueil thérapeutique à temps partiel) en substituant progressivement aux classes en établissement sanitaire une scolarisation en milieu normal, d’abord à l‘école maternelle puis dans les autres degrés du système scolaire. Cette inclusion scolaire, entreprise de manière isolée, dès le début des années 80, à l’initiative d’un certain nombre d’équipes pédopsychiatriques, a été généralisée par une loi en 2005. Parallèlement, le secteur médico-social, mis en place à la Libération principalement par des associations de familles d’enfants dits « inadaptés », en collaboration avec des professionnels, accueillait dans ses instituts médico-éducatifs un certain nombre d’enfants autistes ou atteints d’autres troubles graves du développement. Il connaissait une évolution similaire et, malgré des obstacles administratifs, aujourd’hui surmontés, travaillait de plus en plus en collaboration et en complémentarité avec le secteur sanitaire. Au côté des ateliers utilisant des médiations sportives, culturelles, artistiques, et des rééducations du langage ou de la motricité, diverses formes de psychothérapies individuelles ou groupales ont cherché à aider l’enfant à mieux comprendre ses émotions et à maîtriser, en les comprenant mieux, les angoisses, parfois violentes, qui pouvaient le traverser. Ces psychothérapies avaient d’abord été expérimentées aux États-Unis et en Angleterre principalement par deux écoles de psychanalystes issues l’une de la ïlle de Freud, Anna, qui préconisait d’associer une perspective éducative à la psychothérapie d’un enfant, l’autre de Mélanie Klein, qui soutenait une approche exclusivement interprétative qu’elle avait tenté avec succès, dès 1929, auprès d’un enfant manifestement autiste. Déjà, alors que les bombardements faisaient rage sur Londres, des controverses vigoureuses avaient opposé, au sein de la Société britannique de psychanalyse, les tenants de ces deux approches. Les auteurs français ont généralement occupé une position pragmatique médiane. Ils ont surtout multiplié les dispositifs de prise en charge, de façon hélas inégale sur le territoire national, avec des moyens qui, même si, dans un premier temps, ils ont connu une progression rapide, se sont vite révélés insusants avant de subir actuellement une réduction drastique.
Poursuivant leurs recherches, ils ont repéré les dimensions psychotiques réversibles de certaines arriérations mentales tenues alors pour irréversibles et donc changé le pronostic d’enfants déïcients intellectuels. En même temps, en anant une distinction déjà proposée aux États-Unis par Margaret Mahler, ils diérenciaient l’autisme proprement dit des dysharmonies psychotiques et, avec Roger Misès, mettaient en évidence à côté des psychoses (autistiques, dysharmoniques ou déïcitaires) la catégorie des « pathologies limites » où domine l’élément dépressif et la mauvaise structuration de la personnalité qui peut se manifester par divers troubles du comportement. Certains psychothérapeutes ont été surtout inspirés par les recherches de psychanalystes anglais postkleiniens, comme Donald Meltzer et Frances Tustin qui, s’intéressant plus particulièrement à l’autisme, ont enrichi la sémiologie en décrivant les particularités du fonctionnement sensoriel des autistes (aujourd’hui retrouvées et précisées par les sciences cognitives) et approfondi l’étude psychopathologique. D’autres, comme René Diatkine ou Serge Lebovici, ont rapporté et commenté des cures détaillées et prolongées. D’autres encore ont trouvé dans les théories et malheureusement dans une utilisation parfois obscure et pas toujours bien comprise du vocabulaire de Jacques Lacan la justiïcation de ce qui s’annonçait comme des dérives, considérées à tort comme aectant le service pédopsychiatrique public tout entier.
Elles avaient commencé aux États-Unis où s’était étendu avec le recours extensif au diagnostic de schizophrénie infantile (aujourd’hui très limité) l’idée d’une origine purement psychologique des troubles psychiques graves de l’enfant attribués, sans preuves convaincantes, à un dysfonctionnement des interactions précoces mère-bébé, lié à une problématique inconsciente dépressive ou agressive de la mère. On proposait donc aux mères une psychanalyse associée à celle de leur enfant. La paternité de cette psychogenèse exclusive est fautivement attribuée à un éducateur de formation psychanalytique, Bruno Bettelheim, directeur d’une école spécialisée à Chicago, où se pratiquait une milieu therapy de qualité, et qui a surtout eu le tort d’utiliser pour décrire le monde tel que l’enfant se le représente (et non tel qu’il est réellement), une métaphore empruntée à son expérience personnelle dans les camps de concentration et comprise par les parents comme une insupportable et injuste mise en accusation.
En France, cette idéologie psychogénétique a été répandue, malgré les critiques d’autres psychanalystes, par des ouvrages à grand succès éditorial, tel « L’enfant arriéré et sa mère » d’une psychanalyste d’origine belge, élève de Françoise Dolto, Maud Mannoni. Elle faisait de l’enfant autiste, psychotique ou déïcient, la victime des désirs mortifères de la mère qui était supposée le réduire à l’état d’un « phallus inclus dans sa propre jouissance » (sic). En même temps, se développait une antipsychiatrie qui accusait le système en place de vouloir normaliser de force les anormaux pour les soumettre aux exigences de la société et voyait dans la famille et dans l’école les principaux agents de transmission des forces de répression.
On était au décours de Mai 68, qui avait vu, entre autres, la séparation de la neurologie et de la psychiatrie. Pour répondre à une demande en extension et combler un grand retard de l’équipement sanitaire, un eort considérable de formation aboutit à la mise sur le marché rapide et mal contrôlée de plusieurs générations de psychiatres, de psychologues, d’éducateurs ou d’inïrmiers dont certains, pris dans l’air du temps, se jetèrent goulûment, sans toujours bien les digérer, sur des clichés qui alimentaient leur propre rébellion contre l’ordre établi. Malgré les eorts de lieux de formation solide, à l’origine principalement parisiens, comme la Fondation Vallée à Gentilly, le Centre Alfred Binet dans le XIIIème, l’Institut de Puériculture, l’Institut Montsouris, ou suisse (les facultés de médecine de Genève et de Lausanne), malgré la multiplication ensuite en province des enseignants-chercheurs de pédopsychiatrie et de psychologie clinique associés à quelques équipes de secteur particulièrement performantes, les nouveaux professionnels, formés sur le terrain, n’intégraient pas toujours la psychopathologie dans toutes ses dimensions complexes et ses nuances subtiles. Des oppositions binaires se propageaient entre l’organique et le psychologique, le corps et l’esprit, la maladie et le handicap, le soin et l’éducation et entretenaient des égalités simplistes : psychologique=curable=maladie=soin exclusif, organique=incurable=handicap=éducation spécialisée. Elles étaient entretenues par la séparation entre les budgets sanitaires et les budgets médico-sociaux, dépendant de directions et parfois de ministères diérents. D’où une tendance d’abord généreuse, mais aux conséquences néfastes, à nier la dimension somatique et le handicap, à ne tenir compte, de manière exclusive, que de la psychologie et d’un processus morbide et à en attribuer l’étiologie à l’entourage familial, aïn de maintenir un espoir de changement. D’où la tendance aussi à minimiser les objectifs éducatifs et pédagogiques au nom d’un « tout thérapeutique », dans l’attente de l’éveil spontané chez l’enfant d’un désir de connaître et d’apprendre.
De trop nombreux parents se sont alors trouvés face à des interlocuteurs qui refusaient de leur donner un diagnostic, sous prétexte de ne pas « chosiïer » l’enfant en l’enfermant dans un destin immuable. En même temps, le succès de certaines théories issues des thérapies familiales systémiques, quelquefois repensées par une psychanalyse dite « transgénérationnelle », conduisait certains thérapeutes à ne voir dans la destinée de l’enfant malade que l’incarnation des dicultés de communication du système familial tout entier ou le poids d’une transmission de secrets et de non dits remontant à plusieurs générations.
Interrogés parfois de manière intrusive sur leur propre histoire, les parents, venus consulter pour leur enfant, se sentaient malgré eux engagés dans un processus thérapeutique qui ne correspondait pas à leur demande. La culpabilité naturelle que tout parent peut éprouver quand son enfant est en diculté était aggravée par cette curiosité maladroite.
De plus, appliquant à un domaine où elles sont inadaptées les prescriptions de la cure psychanalytique, certains soignants refusaient d’informer les parents sur le contenu des séances thérapeutiques et allaient jusqu’à leur interdire l’entrée dans les lieux de soins, réservés aux seuls enfants et où, comme on l’a dit, les perspectives éducative étaient mises à l’écart. Cette culture du secret ne pouvait qu’entretenir des fantasmes de séduction ou de détournement de l’aection de l’enfant qui sont inévitables quand on conïe son enfant à des tiers. Quant au refus de l’éducatif, il témoignait d’un désintérêt pour les attentes des parents souvent vécu par eux comme un mépris. Enïn et surtout, l’absence de résultats spectaculaires et immédiats dans des pathologies graves et de longue évolution, le refus d’évaluer de manière objective des pratiques considérées de l’ordre de l’ineable accentuaient une déïance légitime. Face à des situations qui n’avaient rien d’exceptionnel ( même si elles n’étaient pas aussi répandues que des rapports successifs ont pu le prétendre, sans aucune enquête sérieuse), on comprend qu’un petit groupe de parents soit allé chercher d’autres méthodes et une autre écoute. Ignorant tout le travail entrepris quotidiennement sur le terrain et dans plusieurs congrès par des parents et des professionnels pour rapprocher leurs points de vue et mieux se comprendre, ils ont fait sécession avec la principale association de familles de personnes autistes (la Fédération Sésame Autisme) et sont partis s’informer aux États-Unis. Une réaction virulente contre l’attribution exclusive de l’autisme à des facteurs psychologiques environnementaux s’y était produite dès les années 60. Elle avait abouti à la création d’un puissant lobby : l’Autism Society of America qui avait obtenu la reconnaissance légale de l’autisme comme une incapacité développementale, au même titre que l’épilepsie, l’arriération mentale ou l’inïrmité motrice cérébrale. Participant à l’élaboration d’une nouvelle nomenclature des troubles mentaux, alors en cours, cette association avait réussi à faire bannir le terme de « psychose de l’enfant », considéré comme stigmatisant, et à le remplacer par celui de « trouble envahissant du développement ». D’abord tenu pour un de ces troubles, l’autisme en était devenu, au ïl des réactualisations de la nomenclature, le noyau autour duquel se disposait tout les autres, au sein d’un « trouble du spectre autistique » dont les critères allaient s’élargissant, multipliant par vingt la prévalence du trouble autistique. Aujourd’hui encore, les enquêtes
américaines en population générale qui reposent sur des questionnaires adressés à toute personne pouvant professionnellement se trouver au contact d’enfants (enseignants, pédiatres, puéricultrices, moniteurs de centres de loisir etc…) traduisent plus la prévalence des représentations sociales de l’autisme que celle du trouble lui-même. Le diagnostic est en eet fondé non sur des tests biologiques ou sur une imagerie médicale particulière, mais sur une typologie consensuelle, soumise comme tout consensus aux groupes de pression, en quête de statut social et de compensations.
Proïtant d’un amendement de la constitution américaine qui oblige les états à assurer l’éducation de tous les enfants, un psychologue formé initialement par Bruno Bettelheim mais qui s’était brouillé avec lui, Eric Schopler, eut l’habileté de proposer à l’état de Caroline du Nord un programme extensif pour les personnes autistes ou présentant des handicaps de la communication, qui associait étroitement les parents à des prises en charge individualisées et structurées, selon des modèles calqués étroitement sur les particularités du fonctionnement autistique. Le développement de chaque enfant était régulièrement évalué à l’aide de tests spéciïques et le traitement adapté à l’émergence de leurs compétences. Ce programme, le programme TEACCH, fut d’abord expérimenté, en France, par un petit nombre d’établissements médicosociaux et par un nombre encore plus restreint d’établissements sanitaires. Présenté déjà par certains de ses promoteurs comme une machine de guerre contre le service public de psychiatrie et la psychanalyse qui, prétendument, l’inspirait exclusivement, il ït en retour l’objet d’attaques en règle des psychanalystes les plus intégristes et de leurs collaborateurs.
Avec le temps, les oppositions semblaient s’atténuer et nombre d’enseignements des méthodes schoplériennes ainsi que le souci d’évaluation commençaient à diuser un peu partout, sans annuler pour autant les acquis d’une réexion psychopathologique ni l’attention portée à la vie intérieure des personnes autistes, aux modalités particulières de leur pensée et de leur gestion des émotions. Un certain nombre des dérives mentionnées plus haut, étaient en voie de résorption. À la suite de directives ministérielles, la pratique du diagnostic se généralisait. Les institutions sanitaires et médicosociales s’ouvraient à un partenariat eectif avec les parents, et les équipes, mieux formées, se montraient plus prudentes dans le maniement d’hypothèses causales vécues
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