Jusqu au bout de Thierry Ledru
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Description

R é s u m é Pour son premier poste, Pierre Cobane, jeune instituteur, est nommé dans un petit village des Côtes-d’Armor, en Bretagne. C’est une classe unique avec 8 enfants dont il va avoir la charge. Individu tourmenté, qui cherche à donner un sens à sa vie, il s’engage dans cette tâche avec une folle énergie. Mais il se heurte rapidement à l’autorité et à la violence de Miossec, un des parents d’élève qui semble entraîner tous les autres derrière lui. La relation privilégiée qu’il développe avec les enfants le stimule, mais une angoisse tenace le submerge rapidement. Il accepte mal la dictature imposée par les programmes scolaires, qui de son point de vue le prive trop souvent d’un lien affectif essentiel. Les périodes d’angoisse devant les responsabilités de son métier, ses difficultés à respecter ses certitudes, le harcèlement d’Anne, sa petite amie, et son incapacité à se libérer d’elle, ses difficultés relationnelles avec les parents, sa dépendance au cannabis, le souvenir de Marc, son ancien amant, tout cela le ronge. Les quelques moments de bonheur avec les enfants ne parviennent pas à adoucir la misère affective dans laquelle il sombre. Malmené par les événements qui vont s’enchaîner, et qui vont réveiller ses instincts les plus dangereux, Pierre ira jusqu’au bout de sa quête existentielle, entraînant avec lui les enfants. Du même auteur À cœur ouvert, fiction, Numeriklivres, 2013. numeriklire.

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Publié le 24 mai 2014
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Langue Français
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Extrait

Résumé
Pour son premier poste, Pierre Cobane, jeune instituteur, est nommé dans un petit village des Côtes-d’Armor, en Bretagne. C’est une classe unique avec 8 enfants dont il va avoir la charge. Individu tourmenté, qui cherche à donner un sens à sa vie, il s’engage dans cette tâche avec une folle énergie. Mais il se heurte rapidement à l’autorité et à la violence de Miossec, un des parents d’élève qui semble entraîner tous les autres derrière lui. La relation privilégiée qu’il développe avec les enfants le stimule, mais une angoisse tenace le submerge rapidement. Il accepte mal la dictature imposée par les programmes scolaires, qui de son point de vue le prive trop souvent d’un lien affectif essentiel. Les périodes d’angoisse devant les responsabilités de son métier, ses difficultés à respecter ses certitudes, le harcèlement d’Anne, sa petite amie, et son incapacité à se libérer d’elle, ses difficultés relationnelles avec les parents, sa dépendance au cannabis, le souvenir de Marc, son ancien amant, tout cela le ronge. Les quelques moments de bonheur avec les enfants ne parviennent pas à adoucir la misère affective dans laquelle il sombre. Malmené par les événements qui vont s’enchaîner, et qui vont réveiller ses instincts les plus dangereux, Pierre ira jusqu’au bout de sa quête existentielle, entraînant avec lui les enfants.
Du même auteur À cœur ouvert, fiction, Numeriklivres, 2013.
numeriklire.net
Je n’aime pas la culture occidentale, car elle contient, à mon avis,
 beaucoup d’erreurs qui sont à l’origine d’une crise de civilisation,
 non pas récente, mais très ancienne : une crise qui dure depuis un millénaire.
 Cette culture a produit beaucoup de choses admirables,
 mais une tradition qui se coupe de ses propres racines,
 des lieux sauvages extérieurs et de cet autre lieu sauvage qu’est notre intérieur,
 une telle culture est vouée à un comportement très destructeur,
 et peut-être en fin de compte, à un comportement autodestructeur.
Gary Snyder
Thierry Ledru
JUSQU'AU BOUT
ISBN 978-2-89717-632-7
numeriklire.net
Former les esprits sans les conformer
 les enrichir sans les endoctriner
 les armer sans les enrôler
 leur communiquer une force
 dont ils puissent faire leur force
 les séduire par le vrai
 pour les amener à leur propre vérité
 et leur donner le meilleur de soi
 sans attendre ce salaire dérisoire
 qu’est la ressemblance
Jean Rostand
Extrait
Lundi soir, vingt heures trente, les parents entrèrent dans la cour de l’école. Pierre les attendait dans la classe. Un homme massif, portant casquette, menait le groupe. La carrure étonnante, une largeur d’épaules de pilier de rugby, la voix excessive et rugueuse déboulèrent dans la salle silencieuse. Il reconnut immédiatement le chasseur de la veille. « Salut mon gars ! annonça-t-il en tendant la main. — Bonsoir, répondit-il simplement avec la nette impression que le colosse éprouvait un certain plaisir à lui écraser les doigts. — Je m’appelle Miossec, » déclara-t-il fièrement. Une tête massive avec des yeux rougeauds, une haleine de vinasse. « Ah ! vous êtes donc le père de David et d’Olivier. — Ben oui, qu’est-ce que tu veux, on ne choisit pas ! s’esclaffa-t-il. Allez, vous autres, entrez donc, lança-t-il à l’adresse des parents. C’est un jeune gars. Il va pas vous bouffer ! » Une bourrade sur l’épaule de Pierre faillit l’envoyer rouler et ne fit qu’accentuer son ébahissement. Les politesses d’usage facilitèrent les présentations. Tout le monde prit place. Quelques parents robustes connurent mille difficultés pour s’asseoir sur les bancs étroits, les genoux et les ventres rencontrant obstinément le casier de la table. « C’est pour des petits culs, ces bancs-là. Heureusement que ma grosse n’est pas venue, elle serait restée debout ! railla Miossec en direction de l’assemblée. — Je suis désolé, mais je n’ai pas de chaises. — Allez, t’en fais pas mon gars, lança le colosse. Dis-nous plutôt pourquoi tu nous as fait venir. » Il respira profondément et essaya de maîtriser les tremblements de ses mains. « Et bien, je tenais à ce que nous fassions connaissance afin de pouvoir discuter de l’école et des enfants. Je pense qu’un enfant a besoin de sentir qu’entre ses parents et l’instituteur il y a un dialogue. Ainsi, il sait qu’on s’intéresse à lui et en même temps qu’on le surveille. Il sait qu’il ne peut pas échapper à ses devoirs. — Alors là, coupa Miossec, les miens ils risquent pas de s’échapper. Ou alors je les ramène par la peau du cul. — Oui, c’est une façon de voir les choses, reprit-il, interloqué par la vulgarité du personnage, mais ça n’est pas la mienne. » Il enchaîna immédiatement. « C’est mon premier poste d’instituteur. L’année dernière, j’étais éducateur dans un centre pour adolescents délinquants caractériels. J’ai décidé de passer le concours d’instituteur parce que je voulais m’occuper des jeunes enfants avant qu’il ne soit trop tard. Les adolescents dont j’avais la charge dans ce centre n’attendaient plus rien des adultes. Le mal était fait. Ça ne me plaisait pas. Ici, je ne suis pas titulaire du poste, je ne l’ai pas
choisi, mais je peux vous assurer que je suis très content d’être là. Je trouve qu’une classe unique de huit élèves d’âges différents est beaucoup plus riche qu’une classe à un niveau avec vingt ou trente enfants. — Je ne vois pas ce qu’il y a de riche dans ce cirque », pouffa Miossec en jetant des regards moqueurs sur les peintures et les mobiles pendus au plafond. Pierre fit semblant de n’avoir pas entendu et continua. Les mains moites. Mesurer le débit de paroles, ne pas donner l’impression d’être tendu. « Si je vous ai demandé de venir ce soir, c’est aussi pour vous montrer comment je travaille avec les enfants et comment je conçois mon métier. » Un coup d’œil circulaire lui montra que les parents semblaient tous attendre une nouvelle remarque de Miossec. Il présenta longuement les grandes lignes directrices relatives à chaque cours en insistant sur l’importance considérable de la lecture. Aucune réaction. Ayant fini la présentation des programmes et voyant l’assemblée s’ennuyer fermement, il décida de développer des idées plus générales. « Pour moi, l’éducation d’un enfant se résume à la formation de sa personnalité. L’enseignement fait partie de cette construction. Il doit donc être source de bonheur si on ne veut pas que l’enfant en souffre. Bien sûr, certains apprentissages sont difficiles, mais c’est à moi de faciliter la tâche de l’enfant. C’est ça le rôle du maître. Permettre à l’enfant d’apprendre dans la joie, lui faire comprendre le sens de mots comme courage, volonté, détermination. Ainsi, il finit par chercher de lui-même d’autres connaissances. Il ne dépend plus entièrement de l’adulte. Je ne suis qu’un révélateur. Il faut que je lui apprenne des méthodes de travail et ne pas l’étouffer sous des quantités de connaissances dont il ne sait souvent que faire. » Il réfléchit deux secondes, étonné que Miossec ne lui ait pas encore coupé la parole. « L’important n’est pas que les enfants apprennent beaucoup, qu’ils soient gavés, mais plutôt qu’ils connaissent leurs limites, leurs faiblesses et leurs certitudes. C’est la connaissance de soi qu’il faut viser avant tout. L’intérêt de cette classe, c’est justement que les enfants ne perdent jamais de vue ce qu’ils ont déjà appris et ce qu’ils ont encore à vivre. Ils ont une vue globale de leur enfance, Léo regarde Rémi et vice versa, en écoutant les petits, les grands peuvent être fiers de ce qu’ils ont déjà appris et les petits, en écoutant les grands, sont curieux de ce qui leur reste à découvrir. — Ouais, tout ça, c’est bien joli, mais c’est de la parlotte. C’est pas en rigolant qu’on apprend à bosser, éructa Miossec. — Mais monsieur Miossec, je n’ai jamais dit qu’on rigolait. J’ai dit qu’on travaillait avec plaisir, c’est tout à fait différent, répliqua-t-il sèchement. — Ouais, ben moi je dis que c’est pas comme ça qu’ils apprendront grand-chose. Dans mon temps, l’école c’était le coup de pied au cul et là ça rentrait. — Peut-être, mais ça rentrait de travers et ça bouchait tout ce qui aurait pu servir à rendre intelligent. Et on voit ce que ça donne. » Un terrible silence. Miossec fixa Pierre comme s’il cherchait à comprendre. L’assemblée suspendue. « Les examens, enchaîna-t-il, le ventre de plus en plus noué, représentent d’un point de vue social le résultat du travail. Mais pour moi, c’est surtout la main mise de l’adulte sur l’enfant, juste un moyen de le dominer au lieu de lui offrir la liberté d’apprendre. L’essentiel est ailleurs. Je veux que les enfants apprennent pour eux, pas pour être notés, qu’ils apprennent pour grandir, pour échanger, pour progresser. Ce que ça rapporte du point de vue social est secondaire. Ils ne sont pas là pour apprendre un métier, mais simplement le
bonheur de progresser et de faire partie de l’espèce humaine, c’est-à-dire la seule espèce qui apprend ce dont elle n’a pas besoin pour survivre. C’est pour ça que j’essaie de leur offrir le maximum d’expériences. Ça les aidera à trouver leur voie. — Oh, alors là ! lança Miossec, pour Olivier, c’est tout trouvé. Il reprendra la ferme et puis c’est tout. — Je ne suis évidemment pas contre monsieur Miossec, mais ce qui est important, c’est qu’Olivier ne se décide pas avant d’avoir vécu bien d’autres expériences, afin d’être certain de ne pas se tromper. — Oh, mais je ne lui demande pas son avis ! s’énerva le colosse. La ferme, je la tiens de mon père qui la tenait de son père, alors il n’est pas question de laisser partir le gosse. Il faudra bien qu’il y passe ! » affirma l’énergumène de plus en plus agressif. Il comprit à cet instant les problèmes de David et se demanda comment Olivier pouvait aussi bien s’en sortir avec quelqu’un d’aussi autoritaire et borné. « Monsieur Miossec, je voudrais vous citer une phrase d’un philosophe, Khahil Gibran, qui s’adressait aux parents :Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont les fils et les filles de l’appel de la vieàelle-même. Ne tentez pas de les faire comme vous, car la vie ne va pas en arrière. Voilà, il disait bien d’autres choses encore, mais je pense que ça suffira. » Au ton ironique succéda un silence pesant. Les regards s’adressèrent furtivement à Miossec, tous les parents sous son emprise attendant l’explosion. Ce fut pourtant le père de Léo qui prit la parole. « Monsieur Cobane, comment concevez-vous l’éducation à partir de cette citation ? » Le ton était très aimable. Une note de curiosité le rendait même chaleureux. Pierre saisit l’occasion. « Pour ce qui est de mon rôle, je m’efforce d’éveiller une conscience encore ignorante d’elle-même et de ses possibilités. Pour moi, chaque vie se présente comme une ligne qui se dessine un peu chaque jour. La ligne n’est pas toute tracée. Rien n’est écrit à l’avance. L’enseignement et l’éducation aident à la formation de ce chemin. Mais quand je dis qu’il faut aider l’enfant, ça ne veut pas dire qu’il faut le diriger. Nous, les adultes, sommes plutôt des révélateurs. Nous montrons sans porter de jugements excessifs. Bien sûr, il y a des interventions obligatoires, des barrières à établir, mais l’enfant ne les refusera pas s’il en comprend le sens. Je n’ai aucun mal à me faire obéir en classe tant que je justifie mes demandes. Il n’y a rien qu’un enfant ne puisse un jour comprendre. Il n’y a que des adultes qui sont incapables d’expliquer clairement. La partie essentielle dans la classe, c’est le dialogue. Notre rôle en tant qu’adulte est d’aider l’enfant à trouver sa voie et son bonheur. — Ouais, ben moi, je ne suis pas d’accord. Si on les laisse tout choisir, ils font tout de travers ! » Miossec s’était levé et tout en parlant frappa la table de sa casquette. « Moi, je vous dis, Olivier, il prendra la ferme et pour tout le monde ici, c’est pareil. La terre, elle doit rester chez nous. C’est pour ça que les gosses viennent à l’école. Il faut quand même qu’ils sachent lire, écrire et compter. Avec tous les papiers qu’on doit remplir, ça c’est utile. Mais pour le reste, ça ne sert à rien. Ça pourrit la tête. Après, les merdeux courent dans tous les sens. Ils savent plus quoi décider. Ça vagabonde partout, ça veut tout faire et ça fait rien de bon. Et puis quand ils se sont cassé la gueule, ils reviennent chez papa maman en pleurnichant qu’ils n’ont plus de sous. » Le colosse exultait. Stupéfaction et dégoût. Il essaya de rester calme, mais ses mains tremblaient de colère. Les parents ne
réagissaient pas. Miossec parlait en leur nom et ils se taisaient. Cette lâcheté le répugnait autant que l’effrayante absurdité de l’énergumène. Seul le père de Léo osa prendre de nouveau la parole. « Monsieur Miossec, pour ma femme et moi, il désigna sa compagne avec un geste plein de douceur, c’est pas comme vous dites. C’est vrai que Léo, on n’aimerait pas qu’il fasse n’importe quoi, mais je ne pense pas qu’en l’obligeant à reprendre la ferme, on lui assurerait à coup sûr son bonheur. — Mais le bonheur, on s’en fout, coupa Miossec ! Il faut qu’il gagne des sous et c’est tout. Je ne veux pas d’un chômeur chez moi ! — Monsieur Miossec, intervint Pierre, si vous le permettez j’aimerais entendre l’avis des autres parents. — Mais ils pensent tous comme moi ! rugit l’excité. Ils savent tous que j’ai raison. — Alors si j’ai bien compris, vous voulez simplement que j’apprenne la lecture et le calcul à Olivier et à David. — Oh ! avec Olivier tu arriveras à quelque chose, mais avec l’autre faut pas y compter. Tout le monde sait que celui-là, il vaut rien. Toujours à se cacher dans un coin pour pleurnicher. Tu lui apprendras rien même avec des coups de pied au cul ! » — Il faudrait peut-être faire la différence entre vos vaches et vos enfants. Ça ne s’élève pas de la même façon, mais je ne sais pas si vous êtes en mesure de comprendre ça ! jeta-t-il à la face rougeaude. Et je crois qu’il est temps de clore cette réunion avant qu’il ne soit trop tard. — Oui, c’est ça, assez déconné. On peut encore aller boire un coup chez Josette », brailla le paysan. Le troupeau apeuré des parents sortit précipitamment derrière Miossec qui continuait à cracher son venin. « Des conneries tout ça ! » Les parents de Léo s’approchèrent de Pierre, debout derrière le bureau. « Faites pas attention à tout ça monsieur Cobane. Nous, on est très content que vous soyez là. Léo est très heureux et on voit bien qu’il apprend beaucoup de choses. À la maison, il n’y a plus moyen d’en placer une. Il parle tout le temps de l’école. C’est ça qui compte. Venez donc nous voir un soir, on sera mieux pour parler. Ça nous ferait plaisir. — Merci, c’est gentil, répondit-il en essayant de retrouver son calme. Ce qui m’énerve le plus je crois, c’est pas tellement ce Miossec que l’attitude des autres parents qui ne réagissent pas alors qu’il parle en leur nom. C’est incroyable ! — Vous avez beaucoup de choses à apprendre sur l’histoire de ce pays monsieur Cobane. On en parlera à la maison. Vous y verrez plus clair après. — Merci, ce sera avec plaisir. — Bonsoir alors et surtout ne changez rien à votre façon de travailler. — Comptez sur moi. Bonsoir. » Ces dernières paroles apaisèrent un peu sa colère. S’il avait espéré, un temps, convaincre les parents de David de l’emmener chez un orthophoniste, il savait désormais que c’était totalement exclu et qu’il devrait se débrouiller. Il eut beaucoup de mal à trouver le sommeil, se torturant l’esprit pour savoir s’il s’était montré indélicat ou si la bêtise de Miossec était réellement phénoménale. Le cannabis calma ses angoisses. Le lendemain, il essaya de faire oublier à David les images de ce père qui lui dévorait
l’esprit. L’après-midi, il emmena toute la classe gambader dans la nature. Depuis le début de l’année, ils avaient étendu leur territoire, dépassant les champs déjà connus, les ruisseaux déjà traversés, les sous-bois déjà visités. Rémi aimait répéter une citation Navajo affichée dans la classe : « Il y avait tant et tant d’espace ! Nous sommes devenus nomades. — Hugh ! » répondait immanquablement Léo et ils partaient tous dans des cavalcades endiablées, menées de façon autoritaire et anarchique par Morgane juchée sur les épaules de Pierre. Ce n’était alors que rires et cris de joie lancés à tue-tête, jusqu’à l’effondrement des troupes épuisées. C’est après une de ces courses qu’ils se retrouvèrent allongés dans l’herbe grasse d’un champ, les yeux rivés aux nuages. « Dis Pierre, est-ce qu’on peut tenir debout sur un nuage ? demanda Léo. — Oui, bien sûr, répondit-il immédiatement, devançant la réaction moqueuse des grands. Moi, tu vois un jour, quand j’étais petit, je m’étais allongé dans un champ et puis j’avais observé les nuages, longtemps, très longtemps, sans bouger. Ils passaient lentement au-dessus de moi. Certains me faisaient des clins d’œil et puis, il y en a eu un qui s’est arrêté, juste au-dessus de moi. Il était encore plus beau que tous les autres, plus blanc et plus épais. Je l’ai bien regardé, très fort et puis soudain j’ai senti que je m’envolais et je me suis retrouvé sur le nuage. Au début, j’ai eu peur et j’avais du mal à y croire. Je me suis vite recroquevillé dans un petit creux, j’avais peur de retomber, mais finalement c’était solide. Alors j’ai rampé jusqu’à l’avant et on est parti vers l’horizon. — Ch’est quoi l’horijon ? demanda Morgane de sa petite voix aiguë. — L’horizon, c’est la ligne qu’on voit là-bas, au loin, le plus loin possible, là où sont les dernières forêts, les dernières collines ou autre chose, ça dépend du paysage. On ne peut jamais l’atteindre parce que toi, quand tu avances, lui il recule. Et tu découvres toujours un nouvel horizon. C’est pour ça que les nuages ne s’arrêtent jamais. L’horizon les appelle toujours plus loin. — Mais il ne sait pas parler l’horizon ! dit Fabrice étonné. — Si, mais il appelle en ondulant les arbres ou la mer ou en dressant des montagnes enneigées. Il appelle en montrant des belles choses, c’est le langage de la nature. — Ah ! oui, d’accord, acquiesça Fabrice, satisfait de la réponse. — Alors moi, sur mon nuage, je suis parti vers d’autres paysages. À un moment, devant moi, le ciel et la terre se sont confondus dans le même bleu. J’ai compris que j’arrivais au-dessus de la mer. Il y avait comme des moutons qui couraient à sa surface. C’étaient les vagues. La longue plage toute blonde ressemblait à un terrain d’atterrissage. On est parti vers le large et lentement, la terre a disparu, je n’osais plus me retourner, tout ce vide autour de moi, j’ai eu un peu peur et en même temps je sentais bizarrement que je ne risquais rien. Le soleil brûlait fort alors je me suis caché dans le nuage. La fraîcheur de son ventre, c’était bon. Comme des draps frais. Quand j’avais faim, je prenais des petits bouts de nuage. C’est comme de la barbe à papa. Ça fond dans la bouche. » Léo et Morgane écoutaient, fascinés. David s’était collé contre Pierre. Les grands, silencieux, rêvaient aussi et n’auraient pour rien au monde insinué que l’histoire était fausse. Ils aimaient cette voix qui les faisait frissonner de plaisir, comme si elle se glissait en eux et chatouillait doucement leur ventre, leur cou, leurs oreilles, leurs joues, tous ces petits endroits qui deviennent tout chauds quand vraiment on est heureux. Ce maître, c’était comme un rêve qui leur parlait ou tous les rêves réunis ou toutes les joies qu’ils n’osaient jamais dévoiler et tous les plaisirs qu’ils imaginaient et qui restaient enfermés dans des prisons toutes noires « parce qu’il ne faut pas dire n’importe quoi. »
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