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Publié par | bibebook |
Nombre de lectures | 15 |
EAN13 | 9782824709871 |
Langue | Français |
Extrait
HONORÉ DE BALZA C
LA F EMME DE
T REN T E ANS
BI BEBO O KHONORÉ DE BALZA C
LA F EMME DE
T REN T E ANS
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-0987-1
BI BEBO OK
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compris à Bib eb o ok.LA F EMME DE T REN T E ANS
ÉDI É A LOU IS BOU LANGER, P EI N T RE.
D
n
1CHAP I T RE I
P REMI ÈRES F A U T ES
mois d’av ril 1813, il y eut un dimanche
dont la matiné e pr omeait un de ces b e aux jour s où les Pari-A siens v oient p our la pr emièr e fois de l’anné e leur s p avés sans
b oue et leur ciel sans nuag es. A vant midi un cabriolet à p omp e aelé de
deux che vaux fring ants déb oucha dans la r ue de Riv oli p ar la r ue
Castiglione , et s’ar rêta der rièr e plusieur s é quip ag es stationnés à la grille
nouv ellement ouv erte au milieu de la ter rasse des Feuillants. Cee leste v
oitur e était conduite p ar un homme en app ar ence soucieux et maladif ; des
che v eux grisonnants couv raient à p eine son crâne jaune et le faisaient
vieux avant le temps ; il jeta les rênes au laquais à che val qui suivait sa
v oitur e , et descendit p our pr endr e dans ses bras une jeune fille dont la
b e auté mignonne aira l’aention des oisifs en pr omenade sur la ter rasse .
La p etite p er sonne se laissa complaisamment saisir p ar la taille quand elle
fut deb out sur le b ord de la v oitur e , et p assa ses bras autour du cou de son
guide , qui la p osa sur le tr ooir , sans av oir chiffonné la g ar nitur e de sa
2La femme de tr ente ans Chapitr e I
r ob e en r eps v ert. Un amant n’aurait p as eu tant de soin. L’inconnu de vait
êtr e le pèr e de cee enfant qui, sans le r emer cier , lui prit familièr ement
le bras et l’ entraîna br usquement dans le jardin. Le vieux pèr e r emar qua
les r eg ards émer v eillés de quelques jeunes g ens, et la tristesse empr einte
sur son visag e s’ effaça p our un moment. oiqu’il fût ar rivé depuis
longtemps à l’âg e où les hommes doiv ent se contenter des tr omp euses
jouissances que donne la vanité , il se mit à sourir e .
― L’ on te cr oit ma femme , dit-il à l’ or eille de la jeune p er sonne en se
r e dr essant et mar chant av e c une lenteur qui la désesp éra.
Il semblait av oir de la co queerie p our sa fille et jouissait p eut-êtr e
plus qu’ elle des œillades que les curieux lançaient sur ses p etits pie ds
chaussés de br o de quins en pr unelle puce , sur une taille délicieuse
dessiné e p ar une r ob e à guimp e , et sur le cou frais qu’une coller ee br o dé e
ne cachait p as entièr ement. Les mouv ements de la mar che r ele vaient p ar
instants la r ob e de la jeune fille , et p er meaient de v oir , au-dessus des
br o de quins, la r ondeur d’une jamb e finement moulé e p ar un bas de soie à
jour s. A ussi, plus d’un pr omeneur dép assa-t-il le couple p our admir er ou
p our r e v oir la jeune figur e autour de laquelle se jouaient quelques r
oule aux de che v eux br uns, et dont la blancheur et l’incar nat étaient r
ehaussés autant p ar les r eflets du satin r ose qui doublait une élég ante cap ote ,
que p ar le désir et l’imp atience qui p étillaient dans tous les traits de cee
jolie p er sonne . Une douce malice animait ses b e aux y eux noir s, fendus
en amande , sur montés de sour cils bien ar qués, b ordés de longs cils, et qui
nag e aient dans un fluide pur . La vie et la jeunesse étalaient leur s trésor s
sur ce visag e mutin et sur un buste , gracieux encor e , malgré la ceintur e
alor s placé e sous le sein. Insensible aux hommag es, la jeune fille r eg ardait
av e c une espè ce d’anxiété le châte au des T uileries, sans doute le but de
sa p étulante pr omenade . Il était midi moins un quart. elque matinale
que fût cee heur e , plusieur s femmes, qui toutes avaient v oulu se
montr er en toilee , r e v enaient du châte au, non sans r etour ner la tête d’un air
b oudeur , comme si elles se r ep entaient d’êtr e v enues tr op tard p our jouir
d’un sp e ctacle désiré . elques mots é chapp és à la mauvaise humeur de
ces b elles pr omeneuses désapp ointé es et saisis au v ol p ar la jolie
inconnue , l’avaient singulièr ement inquiété e . Le vieillard épiait d’un œil plus
curieux que mo queur les signes d’imp atience et de crainte qui se jouaient
3La femme de tr ente ans Chapitr e I
sur le char mant visag e de sa comp agne , et l’ obser vait p eut-êtr e av e c tr op
de soin p our ne p as av oir quelque ar rièr e-p ensé e p ater nelle .
Ce dimanche était le tr eizième de l’anné e 1813. Le surlendemain,
Nap olé on p artait p our cee fatale camp agne p endant laquelle il allait p erdr e
successiv ement Bessièr es et Dur o c, g agner les mémorables batailles de
Lutzen et de Bautzen, se v oir trahi p ar l’ A utriche , la Sax e , la Bavièr e , p ar
Ber nadoe , et disputer la ter rible bataille de Leipsick. La magnifique p
arade commandé e p ar l’ emp er eur de vait êtr e la der nièr e de celles qui e x
citèr ent si long-temps l’admiration des Parisiens et des étrang er s. La vieille
g arde allait e x é cuter p our la der nièr e fois les savantes manœuv r es dont la
p omp e et la pré cision étonnèr ent quelquefois jusqu’à ce g é ant lui-même ,
qui s’apprêtait alor s à son duel av e c l’Eur op e . Un sentiment triste
amenait aux T uileries une brillante et curieuse p opulation. Chacun semblait
de viner l’av enir , et pr essentait p eut-êtr e que plus d’une fois l’imagination
aurait à r etracer le table au de cee scène , quand ces temps hér oïques de
la France contracteraient, comme aujourd’hui, des teintes pr esque
fabuleuses.
― Allons donc plus vite , mon pèr e , disait la jeune fille av e c un air de
lutinerie en entraînant le vieillard. J’ entends les tamb our s.
― C’ est les tr oup es qui entr ent aux T uileries, rép ondit-il.
― Ou qui défilent, tout le monde r e vient ! répliqua-t-elle av e c une
enfantine amertume qui fit sourir e le vieillard.
― La p arade ne commence qu’à midi et demi, dit le pèr e qui mar chait
pr esque en ar rièr e de son imp étueuse fille .
A v oir le mouv ement qu’ elle imprimait à son bras dr oit, v ous eussiez
dit qu’ elle s’ en aidait p our courir . Sa p etite main, bien g anté e , fr oissait
imp atiemment un mouchoir , et r essemblait à la rame d’une bar que qui fend
les ondes. Le vieillard souriait p ar moments ; mais p arfois aussi des e
xpr essions soucieuses aristaient p assagèr ement sa figur e dessé ché e . Son
amour p our cee b elle cré atur e lui faisait autant admir er le présent que
craindr e l’av enir . Il semblait se dir e : ― Elle est heur euse aujourd’hui, le
sera-t-elle toujour s ? Car les vieillards sont assez enclins à doter de leur s
chagrins l’av enir des jeunes g ens. and le pèr e et la fille ar rivèr ent sous
le p éristyle du p avillon au sommet duquel floait le drap e au tricolor e ,
et p ar où les pr omeneur s v ont et viennent du jardin des T uileries dans
4La femme de tr ente ans Chapitr e I
le Car r ousel, les factionnair es leur crièr ent d’une v oix grav e : ― On ne
p asse plus !
L’ enfant se haussa sur la p ointe des pie ds, et put entr e v oir une foule
de femmes p aré es qui encombrait les deux côtés de la vieille ar cade en
marbr e p ar où l’ emp er eur de vait sortir .