Double Charme
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Description

Invité chez un ami fort aisé pour des vacances dans le Var, Chris se sent mal à l'aise parmi cette bande de jeunes friqués.
Tout au moins jusqu'à ce que le jumelles s'intéressent à lui.
Ainsi qu'une mystérieuse inconnue aux baisers brûlants…

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Publié le 24 août 2014
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Langue Français

Extrait

Situation inconfortable. C’était une erreur que de venir ici, c’est maintenant clair. Ludo m’a invité, c’est vrai, mais Ludo a, comme je l’ai découvert, des fréquentations qui ne sont pas pour moi. Quand je dis « pas pour moi », je me réfère à la différence sociale, pas nécessairement à un jugement de valeur. L’ennui, c’est que c’est lui qui m’a amené en voiture, que ce coin perdu au bord de la grande bleue, charmant autant qu’il l’est, est loin de mon domicile et que je ne sais pas comment lui dire que je veux rentrer. Si je le fais, il va me demander pourquoi, et j’aurai à lui avouer que ce milieu de gosses de riches ne me va pas. Comme lui-même est gosse de riches, il va prendre ça pour lui, et je ne veux pas faire de peine à mon ami d’enfance. Dans cette splendide maison au pied de l’Estérel, au milieu des pins et à deux cents mètres d’une plage peu fréquentée, nous sommes onze jeunes : cinq garçons, six filles. Tous sauf moi issus d’un milieu au minimum aisé, voire bien plus. Moi, je suis fils d’un modeste employé de banque et d’une mère au foyer. Quand Ludo, qui est un type adorable, m’a proposé de l’accompagner pour ces trois semaines, je me suis senti gêné : je n’avais pas vraiment les moyens de participer financièrement, de payer un écot, encore moins d’offrir ma tournée, et je le lui ai dit. — Je sais que tu n’as pas de moyens, mais je t’offre tout, ça ne te coûtera rien. Si je n’ai pas de moyens, Ludo, fils d’un gros entrepreneur de la région Rouennaise, en a, lui, largement. J’ai persisté dans mon refus, désolé mais ferme. — Allez, Chris, s’il te plait ! Ça me ferait tellement plaisir de t’avoir avec nous ! Tu es mon meilleur copain, tu le sais ! — Nous, qui ? — Des amis et des amies, tous sympas, pas bêcheurs pour un sou, tu verras. Si tu amène ta guitare, on peut se faire des soirées super ! Il a insisté. Il a employé tous les moyens. Il m’a dit que j’avais mauvaise mine et que des vacances au soleil me feraient le plus grand bien. Il a pris à témoin mes parents, lesquels étaient d’une part, aussi embarrassés que moi mais partageaient son point de vue sur ma santé et le bienfait qu’allaient m’apporter des vacances au bord de la Grande Bleue. Ludo et moi sommes amis depuis nos années de collège, mes parents le connaissent bien et apprécient beaucoup sa gentillesse naturelle. Ils m’ont pris à part, et m’ont dit que c’était peut-être dommage de ne pas profiter d’un tel séjour. À mon objection sur l’absence d’argent de poche, ma mère a été fouiller dans ses affaires et m’a donné deux billets de cinquante euros. — Ce n’est pas grand-chose, mais tu pourras au moins payer une fois à boire à tes amis ! Pas grand-chose, pas grand-chose, c’est vite dit ! Un journée de salaire de mon père, ce n’est pas rien ! Poussé par les uns, tiré par l’autre, j’ai fini par céder. Ce qui m’a bien arrangé, a été de trouver un job de serveur dans un pub irlandais du centre-ville, le O’Kallaghan’s. Le patron, un vrai irlandais, avait fait paraître une offre d’emploi en anglais dans le canard local. Tombé dessus par pur hasard à sa sortie, j’avais téléphoné, rendu visite et subi un entretien tout en anglais. J’avais sans doute convaincu par ma maîtrise de
la langue, car il m’a embauché pour le mois de juillet, alors que Ludo voulait partir début août. Pas très bien payé mais ambiance sympathique, clientèle pour la plupart anglophone et pas radin pour les pourboires. Je me suis empressé de rendre leurs cent euros à mes parents et y ai passé tous les après-midi de quatre à dix, parfois plus tard. J’ai même eu une sorte de prime d’un genre différent ! C’était mon avant-dernier soir de service au bar et l’heure de clôture approchait. Une jeune femme est venue me commander un whiskey (irlandais, ça va de soi !) et s’est mise à le consommer au comptoir, ce qui n’a rien de rare, mais de la part d’une jeune femme seule, c’est moins courant. Elle avait envie de parler ; comme j’étais une oreille disponible, elle s’y est épanchée et m’a racontée ses misères : dublinoise épouse d’un riche courtier irlandais, venant souvent à Rouen pour son business, son homme avait tout plaqué pour partir avec une minette française de dix-huit ans, laissant son épouse en plan avec son entreprise. Cette femme ne connaissant rien aux affaires l’avait vendue aussitôt et était revenue à Rouen dans l’espoir de retrouver son volage de mari, mais en vain. Moi, le petit barman, j’étais son exutoire ! Ça lui faisait du bien de se vider, et elle parlait sans retenue. J’écoutais sans mot dire, et je pense que c’est exactement ce qu’elle cherchait. Tout en parlant, elle sirotait son whiskey, en a commandé un second et m’en a offert un également. Ken, le patron est intraitable : le personnel ne boit pas pendant le service, sinon la porte ! J’ai donc décliné son aimable offre. Quand elle a commandé son troisième Tullamore Dew, je lui ai fait remarquer que ce n’était peut-être pas une bonne idée d’abuser de ce délicieux nectar et elle m’a répondu : — Si je ne peux boire pour compenser, il me faut autre chose ! Tu es libre, toi ? Dix heures sonnaient, me rendant effectivement libre, et, était-ce raisonnable, je l’ai dit. Cette femme, bien plus âgée que moi, n’en était pas moins fort jolie. Nous sommes allés au Novotel où elle avait provisoirement élu domicile et, à peine dans sa chambre, elle s’est jetée sur moi ! Et j’ai bien dit « jetée », me poussant sur le lit avec violence. Elle s’était dévêtue en quelques gestes, m’avait défait mon pantalon, abaissé mon slip et taillé une plume à réveiller un mort. Comme je ne suis pas mort, l’effet à été instantané ! Elle m’a ensuite déroulé sur le sexe un préservatif qu’elle a pris dans son sac puis s’est installée à quatre pattes sur le lit, m’offrant une croupe superbe dont la partie centrale était dégoulinante. Il faut le dire, je n’ai pas eu beaucoup de relations sexuelles jusqu’ici ; je ne suis sans doute pas un amant expérimenté mais pas puceau non plus. J’étais dans un état second et l’ai prise sans fioritures en levrette. Son orgasme est arrivé en une demi-minute, mais elle a crié « More ! ». J’ai persisté et après trois ou quatre minutes de plus, elle a joui une deuxièmes fois. « More ! ». De mon côté, était-ce l’étrangeté de la situation, je fonctionnais sans la moindre indication d’orgasme en vue, peut-être parce que ses exigences répétées manquaient de tendresse. Pour cette femme, j’étais une machine à baiser qu’on utilise comme un robot-marie ou un vibromasseur. Et ce n’est pas un rôle très gratifiant. Après un troisième orgasme, elle s’est dégagée de moi et s’est mise sur le dos, écartant largement les cuisses et levant les fesses. J’ai pensé qu’elle voulait la
position du missionnaire et me suis installé sur elle pour lui donner satisfaction. Au moment de la pénétrer, elle m’a repoussé ! Que voulait-elle, à la fin ? J’ai vite compris : elle attendait mon entrée, mais par la petite porte, une chose que je n’avais jamais pratiquée. Oserai-je le dire ? J’ai tout d’abord paniqué : étais-je suffisamment viril pour forcer ce passage ? Et quand on panique, les corps caverneux ont tendance à se dégonfler. Le terme « débandade », qui définit une fuite en désordre, semble militer dans ce sens. Non que je n’aie pas été tenté, d’ailleurs, son petit cul 1 était très appétissant, mais il est des moments où le doute m’habite La dame ne semblait intéressée que par son appétit lubrique, et se moquait bien de mes états d’esprit ! Mais quand elle a vu que j’étais pavillon bas, elle ne s’en moquait plus du tout ! Malgré la protection, elle m’a repris dans sa bouche et fait passer un fameux quart d’heure, qui n’a duré que quelques minutes. au terme duquel je présentais à nouveau les armes comme à la parade. Elle a repris sa position précédente, me posant ses mollets sur les épaules et soulevant son fessier suffisamment haut pour que son invite soit explicite. Fallait y aller ! Au moment où je me suis décidé, elle m’a empoigné le sexe et l’a plongé dans sa vulve trempée, ressorti, et se l’est proprement connecté au… le dire de façon élégante n’est pas évident : l’anus, le cul, le petit trou sont des mots d’une désolante vulgarité. Qu’utiliser ? Rectum est bassement médical et sans grâce, troufignon est vulgaire ; ne restent que des métaphores du style « fondement » ou « centre de gravité ». Faute de mieux, fondement sera retenu, non que cela me satisfasse. Donc, elle s’est connecté mon membre viril au fondement (quand même, que de temps perdu !) et m’a invité du geste à le faire pénétrer. Facile à demander, moins facile à faire ! L’attribut viril des autres mâles est peut-être en béton, le mien n’est que de chair et de sang ! Mais foin des termes ! Cette charmante Irlandaise ne cherchait pas de problème sémantique, elle voulait tout simplement… se faire enculer ! Il est des moments où il faut savoir se sacrifier ! Fort de cet axiome, je me sacrifiai. En l’enfilant de belle façon mais sans y éprouver plaisir outre mesure. Et je me rendis compte d’une réalité : baiser apporte des satisfactions n’appartenant qu’au bas-ventre. Satisfactions, certes, mais purement physiques. Et, con comme je suis, ce genre de satisfaction ne me remplit en aucune façon. Il serait plus juste de dire que je me les vide, comme on va aux toilettes. Et, de fait, après l’avoir travaillée un bon moment, le plaisir est venu, mais un plaisir sans plaisir : je m’étais tout simplement masturbé en elle. Et le plaisir de la masturbation n’a que bien peu de valeur ! Elle est venue à son tour, avant que mon outil de reprenne sa géométrie de repos. Au moment où je la quittais, elle a fouillé dans son sac et m’a tendu un billet de cent euros ! Je suis parti lui laissant son billet au bout des doigts et sans la saluer. Je ne connais même pas son nom. Le lendemain, j’ai touché mon salaire plus une petite prime (une vraie, celle-là !) de satisfaction de la part de mon boss Ken. Les pourboires perçus pendant le mois étant
1 Je sais que l’indulgente(e) lecteur(trice) me pardonnera cet écart de langage.
loin d’être négligeables, j’avais de quoi ne pas passer pour un pique-assiette en vacances et me payer mon inscription pour ma quatrième année de fac.
La villa et ses habitants. Au jour dit, j’ai chargé ma valise et ma vieille guitare dans le coffre du coupé de Ludo. Dix heures de route plus tard, nous arrivions à la villa d’été de ses parents, à Sainte-Anne-sur-mer, au pied de l’Estérel, accueillis par Madeleine, leur femme de charge-cuisinière, et Pedro son mari, le jardinier-homme à tout faire. Ces gens étaient, apparut-il, en charge d’assurer couvert et ménage à la jeune troupe qui allait se présenter. Les amis de Ludo sont arrivés en plusieurs groupes, tous en voitures de sport ou berlines de classe. Ludo m’a présenté comme son meilleur ami depuis des lustres. Sur les neuf arrivants, deux étaient en couple de fraîche date, les autres non. Tous étaient à peu près de mon âge ou un poil plus âgés. Tous étaient étudiants, tout au moins officiellement. Certains fréquentaient la fac sans grande conviction, juste, de leur propre aveu, pour faire plaisir à papa et maman. Le couple, c’est Lise et Kevin : visiblement un couple formé récemment, car ils sont toujours en train de se rouler des pelles, et leur voisin de chambre a demandé à déménager car leurs ébats nocturnes étaient trop bruyants. Les autres, les célibataires garçons ont pas mal de points communs : le fric, l’assurance et tous plus ou moins du style playboy, des corps d’athlètes bronzés, du métier dans la drague, une opinion sur tout. Au demeurant pas antipathiques, ils auraient pu devenir des potes s’ils avaient bien voulu se mettre à ma portée socialement. Ils ne parlent que de leurs vacances à Acapulco, ou leur surf en Californie, leurs clubs très privés, leur tennis, tournois de golf, leur pilotage d’avion… Moi, pauvre hère, je me sens totalement étranger à leur monde et à leurs conversations, auxquelles je ne participe jamais activement, faute de pouvoir y apporter quoi que ce soit, et aussi faute de références : les derniers championnats à Hawaï me sont complètement inconnus. Il m’est donc difficile de vanter les mérites comparés de telle et telle star du surf. Même le vocabulaire employé (take-off, tube, leash, rush…) m’échappe, c’est dire ! Les filles appartiennent à deux catégories : quatre d’entre elles sont, selon mon regard sans concession, les équivalents femelles des playboys déjà cités. Estelle, Amélie, Mélanie et Chloé sont de grandes belles filles blondes (incapable de dire si c’est d’origine ou le résultat d’un produit de beauté), bronzées, friquées, sûres d’elles, un poil de surpoids, toutes construites sur le même moule élégant, pas bêcheuses mais, à nouveau, vivant dans une sphère pour laquelle je ne détiens ni les codes ni les références. L’autre catégorie, ce sont les jumelles : friquées, mais différentes. Très belles, elles aussi, mais hors le standard d’Acapulco : de type légèrement asiatique (donc brunes) avec les yeux noirs en amandes, un petit nez et des long cheveux à peine ondulés, plutôt pétillantes, pleines d’humour (je dois dire que l’esprit humoristique n’étouffe pas les catégories précédemment étudiées), un regard empli de malice. En plus, se ressemblant beaucoup, elles jouent parfois de leur similitude ; il leur arrive de s’habiller de façon identique, et alors il faut bien les connaître pour savoir qui est Sabrina et qui est Sarah. Même leur voix se ressemblent ! Je sais d’elles qu’elles font des études de droit pénal.
Dans l’ensemble, je me sens étranger, et ai du mal à trouver des points communs. Les playboys m’ont tous demandé où je surfe ; ma réponse négative les a découragés de dialoguer plus avant. Je me suis donc déconnecté de ce groupe et ai tendance à ne pas partager les activités communes : plage, ski nautique (Ludo a, ou plutôt ses parents ont, une Couach Zéphyr de près de 600 chevaux, capable de tirer plusieurs skieurs à 60 nœuds), des jet-skis et autres engins de sport aquatique motorisés. Je n’ai jamais fait de ski nautique, ni wake-board. Ils m’ont proposé de m’y initier, mais quelle est la place d’un béotien parmi des skieurs ou wakers de haut niveau ? Je ne ferais que les encombrer et être ridicule. Moi, je me débrouille pas mal en planche à voile, mais ce sport est ici considéré comme populaire (entendez, réservé aux classes laborieuses) et n’a donc pas droit de cité. Dès les premiers jours, j’ai zappé les activités communes faute de savoir les pratiquer ou qui me déplaisent, ce qui est le cas du jet-ski. Manquant d’éléments pour apporter mon grain de sel, je ne participe que rarement aux conversations communes. Les sujets abordés ne m’intéressent pas, ne me sont pas familiers ou ne me concernent pas : quelle contribution pourrais-je apporter ? En dehors de mon ami Ludo, les seules personnes avec qui j’échange, au moins de façon superficielle, sont Sabrina et Sarah, les jumelles. J’aime leur humour et leur sourire. Je ne suis pas sûr que l’intérêt soit réciproque, mais pas non plus du contraire.
Projets. Nous prenons nos repas à la grande table abritée du soleil, non loin de la piscine. Le placement est libre, comme on dit dans les lignes aériennes low-cost. Le repas est annoncé par Madeleine d’un tintement de cloche. À chaque repas un menu différent, mais toujours beaucoup de crudités et de fruits frais, ce qui m’enchante. Comme j’étais en train d’écrire, je suis le dernier à arriver ; je me dispose donc à prendre place en bout de table quand Sarah (je crois ne pas me tromper) me fait signe : elle et Sabrina se sont écartées l’une de l’autre, laissant une place avec couvert libre entre elles deux. — Viens, Chris ! Pourquoi pas ? Sans en être fana, ce sont les deux invitées que je préfère. Je m’installe, quand même un peu surpris de cette invitation, et ne sachant pas trop quelle banalité je vais bien pouvoir leur sortir. Et effectivement, nous n’échangeons que des platitudes sur le temps ou la nourriture, jusqu’à ce que Sabrina me dise : — Que lisais-tu ce matin, quand les autres sont partis faire du jet-ski ? Que voilà le type de question que ne posent pas les playboys ni les playgirls ! — Oh, de la science-fiction, tout simplement. — Science-fiction ? On adore ça, toutes les deux ! Quel auteur ? — Silverberg. Un roman des années soixante-dix, du siècle dernier ! — Je connais Robert Silverberg, c’est un de mes préférés. Tiens ? Ces deux-là et moi aurions au moins une affinité ? — Quel titre ? The wings of the night ;Les ailes de la nuit, si tu préfères. — Oh. Tu lis en V.O. ? — Oui. Les traductions trahissent parfois le texte. Nous voilà partis sur le sujet ; Sabrina est d’accord avec moi tandis que Sarah préfère, par paresse, les traductions. Après un bon moment de ce thème, une question m’attaque de flanc. — Pourquoi n’étais-tu pas avec tout le monde au jet-ski ? Quelle réponse faire : la vérité et passer pour une buse ou affecter un désintérêt royal ? Tant pis ! Ce sera la vérité : — Je n’ai jamais fait de jet-ski ; je n’en connais pas la manœuvre et je ne voudrais pas esquinter le beau matos de Ludo. — Jamais fait ? Mais pourquoi ? Tu n’aimes pas ça ? — Il est vrai que je n’aime pas trop l’odeur et le bruit que ça fait, mais la vérité c’est que je n’en ai jamais fait par manque de moyens. Cette déclaration semble les perturber ; « manque de moyens » n’est sans doute pas une expression employée dans leur monde. Mais leur réponse n’est pas offensante. — Moi, je n’aime pas non plus. Comme tu dis, l’odeur est déplaisante et l’intérêt, après quelques minutes, tombe. — En plus, c’est très polluant ! confirme Sarah. Disent-elles ça pour ne pas m’embarrasser, ou est-ce sincère ? Quoi qu’il en soit, je suis content de parler à des personnes allant, sincèrement ou non, dans mon sens.
— Que se passe-t-il cet après-midi ? demande Sabrina. — Ski, je crois ; j’ai entendu que Ludo va sortir le Couach, et tirer ceux que ça intéresse dans la baie. Iras-tu, Chris ? — J’ai la même réponse que tout à l’heure : je ne sais pas pratiquer ce sport, et pour les mêmes raisons. Inutile d’aller retarder tout le monde ! — Que feras-tu alors ? — Je ne sais pas encore : lire, me balader à pied, écouter les cigales, le coin est tellement joli ! — Il est vrai que c’est joli, mais que c’est gâché avec nous. — Que veux-tu dire ? — Que la plupart d’entre nous ne sait pas apprécier, ne se rend pas compte de cette beauté. Tu es l’exception. Mais tu as raison, c’est très beau et c’est stupide de ne pas s’en rendre compte. Et que fais-tu d’autre, ici ? Je ne vais pas mettre en avant la guitare ! — Je ne fais que ça, ou à peu près. J’aimerais bien faire des randonnées plus importantes, pour la journée, mais ce serait impoli pour Ludo qui me reçoit ici, et qui, je le sais, n’apprécie pas ce genre d’activité. — Et ça ne te gênerait pas de te promener seul toute une journée ? — Du tout. J’aime la compagnie, mais je me suffis à moi-même s’il le faut. Et j’ai tellement peu en commun avec les autres invités ! — C’est vrai que tu es différent. Sarah n’a pas dit si cette différence est négative ou non. Elle ne fait que confirmer un état de fait, et que je n’ai rien à faire ici. Dont acte. — Oui. Et que c’était une erreur de venir, approuvé-je Un silence dans le brouhaha des conversations en cours. Sabrina : — Si tu fais une randonnée d’une journée, on pourrait venir avec toi ? — Bien sûr ! Mais vous rendez-vous compte qu’il fait chaud, qu’on transpire, qu’on marche longtemps, qu’on a soif… — Tu essaies de nous décourager ? — Tu nous prends pour des mijaurées ignorantes ? Mes deux interlocutrices ont parlé presqu’en même temps. — Ce n’est pas ce que je voulais dire ! Et pardon si j’ai été maladroit, au concours des gaffeurs, j’obtiens le premier prix. Mais de toute façon, l’objection de ne pas être incorrect avec Ludo reste valide. — Objection rejetée, Maître ! — Comment cela ? — Si nous proposons à Ludo une grande randonnée où chacun est invité, nous jouons collectif, n’est-ce pas ? — C’est vrai. — Et comme ça n’intéressera personne, nous pourrions le faire entre nous sans pour autant faire bande à part. — C’est très habile ! — N’oublions pas que tu parles à deux futures avocates, mon cher ! À propos, Ludo nous a dit que tu es toi aussi en fac, mais dans quoi ? — Lettres classiques et modernes.
— Pour déboucher sur quoi ? — L’enseignement, je suppose, mais j’aimerais écrire, aussi. — Tu as la fibre d’un grand écrivain ? — Ça m’étonnerait, mais il est vrai que j’ai envie de m’exprimer, j’ai des tas d’idées que j’ai envie de mettre sur papier - d’ailleurs j’ai commencé - et aussi envie d’être lu, en apportant quelque chose aux lecteurs dont, si possible, du plaisir. — Comme Sabrina le disait, tu es vraiment différent. Alors, pour cette grande randonnée, tu nous acceptes ? — Si ça vous fait envie, je ne vois pas pourquoi non ? — Mais tu ne veux pas nous entendre nous plaindre une fois en route, c’est ça ? Que répondre ? J’hésite, puis : — Effectivement, puisque ça voudrait dire que vous n’y trouvez pas de plaisir. — Sarah, tu veux skier, cet aprèm ? — Pas trop envie, et toi ? — Pareil. En attendant notre grande randonnée, j’en ferais bien une petite, pour prendre un avant-goût. — Et voir si ça nous plait ? Bonne idée, moi aussi. — Vous avez bien raison, les filles. Si vous montez vers la Grande Corne (je montre un point peu éloigné dans l’Estérel) vous allez avoir un paysage superbe. — On passe par où pour y aller ? — Vous partez vers la gauche le long du littoral ; à un kilomètre environ, plusieurs chemins sur votre gauche montent par là ; moi je préfère le troisième, je le trouve plus joli, mais pensez à emmener de quoi boire. — Tu ne veux pas venir avec nous ? — Eh bien… — Rien ne t’oblige ! Mais… — Mais ? — Puisque tu connais déjà, tu pourrais nous montrer le chemin ? Je ne voudrais pas leur imposer ma compagnie, mais à partir du moment où elles me la demandent, passer l’après-midi avec deux jolies nanas, ça peut être sympa, après tout ? — Entendu ! Vous voulez partir à quelle heure ? Là, tout de suite, ça va cogner dur, et la lumière est la plus belle après quatre heures. — On t’écoute, Monsieur le Guide ! Quatre heures ! C’est bon pour nous ! Une dernière question : quelle tenue nous conseilles-tu pour la balade ? Elles sont chaussées d’élégantes sandales à talons. — Mettez ce que vous avez de mieux adapté pour marcher sur terrain inégal. Je suppose que vous trouvez les baskets ou les tennis peu élégantes, mais si vous en avez, c’est ce qu’il vous faut. — Nous avons des joggings, ça irait ? — Parfait ! — Et hormis les chaussures ? — Il va faire chaud en montant, puis du vent quand nous y serons, tenez-en compte, c’est tout ce que je peux vous dire. Ah si ! Il y a de fortes chances pour que nous ne croisions pas un rat, n’espérez pas d’événements sociaux en route. Voilà.
— On s’en moque, ce n’est pas ce qui nous intéresse. Le repas est terminé, chacun se disperse ; je rejoins ma chambre, ramasse mon bloc en cours et vais écrire à l’ombre des pins, face à la mer qui miroite sous mes yeux. Je suis très flatté de l’intérêt que semblent me montrer les jumelles, et me dis que, hormis Ludo, ce sont les seules personnes avec lesquelles je me trouve des similitudes de goût dans cette assemblée. On va peut-être devenir amis ? Tout au moins pour la durée du séjour, car nous n’appartenons sans doute pas à la même sphère sociale. Depuis mon perchoir, je vois le bateau de Ludo évoluer dans la baie, tirant trois, non, quatre skieurs qui décrivent des courbes, se croisent même, soulevant des gerbes d’écume. Ils sont très forts, très entraînés et me montrent sans le savoir que je, une fois de plus, n’ai aucune place parmi eux. J’aimerais penser que je m’en fous, que ce qu’ils font ne m’intéresse pas, que ça ne me manque en rien mais honnêtement, ce n’est pas tout à fait vrai : j’envie leurs dents blanches, leur aisance en toutes choses ; ils ont fait du tennis et du ski depuis l’âge de cinq ans avec des professeurs privés, ainsi que de l’équitation, des sports nautiques, peut-être un peu d’escrime, ils ont tout ! Tout ce que je n’ai pas ! Je n’en suis pas amer, mais quand même un peu envieux : j’aimerais bien être moi aussi, sportif, beau, à l’aise partout, comme eux. Mais le destin n’en a pas décidé ainsi ! Puisque je fais partie des médiocres, autant me faire une raison et essayer d’être aussi bon que possible dans ma médiocrité. Voilà pourquoi je me redis pour la énième fois que je n’aurais pas dû venir. Mais je suis ici, ne peux rentrer et, petite compensation, je parle avec Sarah et Sabrina. D’où tiennent-elles leurs traits asiatiques ? Ils sont juste assez marqués pour les rendre ravissantes : elles ont de longs cils, leurs yeux sont en amande mais pas protubérants, leur visage n’est pas plat comme ceux des Chinoises. Une hybridation particulièrement réussie ! Elles portent leur chevelure d’un noir presque bleu en liberté jusqu’aux omoplates et se font une queue de cheval (ou est-ce un catogan ? Je ne connais pas la différence) pour les exercices sportifs, à ce que j’ai vu. Mais il est bientôt l’heure d’y aller, je dois rejoindre ma chambre et me préparer, mettre de l’eau fraîche dans mon sac à dos, car je ne veux pas faire attendre ces demoiselles ! Elles seront sûrement en retard, mais moi je serai à l’heure. À quatre heures pile je suis devant la porte de la villa, sac près de moi. Il n’est pas quatre heures une, que les deux brunettes me rejoignent : shorts en jeans, débardeur moulant, chaussures de jogging, cheveux rassemblés en queue. Même dans cette tenue, elles sont très appétissantes, sainement appétissantes. Le kilomètre de route côtière est vite avalé, et nous attaquons le sentier qui mène à la Grande Corne. Nous montons tranquillement, longeant des roches rougeâtres, le plus souvent sous une voûte sylvestre. Je marche d’un pas régulier, attentif à ne pas larguer mes deux compagnes de randonnées, mais elles me suivent sans effort apparent. Comme je suis devant, je ne peux admirer leur démarche, et le regrette. — C’est beau, ces sapins ! déclare Sabrina. — Ce ne sont pas des sapins, Sabrina, mais, je pense, des pins. N’est-ce pas Chris ? — C’est vrai !
— De quelle variété, le sais-tu ? — Ce sont des pins d’Alep, que l’on trouve aussi en Syrie. Mais il y a aussi des pins parasol et des pins maritimes plus au nord. — Tu connaissais déjà la région ? — De par mes lectures seulement. — Et cette roche rouge que l’on voit partout ? — C’est d’origine volcanique ; on appelle ça de la roche porphyrique. — Tu es une vraie encyclopédie, dis-moi ! Tu sais répondre à toutes les questions ? — Hélas non ! C’est par hasard que j’avais ces réponses-ci. Nous continuons notre ascension, suivant les lacets du sentier. La végétation est très variée : en dehors des pins il y a des châtaigniers, des charmes, des figuiers, et aussi des lauriers roses sauvages… Les deux filles semblent séduites par cette flore. En moins d’une heure, nous atteignons le Grande Corne, sorte d’avancée rocheuse dominant le paysage environnant et offrant une vue à couper le souffle sur la baie et les calanques ; on distingue même l’agglomération de Cannes dans la distance. — Magnifique ! s’exclament les deux filles, Superbe ! Grandiose ! — Ça valait bien un petit effort ! Merci, Chris, de nous avoir amenées ici ! — Ravi que ça vous plaise ! Se rendent-elles compte du fait que, sans l’effort, la récompense serait moindre ? Pour ne pas paraître pédant, je n’en parle pas. Nous nous asseyons sur des rochers et goûtons le paysage, fouettés par des rafales de vent ; les queues de cheval des filles mènent une danse désordonnée. Je sors ma bouteille d’eau et des gobelets plastiques et leur tend ; négligeant les gobelets, elles boivent au goulot chacune leur tour et me rendent la bouteille. Encore un bon point ! Une demi-heure plus tard, je suggère : — Si nous voulons être à l’heure pour le dîner… — Tu as raison ! Mais c’était génial ! Nous redescendons le sentier d’un bon pas ; les filles commentent ce qu’elles ont vu avec bonne humeur. — Chris, nous sommes plus que jamais partantes pour une journée avec toi ! l’Estérel est magnifique, et tu es un super guide ! Un super guide, pour avoir donné deux informations, tu parles ! Mais c’est toujours agréable à entendre ! Je réponds hypocritement : — À organiser avec Ludo ; si ça se trouve, les autres seront intéressés, après tout ? Sabrina se rembrunit — J’espère bien que non ! — Je suis sûre que non, réplique Sarah. — Pourquoi espères-tu que non ? — J’aimerais mieux t’avoir comme guide rien que pour nous deux. Je ne trouve rien à répondre. Mais me rengorge intérieurement. Ces vacances ne seront peut-être pas un échec, après tout ?
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