Le fondement universel des droits de l homme - article ; n°1 ; vol.43, pg 27-54
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Le fondement universel des droits de l'homme - article ; n°1 ; vol.43, pg 27-54

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Description

Communications - Année 1986 - Volume 43 - Numéro 1 - Pages 27-54
28 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1986
Nombre de lectures 20
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Luc Ferry
Alain Renaut
Le fondement universel des droits de l'homme
In: Communications, 43, 1986. pp. 27-54.
Citer ce document / Cite this document :
Ferry Luc, Renaut Alain. Le fondement universel des droits de l'homme. In: Communications, 43, 1986. pp. 27-54.
doi : 10.3406/comm.1986.1638
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1986_num_43_1_1638Luc Ferry et Alain Renaut
Le fondement universel
des droits de l'homme *
Si l'on accorde que penser les droits de l'homme, aujourd'hui, c'est
d'abord revenir sur cette modernité qui fut, ne serait-ce qu'historique
ment *, leur lieu d'émergence, force est aussi de constater que ce
caractère résolument moderne de la référence aux droits de l'homme
risque de faire doublement problème. D'une part, la portée délibér
ément universelle des Déclarations n'est-elle pas d'emblée hypothéquée
par l'enracinement du discours des droits de l'homme dans une époque
particulière de l'histoire ? D'autre part, et surtout, cette époque parti
culière de l'histoire se trouve aussi avoir opéré, théoriquement et pra
tiquement, les plus radicales négations des droits de l'homme : si la
modernité fut intellectuellement capable de l'historicisme (avec la
négation, qu'il implique, de toute transcendance du droit) et politiqu
ement capable du totalitarisme, ne convient-il pas paradoxalement de
défendre avant tout l'humanisme juridique contre cette modernité où
il s'est le plus pleinement déployé ? En d'autres termes, liant les deux
niveaux du problème, ne faut-il pas, pour penser les droits de l'homme,
commencer par les libérer de la modernité, en vue, à la fois, de mieux
garantir leur vocation à l'universalité et de les préserver de ce qui, au
sein même de la modernité, est incompatible avec leur affirmation ?
1. Défendre les droits de Vhomme contre la modernité ?
L'habitude retrouvée récemment de se référer aux droits de l'homme
s'est le plus souvent accompagnée d'une mise en garde contre certaines
dimensions intellectuelles de cette modernité qui avait pourtant pro-
* Les pages qui suivent sont extraites, avec quelques modifications, de notre ouvrage Des
droits de Vhomme à l'idée républicaine, paru aux PUF en 1985, dans la coll. « Recherches
politiques ».
27 Luc Ferry et Alain Renaut
duit les Déclarations américaine et française de la fin du xvme siècle.
Nous nous bornerons à rappeler brièvement ce qui est ainsi devenu
presque un lieu commun.
En effet, une telle pratique de référence à des droits conçus comme
des valeurs irréductibles à tel ou tel moment du devenir social suppose
une rupture avec « beaucoup d'analyses historiques » qui « avaient
démystifié la prétention d'exprimer une transcendance ». Pour que
« les déclarations qui désignent quelque chose tf indépassable repren
nent une autorité », il faudrait abandonner ce qu'ont véhiculé les
« philosophies de l'histoire et du progrès » : dans leur prétention à
« rendre raison du mouvement de l'histoire universelle », ces philoso
phies en viennent en effet à considérer tout phénomène humain — par
exemple, institutionnel ou intellectuel — comme un produit histori
que, s'inscrivant dans un processus global qui, après avoir engendré ce
phénomène selon des lois connaissables, le dépassera conformément à
la logique implacable de ces mêmes lois 2. Autrement dit, il serait
indispensable de défendre d'abord les droits de l'homme contre ces
philosophies rationalistes de l'histoire qui, participant à l'évidence du
moderne projet de soumettre tout le réel à la maîtrise de la raison,
entendent montrer comment, selon la formule de Hegel, « dans l'his
toire tout s'est déroulé rationnellement » : si la logique de l'histoire est
la clef de tout ce qui advient, les valeurs des « droits de l'homme » sont
strictement relatives au moment historique de leur apparition ; elles
ne sont donc nullement « indépassables », puisque, comme l'écrivait
sereinement Engels, « tout ce qui naît mérite de périr ». Il s'ensuit
que transgresser de telles valeurs n'est au fond qu'anticiper, au nom
du sens de l'histoire, sur le nécessaire processus de leur dépéris
sement. De telles philosophies de l'histoire portent donc très clair
ement en elles le principe d'une négation des valeurs de l'humanisme
juridique.
Ce qui est ainsi incriminé dans la modernité à travers une mise en
cause souvent vague de « la » philosophie de l'histoire, on peut le cerner
avec plus de précision si on le désigne comme historicisme, au sens où
l'entend L. Strauss dans Droit naturel et Histoire, c'est-à-dire comme
la thèse selon laquelle « toute pensée humaine est historique et par là
incapable d'appréhender quoi que ce soit d'éternel 3 ». Or, si nous
laissons de côté pour l'instant la position propre de Strauss à l'égard de
la représentation du droit qui s'est inscrite dans la tradition des droits
de l'homme, il reste qu'à lire Droit naturel et Histoire, c'est au fond
toute la philosophie politique moderne, depuis Machiavel et Hobbes,
qui conduit vers l'historicisme : à travers l'identification hégélienne
du réel et du rationnel, s'accomplit ce qui se préparait depuis le « réa-
28 Le fondement universel des droits de Vhomme
lisme machiavélien », à savoir l'apparition d'une philosophie rational
iste et dialectique de l'histoire pour laquelle l'idéal (le rationnel,
identifié au vrai et au bien) n'est plus opposé au réel mais s'accomplit
de lui-même au sein du réel, par la médiation de son contraire appa
rent ; selon une telle structure théorique, celle-là même de la « théorie
de la ruse de la raison », l'idéal ne saurait plus être opposé au réel pour
le juger : la distinction entre réel et idéal n'est plus, en fait, qu'un
moment, devant, comme tel, produire son propre dépassement, au sein
du processus d'auto-accomplissement de l'idéal dans le réel — et c'est
en ce sens que, chez Hegel comme chez Marx, pourra être critiquée
toute notion d'un « droit abstrait », conçu comme une instance trans
cendante au nom de laquelle la positivité pourrait être jugée et dénonc
ée 4. La portée antijuridique de l'historicisme est donc transparente :
loin que l'historique se doive juger selon les critères du droit, c'est,
comme on sait, l'histoire elle-même qui devient le « tribunal du
monde », et le droit lui-même doit être pensé à partir de son insertion
dans l'historicité.
Nous ne développerons pas davantage, ici, cette interprétation
straussienne de la vocation historiciste de toute la modernité ; nous ne
rappellerons pas non plus quelles réserves elle nous paraît devoir sus
citer quant à l'homogénéisation qu'elle opère des diverses philosophies
modernes de l'histoire 5. Ce qui en revanche mérite d'être souligné,
c'est que, à partir d'une telle désignation (juste) de l'historicisme
comme l'un des obstacles intellectuels à toute affirmation d'une
quelconque transcendance des valeurs juridiques 6, la représentation
(simplificatrice) de l'ensemble de la philosophie moderne comme
univoquement historiciste devait susciter, chez les nouveaux défen
seurs du discours des droits de l'homme, une sympathie à l'égard
des critiques les plus radicales de la modernité. Nous y reviendrons
lorsqu'il s'agira de repérer les difficultés de telles défenses ant
imodernes des droits de l'homme — mais il est d'ores et déjà pos
sible de comprendre pourquoi, dans ces conditions, c'est bien sou
vent du côté de la tradition phénoménologique que les réactivations du
discours des droits de l'homme croiront trouver leur philosophie de
référence. Car, si, pour des raisons trop claires, on ne pouvait guère
mobiliser, du moins directement, l'œuvre de Heidegger (il était diffi
cile, dans ce contexte, d'oublier les errements de 1933), l'héritage
heideggerien de Merleau-Ponty ou d'Arendt devait appa

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