Les Tsiganes dans les Balkans - article ; n°1 ; vol.71, pg 30-38
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Description

Matériaux pour l'histoire de notre temps - Année 2003 - Volume 71 - Numéro 1 - Pages 30-38
Henriette Asséo,
Les Tsiganes dans les Balkans
Les Tsiganes forment l’une des principales minorités des Balkans, représentant jusqu’à 10 % de la population actuelle de la Roumanie. Cependant, leur très ancienne implantation est ignorée ou contestée. Depuis la fin des âges d’or impériaux et la montée des nationalismes basés sur «l’exclusivisme ethnique», ils sont même les victimes d’un violent ostracisme. La remise en cause actuelle des ordres nationaux — à l’Ouest par la formation de l’Europe, à l’Est par la fin des systèmes communistes et les modifications, quelquefois violentes des frontières —, relance la «question tsigane» comme un problème transnational. Pour la première fois de leur histoire, les Tsiganes sont, par le biais de leurs organisations, des acteurs politiques écoutés par les institutions européennes. Cette nouvelle stratégie de visibilité ne peut cependant empêcher un retour inquiétant aux arguments eugénistes de l’entre-deux-guerres.
Henriette Asséo,
The Gypsies in the Balkans
Gypsies form one of the principal minorities in the Balkans, representing up to 10% of the population in Romania. However, their ancient roots have been either ignored or contested. Since the end of the heydey of the Imperial Age and the growth of nationalisms based on •ethnic exclusivity”, they have been the victims of a violent ostracism. Current challenges to the old national order •in the West by the growth of the European Union, in the East by the end of the communist era and the sometimes violent modification of national boundaries— have recast •the Gypsy question” as a transnational problem. Through the operation of their organisations the Gypsies are now political actors, listened to by European institutions for the first time in their history. This new strategy of visibility, however, cannot stop a disturbing return to the arguments of the eugenicists of the interwar period.
9 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2003
Nombre de lectures 82
Langue Français

Extrait

Les Tsiganes
Henriette ASSÉO
dans les Balkans
Les Tsiganes constituent l’unique exemple d’une latérale de la langue dominante du territoire de réfé-
population européenne ayant maintenu jusqu’à nos rence : sa morphologie dessine les contours du système
jours une langue et une puissante identité sans système tsigane, des liens habituels tissés et constamment
communautaire organisé sur des bases juridiques ou reproduits, y compris les réengagements d’alliances qui
même coutumières, sans territoire de référence et sans permettent d’assurer la descendance familiale sans
1l’appui des élites . C’est aussi l’une des vieilles dépendre d’une endogamie trop rigide. La communau-
« nations » d’Europe, puisque sa présence est attestée té est formée de personnes qui se connaissent entre
e e 2depuis les XIV et XV siècles . Elle est cependant elles, et parviennent grâce à cette culture sociale à assu-
7menacée par la pression contradictoire entre les dis- rer le devenir de ses membres . Celle-ci repose sur la
cours convenus sur la liberté de circulation et l’exacer- capacité de construire à la fois les conditions de sa per-
bation des normativités sociales dans une période d’in- pétuation et sa relative autonomie. Toutes sortes de for-
3certitude nationaliste . Le contraste est grand entre, mules peuvent favoriser cette détermination à demeurer
d’une part, l’ostracisme de voisinage qui confine à ce que l’on est, car les traits culturels proprement tsi-
l’épuration ethnique ou sociale dans tous les pays de ganes ne sont pas constitués par des éléments fixes,
l’ex-bloc soviétique et, de l’autre, l’action des membres confinés dans la tradition, déterminés par l’origine géo-
d’organisations romani, expression politique d’un graphique, l’exercice de certaines professions ou le
mouvement largement relayé par les instances euro- nomadisme systématique. Le système tsigane est un
péennes. Ainsi, dans une déclaration faite à Strasbourg, mode d’être collectif et individuel qui a permis, à travers
le 8 avril 2003, la secrétaire générale adjointe du les siècles, à des familles, sans aucun appui des élites,
Conseil de l’Europe, Maud de Boer-Buquicchio, encou- d’éviter le piège de la déchéance physiologique et
rageait-elle les Roms à participer pleinement aux chan- morale qui guette toute population pauvre.
gements en cours et à « maîtriser ainsi leur destin ». Ceci explique que les Tsiganes nomades maîtrisent
Pour que ces bonnes intentions ne restent pas lettre une plus large culture reposant sur la compétence lin-
morte, il faudrait cependant que l’opinion soit mieux guistique. Tous les voyageurs ont été frappés par leur
informée de sa propre histoire, car « notre ignorance aisance à se mouvoir dans les espaces polyphoniques
des Tsiganes est due au paradoxe créé par leur voisina- de l’Europe ancienne : « presque tous les Tsiganes par-
4ge et la différence de leurs mœurs ». Or, des classifi- lent trois ou quatre langues, allemand, polonais, etc. »,
8cations géographiques, linguistiques, ethniques arbi- remarquait déjà Carl von Heister en 1842 . Dans le
traires sont appliquées sans scrupule à des Européens beau récit de sa vie, Ilona Lackova, Romni de
comme s’il s’agissait d’un peuple primitif égaré dans Slovaquie, exprime ainsi les valeurs du romipen :
5nos contrées . « Mieux vaut une âme rassasiée qu’un intestin rassasié » ;
elle décrit l’univers de sa jeunesse de la manière sui-
vante : « Tous les jours, j’entendais autour de moi ces
paroles de sagesse qui nous soutenaient face à la misè-
Quelques données re et à la pauvreté. Elles nous enseignaient à prendre la
anthropologiques vie telle qu’elle est, à vivre l’instant présent et à s’en
9réjouir. » Dans la vie traditionnelle, les femmes tsi-
Pour comprendre l’univers du romipen, il est indis- ganes sont chargées d’« andar manghav », c’est-à-dire
pensable de pénétrer la manière de vivre et la vision du de pratiquer la sollicitation à la façon tsigane, de cher-
monde tsigane. La langue romani est un moyen remar- cher auprès des paysans, quelquefois en disant la
10quable de construction de valeurs fondées sur la capa- bonne aventure, la subsistance d’un jour . Dans sonHENRIETTE ASSÉO
cité à s’adapter à toutes les situations, sans rien modi- récit autobiographique, Giuseppe Levakovich décritest professeur à l’École
6des hautes études en fier du système environnant . La variabilité de ses ainsi cette activité : « Ma mère et ma sœur allaient
sciences sociales (EHESS). usages ne dépend pas uniquement d’une influence uni- manghel. Elle ne demandaient pas d’argent car il n’y enDeuxième partie : Les minorités dans les Balkans • 31
avait nulle part. Elles allaient voir les paysans qu’elles
connaissaient et qui leur donnaient ce qu’ils pouvaient :
pomme de terre, haricots, choucroute, navets et un
morceau de lard. Ces cadeaux qui représentaient peu
de chose pour les paysans leur donnaient néanmoins
l’impression de faire le bien. Ils croyaient sans doute
commettre un péché en refusant la charité à des Rom.
11Jamais ma mère et ma sœur ne furent mal reçues. »
L’hostilité violente du monde rural n’empêchait pas
l’aumône, et des paysans âpres au gain, auraient eu
honte de chasser plus pauvres qu’eux sans rien leur
donner, d’autant que la crainte du maraudage stimulait
aussi la compassion. Dans le premier chapitre de ses
Mémoires, Milovan Djilas rend ainsi hommage, par
exemple, à la présence familière des Tsiganes dans les
villages du Monténégro.
Que les Tsiganes soient sédentaires, comme Ilona,
ou nomades vivant sous la tente, comme Levakovich,
la régulation sociale pouvait assurer, en période faste,
la stabilité de l’ensemble du groupe. Les vicissitudes
historiques avaient habitué les chefs de famille à
contourner l’isolement matériel et moral que représen-
terait l’impossibilité des contacts entre familles roms.
Avant la première guerre mondiale, les Tsiganes des
quatre grands empires européens avaient donc pour
habitude d’établir des relations souvent fort lointaines
entre eux. Mais il ne faut pas imaginer pour autant que
l’on pouvait circuler à son gré et en tout sens : la mobi-
lité était contrainte par des dispositions réglementaires
assez rigoureuses, comme celles par exemple du décret
signé par François-Joseph en 1888. Pour se déplacer
dans la monarchie danubienne, les Tsiganes devaient
détenir des autorisations, et justifier d’un métier licite.
Poème extrait de « LaIls étaient rattachés à une « zone de compétence », dite
Littérature des Roms,blis dans le nord de l’Italie en raison de changementsZustaandigkeit, et menacés du délit de vagabondage.
Sintés et Kalés »,de frontières entre l’Italie et la Yougoslavie, de départsCes règlements étaient fort bien connus des Kumpagnia
dossier de la revueeffectués sous la contrainte, et du fait aussi du mouve-(les familles vivant sous la tente). Lorsque Levakovich
Missives, réalisé sous
ment naturel de migrations des Balkans vers la pénin-s’installa à Trieste, il commença ainsi par joindre sa la direction de Marcel
sule. Ces Tsiganes étaient déjà signalés à Doubrovniktente à celle de Ghitari, des Roms d’Allemagne, et ren- Courthiade, assisté
e(Raguse) à la fin du XV siècle, période pendant laquel-dit visite à ses voisins pour s’enquérir avec une grande de Jeanne Gamonet,
le la cité fut le centre d’une petite république indépen-courtoisie des informations nécessaires à son établisse- mars 2002.
dante qui s’assurait les services de garnisons tsiganes.ment temporaire. Plus tard, les femmes allaient man-
Les familles Sain et Sainovic apparaissent vers 1490 ;ghel pendant qu’il entreprenait d’acheter et vendre des
par un travail méticuleux, Pavla Strukelj a pu reconsti-chevaux, à une époque où des milliers de bêtes
13tuer leur généalogie .s’échangeaient dans tous les gros bourgs agricoles. La
gendarmerie exerçait une surveillance constante qui, Les Roms du Dolenjsko avaient réagi aux disposi-
en territoire de la monarchie, passait par la vérification tions administratives qui leur imposaient le choix d’une
de papiers d’identité spécifiques. Mais Levakovich ne « commune de compétence » et limitaient leurs dépla-
14se formalisait pas particulièrement de ces contraintes, cements . Le choix de la mobilité ou de la sédentari-
en remarquant que, « habitués aux lois austro-hon- t&

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