Morales du sonnet : le vers et la vertu dans les sonnets de Jodelle à M. de Fauquemberge - article ; n°1 ; vol.24, pg 47-63
18 pages
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Description

Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance - Année 1987 - Volume 24 - Numéro 1 - Pages 47-63
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1987
Nombre de lectures 29
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

François Cornilliat
Morales du sonnet : le vers et la vertu dans les sonnets de
Jodelle à M. de Fauquemberge
In: Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance. N°24, 1987. pp. 47-63.
Citer ce document / Cite this document :
Cornilliat François. Morales du sonnet : le vers et la vertu dans les sonnets de Jodelle à M. de Fauquemberge. In: Bulletin de
l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance. N°24, 1987. pp. 47-63.
doi : 10.3406/rhren.1987.1568
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhren_0181-6799_1987_num_24_1_1568DU SONNET : LE VERS ET LA VERTU DANS LES MORALES
SONNETS DE JODELLE A M. DE FAUQUEMBERGE (1)
«Les saillies poétiques, qui emportent leur
autheur et le ravissent hors de soy, pourquoy
ne les attribuerons nous à son bonheur ?»
Montaigne, Les Essais, I, XXIV.
La présente analyse n'a pas pour objectif de dégager le «contenu»
d'un poème, contenu idéologique ou, plus précisément, éthique (car il s'agira
surtout de morale) ; ni d'évaluer la contrainte qu'exercerait sur ce poème la
nécessité de faire sa cour à un mécène ; ni de mesurer l'influence textuelle de
tel auteur de l'Antiquité ; ni enfin, de mettre en lumière l'autonomie ou la
pureté de «l'antidiscours» poétique, triomphant de ses parasites et parvenant
à se faire aimer pour lui-même. Ces quatre postulats, séparés ou solidaires,
imposent une approche massive de l'objet poétique, temple du Texte, ou d'un
Hors-Texte, également déterminés et cohérents. Or, de l'œuvre de Jodelle
(considérée ici), j'inclinerais plutôt à penser que sa vocation est difficile, sa
rhétorique instable, ses raisons et prétextes nullement donnés. En me limi
tant presque exclusivement, non sans péril mais par nécessité, à des faits
d'ordre rhétorique et sémantique, je voudrais tenter de montrer, dans le lien
conflictuel d'un poème à son «contexte» et à son «intertexte», non pas la
Poésie une, emblème d'une leçon de morale ou de vers, mais la crise des
poésies possibles, à ce moment, pour cet auteur, dans le procès de l'écriture.
Leur débat est de programmes, de rôles, de circonstances ; il s'aiguise au mou
vement du poème, en partie incontrôlable.
Je m'attache ici à une série de huit sonnets, adressée à «M. le Comte
de Fauquemberge et de Courtenay», alias Philippe de Boulainvilliers, comte
de Dammartin. L'édition procurée par Enea Balmas (2) rapproche les textes
dédiés à ce personnage, qui ouvrit à Jodelle «son secours et son cœur (3)
après «l'affaire de l'Hôtel de Ville» (4) : amitié placée sous le signe de la
VICCISSITUDO qu'affichaient les inscriptions de la fête et qui frappa ces
inscriptions mêmes (5) . Le dossier comprend : une pièce de vers latins (6) ;
une ode de 168 vers, adressée à M. le comte de Dammartin, où le poète
exprime sa gratitude ; enfin, nos huit sonnets, que l'éditeur date des environs
de 1571 (le dédicataire a changé le nom) (7). L'ode et les sonnets touchent au
même objet, l'amitié merveilleuse du poète et du comte. Le discours poétique 48
témoigne du miracle, et le célèbre, mais il prétend surtout lui inventer un sens,
et une économie. Avant d'en venir aux sonnets, je voudrais dire un mot de
l'ode.
Elle ferme l'unique «premier volume» de l'édition de Charles de La
Mothe (f.3O6 r°-308 v°) (8). Le poète y déploie l'ostentation de phrases im
menses, fortement structurées par des anaphores et des gradations. Le lyrisme
généalogique de la concession initiale («Bien que de ta maison le tige, et l'o
rnement...» : bien que grand seigneur, tu me traites en frère) amplifie le pre
mier mouvement de telle ode (1,1) ou de telle satire (I, VI) d'Horace, et en
altère la signification. «Stemmata quid faciunt ?» dirait Juvénal (9). Amplifier
de la sorte le contraste entre la grandeur et l'amitié, c'est malmener la morale
et forcer la logique du discours horacien à Mécène, dont le style familier cons
titue la meilleure garantie, sceau de l'amitié, signe d'une éminente vertu du
bienfaiteur : la simplicité. Mais l'hymne jodellien connaît d'autres enjeux, qui
lui font préférer les trompettes de Yencomium. Ce qu'il faut signifier, ce n'est
pas l'humanité du mécène : c'est la grandeur du poète à «l'obscure prévoyan
ce» (v. 48).
Les amis cultivent un mépris stofque pour tout ce qui empêche l'es
prit de se contenter en soi-même. Anaphores et métaphores servent à maudire
le monde et à distinguer le poète de ces fous qui fréquentent les Rois, cher
chent la gloire, «fantastiquent» et se font à eux-mêmes la guerre. Le poète est
libre, il vit sa liberté dans l'éternel présent. Mais quelles sont, dans ces retrouv
ailles avec l'éternité, les fonctions respectives de la vertu, de l'amitié, de la
poésie ? Officiellement, le rôle de la poésie est d'immortaliser et avec
elle, la vertu des amis (qui la présuppose), donc la vertu du poète. En fait,
l'ode n'articule pas ces trois termes, concurrents dans la chasse au souverain
bien.
La poétique de l'encomiaste, il est vrai, se soucie moins d'articulation
que d'accumulation : ce qui compte, c'est l'équivalence floue de l'être ami, de
l'être vertueux, de l'être poète, au bénéfice de ce dernier rôle. Mais l'effort
ambigu de l'éloge affronte les mécanismes délicats de la philosophie morale.
La situation poétique est projective, elle n'a que faire du stratagème narratif
cicéronien qui permet, dans le De Amicitia de mettre en scène la mémoire
intime de Lélius, relayée par celle de Scévola, puis par celle de Cicéron lui-
même : ainsi, grâce à un discours qui se masque en récit, l'ami survit dans la
mémoire de l'ami. Scipion est déjà mort, la mort est derrière lui, derrière
nous, derrière le discours qui transmet, intact, Yexemplum de l'amitié même.
Au contraire, la mort est devant la poésie, horizon de la Fortune où le discours
interroge sa propre exemplarité, à travers celle des objets qu'il entend célé
brer. L'amitié, la vertu, dit le poème, mettent fin à la vicissitude. Elles sont
le bien qui contrarie le mal du monde. Elles valent le monde, accomplissant 49
le paradoxe stoïcien :
Cessent donc mes malheurs, cessent les tiens encor,
T'ayant, j'auray toujours un éternel thresor,
Bien que pauvre je fusse.
(vers 64-66)
Dans la manière dont cette phrase est construite, se lit la dénégation :
la clausule concessive redit la pauvreté, le paradoxe est monté à l'envers. Tout
le poème allègue ainsi le monde, le «vautour» (10), auquel le poète, amitié
ou non, n'est pas sûr d'échapper. Non qu'il ne soit pas sûr de l'amitié ; mais
de la poésie ? Célébrant son haut langage, l'ode doit juger évidentes sa fonction
et sa valeur. Mais ce triomphe trop nécessaire n'évite pas la restriction du
dernier vers
Si j'obtien ce seul bien de ma fatalité
Que je sorte en lumière.
(vers 167-168)
qui renvoie au leitmotiv du Recueil des Inscriptions, le «desastre accoutumé»
empêchant de «faire sortir en lumière» rien qui vaille (11).
Dans l'insistance anaphorique, dans l'allure soutenue d'une rhétorique
dévouée au prodige d'un «parce que c'était lui, parce que c'était moi», se lit
l'incertitude cruelle qui préside hic et nunc à la prise de parole. Posé que
l'amitié sauve, on n'a rien posé du tout : reste à établir que la poésie sauve.
Qui ? Les amis, sans doute, mais d'abord celui qui l'écrit. Vertige de la vertu.
Cet abîme s'ouvre encore dans les sonnets II à V.
Ecrite (longtemps) après l'ode, adressée au même personnage (qui
s'appelle autrement), la suite de sonnets tourne autour des mêmes apories
éthiques, touchant le bien, le mal, la gloire, l'amitié, l'écriture. Le poème,
libéré de son symptôme le plus criant (la rhé

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