Réalités volume IV
147 pages
Français

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Description

Tournez les pages et partez à la découverte de nouveaux univers ! Talents qui se découvrent, talents qui s'essoufflent, talents qui trouvent un nouveau souffle ; personnages pris à leur propre piège, créatures mystérieuses et monstres bien humains ; des profondeurs de la Terre aux planètes les plus lointaines, dix histoires et dix plumes sont au programme d'un voyage organisé par Tesha Garisaki.


Avec des textes de :


Nicolas Sick
Vincent T.
Olivier Boile
Romain Jolly
Yann Quero
Wilfried Renaut
Gillian Brousse
Vivien Esnault
Camille Souribou
Hélène Duc


Anthologie dirigée par Tesha Garisaki

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9791095442516
Langue Français
Poids de l'ouvrage 5 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Réalités
Volume iV
Sommaire




Le vrai talent
Margygr
Aubergiste, viens nous servir à boire
Le Maître de la Ruche
La fée-zomique du Bois-Joli
Les Astroludes
Cat Partridge
Le troisième œil de Tengri
Stase
L’opéra du murmure
Le vrai talent
Nicolas Sick
 
 
1. La Métamorphose du Vide
 
Les notes s’envolaient dans le canyon et dévalaient la falaise en cataracte. Le soleil caressait la ligne d’horizon, et déjà les ombres du soir montaient de la terre pour se rassembler, lentement, comme un synode de fantômes. Cela n’empêchait nullement le Maître de placer parfaitement ses doigts sur son Instrument. Il jouait les yeux mi-clos, comme presque toujours.
Moi aussi je fermais les yeux. La musique du Maître caressait ma peau comme une onde fraîche, entrait en moi tel un souvenir heureux. Il m’arrivait de lâcher prise, de devenir une note de la partition. Je prenais alors mon envol, rejoignais les autres notes dans le ravin, planais un moment sur les épaules du vent, puis me dispersais dans l’air tiède. Pendant ces instants, j’avais enfin des ailes. À d’autres moments mon esprit rationnel reprenait le dessus sur les sensations pures, et je me mettais à écouter au lieu d’entendre. Je m’efforçais d’appréhender la complexité de la musique de mon Maître. Les rythmiques originales et novatrices, les mélodies d’une beauté étrange et poignante, les ornements d’une folle ingéniosité, tout cela semblait issu d’un plan supérieur, une dimension inaccessible dont la portée m’échappait encore.
Mon Maître jouait sur un sitre à neuf cordes, en bois piqueté. De la table d’harmonie pendait une caroncule d’oaé, ces grands échassiers des régions chaudes que je n’avais vus qu’en image. Au sillet de tête, trois rémiges de psittacidés propulsaient les sons vers le ciel. J’avais un jour eu l’audace de demander à mon Maître de quelle espèce d’oiseau provenaient les plumes. Pour toute réponse, j’avais reçu une gifle cinglante. J’en porte encore aujourd’hui la marque sur ma joue gauche.
Mon Maître s’appelait Ya’aiKi’iya, dit le Virtuose. Il était l’un des plus grands, l’un des plus talentueux Musiciens du pays. J’avais la chance inestimable d’être son disciple depuis six lunes. Certes, cette condition n’était pas tous les jours une sinécure, mon Maître me traitant assez durement. Mais je n’étais nullement gêné d’être rudoyé, parfois molesté, tant le savoir qu’il me dispensait était inestimable.
Son enseignement restait pour le moment essentiellement pragmatique. Le Maître ne s’embarrassait pas de théorie, ou du moins pas encore. Ses leçons m’étaient distillées à petites doses, et uniquement par l’exemple. Sans doute jugeait-il mon niveau insuffisant pour appréhender les subtils principes de l’Art. Je n’en étais nullement contrarié, mais j’avais à cœur de lui prouver ma valeur et ma soif de progresser. Pour l’heure, je me contentais de ce qu’il acceptait de m’offrir : lorsqu’il m’y autorisait, je m’asseyais à proximité pour admirer sa technique et contempler, béat, les motifs invisibles que la musique tissait dans l’espace.
Plus tôt dans la matinée, après avoir servi à mon Maître son petit-déjeuner et m’être acquitté des tâches ménagères, j’avais eu une excellente surprise : le Virtuose m’avait annoncé que nous irions cet après-midi sur la falaise, celle qui surplombe le canyon des Trois Météores. Il y jouerait alors une célèbre composition intitulée La Métamorphose du Vide .
Et à présent j’étais là, baigné de la magie du sitre. J’étais là, ou peut-être n’y étais pas. Car la musique m’emportait selon son bon vouloir, et je cessais parfois d’exister, ou plutôt j’existais simultanément en deux états contradictoires. Comme les particules de lumière qui, dit-on, ont la faculté de se trouver à la fois ici et là , j’étais en même temps ici et dans la musique . Je passais constamment de la tangibilité de mon corps physique à la transe éthérée suggérée par les sons. J’avais l’impression, par moments, de disparaître. C’était une sensation délicieuse, mais un peu inquiétante. Je connaissais le pouvoir de la vraie Musique. J’avais entendu parler des grands Maîtres d’Utoro et des prodiges qu’ils réalisaient par un simple pincement de corde, un unique mouvement d’archet, un seul souffle d’olifant. Et mon Maître, assurément, était de ceux-là. Quels phénomènes surnaturels les sons du sitre étaient-ils à même de provoquer ?
La musique et les sensations cessèrent : le Maître s’était interrompu en plein milieu d’un accord de Ti à dominante mineure, légèrement dissonant. Je n’en étais pas surpris, car il terminait toujours de cette manière : abruptement, implacablement, comme si la musique avait soudain décidé de se taire. Le Virtuose aimait répéter qu’une mélodie qui s’achève est une mélodie qui n’a jamais existé. Selon lui, une composition ne devait jamais comporter de fin. Les musiciens se hasardant à conclure leurs créations n’étant que des béotiens, des hérétiques. Ces fins avortées provoquaient toujours en moi un étrange malaise. Je rouvris les yeux. Pas trop vite, pour laisser le rêve sonore infuser encore mon esprit.
Mon Maître se tenait immobile face au précipice, les longues rectrices colorées de son plumage crânien se balançant dans la brise du soir. C’est alors qu’il s’exprima pour la première fois depuis le matin :
« Dis-moi, petit… Sais-tu pourquoi on nomme cet endroit le canyon des Trois Météores ? »
Je ne le savais pas, mais tentai une vague interprétation, supposant que le précipice avait été formé par la chute d’un corps céleste.
« Tu n’y es pas, petit. Les Météores en question, ce n’était pas des pierres venues du ciel. C’était des hommes . Des hommes tombés de la falaise.
— Je l’ignorais, Maître. »
Le Virtuose émit un claquement de bouche, comme si je l’agaçais. Il poursuivit :
« L’un de ces hommes était un Maître de Musique, comme moi. Tout le monde a oublié son nom. On raconte qu’un jour, il vint ici, avec ses deux jeunes frères. Au crépuscule, il joua La Métamorphose du Vide , comme je viens de le faire. Ensuite, les trois hommes se jetèrent dans le canyon. »
Le Maître se tut un instant, peut-être pour me laisser le temps de me représenter la scène. Puis il se tourna vers moi, planta ses yeux dans les miens et déclara gravement : 
« Ils s’écrasèrent tous les trois six-cents mètres plus bas. »
Que répondre à cela ? Devais-je m’en émouvoir ? En rire ? M’en étonner ? Avant que je ne trouve la bonne question à formuler, c’est mon Maître qui m’en posa une nouvelle :
« Sais-tu pourquoi la mélodie que tu viens d’entendre se nomme La Métamorphose du Vide ?
— Je n’ose émettre une hypothèse, Maître.
— Je vais te le dire, petit. Tout simplement, parce que les notes que j’ai produites, celles que tu viens d’entendre, ont le pouvoir de changer la nature de l’air qui nous entoure de la manière la plus subtile qui soit. »
J’étais abasourdi. Le Musicien poursuivit :
« Grâce à La Métamorphose du Vide , nous pourrions traverser ce canyon à pied, aussi sûrement que si nous foulions le sentier. »
Je n’en croyais pas mes oreilles. Le Maître était en train de me révéler l’un des secrets des véritables Musiciens. C’était merveilleux. Je souriais comme un enfant, j’avais même envie de serrer le Maître dans mes bras. Bien sûr, je me gardai bien de le faire.
Le Virtuose, lui, ne souriait pas. Il paraissait même exaspéré. La question qu’il me posa resta un moment suspendue au crépuscule :
« Veux-tu le faire, petit ? »
Je n’étais pas sûr de comprendre.
« Veux-tu marcher dans le vide  ? »
Sentant poindre en moi une vague de panique, je cherchai à gagner un peu de temps :
« Vous voulez dire que vous… Que vous avez tran

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