Murmures d enfants dans la nuit
87 pages
Français

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Murmures d'enfants dans la nuit , livre ebook

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Description

Nous étions des enfants sages. Nous allions à l'école. Les rues et les jardins publics accueillaient nos jeux. Nous nous croyions comme les autres. Puis la nuit s'est abattue sur nous, une nuit remplie de cauchemars et de frayeurs, d'arrachements et de vides. Nos existences n'étaient plus balisées mais jetées aux quatre vents. Que se passait-il ? Des trains porteurs de mort sillonnaient les pays, des hommes furieux et cruels nous pourchassaient, des inconnus nous prenaient par la main et nous cachaient toujours plus loin de nos foyers déserts. Nos noms changeaient, l'oubli de notre identité, le renoncement et les refuges secrets s'imposaient.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2020
Nombre de lectures 0
EAN13 9782304048247
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0250€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Rachel Chetrit-Benaudis
murmures d’enfants dans la nuit

Le Manuscrit


ISBN: 9782304048247
© 2019 Le Manuscrit
Rachel Chetrit-Benaudis




La collection Témoignages Histoire OSE est réalisée
par le service Archives, Histoire, Communication et
Développement de l’OSE.
Comité de Lecture
Elena Adam
Michèle Allali
Brigitte Caleb
Katy Hazan
Gladys Patron
Geneviève Pichon
Dominique Rotermund


« La mémoire ne nous guérit pas
de la mémoire et l’oubli nous tue. »
Michaël Glück 1
L’OSE les a accueillis, abrités, élevés. La vocation de cette association, fondée à Saint-Pétersbourg en 1912, a longtemps été de sauver la vie. Aujourd’hui, elle souhaite également préserver la mémoire. Le consensus de silence de l’immédiat après-guerre est arrivé à sa fin.
Avec cette collection, c’est une mission nouvelle que se donne le service « Archives et Histoire » de l’OSE : permettre à tous ceux qui le désirent de publier leurs écrits. L’OSE demeure pour les survivants et ceux que l’on nomme encore les « enfants cachés », un havre, un lieu d’écoute. Dans ses archives reposent leurs dossiers d’enfant, seules preuves tangibles de leur passé. Bien d’autres, qui n’ont pas été confiés à l’OSE, viennent avec confiance déposer leurs manuscrits, parfois juste une ébauche ou un désir d’écrire.
Ces hommes et ces femmes souhaitent renouer par l’écriture avec l’enfant qu’ils furent jadis. Sachant d’instinct que le chemin qui y mène est difficile. Ecrire le passé exige que celui-ci soit parcouru en sens inverse. Que l’on se remémore le visage et les gestes de ceux qui ne sont jamais revenus. Que l’on revive la séparation, l’arrachement, le cauchemar de l’abandon et de la perte. Pour écrire, il faut écouter la voix en soi qui raconte. A la fois inaudible et assourdissante.
Tel est le souhait du service « Archives et Histoire »… Aider tous ceux pour qui, laisser une trace de leur itinéraire, est une démarche vitale. Faire connaître ces témoignages nés de la souffrance, pour leurs enfants et les générations à venir, pour tous ceux qui voudront partager le récit de leur destinée.
L’Histoire de tous est la même, l’histoire de chacun est unique. Dans son vécu, sa musique intérieure, son style. Certains ont mis des années pour y parvenir, arrachant chaque parole, dans une indicible angoisse, au no man’s land de leur mémoire. D’autres ont vu les mots surgir, limpides, du plus profond de l’oubli. Cette collection ne cherche pas à restituer les faits objectifs de l’Histoire, mais à entendre le vécu de chacun.


1 Partition blanche , Lagrasse, Verdier, 1984.


À mes enfants
À ma grand-mère
À mes frères
À toute ma famille de Salonique disparue


Avant-propos
Nous étions des enfants sages. Nous allions à l’école. Les rues et les jardins publics accueillaient nos jeux. Nous nous croyions comme les autres. Puis la nuit s’est abattue sur nous, une nuit remplie de cauchemars et de frayeurs, d’arrachements et de vides. Nos existences n’étaient plus balisées mais jetées aux quatre vents.
Que se passait-il ? Des trains porteurs de mort sillonnaient les pays, des hommes furieux et cruels nous pourchassaient, des inconnus nous prenaient par la main et nous cachaient toujours plus loin de nos foyers déserts. Nos noms changeaient, l’oubli de notre identité, le renoncement et les refuges secrets s’imposaient. Se ratatiner, disparaître, ne plus crier, ne plus pleurer, montrer de faux visages d’enfants heureux. Nous appréhendions tous ces éléments sans en comprendre le sens. Les personnes aimées disparaissaient. On ne les voyait plus, on ne les sentait plus. Il y avait les longs voyages interminables, et ces morceaux de réalité que nous attrapions au passage. Etait-ce cela la vie qui s’ouvrait devant nos âmes d’enfants ?
Au sortir de ce long tunnel, il était clair que nous étions plus morts que vivants. Que faire de cet enfant fou qui continuait à sangloter en nous ? Fallait-il l’enfouir, le cacher encore, ou au contraire l’amener en pleine lumière, quitte à se heurter à l’indifférence, à susciter la gêne, voire la moquerie. Beaucoup d’entre nous se sont réfugiés dans le silence. Ils ont dénombré leurs jours en édifiant un mur sur leurs années noires. D’autres ont étouffé en eux l’enfant pour l’empêcher de hurler. Ils ont fait semblant d’intégrer le monde des « gens normaux », imitant leurs gestes et répétant leurs paroles. Cependant l’enfant ne s’est pas calmé pour autant. L’adulte qui l’enfermait dans sa prison restait impuissant à le détourner de sa douleur. Ses cris muets, certains soirs, étaient plus perçants que des hurlements. Mais il manquait à l’adulte les paroles de l’enfant, des paroles sans mots, capables d’exprimer sa profonde angoisse. Pour d’autres encore, les images revenaient, lancinantes, les harcelant jusque dans leurs plus beaux moments de vie.
Alors que faire de cette mémoire brisée ? Si j’ai voulu la traquer dans ses moindres recoins, c’est qu’à l’époque des événements, j’étais moi-même trop jeune pour identifier notre détresse, trop jeune pour ordonner une histoire qui nous dépassait tous. Comment comprendre que l’on fasse la guerre à des enfants, que l’on veuille les détruire, les effacer du monde ? Il a fallu de nombreuses années d’interrogations silencieuses pour commencer à pénétrer ce mystère. Des années traversées par des périodes de doutes, où la vie reprenait le dessus avec toujours cette hantise de ne pas arriver à ce point de vérité qui fait que tout s’éclaire brusquement, que les morceaux éclatés du temps et de l’espace se mettent en place et qu’enfin l’image émerge de la pénombre.
Pour écrire notre histoire parmi des milliers et des milliers d’autres, j’ai recueilli les paroles de mon frère aîné, Elie, ainsi que d’autres personnes. Elie était le seul de mes trois frères à pouvoir parler, bien que souvent sa gorge se soit serrée et qu’il ait fallu attendre encore et encore que les mots reviennent. Il a fini par raconter et moi j’ai commencé à écrire.
Je voulais faire entendre les voix des jeunes enfants d’une génération martyrisée et oubliée dont les vies n’avaient compté que pour leurs sauveurs. Et peu importe qu’Elie parle en mon nom ou que j’écrive au nom du sien, puisqu’en vérité nous n’étions qu’une seule et même personne.
Aujourd’hui, la question subsiste. Pourquoi n’avons-nous pas suivi le long cortège des enfants exterminés ? Pourquoi sommes-nous restés au bord de la route à les regarder partir ? Pour témoigner ? Mais auprès de qui ? Et qui a envie d’écouter l’histoire du mal absolu ?


I
Après l’école, maman nous envoie aux courses. C’est chaque jour la même chose. Dès que nous arrivons, elle met le filet dans nos mains avec des sous : « Allez ! Et ne revenez pas avant d’avoir au moins trouvé du lait pour les petits. » Je lui fais remarquer que papa pourrait y aller, il aurait plus de chance que nous. Elle répond : « Mieux vaut qu’il ne se montre pas trop dans le quartier. » Maurice et moi, nous dévalons les marches de bois à toute vitesse. En passant devant la loge de la concierge, nous ralentissons et marchons sur la pointe des pieds. Maman répète qu’il ne faut pas la provoquer. C’est très difficile de l’éviter. On dirait qu’elle a des oreilles d’éléphant, le moindre bruit la fait sortir de son trou.
– Dehors, j’ai peur, dit Maurice.
Il sort une grosse bille de sa poche et la fait rouler sur le trottoir. Puis il la coince entre ses pieds et regarde les passants. Je lui rappelle qu’il va bientôt faire nuit et que ce n’est pas le moment de jouer. Alors il la fourre au fond de sa poche. Dans notre rue, il y a un crémier bien gros avec sa femme qui est tout le contraire, maigre et sèche, avec des petits yeux noirs qui voient tout. Une longue file de gens attendent devant la crémerie. Maurice et moi, on se regarde et tout à coup Maurice crie : « Papa ! Papa ! » et on avance d’un bon mètre en se faufilant juste à côté d’un homme qui parle des difficultés à s’approvisionner en temps de guerre. Devant nous, une grosse fe

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