Traits chinois / lignes francophones
245 pages
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Description

La fin du XXe siècle a vu l’émergence de la Chine comme puissance économique, mais le monde francophone connaît l’influence culturelle de la Chine depuis bien plus longtemps. Depuis 1880, des auteurs chinois utilisent la langue française pour s’exprimer et pour élaborer des oeuvres variées, souvent polymorphes et transdisciplinaires. Cet ouvrage veut faire le point sur la francophonie chinoise et son histoire.
François Cheng à l’Académie française, Gao Xingjian prix Nobel de littérature, Yan Ming-Pei au Musée du Louvre, Ying Chen célébrée en Amérique du Nord, la communauté chinoise présente tous les signes d’une réussite culturelle éclatante au sein du monde francophone. En multipliant les approches, ce livre rend compte de la richesse des créateurs franco-chinois. Il s’intéresse aussi à des figures inconnues, comme un peintre oublié des années 1930 et une blogueuse audacieuse. Enfin, en s’aventurant sur des territoires inattendus, l’Afrique par exemple, où les Chinois communiquent souvent en français, les auteurs explorent un champ de recherche qui montre déjà des potentialités esthétiques insoupçonnées.
Ce livre est aussi une histoire d’amitiés entre quelques personnes, intellectuels, universitaires ou artistes, qui se connaissent depuis des années,partagent la même passion pour la Chine, et qui vivent sur différents continents.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2012
Nombre de lectures 0
EAN13 9782760627741
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Sous la direction de Rosalind Silvester et Guillaume Thouroude
TRAITS CHINOIS / LIGNES FRANCOPHONES
Écritures, images, cultures
Les Presses de l’Université de Montréal
À Jack, dont la naissance coïncide avec la genèse de ce livre. À Huang Bei, Don « Sally » Xue et Zhu Yin.
INTRODUCTION Rosalind Silvester et Guillaume Thouroude
« Votre langue est comme une belle femme, gracieuse et souriante, qui plaît à tout le monde sans efforts, mais qui ne doit pas dire qu’elle veut plaire. » Cette phrase fut prononcée en février 1889, à la Sorbonne, par le premier écrivain chinois de langue française, le général Tcheng Ki-Tong 1 . Le discours qu’il a tenu dans le cadre de l’Alliance française pourrait constituer le geste fondateur de la francophonie chinoise: y sont déjà présentes une admiration mutuelle et une méfiance ironique qui réapparaîtront tout au long du XX e siècle parmi les Chinois qui, à un moment ou à un autre, ont choisi le français comme moyen d’expression. Dans la rhétorique de Tcheng Ki-Tong, l’ambivalence est élevée au rang d’œuvre d’art, tant le désir collectif de venger la Chine des humiliations causées par les Européens se conjugue à l’ambition individuelle d’incarner le réalisme transculturel, c’est-à-dire d’adapter les formes narratives occidentales aux mœurs et aux histoires chinoises 2 .
De fait, la francophonie chinoise s’adosse à un XIX e siècle profondément conflictuel. L’arrivée brutale des Occidentaux, dont l’industrie pouvait vaincre l’armée impériale et imposer sa volonté à la Chine, a profondément affecté les Chinois dans leurs croyances, leur confiance, leur système de valeurs. Les Occidentaux, sans coloniser le pays à proprement parler, représentèrent à la fois le modèle à imiter au niveau de la technique, et l’« autre » auquel s’opposer sur le plan des valeurs. Les puissances étrangères furent, selon les situations et les forces en présence, un secours ou un danger. Cette ambivalence se retrouve dans quasiment toutes les productions culturelles des Chinois francophones du XX e siècle.
Tcheng Ki-Tong incarne à sa manière cette archéologie de la francophonie chinoise. L’adaptation de l’écrivain aux tournures d’une langue « gracieuse et souriante » n’empêche en rien Tcheng d’être patriote et de chercher, dans ses livres, à démontrer la supériorité de la Chine. Si les successeurs de Tcheng sont moins radicaux, leur rapport à la francophonie restera malgré tout marqué par l’historicité singulière de leur pays d’origine, par la nécessité de s’en éloigner parfois, mais aussi par le poignant désir d’en chanter les beautés.

Une francophonie de moins en moins secrète

De nombreux écrivains et artistes chinois sont venus vivre en France, en Belgique, en Suisse et au Québec, tout au long du XX e siècle. Dès le XIX e siècle, en réalité, des Chinois émigrèrent à l’ouest de l’Amérique du nord, puis gagnèrent peu à peu le Québec. Pour ce qui est de l’Europe, les causes de leur venue, ainsi que le contenu de leur travail, nous rappellent de grands moments d’une double histoire alternée. Les premiers Chinois qui immigrèrent en France le firent pour des raisons liées à l’histoire de l’Europe, tandis que ceux qui migrèrent dans la seconde partie du xxe siècle paraissent essentiellement motivés par les vicissitudes de l’histoire chinoise contemporaine.
Lors de la Première Guerre mondiale, la France a recruté une main d’œuvre de cent mille travailleurs en Chine, mais cette première vague n’a pas produit d’œuvres littéraires ou artistiques 3 . Avant la « Grande Guerre », en revanche, un partenariat entre Lyon et Pékin mit en œuvre le programme « Travail-Études », et permit à des étudiants de venir en France pour suivre une formation combinant le travail manuel et le travail intellectuel. Après la guerre, ce programme se transforma en une université franco-chinoise, délivrant des diplômes valides en France comme en Chine, et formant des scientifiques, des traducteurs, des artistes et des ingénieurs. De cet Institut franco-chinois furent issus des peintres et des écrivains qui, après l’expérience illustre mais isolée de Tcheng Ki-Tong, ont formé la première véritable génération de Chinois francophones.
La deuxième partie du XX e siècle coïncide avec des événements d’une importance considérable et témoigne d’une histoire de la Chine extrêmement instable. Survenue en 1911, la chute de l’Empire a vu la fin d’un système politique et idéologique si ancien et si ancré dans les consciences que le pays n’a pas pu négocier sans heurts la transition vers le système républicain. D’où une effervescence et un désordre constants, qui ont culminé dans l’invasion japonaise et la Seconde Guerre mondiale.
Les événements d’après-guerre les plus significatifs pour notre étude sont ceux qui ont été les plus déterminants dans l’émigration des Chinois en Amérique et en Europe : la guerre civile entre nationalistes et communistes, l’établissement de la République populaire (1949), la Révolution culturelle (de 1966 à 1976), les événements de Tiananmen (1989), et le développement exceptionnel des années 1990 et 2000. Ces phénomènes historiques constituent aussi, naturellement, la trame de nombreux récits d’écrivains contemporains, c’est la raison pour laquelle les œuvres que nous analysons dans ce volume sont souvent affectées par les grandes mutations que la Chine a connues au cours des 60 dernières années 4 .
Le dernier grand événement de la Chine contemporaine est sans conteste sa récente montée en puissance sur la scène internationale, tant politique qu’économique. Ce retour progressif a coïncidé avec une véritable popularité autour de la figure des écrivains et artistes chinois francophones. Les plus grandes récompenses (prix Nobel, Académie française, Académie des Beaux-Arts, prix littéraires, expositions, rétrospectives, succès populaires) ont mis en lumière l’importance que les sociétés francophones prêtaient à des personnalités telles que François Cheng, Zao Wou-Ki, Gao Xingjian, Yan PeiMing, Shan Sa, Dai Sijie ou Ying Chen.

Littérature dominante et langue mineure

Inversement, les membres de la diaspora chinoise se sont ardemment investis dans la francophonie, qu’ils appréhendent de manière originale. Si l’usage de la langue française dans certaines régions du monde peut apparaître comme un choix de résistance (pour les Québécois bien sûr, mais aussi pour les Haïtiens, autrefois occupés par l’armée américaine, ou pour une partie des Belges), ou au contraire comme un état de fait oppressif et dominateur (comme le ressentent une partie des Antillais), il n’en est rien en Chine : le français n’y est pas lié directement à la problématique postcoloniale 5 , et son usage ne semble pas résulter d’une éthique de la confrontation.
Plus intéressant, peut-être, est alors le rapport qu’entretiennent les Chinois francophones à la littérature et aux arts les plus légitimés de la région francophone où ils finissent par habiter : alors que l’émergence de la francophonie, selon Christiane Albert, procède de « la déconstruction d’une littérature dominante 6 », des auteurs comme François Cheng n’adoptent pas d’attitude contestataire visà-vis de l’académisme. Leur langue très soignée est au contraire une sorte d’hommage à une forme classique. Loin de chercher à déconstruire la littérature dominante, ils cherchent à la nourrir et à s’y épanouir, reproduisant par là une certaine modalité existentielle du lettré chinois traditionnel.
L’une des exceptions les plus notoires à cette règle, cependant, est l’écrivaine sino-canadienne Ying Chen, dont le travail fait l’objet d’une section entière dans ce volume. Bien que la structure et les idées de ses livres gagnent en complexité, l’effet linguistique général de sa prose est d’une grande simplicité loin de l’académisme littéraire favorisé par François Cheng. Le style de Ying Chen est lucide, nu, doté d’« une intensité intérieure 7 ». Elle entremêle les genres littéraires, tels que la poésie et le théâtre, afin d’atteindre à une forme d’écriture hautement singulière, rejoignant par là d’autres écrivains de la diaspora, comme Gao Xingjian. Reconnaissant l’égale importance des sons et du sens, elle concentre son travail sur le rythme et la musicalité de ses textes : « Je voudrais que chaque phrase, sinon chaque mot, ait un sens double ou ambigu, tout en étant clair et direct. Car c’est ainsi que je perçois la réalité 8 . »
Il s’agit là d’une morale de l’ambiguïté que l’on retrouve chez plusieurs auteurs chinois, et qui traverse assez largement les études réunies ici. L’incertitude centrale quant à l’appartenance communautaire irradie l’ensemble des travaux proposés dans ce volume: faut-il perpétuer des images de la « Chine éternelle » aux lecteurs francophones qui perçoivent ces écrivains comme plus légitimes pour parler de ce pays 9 ? Ou bien est-il possible de s’affranchir de son imaginaire national afin de créer des œuvres universelles ? Est en jeu ici la possibilité d’exister simplement comme écrivain, ou artiste, indépendamment d’un label classificatoire – « d’origine chinoise » – qui finirait par s’apparenter à un carcan 10 . Si Gao Xingjian a plusieurs fois conçu des pièces de théâtre déterritorialisées 11 , et si ses films rejettent une affiliation trop nette à sa patrie d’origine, son ancrage dans la culture chinoise, par la matérialité même de sa pratique picturale ou par les thèmes abordés dans son travail narratif, le situe dans un espace franco-chinois assumé. En revanche, d’autres écrivains, tels que Dai Sijie ou Shan Sa 12 , ont tenté d’échapper à ce déterminisme culturel en écrivant des romans sans référence à la Chine, ou dont les références étaient traitées avec une complexité qui cherchait à prendre de la distance avec l’imagerie stéréotypée d’un orientalisme exotique. Or, la tiédeur de la réception les a convaincus de retourner à des narrations en rapport direct à la culture chinoise et à une forme d’exotisme plus conventionnel, comme si l’attente du public était

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