Naissance d’une pensée hellénique des mers orientales
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1Naissance d’une pensée hellénique des mers orientales Il s’agit d’étudier l’élaboration d’un discours postérieur à la phase de colonisation proprement dite (Jason) ou contemporain de celle-ci (Homère) pour y déceler une sorte d’affirmation / justification de la présence grecque de l’Hellespont au Pont-Euxin. Première manifestation “panhellénique” À n’en pas douter, une geste argonautique a existé avant Homère (Odyssée, XII, 70 ; Iliade, II, 714-715). e nd 2Apollonios de Rhodes (III -II siècles) met en forme cette épopée , compilant les différents “essais” argonautiques. Notre étude vise ici à prouver que la conquête de la Toison d’or se présente comme une prise de position dans le Pont durant une époque bien antérieure aux premières colonies de Milet ou e 3Mégare soit donc une justification de la présence grecque du VIII siècle à l’époque d’Apollonios . Notons d’emblée que les indications sur Jason ne se trouvent pas uniquement chez Homère en ce qui concerne la période archaïque mais également chez Hésiode (Théogonie, 956-962 ; 992-1002). 4« Je rappellerai les exploits de ces héros d’autrefois qui, par la bouche du Pont et à travers les Roches Cyanées, sur l’ordre du roi Pélias, menèrent vers la Toison d’or la solide nef Argô. » (1, 1-5). Pélias, roi d’Iôlcos, craignant Jason, lui prépare une expédition afin de l’éloigner : « une navigation périlleuse afin de lui faire perdre, sur mer ou en pays étranger, toutes chances de retour. » 1, 16-17.

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Publié le 21 janvier 2014
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1 Naissance d’une pensée hellénique des mers orientales
Il s’agit d’étudier l’élaboration d’un discours postérieur à la phase de colonisation proprement dite (Jason) ou contemporain de celle-ci (Homère) pour y déceler une sorte d’affirmation / justification de la présence grecque de l’Hellespont au Pont-Euxin.
Première manifestationpanhellénique
À n’en pas douter, une geste argonautique a existé avant Homère (Odyssée, XII, 70 ;Iliade, II, 714-715). e nd 2 Apollonios de Rhodes (III -II siècles) met en forme cette épopée , compilant les différents “essais” argonautiques. Notre étude vise ici à prouver que la conquête de la Toison d’or se présente comme une prise de position dans le Pont durant une époque bien antérieure aux premières colonies de Milet ou e 3 Mégare soit donc une justification de la présence grecque du VIII siècle à l’époque d’Apollonios . Notons d’emblée que les indications sur Jason ne se trouvent pas uniquement chez Homère en ce qui concerne la période archaïque mais également chez Hésiode (Théogonie, 956-962 ; 992-1002).
4 « Je rappellerai lesexploits de ces héros d’autrefois qui, par la bouche du Pont et à travers les Roches Cyanées, sur l’ordre du roi Pélias, menèrent vers la Toison d’or la solide nef Argô. » (1, 1-5). Pélias, roi d’Iôlcos, craignant Jason, lui prépare une expédition afin de l’éloigner : « une navigation périlleuse afin de lui faire perdre, sur mer ou en pays étranger, toutes chances de retour. » 1, 16-17.
Il ressort des premières lignes de l’œuvre que l’on accorde la primauté aux Grecs en matière de navigation ; Argô (brillant,agile,rapide,léger), unepentécontore, est présentée comme étant le premier navire qui va dompter « la mer qui glace d’effroi » (1, 918) et sillonner « les routes de la mer » (1, 361). L’expédition est placée sous les auspices d’Apollon, dieu de l’Embarquement (1, 360) et essaimera sur sa route les fondements de la mythologie et de la vie politique à venir.
Aussi, c’est le catalogue (1, 23-233) qui a attiré notre attention : malgré quelques “digressions” (Euphémos, Erginos, Ancaios), il matérialise une route du N.E (Thrace) au S.O (Péloponnèse et Étolie) avant de revenir aux confins Nord de Thrace. Toute la Grèce et plus encore (Thessalie et Thrace) participe au voyage avec une représentation à peu près égale. S’y rencontrent :
1 Cet article a fait l'objet d'une première publication inLes Cahiers du Labiana numéro 2, « Hellenica. Autour de dix textes grecs », sous la direction d'Olivier Battistini, textes réunis par Olivier Battistini et Jean-Dominique Poli, chez Phénix Éditions, Paris, 2003. 2  « L’épique parole d’un sujet (“je”) traversé inévitablement par le langage, porteur de concret et [est] d’universel, d’individuel et de collectif. » J. Kristeva,ShmeiwtiÆk,Recherches pour une sémanalyse, p. 159 ; individuel dans le sens que Jason supplante Héraklès pour la mise en place d’une nouvelle géographie ; collectif parce que l’expédition est panhellénique. Monologique [mono-logos], le récit épique l’est à coup sûr. « La logique épique cherche le général à partir du particulier ; elle suppose donc une hiérarchie dans la structure de la substance ; elle est, par conséquent, causale, c’est-à-dire théologique : unecroyanceau sens propre du mot. »idem, p. 160. 3 « Nulle création mythique ne pouvait, mieux que la légende de Jason, assurer l’illustration héroïque du grand axe de l’expansion milésienne. » R. Dion,Aspects politiques de la géographie antique, Belles Lettres, 1977, p. 57 ; et encore… « le mythe de Jason servait si efficacement sa politique qu’il était devenu pour elle [Milet] une manière d’épopée nationale. »ibid., p. 58 4  Kléa. Au sens propre,les actions dignes de mémoire; « Lapolis devait multiplier les occasions d’acquérir la “gloire immortelle”, c’est-à-dire multiplier pour chacun les chances de se distinguer, de faire voir en parole et en acte qui il était en son unique individualité. L’une des raisons, sinon la raison principale, de l’incroyable floraison de talent et de génie à Athènes, et aussi du rapide déclin, à peine moins étonnant, de la cité. » (H. Arendt,Condition de l’homme moderne La ;, p. 256)polis avant la réunionpolitique citoyens en quelque sorte. Appliquée au mythe et aux âges obscurs, la citation des d’Hannah Arendt semble quelque peu audacieuse de notre part ; mais si l’on songe à cette émulation du groupe des guerriers, à cette volonté dekléosqui en résulte, nous entrevoyons alors, par cette synergie des élans individuels en une expédition commune, les prémices du panhellénisme.
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Orphée (Nord Olympe / Thrace) ; 10 héros thessaliens ; 4 locriens ; 3 eubéens ; 4 héros attiques ; 2 béotiens ; 19 héros péloponnésiens ; Euphémos du cap Ténare ; Erginos de Milet ; Ancaios de Samos ; 4 étoliens ; 1 phocidien ; 2 boréades des confins nord de la Thrace.
Panhellénique, telle est bien cette aventure. L’Hellade est le point de départ et le point d’arrivée de l’expédition, ce vers quoi tous convergent (1, 416). D’ailleurs, Apollonios utilise le terme depanellènon (2, 209). 5 Si l’on devait dater l’expédition, on avancerait que celle-ci précède la guerre de Troie mais suit une partie des travaux d’Héraclès. Un Héraclès qui est vivement représenté au premier chant ainsi que d’autres divinités. L’auteur accorde une large place à la mythologie qu’il ancre du même coup dans une géographie d’ailleurs maîtrisée de son temps.
Nous verrons que tout au long du trajet aller, les stations argonautiques seront des sites ultérieurement e 6 7 colonisés. Ainsi Lemnos, colonisée par Athènes courant VI siècle , est déjà connue d’Homère . Jason y assure sa descendance (1, 851-853). De là à la Chersonèse, Jason et ses compagnons naviguent par le Golfe Noir ou Mer Noire (1, 922-923) entre Thrace et Chersonèse avant de pénétrer dans l’Hellespont. Apollonios plante là ses premiers indices : une certaine Hellè, fille d’Athamas et sœur de Phrixos, y serait tombée, lui donnant alors son nom, d’où l’Helles-Pont, la mer d’Hellè (1, 256).
e L’escale de Cyzique est non moins intéressante. Colonie milésienne du VIII siècle, Apollonios ne pouvait la citer explicitement. Y figurent déjà ses deux rades de chaque côté de la presqu’île mais la cité n’est pas nommée. En revanche, le roi se nommeKyzikos. La future Cyzique n’est mentionnée qu’une seule fois lorsque l’auteur parle de son époque (cf. nËn -nun 1, 1075). Poursuivant leur périple, les / Argonautes abordent à Cios (1, 1179), future fondation milésienne du héros éponyme Kios. Or, selon Strabon ( XII, 4, 3), Kios est un doublet de Polyphemos, compagnon d’Héraclès et du voyage ! De là, ils gagnent le Pont (ils ne sont alors qu’en Pro-Pontide). Pour ce faire, ils doivent traverser les Roches Cyanées (2, 549-607), les Symplégades, terrible épreuve qui affirme encore si besoin était la primauté d’Argô en matière de navigation. Gagnant ensuite les côtes du pays des Mariandynes, les Argonautes 8 abordent au cap Achéron , futur site d’implantation d’Héraclée du Pont. Ils en profitent pour ériger un autel aux Dioscures (2, 806sq.), protecteurs de la navigation. En effet, nous verrons que, outre le passage des Symplégades, la navigation était périlleuse dans le Pont. Longeant la Grande Côte, ils rejoignent Sinope, « en terre assyrienne » (2, 947sq.), future colonie de Milet (c. 631). Sinôpé, fille d’Asôpos, y
5  En effet, Jason a à ses côtés, Télamon, père d’Ajax, Pélée, père d’Achille, Autolycos, grand-père d’Ulysseetc. soit une génération avec le conflit homérique. Rappelons également que selon Hérodote (I, 2), l’expédition des Argonautes fait partie des causes du conflit avec le Mède. 6 Hérodote, VI, 137-140. 7  Iliade, XIV, 230. 8  Anciennement nommé Soônautès, c’est-à-direle salut des marins; la légende veut que des Mégariens de Nisa (port de Mégare), pris dans une tempête, furent sauvés par ce cap où ils fondèrent une ville, Héraclée (en 560 selon l’archéologie). L’île de Thynie dans laquelle les Argonautes avaient précédemment fait escale, sera colonisée par Héraclée. Héraclès est le protecteur de la ville car il est le protecteur des Mariandyniens, peuple autochtone, mais surtout parce qu’à proximité de la cité s’ouvre l’une des bouches de l’Hadès d’où Héraclès ramena le Cerbère. Au temps d’Apollonios, Héraclée est une des cités les plus florissantes du Pont et l’auteur dispose de sources de premières mains avec les écrits du e e e e logographe héracléote Hérodoros (V -IV siècles) et de l’historien Nymphis (IV -III siècles).
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donne naissance à Syros, éponyme des Syriens. Notons qu’Asôpos est un fleuve de Béotie ou du Péloponnèse. De là enfin, les Argonautes se rendent en Colchidevial’île d’Arès (2, 1031) où ils croisent les fils de Phrixos ayant fait naufrage en raison du Borée violent.
L’arrivée en Colchide termine le premier chant et l’on touche enfin au but du voyage : la conquête de la Toison d’or. La région est présentée comme la limite extrême du monde connu. Aïa est « la limite extrême de la mer et de la terre » (2, 418), lieu commun de la littérature grecque où, après la Libye, la Colchide représente une des limites du monde (1, 83-86). Les Argonautes pénètrent dans « le large cours du Phase » (2, 1260), à gauche, la ville d’Aïa et les cimes du Caucase, à droite, la plaine d’Arès et les bois sacrés.
Est-ce que ce sont les richesses de Colchide qui motivent la narration ? ou est-ce l’hellénisation de territoires barbares qui cautionne l’expédition ? Ici, l’Hellène touche au Barbare et plus précisément au Scythe, le Caucase étant la limité méridionale de leur domaine. Le Barbare ne connaît pas l’Hellade et inversement, l’Hellène connaît depuis peu le Barbare. Aiétès, le tyran barbare, fait pendant aux vertus de 9 Jason. De fait, le conflit entre hellénisme et barbarie s’incarne en la personne de Médée . Fille de race et de rang, elle n’en éprouve pas moins une forte attirance pour l’Étranger Jason ; et celui-ci se présente comme le chef d’une expédition panhellénique (2, 209).
Après la conquête, le retour, en deux temps : Colchide – Paphlagonie ; Paphlagonie – Istros. Au-delà, quittant le Pont, nous ne nous y intéresserons pas. En revanche, l’étape vers la Paphlagonie ne prend que deux journées de navigation alors qu’à l’aller, il en avait fallu six pour atteindre Aïa par cabotage. Les Argonautes, pressés car poursuivis, prennent la haute mer d’où un nouvel élément quant à la première 10 navigation avec Argô . La seconde étape, vers les bouches de l’Ister (Danube), se déroule aussi en haute mer, par la diagonale S.E / N.O. Encore un lieu commun qu’il nous faut relever : le Phase et l’Ister sont deux fleuves de 11 référence quant à leurs situations opposées et leurs débits conséquents, ils forment les bornes du Pont .
Parvenus à l’embouchure du Danube, ils rejoignent l’Adriatique selon la croyance qui voulait que l’Ister se scindait en deux, séparant ainsi Thraces et Scythes, un bras vers l’Adriatique (dont une des régions se 12 nomme Istrie), un bras vers le Pont . Quant au retour des Argonautes, les traditions divergent. Ainsi l’on e trouve dans les Argonautiques Orphiques, bien que tardives (V siècle apr. J.-C.), une intéressante thèse selon laquelle Jason et ses compagnons remonteraient le Phase vers le Palus Méotide (v. 750/1) puis, de là, gagnaient le Tanaïs jusqu’à l’Océan. S’y trouve également le nom ancien du Pont, l’Axin. Quels que soient les récits, le retour des Argonautes indique toujours une route commerciale et dessine lecadredu monde utile pour les Grecs (Tanaïs, Ister, Tyrrhénienne, Rhôneetc.)
Ainsi, le périple de Jason trace à grands traits le futur mouvement colonial et, hormis pour la partie 13 septentrionale du Pont, l’on y décèle les fondations à venir .
Seconde manifestation “panhellénique”
725, telle est la date probable de la mise en forme de l’Iliade soit en plein cœur du mouvement de colonisation des cités grecques. Que ce conflit ait eu lieu ou non, peu nous importe ! le fait est que
9 Accius,Œuvres, fragment de laGeste Argonautique, VII : « […] la première, faisant aborder les mœurs de la sauvagerie à la civilisation […] ». 10 e Pour contredire la tradition, notons que la navigation hittite est attestée courant 2 millénaire. 11  Ainsi chez Sophocle (Œdipe Roi, v. 1227), Apollonios (Argo., 2, 418), Sénèque (Médée, v. 44), Argonautiques Orphiques (v. 759). 12  Ap. Rh. IV, 284-292, 303-308, scholie Eschyle / Aristote,H. des Animaux, VIII, 13, 4 / Pomponius Mela II, 63 13  « Nous savons bien, selon Apollonios de Rhodes, que le voyage avait une signification politique précise, liée à la grandeur de la Grèce, à sonautoconscience hégémoniqueet à la récupération de la Toison d’or, gardée par les sauvages de Colchide. » José Monleon, traduit de l’espagnol par M.-M. Alessandri.
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l’Iliade fut composée et qu’elle révèle, à la suite du mythe de Jason, un élan vers l’Orient à savoir les côtes d’Ionie et la Propontide. Or, nulle part dans l’Iliade, il n’est traité de la colonisation, Homère ne peut alors traiter de ses contemporains et le personnage d’Agamemnon renvoie immédiatement à la gloire de Mycènes (1600-1200). C’est à Schliemann (1822-1890) que revient la découverte de la colline d’Hissarlik (1870) sur laquelle plusieurs “Troie” furent mises au jour. Constamment réoccupé, le site bénéficie d’une situation exceptionnelle du point de vue stratégique. Sise dans une vaste plaine, Troie se situe à 8 kilomètres au S.E. de l’entrée du détroit. La ville n° VI présente d’imposantes murailles et s’étend sur une période allant de 1800 à 1275. Si le conflit eut lieu, ce sont peut-être ces deux cités, Mycènes et Troie VI, qui l’ont vécu. Cette situation ne pouvait qu’exciter la convoitise et Homère lui-même, grec d’Éolie, ne pouvait ignorer que sa voisine Milet franchissait le détroit pour fonder Cyzique (c. 756). Le Pont-Euxin ouvre des horizons nouveaux aux peuples d’Ionie en cette fin d’époque dite géométrique. Mais alors de quelle e époque traite le poète ? M. I. Finley propose les alentours du X siècle, durant ces âges dits obscurs où se manifestent les prémices de la colonisation.
Cependant, il convient de noter qu’Homère ne parle d’Hellènes au sens où on l’entendrait aujourd’hui. Il ne groupe pas les Grecs en une expédition panhellénique mais parle plutôt d’Argiens, de Danaens et surtout d’Achéens. Hellas, en Thessalie ne passera à la postérité que bien plus tard, de même que Graia en Béotie. Alors reportons nous à ce moment typique de l’épopée, lorsque le lecteur est subitement jeté dans l’action, c’est-à-dire le catalogue et, en l’occurrence, le catalogue des alliés “grecs” (II, 484-760) :
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Des Béotiens : 50 navires. Le départ de la flotte s’effectue à Aulis, port de Béotie ; Des Minyens (ainsi sont nommés les Argonautes chez Apollonios) : 30 nefs creuses ; Des Phocidiens : 40 nefs noires ; Des Locriens (N.O. Eubée) : 40 nefs noires. Homère utilise les termes de « Panhellènes et Achéens » (II, 531) ; Des Eubéens dont Chalcis et Erétrie, deux cités qui prendront activement part à la colonisation : 40 nefs noires ; Des Athéniens : 50 nefs noires ; De Salamine (Ajax) : 12 nefs ; D’Argolide (Argos, Tirynthe, Trézène, Égine…) : 80 nefs noires ; De Mycènes (Agamemnon) et Corinthe : 100 nefs ; De Lacédémone et la région alentour : 60 nefs ; De Pylos (S.O. Péloponnèse) et de Messénie en général : 90 nefs creuses ; D’Arcadie : 60 nefs prêtées par Agamemnon, l’Arcadie n’ayant pas d’ouverture à la mer ; D’Élide : 40 nefs rapides ; De Doulichion et des îles Echines (face Acarnanie) : 40 nefs noires ; D’Ithaque, Céphallénie, Zante et Samé sous la direction d’Ulysse : 12 nefs ; D’Étolie (N.O. golfe Corinthe) : 40 nefs noires ; De Crète : 80 nefs noires ; De Rhodes : 9 nefs ; De Symé (petite île entre Rhodes et Cnide) : 3 nefs ; Quelques îles des Sporades : 30 nefs creuses ; D’Argos Pélasgique (Sud Thessalie) : 50 nefs. Notons ici l’enclave de l’ « Hellade aux belles femmes » (v. 683) d’où le terme d’Hellènes au vers suivant ; De Phylaque (Nord Thessalie) : 40 nefs noires ; De Phères, Iolques… (Thessalie) : 11 nefs. Le départ des Argonautes s’est effectué depuis Iôlcos ; De Méthoné et Thaumacie (Sud Macédoine / Nord Thessalie) : 7 nefs ; De Trikké et Ithome (centre Thessalie) : 30 nefs creuses ; D’Orménion ( ?) : 40 nefs noires ; D’Argissa, Grytone, Orthé, Elone, Oloosôn (Thessalie) : 40 nefs noires ; De Cyphe ( ?) : 22 nefs ; De la cité des Magnètes (Magnésie / Thessalie) : 40 nefs noires.
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Au vu de cette liste, on relèvera que toute la Grèce est représentée suivant une ellipse qui aurait pour 14 centre la Béotie. Les îles de l’Égée, grandes pourvoyeuses de navires , sont vivement représentées. Le total de la flotte s’élève à 1 190 navires, chiffre exagéré qui tend peut-être à prouver la maîtrise de la mer par les Grecs et ce depuis des temps immémoriaux.
Il est à relever aussi la répétition des termesPanhellènes(v. 531) etHellènes(v. 684) dans le sens qu’ils désignent l’un, l’ensemble des Grecs mobilisés hors les Achéens, l’autre, plus restrictif et donc plus juste, les Grecs de l’Hellade, au sud de la Thessalie.
« Je trouve encore un autre signe de la faiblesse qui marquait les temps anciens, et il n'est pas à négliger ; c'est qu'avant la guerre de Troie, on ne voit rien que l’Hellade ait, jusque-là, accompli en commun. Ce nom même, me semble-t-il, ne s'employait pas encore pour la désigner dans son ensemble : avant Hellen, fils de Deucalion, il semble que cette appellation n'ait même eu aucune existence ; il n'y avait que des peuplades — certaines, comme l'élément pélagique, assurant à leur propre nom la diffusion la plus étendue ; puis Hellen et ses fils devinrent puissants en Phthiotide, on se mit à les réclamer dans les autres cités, pour se faire aider, et les rapports ainsi créés répandirent alors de peuple à peuple le nom d'Hellènes ; cependant, il fallut longtemps avant qu'il pût s'imposer pour tous. Ce qui le prouve le mieux, c'est Homère : lui qui vécut à une époque encore bien postérieure à la guerre de Troie, il n'a nulle part appliqué le nom à l'ensemble ; il ne l'applique qu'aux compagnons d'Achille, venus de Phthiotide, qui furent, précisément, les premiers hellènes ; et il emploie dans ses poèmes les termes de Danaens, d'Argiens, d’Achéens. Il n'a, du reste, pas davantage employé le mot de barbares, cela parce qu'à mon avis les Grecs n'étaient pas encore groupés, de leur côté, sous un terme unique qui pût s'y opposer. Quoi qu'il en soit, ceux qui reçurent successivement le nom d'Hellènes, d'abord cité par cité, quand les gens se comprenaient, et plus tard de façon générale, n’accomplirent rien ensemble avant la guerre de Troie : leur faiblesse, l'absence de relations entre eux les en empêchaient. Et cette expédition même ne les réunit qu'à un moment où l'usage de la mer était 15 déjà plus développé. »
Il apparaît que ces deux entreprises, la conquête de la Toison d’or et l’expédition contre Troie, ne sont pas 16 des manifestations panhelléniques au sens où nous l’entendrions aujourd’hui à savoir qu’ils ne se reconnaissaient pas membres d’un ensemble bien distinct mais plutôt d’entités régnantes sur leurs domaines. Cependant, comme ils allaient le devenir et qu’ils font alors montre d’un intérêt commun, il nous a semblé que ces deux événements caractérisaient un mouvement préhellénique et du même coup panhellénique d’expansion vers l’Orient et plus précisément, la Propontide et le Pont-Euxin. Des espaces nouveaux s’offrent à eux et cette nouveauté pose une ambiguïté que rend parfaitement le vers 545 du chant XXIV de l’Iliade :
« Dans tout le pays que limitent, du côté de la mer, Lesbos, séjour de Macar, et, plus loin la Phrygie et l’immense Hellespont, tu [Priam] l’emportais sur tous par ta richesse et tes enfants 17 (…) »
Notons le contraste entre le payslimité (« que limitent ») et l’Hellespontêpeiron, sans fin, ici dit immense, adjectif latin à signification absolue :im-mensus, sans mesure, sans borne, non-mesurable. Il nous a semblé que ce passage traduisait bien la vision que pouvait avoir les Anciens de l’espace Nord-18 Est : une nouvelle mer s’offrait à eux .
14  Minos de Cnossos est perçu comme le premier grec à avoir exercé une thalassocratie : lire Hérodote (III, 122), Thucydide (I, 4), Platon (Les Lois, 706a-d), Pline l’Ancien (H.N., VII, 209). 15  Thucydide I, 3, traduction J. de Romilly. L’Athénien ignore ou considère comme fable la geste argonautique. 16 A l’image de la fondation de Thourioi. 17 Achille répond à Priam, venu racheter le corps d’Hector. Traduction P. Mazon. 18 Strabon, I, 2, 10.
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Enfin, il est un autre terme employé par Homère qui étaye cette idée d’un espace illimité, c’est celui de laïtmapremier, gouffre, profondeur ; une image rendue par le: au sens grand abîme(Odyssée, VII, 35), legouffre des mers(Odyssée, VIII, 561). Un « désert sans île » (R. Dion) dont la traversée ne fut rendue possible que par l’invention de lapentécontore. En cela aussi,Argô, apparaît mythique. Dans laMédéede Sénèque, les Symplégades et le Pont sont dits “portes” et “abîmes”,claustra profundi:
« Ce bateau criminel, conduit au gré D’une longue chaîne de terreurs, supporta La rigueur des épreuves, quand les deux grands [monts, Cesportes de l’abîme, s’ébranlant soudain de [part et d’autre, Gémirent, à l’instar du tonnerre fracassant, Et que l’eau refoulée alla jusqu’à 19 Eclabousser les étoiles et les nues. »
Car la difficulté y est évidente et ce dès l’entrée, on l’a vu. En effet, le passage des Symplégades, rendu difficile par le fort courant qui s’y déverse (4 à 5 nœuds soit 9 km à l’heure) a valeur initiatique : le passage d’un lieu difficile et qui plus est emblématique (la porte du Pont) se retrouve chez Homère (Iliade, II, 845 et XII, 30) à propos de l’Hellespont. Cela trahit une sorte de rite initiatique dont la difficulté même, si elle est surmontée, donne droit à la possession du Pont dans son entier et ouvre à l’humanisation d’un monde que l’on considère commesauvage.
« Jason, Héraclès ou Dionysos, a le pouvoir d’incorporer au moins théoriquement à la patrie hellénique 20 les lieux qui ont été le théâtre de ses exploits, et de légitimer ainsi… » … la présence grecque en ces lieux. C’est le fait qui fonde le droit. Avec Jason, apparaît une pensée des mers orientales à laquelle fait pendant le périple d’Ulysse et l’établissement géographique des mers occidentales.
19 v. 339-345 ; trad. P. Maréchaux. 20 Roger Dion,op. cit., p. 15.
Florent Bertholle
Février 2003
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