Tuer n’est pas jouer
218 pages
Français

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Description

Samuel Wiener est fatigué. Fatigué de jouer, fatigué de mentir, fatigué de tuer.
Samuel Wiener est un tueur, reconnu et apprécié de sa hiérarchie. Sauf quand il verse dans ses penchants neurasthéniques et éthyliques.
Car Samuel Wiener est aussi un solitaire dépressif qui traîne son mal de vivre au fil de cuites carabinées. Seules trois personnes comptent à ses yeux de misanthrope farouche : sa compagne Nelly, sa nièce Sarah et son vieux pote Paul Moreno.
Alors quand la première disparaît sans prévenir, au moment même où il est chargé d’éliminer froidement un trublion de la République, il ne lui reste plus aucune raison de poursuivre l’aventure de sa vie. Sauf qu’il aimerait, autant que faire se peut, en choisir lui-même le dénouement et rester maître de son destin.
Et quand il se retrouve pris au piège d’une traque dont il est devenu le gibier après avoir longtemps été le chasseur, il va tout faire pour sortir de la gueule du loup où un ennemi invisible cherche à l’enfermer.
Son expérience, doublée de la sagacité du commissaire Agnelli, guère enclin par nature à cautionner ces petits jeux de roulette russe, saura-t-elle le tirer du bourbier mortel où il se débat ?
Samuel Wiener en réchappera-t-il ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 21 septembre 2015
Nombre de lectures 946
EAN13 9782370113528
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Tuer n’est pas jouer

Agnès Boucher



© Éditions Hélène Jacob, 2015. Collection Polars . Tous droits réservés.
ISBN : 978-2-37011-352-8
À Anne-Isabelle, qui fut la première à lire ce livre et à m’encourager.
Chapitre 1


D’un geste exaspéré, ma main repousse celle de Ramón. Dans le quart de seconde qui suit, le verre que je me préparais à avaler cul sec part valser à l’autre bout du comptoir et se fracasse contre la caisse enregistreuse.
Pas de panique. Dans les parages traîne un biberon que mon Bon Samaritain voudrait bien m’empêcher de harponner. Rêve, Herbert ! L’alcool n’a pas encore émoussé tous mes réflexes. Je m’empare de la fiole avec un sourire pathétiquement sardonique et colle son goulot à ma bouche, engloutissant quelques lampées de whisky sous son regard accablé. Ramón signe sa capitulation, sous la forme d’un florilège de soupirs éloquents que je me refuse à relever. S’enivrer est un acte barbare, dont la motivation profonde ne regarde que le gus saisi par l’envie irrépressible de se bousiller sciemment la santé.
Au diable les bonnes résolutions ! Les remords renaîtront d’eux-mêmes avec le petit jour et la gueule de bois, c’est-à-dire toujours trop tôt.
* * *
Au rayon déliquescences, j’ai des marottes de vieux pervers auxquelles nul prétexte oiseux ne saurait me faire déroger. Il est hors de question que je m’obscurcisse les méninges ou taquine mon ulcère chez le premier venu. Le Repaire est le lieu parfait pour bâtir ma décrépitude. Niché à l’écart de Pigalle, il se situe à une distance idéale de chez moi : ni trop près pour que j’y sois constamment fourré, ni trop loin pour qu’en revenir tienne du parcours du combattant en cas de cuite carabinée. Sauf que, et contrairement à ce que je viens d’énoncer pieusement, cela fait plusieurs soirs que j’y traîne mes guêtres sans faillir, histoire à chaque fois de m’y saouler savamment.
Sans avoir plus de soucis qu’à l’accoutumée, je traverse une de ces mauvaises phases existentielles qui me sont familières depuis l’adolescence et dont j’ai un mal fou à me dépêtrer. Mon humeur oscille alors entre le gris anthracite et le noir de jais, mon inertie plombante reprend le dessus et je ne tente pas grand-chose pour sortir de ce blues aux allures suicidaires, préférant me laisser aller au fil des courants vagabonds et mortifères de mon désespoir. Le seul passage à l’acte dont je sois capable à ce stade est de picoler comme un trou.
Goûter l’instant présent me gonfle. Jouir de la vie lorsqu’elle s’offre à moi sur un plateau d’argent m’apparaît comme le summum de la vulgarité. Le bonheur m’est irrémédiablement suspect. Je ne comprends rien à ceux dont l’horizon s’illumine à la plus infime banalité. Vous savez, le mec ragaillardi par le sourire d’un bambin, la nana béate devant une comédie dégoulinante de bons sentiments. En ce qui me concerne, ces conneries ne m’ont jamais réchauffé le cœur, au contraire.
Est-ce du snobisme ? Réminiscence du Sturm und Drang {1} de mes ancêtres teutons ? Relents de victimisation juive ? Un panaché du tout ? Allez savoir ! Je reste persuadé que, dès ma période intra-utérine, j’ai déprimé à l’idée de toutes ces années à venir. Je suis venu au monde sans rien avoir demandé à quiconque et personne n’a cherché à savoir si je voulais vivre ou pas. Aussi loin que ma mémoire remonte, la vie m’a toujours pesé, foutue compagne d’infortune ! Pour me culpabiliser – et Dieu sait qu’elle excellait dans cet art de vivre typiquement juif –, ma mère se rengorgeait presque en prétendant qu’à peine né, je m’infligeais des grèves de la faim. Je refusais de téter son sein, puis mon biberon et plus tard renâclais à avaler toute nourriture. Ce manège pouvait durer plusieurs jours d’affilée. Sans doute tirais-je de ces luttes entre elle et moi une espèce de jouissance, lui résister équivalant d’abord à lui empoisonner l’existence.
Car cela valait vraiment le coup d’emmerder Ruth Bornstein, fille d’émigrés allemands et née franchouillarde par la force du vacarme des bottes, puis Wiener grâce aux sacro-saints liens du mariage, larmoyante descendante d’une lignée ashkénaze généreusement massacrée par la monstruosité nazie. J’ai retiré de ces expériences anorexiques une totale aptitude à conserver en permanence le contrôle de mes émotions, une volonté inébranlable, ainsi que la capacité à exercer mon métier sans questionnement superflu.
Tout cela, c’est quand je suis à jeun. Je ressemble alors à l’athlète qui s’entraîne à repousser toujours plus loin ses limites ultimes. La mort ne me fait pas peur. Je flirte avec elle comme d’autres avec les femmes, la cherche et la jauge, en tout cas ne l’évite jamais. Jusqu’à présent elle se refuse à moi, se fait attendre pour survenir sans doute au moment où je l’attendrai le moins. Cela a au moins le mérite de me laisser aspirer à un avenir plus rose, car jamais elle ne m’arrachera à ma seule neurasthénie. Je la sais assez rouée pour préférer patienter jusqu’à ce que je sois enfin heureux et fondre sur moi, me fauchant en pleine gloire.
Que la mort soit malicieuse tombe d’ailleurs plutôt bien. Je suis un drogué du jeu sous toutes ses formes. Lorsqu’elle était enfant, je pilais ma nièce au Trivial Pursuit. Lors de rendez-vous réguliers, je massacre mes adversaires au poker, arrondissant au passage mes fins de mois. Quant à mon enfance, elle s’est passée à déboulonner mes parents et ma sœur au bridge. J’ignore d’où me vient cette baraka écœurante, mais j’en ai conclu à tort ou à raison que le jour qui me verra perdre sera le dernier que je passerai sur cette putain de planète.
* * *
Ramón revient à la charge. S’il n’était pas mexicain, je le croirais breton, dans le genre plus têtu que moi tu meurs . Où ai-je imaginé m’en tirer à si bon compte ? La bouteille est vide et je louche à présent, au propre comme au figuré, sur sa jumelle planquée à côté de l’évier tout près de mes doigts tremblants. Je rêve de la descendre encore plus vite que je ne l’ai fait avec la première.
Mais Ramón est un barman qui a le sens de ses responsabilités. Il déteste les poivrots, surtout lorsque ceux-ci font partie de ses potes. Il se croit investi d’un rôle quasi messianique, se déguise en Galaad moyen remettant le pauvre pécheur dans le droit chemin. En un mot comme en cent, c’est un chieur qui doit surtout craindre un coma éthylique dans son bar, incident du plus mauvais effet, à vous pourrir la renommée d’un établissement en deux coups de cuillère à pot.
Pourtant, ce soir, il devrait deviner à mon air méchant que rien n’y fera. En entrant au Repaire, j’ai décidé de frôler la syncope et n’en suis plus très loin. M’arrêter en si bon chemin m’empêcherait peut-être de découvrir le moyen de me faire peur. Ce maudit litron de bourbon me tend joliment son ventre rond couleur d’ambre. Si je fournis l’effort nécessaire dans la dernière ligne droite, il sera bon à jeter dans une poubelle spécialement fournie par la municipalité dans son effort, louable mais vain, de sauver la planète.
Je lance un regard hargneux à Ramón qui a pour conséquence de me déconcentrer et de déstabiliser un court instant l’enchaînement laborieux de mes mouvements approximatifs. Je tangue tellement sur mes pauvres jambes en papier mâché que Ramón, même s’il n’est pas plus épais qu’un sandwich SNCF en période de rationnement, est à cette heure toujours plus costaud que moi. Il suffirait d’une pichenette pour me faire verser dans le fossé et il le sait.
Comme il sait que je ne survivrais pas à la honte d’avoir été maîtrisé par lui. J’ai une réputation à entretenir, que diable !
Hombre , faut t’arrêter ou tu pourras pas rentrer à la casa.
Dans le même temps, il me devance et s’empare prestement de la bouteille que je convoitais.
Fous-moi la paix, Espingouin de mon cœur, et confie cette jolie fillette à Tonton Sam.
Mexicano, pas Espingouin.
C’est la même chose ! Tes aïeux se sont massacrés entre autochtones et Ibères sanguinaires pour donner ton peuple de crevards sous-développés ! Chipote pas,

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