Dans le couloir du campus
ÉcrirelAfriqueCollection dirigée par Denis Pryen
Romans, récits, témoignages littéraires et sociologiques, cette collection reflète les multiples aspects du quotidien des Africains.Dernières parutions Abdou DIAGNE,Les Larmes dune Martyre, 2012. René GRAUWET,Au service du Katanga. Mémoires, 2012.Antoine MANSON VIGOU, dun demandeur dasile Journal, 2012. Brigitte KEHRER, Poudre dAfrique, 2012. Patrick Serge Boutsindi,Bal des Sapeurs à Bacongo, 2011. Alice Toulaye SOW,Une illusion généreuse, 2011 Kapashika DIKUYI,Le Camouflet, 2011. André-Hubert ONANA MFEGE,Le cimetière des immigrants subsahariens, 2011. José MAMBWINI KIVUILA KIAKU,Le Combat dun Congolais en exil, 2011.Aboubacar Eros SISSOKO,Mais qui a tué Sambala ?, 2011.Gilbert GBESSAYA,La danse du changer-changer au pays des pieds déformés, 2011. Blommaert KEMPS,Confidences dun mari désabusé, 2011. Nacrita LEP-BIBOM,Tourbillons démotions, 2011.Eric DIBAS-FRANCK,Destins maudits, 2011. Zounga BONGOLO,Larbre aux mille feuilles, 2011. Otitié KIRI,Comme il était au commencement, 2011. Mamadou SY TOUNKARA,Trouble à l'ordre public,2011.Liss KIHINDOU,Lexpression du métissage dans la littérature africaine. Cheikh Hamidou Kane, Henri Lopes et Ahmadou Kourouma, 2011. Jacques ATANGANA ATANGANA,Les fourberies d'Essomba, 2011. Frédéric TRAORE,La guerre des pauvres et le destin de Hassan Guibrilou. La dent de laïeule, tome III, 2011.
Faustin Keoua Leturmy Dans le couloir du campus
Nous savons quil reste dans ce livre des imperfections ; nous prenons cependant loption de le faire circuler, à petit tirage, remerciant davance tous ceux qui nous aideront à le perfectionner dans les tirages successifs.
© LHarmattan, 2012 5-7, rue de lEcole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-96155-5 EAN : 9782296961555

CHAPITRE I Le premier jourcest toujours pareil. On peut veniravec un seul cahier ou bien une feuille double, simplement pour noter lemploi du temps. Parce que la rentrée des classes necoïncide jamais avec le début des cours ;si ce nest la présentation entre élèves et professeurs. Cest vrai que nous ne sommes plus en seconde. La premièrecest autre chose. Les gens disentmême que cest la classe la plus difficile au lycée. Parce que lebac se prépare dès la première. Il mefaudra donc doubler deffort, tout prendre au sérieux pour éviter toute mauvaise surprise. Les piroguiers du fleuve Congo nous ont appris que nul ne rame mieux quecelui qui a été prudent dès linstant où il a mis son premier pied dans la pirogue. Comme quoi, pour bien finir, il faut bien commencer. -Bonjour, chef ! Heureux de te revoir. Comment vas-tu ? Je transpire un peu après cette petite marche dune vingtaine de minutes. Soleildoctobre oblige. Il ne grille pas, mais il étouffe, très différent de celui de septembre. La première A5, ma classe, se trouve à langle dubâtiment B, au rez-de-chaussée. Cest là-dedans que je vais passer les neuf mois de cette année scolaire. Du lundi au vendredi, jaurai cours de douze heures trente à dix-sept heures trente. Les premières A, tout comme les secondes A et C, ne fréquentent que les après-midis. -Bonjour, Armand ! Moi aussi je suis ravi de te revoir. En tout cas, je vais bien. Armand se croit encore en seconde, ou quoi? Quest-ce quil a à mappeler chefalors que les choses ont évolué? Jai envie de lui dire que le passé ne compte plus et que nous devrions maintenant nous en tenir au présent. Je ne suis plus-Chef, je te présente Armande. -Salut, Armande ! Joli prénom ! Cest ce que je dis en tendant ma main droite à la fille que me présente mon ancien camarade de classe. Nous sommes dans le 7

couloir, juste à lentrée de notre salle de classe, la première A5 qui sera-Bonjour, chef ! me dit la fille qui a ma main dans sa main. Je sens quelle ne force rien. Tout en elle est naturel: cette politesse et cette lueur de gentillesse bien dosées. Je suis vraiment touché. Mon corps meurtri par le soleil se réveille tout à coup. Je sens des poils pousser partout sur mon corps, même auquoi ce beau sourire qui me pénètre comme unvisage. Cest piment écrasé dans un bouillon de poisson frais ? -Armande est dans la même classe que toi, me dit Armand. Cest unetête bien faite, nous étions ensemble au collège, poursuit-il. -Ah, très bien! jaime mieux quune fille soit intelligente.-Ainsi vous allez vous affronter comme deux jeunes taureaux. Parce que-Les études ce nest pas la guerre, Armand. Toiaussi tu nes pas un petit morceau ! -Figure-toi queje navais jamais réussi à la battre, de la Sixième jusquen troisième, comme toi toutnous navons pas pu te maîtriser lan dernier.-Ah bon ! dit la fille, émerveillée. -Armande, ne lécoutez pas ! Je vois dans les yeux de cette fille une grande lueur de paix et de quiétude ; une agressivité aussi. Ondirait le reflet dun morceau de miroir exposé sous un soleil de plomb. Ils troublent mon regard, ces petits yeux, et ce vertige communique une tremblote à mes pieds, mais elle est très fine, pas assez pour me faire tomber. Je baisse mon regard ? Pas question. Il faut faire avec. Mais quest-ce qui me prend, au juste ? Ai-je peur ? Certainement pas! Il ny a aucune raison dêtre effrayé. Il nest pas dit que seul le premier de la classe ira en terminale ! Même avec un huit fortje passerai et ce nest pas cette fille qui mempêchera de faire mieux. Je sais que-En seconde,cest lui qui était notre chef de classe.8

-Cest bon, Armand. Jeveux bien lappeler chef, comme toi. Mais donne-moi quand même son vrai nom ! -Lucien. Je mappelle Lucien Bitsikou. -Moi,cest Amande Ngok Peya. -Peya ! vous êtes une jumelle, alors ? -Il faut me tutoyer, Lucien. Je suis une jumelle, cest ça. Ma sur est en série C.-Ce sont defausses jumelles, me dit Armand. Elles nont aucun trait de resseSa sur a un teint beaucoup plus clair. Etmblance. puis-sur. Mais cest vrai que chacune a sonElle frotte un peu, ma visage. Je tente de graver dans mon disque dur cette voix aiguë qui me crache un français limpide, comme une banane qui hésite à pourrir. Ce timbre ne ment que par hasard. Jarrive àla situer, cette fille. Aussi, ses noms de famille me disent clairement quelle est de lautre côté, du Nord. Cest comme ça chez nous, on classe toujours les gens avant de les aimer. Une fois que lon aime, on sefforce doubliertout ce qui divise pour être plus uni que jamais. Elle est Ngok, toutes les Ngok sont bien connues dans le pays. Il suffit de demander quel Ngoket on sait si cest le ministre du Pétrole, le général de brigade, le directeur du port fluvial ou bien «largent membête». Mais Bitsikou cest un nom tout court. On ne dit même pas les Bitsikou comme on dit les Ngok. Bitsikou, cest Bitsikou. Mon nom ne dit rien à personne. On ne la jamais entendu prononcer à la télé ; peut-être à la radio lors des communiqués nécrologiques. Personne ne vous dira-Bitsikou ! ce nom me dit quelque chose, dit Armande. Elle me surprend cette fille. Cest normal que je lui dise-Armande, tu plaisantes ? -Non. Lucien Bitsikou. Jai vu ce nom dans le registre dappel.-Pas étonnant dans ce cas, mon nom est toujours parmi les premiers sur la liste.
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-Tu es l'adjoint. Cest pour cette raison que je connais ton nom. On va gouverner ensemble. -Je suis ton second, alors! nom de Dieu-Oui, mais cest toi lhomme.Ce nest pas vrai! Comment a-t-elle pu aller aussi loin déjà ? Je minterroge sans rien laisser paraître. Au même moment, je cherche au fond de moi une explication à mon état de panique mentale. Ce que je réalise est étrange. Cette fille que je vois pour la première fois me plait beaucoup. Si bien queLe grand lycée retrouve sa forme après trois mois de solitude. Ses grands bâtiments, héritage des colons, gardent jalousement le secret de leur régénération. Dans ses murs, à lintérieur des classes, il y a un grand chantier de décoration anarchique : graffitis, écriteaux... les uns sur les autres. On y découvre facilement les souvenirs dune histoire que nul na envie détudier adieu lycée de la 69,: Titus, Frank Mpassi Bac Libération, au revoir le Congo la France mattend, bac= visa, ici passa une certaine Blanche Ngolo,vive luniversitéAvec autant de phrases alléchantes et stimulantes, difficile de ne pas prendre ces gens-là pour des vrais héros du peuple toujours présents parmi nous et avec nous. Nous rêvons tous de faire comme eux, dêtre à leur place. On ne vient pas à lécole pour échouer, quand même ! Même ceux qui se savent paresseux ont le même désir fou : réussir dans leurs études. Armand, Armande et moi sommes toujours là dans ce couloir, callés à la porte comme des agents de sécurité. Une multitude délèves passent et repassent; des amis et des jamais vu de ; nouveaux visages, qui, dans quelques jours, nous seront familiers. Je nai pas encore mis mes pieds dans la classe, pourtant je dois trouver une place parmi les deux premières tables-bancs dans lune des trois rangées. Devant non et derrière. Parce que derrièrecest souvent pour ceux qui comptent sur laide des pays amis, pour la plupart porteurs de bombes et de canons ; ces pages bien nourries qui attendent dans les poches, les chaussettes et sur le bassin pour servir de vade-mecum lors des interrogations écrites. Parce quil y en a 10