Le jardin des statues de sel
281 pages
Français

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Le jardin des statues de sel , livre ebook

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Description

On connaît l'effet dévastateur d'une mort imminente reçue en pleine santé et les réactions qu'elle suscite. Elle devrait produire un effet totalement différent auprès des délirants parce que dans le délire "on est déjà mort sans avoir dû mourir". Les derniers soubresauts de vie à l'asile de Lucques en 1978 montrent une réalité moins schématique à travers la réaction des protagonistes; ce petit monde avec ses angoisses et ses soubresauts, comme métaphore de la vie...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2009
Nombre de lectures 288
EAN13 9782296677029
Langue Français
Poids de l'ouvrage 11 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1050€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le jardin
des statues de sel
Titre original : "Il giardino delle statue di sale"
© Copyright 1997
Maria Pacini Fazzi Editore, Lucca (Italie).
Traduit de l’italien par Elisabeth Nibelle.

© L’Harmattan, 2009
5-7, me de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-08951-8
EAN : 9782296089518

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Luciano Del Pistoia


Le jardin
des statues de sel


récit


L’Harmattan
Du même auteur


Textes psychiatriques

Curare e ideologia del curare in psichiatria, a cura di L.Del Pistoia e F.Bellato, Maria Pacini-Fazzi Ed., Lucca (Italie), 1981.

Sul comprendere psicopatologico , a cura di A. Garofalo e L. Del Pistoia, Ed. ETS, Pisa (Italie), 2003.

Georges Lanteri-Laura : Sapere , fare e saper-fare in psichiatria : psicopatologia, clinica ed epistemologia , Textes traduits en italien et annotés, par L. Del Pistoia et G. Di Piazza, Giovanni Fioriti Ed., Roma, 2007.

Saggi fenomenologici , Giovanni Fioriti Ed., Roma, 2008.
À Elisabeth
I
M’engageant peut-être un peu trop vite, et avec d’autres pensées, dans le bout de route qui monte soudain à Fregionaia, j’ai senti plonger mon cœur et, sur le front, la caresse d’une aile.
Peut-être me suis-je dit l’ange gardien qui surveille aussi ce purgatoire, qui t’accueille et t’initie à monter dans ses mystères, peut-être aussi au dur parcours d’une purification.


Fregionaia prend son nom paraît-il des oiseaux gros-becs {1} .
Ancien lieu de rets et de chasse des Romains et des Lombards ; ou bien, ce que je préfère penser, lieu de halte de ces migrateurs auquel une humanité attentive et en harmonie avec les rythmes de la terre et des animaux a donné le nom ?
Ancienne halte et refuge des pélerins allant à Rome, beau monastère au 15°siècle cubes toscans, sereine géométrie d’arcs et de ciel depuis 1773, ermitage gémissant et hurlant de la folie.


Celui-ci aussi, comme beaucoup d’autres asiles, présente à l’extérieur le visage hargneux d’une forteresse. L’étrange forteresse asilaire : la fiction de maintenir ici la folie assiégée quand partout dehors elle assiège et se mesure avec notre raison.



Ah, un des nouveaux médecins ? demande en insinuant le portier, coup d’œil ironique, appuyant sur la voix comme ils font par ici, en allongeant pour courber doucement le dernier mot.
Ils vous attendent là-haut, dans le jardin de la Maison des Médecins. Et entre-temps, il écoute, regarde et débrouille les cent trilles, les cent voix, et les cent clins d’œil verts, jaunes et rouges de son panneau téléphonique.
Moderne Briarée aux cent bras et aux cent mains ; et sûrement, aussi aux cent oreilles.



La route qui entre à l’asile et s’y étend sinueuse, descendant et montant doucement et le parcourt tout entier et le visite jusqu’aux services les plus lointains, est un lacet de couleuvre qui prend le sommet du col, a la tête et la queue au bastion qui garde l’entrée, et les yeux de jade du portier.



J’ai croisé mes premiers patients sur la pente de l’allée : le peu de piétons ont l’allure lente, embarrassée de statues de gomme que leur donnent les médicaments ; la plupart couchés sur les bancs, sur l’herbe ou sur le muret au pied du bastion, à l’ombre des platanes.


Âmes du Purgatoire entre la paresse et les neuroleptiques. Mais avec quel espoir de Paradis, eux qui sont depuis toujours dans les limbes de leur délire ?



Je reviens vivre dans ces lieux après les longues années de l’apprentissage et après tous ces visages et tous ces délires qui parlaient des langages non familiers et même étrangers. Alors qu’ici la folie a le même accent de qui autrefois me contait des histoires et certainement aussi le visage, même vieilli, de quelque souvenir d’enfance. Donc presque un retour en patrie, pour moi ?



Mais, en pensant à mes fous, je me demande : existe-t-il vraiment une patrie ?
Les voix qu’ils entendent disent les mêmes menaces et les mêmes flatteries à Paris qu’à Hongkong ; toujours également capables de te transpercer parce qu’au courant de ton secret le plus caché, presque comme si elles étaient une partie de toi-même.
Presque comme si elles étaient l’écho d’une solitude que ce faux dialogue à la fin dévoile.
Voilà ce que me disent les délirants : que chacun a seulement soi-même pour patrie.
Est-ce je me le demande une vérité de la folie : ou peut-être aussi la vérité de la vie ?



Je me rappelle Lucille. Elle était restée un pied suspendu au seuil de l’adolescence, statue transpercée par le dard de l’hébéphrénie.
« Je suis un point noir sans plus ni temps ni espace » répétait-elle, innocence égarée, exil sans plus de patrie.
Elle n’avait pas l’aplomb adulte de qui se sent déjà quelqu’un et peut se rebeller à l’étrangeté du délire, chercher une voie de retour.
C’était une beauté aux tresses noires, lourdes, à la peau mate.



Soudain la Maison des Médecins m’apparaît, son ample fronton se dressant au-delà du tournant, son angle fort tel un bastion qui plante et soutient le hautain parallélépipède de l’édifice sur l’allée en pente.
Le mur d’enceinte de l’asile qui, en s’infléchissant, t’escorte depuis l’entrée mille yeux verts de lierre a fini par se coucher dompté à ses pieds, sur le flanc de la colline.
En me retournant, là en face, du côté de Pise, la masse verte et sombre du mont Pisan, la bande de plaine, en bas la forteresse de Nozzano, tout autour ses champs, là au fond le cortège des peupliers qui accompagnent le parcours du Serchio {2} ; tout près, presque en dessous d’ici, les toits d’autres services modernes éparpillés, entre des cyprès argentés et des prés de colza.



Cet asile se dresse en garde d’une vallée verte et à l’écart, située entre Lucques à l’orient et la mer à l’occident ; mais on ne voit ni l’une ni l’autre. On en a seulement le pressentiment : un silence absidial solennel, enflammé d’or et d’azur l’été au couchant, du côté de la mer ; et, du côté de la ville, une tiédeur presque imperceptible qui arrive sur la vague de l’obscurité et de la première étoile avec le frisson de la brise de terre.
Lucques, la mer : ce sont les confins de mon enfance, la patrie plus vraie et plus chère que chacun de nous a.
Qui sait me demandai-je si je la retrouverai… Ces lointains souvenirs toutefois si vifs et présents, l’étrange émotion qui y effaça d’un coup la loi du temps et y imprima pour toujours le sceau d’un éternel présent… mais qui, maintenant, n’est plus.
Tension brûlante entre « maintenant » et « alors », douceur ambigüe de la nostalgie, entre la fascination et le risque.
Fascination de la patrie retrouvée, fabuleuse richesse d’enfance, mémoire d’immenses trésors. Risque que le regret ne te berce : être ce que tu as déjà été, présage de mort.
Seul le délire, alors, sait fuir cet embrassement fatal, avec son éternel présent qui ignore la nostalgie, et donc la mort ?
Une vérité, la « sienne », que nous, peut-être, ne comprenons qu’une fois devenus vieux : la vie comme la fable que chacun de nous se raconte de soi-même, peu importe si à voix haute, peu importe si en présence d’autres.
Vieux, nous devenons un pur récit ; nous devenons ce qu’un délirant est depuis le début : en dehors du temps, sans plus de nostalgie, sans plus de mort.



Le jardin de la Maison des Médecins m’apparaît à l’improviste en haut d’un escalier de pierre bref et raide, serré entre le flanc à pic de la maison et l’ombre azurée d’un mur de glycine, parfum qui grise et dépayse.
C’est un rectangle ouvert sur un côté et sur les autres est dessiné et limité par la Maison des Médecins, la direction-bibliothèque et la maison qui fut des bonnes sœurs et qui fait un tout avec l’ancien couvent et les cloîtres.
Le scande une géom

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