Les paradoxes comiques de Jacques le fataliste - article ; n°1 ; vol.3, pg 13-63
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Description

Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie - Année 1987 - Volume 3 - Numéro 1 - Pages 13-63
51 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1987
Nombre de lectures 35
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

Extrait

Lynn Salkin-Sbirolt
Les paradoxes comiques de Jacques le fataliste
In: Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie, numéro 3, 1987. pp. 13-63.
Citer ce document / Cite this document :
Salkin-Sbirolt Lynn. Les paradoxes comiques de Jacques le fataliste. In: Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie, numéro
3, 1987. pp. 13-63.
doi : 10.3406/rde.1987.922
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rde_0769-0886_1987_num_3_1_922Lynn SALKIN SBIROLI
Les paradoxes comiques
de Jacques le fataliste *
1. DISCOURS COMIQUE ET PROBLÉMATIQUE DIDEROTIENNE
La pensée philosophique du xviii6 siècle, dans laquelle s'él
abore l'œuvre de Denis Diderot, est centrée sur l'effort de synthèse
en vue de définir l'homme comme sujet à l'intérieur d'un univers
compréhensible. Au cours du siècle, ce travail de définition se réalise
sous des formes variées qui touchent à tous les domaines du savoir :
le scepticisme crée le mobile d'un examen critique des idées tradi
tionnelles, et la science expérimentale fournit des données nouv
elles dérivant de l'observation directe des phénomènes. Dans ce
climat de travail intense, la Raison prend sa place comme synonyme
d'énergie et de force centrale devant permettre à l'individu de
définir son essence, de déduire les principes généraux de l'univers et
de réduire la nature à sa portée. Raisonner signifie alors suivre
les règles d'une méthode qui fournit les clés idéologiques de la
compréhension, les lois du comportement moral et les bases de
l'expression linguistique. Dans ce cadre, l'Encyclopédie représente
une tentative d'ensemble visant à permettre à l'homme des Lumières
* Ce texte inédit développe certaines idées ébauchées dans mes travaux pré
cédents sur Jacques le fataliste : « L'emploi du comique dans Jacques le
fataliste », SVEC, 192, 1981, 1409-1416. — « Comique théâtral et production de
sens dans Jacques le », Saggi e recerche ai letteratura francese,
XIX, 1980, 225-245. — II senso del nonsenso : l'uso del comico in " Jacques
le fataliste " , Cosenza, Lerici, 1980. — « L'Intuizione comica corne nécessita
speculativa nel'opera di Diderot », Lectures, 9, die. 1981, 49-61. — « Diderot
et l'inconstance comique », Diderot, il -politico, il filosofo, lo scrittore (Actes
du colloque de Bra), Milano, Franco Angeli, 1986, 307-321.
Les références au texte de Jacques renvoient à DPV, XXIII ou au Livre
de Poche (certaines variantes sont possibles).
Recherches sur Diderot et sur V Encyclopédie, 3, octobre 1987 14 LYNN SALKIN SBIROLI
d'insérer ces données générales dans un système cohérent de syn
thèse, un système capable d'embrasser la connaissance totale.
Définir un nouveau rapport avec le réel signifie nécessairement
redéfinir les signifiés établis par le code linguistique commun en
les rapportant aux nouveaux principes dérivés de la science et de
la nouvelle technologie. Pourtant, les disparités et les nuances inhé
rentes aux expériences humaines du monde refusent de rentrer
aisément dans un système scientifique conçu en des termes univo-
ques et dénotatifs. Ainsi se profile pour le philosophe la tâche diffi
cile d'harmoniser les disparités observées dans des généralisations
logiquement valables et unitaires :
L'expérience n'est-elle pas souvent précédée d'une supposition, d'une
analogie, d'une idée systématique que l'expérience confirmera ou
détruira ? {Réfutation d'Helvétius, Lew., XI, 540).
Souvent la définition révèle combien le code linguistique est arbi
traire et elle porte à confronter les différentes antinomies qui nais
sent de l'application des termes d'un système logico-culturel aux
« expressions les plus communes » :
Un vocabulaire universel est un ouvrage dans lequel on se propose
de fixer la signification des termes d'une langue, en définissant
ceux qui peuvent être définis, par une énumération courte, exacte,
claire et précise, ou des qualités ou des idées qu'on y attache. Il
n'y a de bonnes définitions que celles qui rassemblent les attributs
essentiels de la chose désignée par le mot. Mais a-t-il été accordé
à tout le monde de connaître et d'exposer ces attributs ? [...]
Combien de difficultés imprévues quand il s'agit de fixer le sens
des expressions les plus communes ! (Art. * encyclopédie, Enc,
V, 635 d).
Il est évident que ce problème s'accentue après 1750 lorsque
le déclin du concept déiste de l'univers fait place au monde histo
rique, avec ses valeurs relatives, ce qui engendre de nombreux
conflits et qui laisse à l'homme des Lumières la nostalgie d'une
unité perdue. Certains thèmes traités dans les œuvres de cette
période — le songe du retour à la nature, l'éloge de l'état primitif
où l'individu retrouve son autonomie « authentique » — semblent
être la manifestation de la prise de conscience d'une différenciation
irréversible. Tout se passe comme si, avec le processus de civilisa
tion, présent dans l'éducation de chaque individu, on voyait s'in
staurer une aporie fondamentale dans laquelle les parties différen
ciées paraissent comme une contradiction logiquement insoluble ;
cela explique en partie pourquoi ces œuvres sont marquées par
un ton de désillusion et de crise de conscience. La tentative d'attr
ibuer un sens à l'univers, en figeant la signification des mots, révèle
nécessairement la partialité avec laquelle on applique des formules
abstraites à l'expérience vécue. Il semble que la réalité dépasse le LES PARADOXES COMIQUES DE JACQUES LE FATALISTE 15
cadre rigide de la Raison et refuse une synthèse logico-culturelle.
Dans sa recherche d'une unité universelle, le philosophe se heurte
à une série d'antinomies dont les règles s'accordent difficilement
les unes avec les autres. Il se trouve devant le dilemme : aboutir
à des généralisations qui éliminent comme fausse une des deux
séries de règles contradictoires, ou bien aborder son travail en dehors
du système de la logique formelle qui ne permet pas que le terme
vérité soit appliqué simultanément à une assertion et à son
contraire.
Diderot met en évidence ce dilemme lorsqu'il souligne, dans
l'Interprétation de la nature, les difficultés provoquées par l'exi
stence des contradictions au sein même de toute généralisation
abstraite :
II n'y a quelquefois pas une proposition qui ne puisse être contred
ite, soit en elle-même, soit dans sa liaison avec celles qui la pré
cède ou qui la suit. C'est un tout si précaire, et dans les suppositions
et dans les conséquences, qu'on a souvent dédaigné de faire ou les
observations ou les expériences qu'on concluait. (Pensée 31, DPV,
IX, 49 ; LP 321).
D'autre part, il est obligé d'admettre que l'existence d'une
chaîne d'événements dans laquelle l'unité du tout dépend
série de causes et d'effets, implique qu'aucun élément ne puisse
être considéré comme indépendant de la chaîne, ni exempt de liens
avec les autres chaînons :
L'indépendance absolue d'un seul fait est incompatible avec l'idée
de tout ; et sans l'idée de tout, plus de philosophie (ibid., 35 ;
LP 310).
Etant donné que l'observation directe de l'univers mène inévit
ablement à la constatation de l'existence d'incohérences réelles, ce
sont ces mêmes incohérences qui indiquent qu'il y a nécessairement
une logique dans laquelle les contraires peuvent s'insérer pour for
mer une vérité ontologique. Dans les mécanismes de la définition
formelle, Diderot insiste sur le fait qu'il faut tenir compte de l'exi
stence potentielle de liens qui unissent les disparités observées dans
le réel sur un plan qu'on pourrait appeler une « logique autre » :
... tout se tient dans l'entendement humain ainsi que dans l'univers,
et [...] l'idée la plus disparate qui semble venir étourdiment croiser
ma méditation actuelle a son fil très délié qui la lie soit à l'idée
qui m'

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