Juillet 2003 - N° 28.2
LES NOUVEAUX USAGES DU LICENCIEMENT
POUR MOTIF PERSONNEL
Entre le premier trimestre 1998
et le premier trimestre 2001, dansDe 1997 à 2001, l'embellie de l'emploi s'ac-
une conjoncture de l'emploi favo-compagne paradoxalement d'une hausse des
rable, les demandes d'emploientrées à l'ANPE faisant suite à un licencie-
enregistrées à l'ANPE à la suitement pour motif personnel. Avec la reprise
d'un licenciement pour motif du chômage, leur progression se poursuit à
personnel (encadré 1) augmententun rythme encore plus soutenu, et qui reste
de 26 %, soit 21 points de plusplus rapide que celui du flux total des nou-
que l'évolution globale desveaux inscrits. Beaucoup d'observateurs entrées, quasi stables sur ces trois
attribuent cette tendance à la diffusion des années de croissance soutenue
formes de management par objectifs. (graphique 1). C'est parmi les
demandeurs à la recherche d'unLes salariés âgés, les cadres opérant dans des
emploi à durée déterminée,secteurs innovants sont sur-représentés par-
inscrits en catégorie 3, que l'écartmi les demandeurs d'emploi qui s'inscrivent
s'est le plus creusé entre les « aut-à l'ANPE après ce type de rupture du
res licenciements » (1) et l'ensem-contrat de travail.
ble des entrées : si le nombre total
Les établissements qui y recourent le plus d'inscriptions dans cette catégorie
souvent se caractérisent par une gestion indi- a plus que doublé entre 1998 et
vidualisée de la main-d'œuvre et une faible 2001 [1], les entrées pour « autre
syndicalisation. licenciement » ont été multipliées
par 3,8 (graphique 2). Cependant, le licenciement pour motif per-
Avec le ralentissement écono-sonnel couvre une variété de situations fai-
blement circonscrites juridiquement et diffi- mique et la reprise du chômage à
partir du printemps 2001 [2], lesciles à saisir statistiquement. Ainsi, bien que
deux fois plus nombreux que les licencie-
ments pour motif économique, les circons-
(1) - Dans la nomenclature de l'ANPE, cetances et les raisons de l'évolution des licen-
motif d'entrée est désigné comme « autreciements pour motif personnel restent licenciement », c'est-à-dire licenciement
autre qu'économique. Dans ce texte, nous uti-largement méconnues.
liserons indifféremment l'une ou l'autre déno-
mination.entrées à l'ANPE pour ce motif Graphique 1
Inscriptions à l'ANPE pour « autre licenciement »particulier progressent encore
plus vivement. En un an, entre le 150
premier trimestre 2001 et son
Autre licenciementhomologue de 2002, elles s'ac- 140
croissent de 14 %, soit 6 points de
plus que l'ensemble des entrées à
130
l'ANPE, tous motifs confondus.
Qui plus est, les chiffres précé- 120
dents minorent vraisemblable-
ment le phénomène, en raison 110
d'une dérive constante dans le
Ensemble DEE
repérage administratif des motifs
100
d'entrée au chômage. En effet,
pour une proportion croissante
90des entrées, le motif d'inscription mars-98 sept-98 mars-99 sept-99 mars-00 sept-00 mars-01 sept-01 mars-02 sept-02
relève d'une catégorie mal identi- Champ : demandes d'emploi enregistrées (DEE) en cat. 1, 2 ou 3.
erDonnées brutes lissées, base 100 = 1 trimestre 1998.fiée, « les autres cas », qui concer-
Source : Dares-ANPE.ne près d'un tiers des entrants à
l'ANPE (encadré 2).
Graphique 2
Évolution des inscriptions à l'ANPE pour « autre licenciement »
erLes licenciements entre les 1 trimestres 1998 et 2001, selon la catégorie
pour motif personnel,
Indice base 100 = 1er trim. 98deux fois plus nombreux que 440
les licenciements économiques
390
À partir du milieu des années
90, par suite de la forte baisse des 340
entrées à l'ANPE pour licencie-
290ment économique, le licenciement Évolution des entrées pour autre licenciement
pour motif personnel devient le
Évolution des entrées pour tout motif d'entrée
240deuxième motif « connu » d'en-
trée au chômage. En juin 2002, les
190
« autres licenciements » représen-
tent en effet 13 % des inscriptions 140
à l'ANPE dans les trois premières
catégories, après les « fins de 90
Cat. 1 Cat. 2 Cat. 3
CDD » (23 %) et les « autres cas » Source : Dares-ANPE.
(31 %). Dès 1999, les entrées pour
licenciement personnel devien- Graphique 3
nent deux fois plus nombreuses Principaux motifs d'inscription à l'ANPE
que celles pour licenciement éco-
600000
nomique (graphique 3).
Il est difficile d'appréhender les 500000
Fin de CDDcauses de cette évolution. Des
observations convergentes relient 400000
la progression des licenciements
Autrepour motif personnel à des pra-
300000
tiques nouvelles de gestion de Licenciement Démission
économique Autre licenciementl'emploi et des effectifs. Dans une
200000
logique d'évitement des plans
sociaux, « compte tenu des incer-
100000titudes et des risques de judiciari-
sation qu'ils comportent », les Fin intérim
0licenciements pour motif person-
nel seraient l'un des moyens de
réduire ou de recomposer la main- Champ : demandes d'emploi enregistrées en catégorie 1, 2 ou 3
erDonnées brutes lissées, base 100 = 1 trimestre 1998.d'œuvre dans le cadre des restruc-
Source : Dares-ANPE.turations. Moins visibles que
PREMIÈRES SYNTHÈSES 2 Juillet 2003 - N° 28.2
mars-91
sept-91
mars-92
sept-92
mars-93
sept-93
mars-94
sept-94
mars-95
sept-95
mars-96
sept-96
mars-97
sept-97
mars-98
sept-98
mars-99
sept-99
mars-00
sept-00
mars-01
sept-01
mars-02
sept-02Encadré 1les licenciements économiques
LA DÉFINITION JURIDIQUE DU LICENCIEMENT POUR MOTIF PERSONNELdes plans sociaux, ils préserveraient
« À l'exception du licenciement pour motif économique, il n'existe pas de définition légale dul'image de l'entreprise et seraient licenciement. L'employeur a toujours le droit de rompre le contrat de travail, mais la loi encadre
strictement ce droit. En tout cas, le licenciement doit reposer sur une cause réelle et sérieuse », c'est-« indolores » pour le corps social (2).
à-dire fondée sur des faits objectifs ayant un caractère sérieux dans la mesure où ils rendent la rup-Enfin, ils permettraient de procé-
ture du contrat inévitable [6].
der à des licenciements plus sélectifs. Une cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif personnel peut être non fautive ou fautive.
Une cause non fautive peut être justifiée par tout ce qui généralement dans la situation person-
Par ailleurs, on constate la pro- nelle du salarié est de nature à porter préjudice à l'entreprise de telle sorte qu'elle rend impossible,
sans dommage pour cette dernière, la continuation du contrat de travail. Ainsi, par exemple, il peutgression importante des causes
y avoir rupture d'un contrat pour cause de longue maladie, inaptitude physique, insuffisance pro-
non fautives dans le cas de licen- fessionnelle… Dans ce dernier cas, des situations très variées peuvent être invoquées, notamment le
manque de productivité ou l'insuffisance de résultats au regard des objectifs fixés. Il appartient néan-ciements pour motif person-
moins aux juges du fond de vérifier si les objectifs sont « raisonnables et compatibles avec le mar-nel (3), ainsi que le développe- ché ».
ment, depuis les années 80, de Le licenciement pour faute est motivé par un acte jugé sérieux ou grave (une faute « légère»
entraînant une procédure disciplinaire mais non un licenciement) empêchant la poursuite du contratpratiques contractuelles intégrant
de travail. « Il existe de nombreuses fautes susceptibles de constituer des causes réelles et sérieusesdes clauses d'objectifs et de résul- de licenciement », notamment refus d'une modification des conditions de travail de la part d'un sala-
tats. Ces clauses de performance rié, absences non autorisées, injures, violences, harcèlement sexuel, abandon du poste, concurrence
déloyale…seraient utilisées comme motifs
Dans certains cas, ces faits fautifs peuvent être qualifiés de fautes graves ou lourdes. de licenciement ou de non-renou- « La faute qualifiée de grave est celle qui cause des troubles sérieux ou des pertes pour l'entreprise.
vellement du contrat de travail. Le préavis dans ce cas n'est pas exécuté et aucune indemnité n'est due à ce titre.