JE SUIS TON PERE - Episode IX - La Mère et l Etoile
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JE SUIS TON PERE - Episode IX - La Mère et l'Etoile

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Description

Je suis ton père - EPISODE IX Une série proposée par Alexandre Jarry © 2015 – Tous droits réservés Une production MysteranduM Editions Mentions Légales Cet ouvrage est protégé par copyright. Tous les droits sont exclusivement réservés à son auteur et aucune partie de cet ouvrage ne peut être republiée, sous quelques formes que ce soit, sans le consentement écrit de l’auteur. Vous n’avez aucun des droits de revente, ni de diffusion, ni d’utilisation de cet ouvrage sans accord préalable de l’auteur. Toute violation de ces termes entraînerait des poursuites à votre égard. Crédits Couverture : photographie, retouches et montage par Alexandre Jarry Episode IX – La mère et l’étoile « Libérée, délivrée, Les étoiles me tendent les bras. Libérée, délivrée, Non, je ne pleure pas. » Extrait de Libérée, délivrée par Anaïs Delva, titre phare et traumatisant de La reine des neiges, Disney, 2013. L’homme est déçu. Effectuant trois pas en avant, puis deux en arrière pour attendre sa femme qui n’évolue pas sur la même échelle de vitesse, il regagne d’un pas vaguement morose la voiture garée deux rues plus loin. Ce n’est pas du tout ce que j’imaginais… Le couple sort du cinquième et dernier cours de préparation à l’accouchement.

Informations

Publié par
Publié le 27 mars 2015
Nombre de lectures 23
Licence : Tous droits réservés
Langue Français

Extrait

Je suis ton père 

-

EPISODE IX 

 

Une série proposée par  

Alexandre Jarry 

 

© 2015 – Tous droits réservés 

 

 

Une production MysteranduM Editions 

 

 

Mentions Légales 

Cet ouvrage est protégé par copyright. Tous les droits sont exclusivement réservés à son auteur et aucune partie de cet ouvrage ne peut être republiée, sous quelques formes que ce soit, sans le consentement écrit de l’auteur. Vous n’avez aucun des droits de revente, ni de diffusion, ni d’utilisation de cet ouvrage sans accord préalable de l’auteur. Toute violation de ces termes entraînerait des poursuites à votre égard. 

 

Crédits

Couverture : photographie, retouches et montage par Alexandre Jarry 

 

Episode IX – La mère et l’étoile 

 

 

 

« Libérée, délivrée, 

Les étoiles me tendent les bras. 

Libérée, délivrée, 

Non, je ne pleure pas. » 

 

Extrait de Libérée, délivrée par Anaïs Delva, titre phare et traumatisant de La reine des neiges, Disney, 2013. 

 

L’homme est déçu. 

Effectuant trois pas en avant, puis deux en arrière pour attendre sa femme qui n’évolue pas sur la même échelle de vitesse, il regagne d’un pas vaguement morose la voiture garée deux rues plus loin. 

Ce n’est pas du tout ce que j’imaginais… 

 

Le couple sort du cinquième et dernier cours de préparation à l’accouchement. Et, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’y aura pas eu le moindre exercice pratique hormis l’étrange danse périnéale du ballon de gym – cet énorme ballon gonflable sur lequel a dû s’asseoir sa femme pour exécuter des cercles avec son bassin. Au final, seulement des apports théoriques et du bourrage de crâne. Ils sont assommés, comme s’ils quittaient le cinéma après la projection d’un film français : beaucoup de blablas, peu d’action et un ennui sans fin… 

« C’était un peu chiant, au final, tous ces cours. Non ? 

— Et surtout, que va-t-on vraiment en retenir ? J’ai bien cru que j’allais m’endormir à un moment. 

— Quand ? Au début ? 

— Non, pas à ce point. Mais je sais déjà que demain, tout ou presque sera oublié. C’est dommage. 

Oui. Un peu comme pour un film français, quoi. Va-t’en raconter le scénario à quelqu’un, une semaine après, quand le sujet t’a déjà échappé depuis longtemps… » 

Prends un bon gros film hollywoodien – tiens, Inception, par exemple – ben, tu retiens plein de choses. Tu sais que le mec visite les rêves des autres pour voler des souvenirs puis qu’il s’enfonce dans le rêve, qui est dans le rêve, qui est dans le rêve, qui… Bref, ça a déjà vachement plus de gueule, quoi. 

 

« Enfin, bon, reprend la femme… Maintenant, nous voilà libérés. » 

Libéréééée ! Délivréééée ! Les étoiles me tendent les bras… Ah merde ! V’là autre chose…  

 

L’homme s’envoie une tarte dans le front. Cette mélodie diabolique le poursuit depuis la veille... Il regrette déjà son idée lumineuse. Car le visionnage de La reine des neiges de Disney était, au départ, son idée. Du moins, c’était l’idée qu’il avait volontairement mais discrètement implémenté dans l’esprit de sa femme afin qu’elle pense que c’était son idée, à elle.  

Dire que j’ai induit ce choix… 

 

Il avait en effet suggéré l’idée d’un roulement pour les soirées télé, en alternant chaque soir entre un film de mecs, pour lui, un film de nanas, pour elle, et un film familial, pour les enfants à venir. L’objectif : se préparer au pire. Et avec La reine des neiges, ils avaient été servis ! Les chansons étaient à leurs oreilles ce que Jar Jar Binks était à Star Wars : une abomination. 

L’homme repense à tout ça en grinçant des dents mais se console bien vite. Car ce soir…  

« Au fait, ce soir, c’est à mon tour de choisir le film. Et, j’aimerais bien revoir Inception. » 

 

Voilà. Il a abattu sa carte. Et en toute légitimité. 

« Encore ? S’étonne l’épouse. Mais tu l’as regardé le mois dernier ! Et pour la septième ou huitième fois ! 

— Oui, mais quand je le regarde sans toi, c’est pas pareil. Puis il y a toujours quelque chose de nouveau à comprendre. 

— Certainement. L’intérêt principal étant tout de même d’appeler Rémy juste après, pour débattre pendant deux heures du devenir de la toupie à la fin du film : Tombera, tombera pas ? 

— T’es pas cool. Ce film est culte ! De toute façon, c’était le deal. Le film familial hier, le tiens avant-hier. Tu ne peux pas me refuser ce choix ! 

— D’accord ! D’accord ! C’est ton droit de ne jamais rien regarder de nouveau. Mais d’abord, on va chez Joséphine. Ça aussi, c’était convenu. » 

Et merde… 

 

Joséphine, c’est la bonne copine. C’est Madame J’me-prends-pas-la-tête. C’est celle qui, un poil plus âgée, peut se targuer d’avoir eu cinq enfants sans perdre son job. Une femme, une vraie. C’est d’ailleurs elle qui le dit. Elle a un avis sur tout et des conseils pour tout le monde. 

« Alors, ces cours de préparation, demande-t-elle en leur ouvrant la porte ? Vous avez appris des trucs ? 

— Bof, répondent en chœur les futurs parents. 

— J’en étais sûre ! C’est qu’un tissu de conneries. Tss. Comme si leurs théories pouvaient nous donner le mode d’emploi de nos gosses. Bryan ! Sors ces vers de terre de l’oreille de ta sœur ! » 

 

Le couple voit passer un feu follet de couleurs, chaussé de bottes en caoutchouc et bientôt suivi d’une volée de boules de torchis. 

« Aaaah ! C’est pas ma guerre ! » Hurle une voix haute perchée. 

 

Deux autres gamins débarquent à la suite du premier en brandissant une fourche et un arrosoir. 

« Attrapons ce Pokémon hérétique ! Hurle la petite fille. 

— Et brûlons-le vivant ! 

— Oui ! Au bûcher ! » 

 

L’homme se tourne vers Joséphine, un rien choqué. Mais celle-ci continue de leur sourire, impassible. 

« Et du coup, reprend-elle, il est prévu pour quand ce loulou ? 

— En théorie, répond la femme, demain… Mais quelque chose me dit qu’il n’arrivera jamais. 

— Pourquoi tu dis ça ? 

— J’approche du terme et toujours pas de contractions… C’est désespérant. Je ne sais pas pourquoi, mais j’avais réussi à me convaincre qu’il arriverait trois semaines avant le terme. C’est complètement idiot… 

— Bah. Ne t’inquiète pas. Il se fait beau pour ses parents, voilà tout. Il peaufine deux ou trois détails… Comme les cheveux, par exemple.  

— Oui. Peut-être… N’empêche que c’est long, les derniers jours. En plus, son père lui fait déjà la gueule. » 

 

L’homme se raidit et prend aussitôt la mouche. 

« Qui ? Moi ? N’importe quoi, bougonne-t-il. Je lui fais pas la gueule. 

— T’aurais quand même bien aimé qu’il naisse le jour de ton anniversaire. Je t’ai entendu lui reprocher ça, l’autre soir, pendant que tu me croyais endormie. 

— Ben quoi ? Avouez quand même qu’à dix jours près, il aurait pu faire un effort, non ? J’aurais eu un beau cadeau. » 

 

Joséphine le scrute de son regard perçant, un petit sourire en coin. 

« Dis donc, lui envoie-t-elle à la face en lui pinçant la joue, c’est pas toi qui serait arrivé avec plus de quinze jours de retard, faisant souffrir ta pauvre mère plus que nécessaire ? 

— Oui, peut-être… Et alors ? 

— Alors, tel père, tel fils. C’est un gros fainéant. Tu vois, il tient déjà de toi. C’est encourageant, ça. » 

 

La matriarche rit à gorge déployée à sa propre blague. Puis, subitement, son visage hilare se change en une dalle monolithique de colère.  

« Zoé ! Je t’ai déjà dit de ne pas mettre le chat dans la machine à laver ! 

— Mais maman, dans la pub… 

— Je sais qu’il existe une marque de lessive, mais Cacahuète n’est pas une lessive. C’est un CHAT, bon sang ! 

— Mais il aime bien ! C’est même lui qui me l’a dit. Pas vrai Cacahuète ? » 

 

La pauvre bête miaule de dépit avant d’être jetée dans le tambour de l’enfer. L’homme déglutit. Il commence à entrevoir ce qui les attend. Et, ça ne lui fait guère envie…  

Sur ces entrefaites, le dénommé Bryan arrive en courant, des lombrics plein les mains, et s’arrête net à la vue de l’énorme ventre occupant l’entrée. 

« Dis bonjour. » Lui ordonne sa mère. 

 

Le gamin dévisage longuement la femme, puis se tourne finalement vers l’homme. Il se compose une attitude docte avant de pondre sa petite réflexion.   

« Tu savais que trois bébés sur mille meurent avant d’avoir un an ? » 

Hein ? Il est sérieux ce gosse ? Il roule pour la famille Addams ou quoi ? 

 

« Trois sur mille, répète l’homme, médusé. C’est vrai cette histoire ? 

— Oui. 

— Et, d’où tu tiens ton info ? 

— Internet. 

— Avant leur un an, tu dis ? 

— Oui. 

— Et quel âge as-tu, déjà ? 

— Huit ans. 

— Ah… Dommage… C’est raté, pour toi. » 

 

L’œil de Joséphine se nimbe instantanément de flammes, comme celui de Sauron. Elle ne dit rien, par politesse, mais bout intérieurement. L’homme a compris le message : son petit sous-entendu ne passe pas très bien. Apparemment, ça ne se fait pas d’user d’humour noir à l’encontre d’un gamin… Pourtant, pour les adultes, on ne se gêne pas. 

OK. Donc, on ne touche pas à ton merdeux. C’est noté… Décidément, les bonnes choses se perdent de nos jours, c’est moi qui vous le dis… 

 

***

1h36 du matin. 

Les paupières de l’homme s’entrouvrent et laissent passer un filet lumineux. L’ampoule jaune du couloir est allumée. Madame a dû se lever pour un besoin impérieux d’uriner. Rien de dramatique. 

Elle aurait pu au moins fermer la porte de la chambre… 

 

La lumière inonde effectivement une grande partie de la pièce et l’homme peut profiter pleinement d’un réveil improvisé qu’il n’a pas souhaité. Il geint et jure dans l’antique langue des mecs pas frais, dialecte dans lequel se perdent souvent des consonnes orphelines. 

« Bordelm ! Lad ludmièrde… » 

C’est trop demander, une nuit au calme ? 

 

Comateux, il fait tout de même passer ses jambes par-dessus bord. Après tout, maintenant qu’il analyse peu à peu les éléments, il se rend compte que la situation est assez inhabituelle. La voix de sa femme, habillée de la réverbération de la salle de bain, lui parvient. Elle contient un trémolo, lui aussi inhabituel. 

« Chéri… Je crois que ça y est. 

— Quoi ? 

— Je crois que… ça y est ! Oui ! 

— Quoi ? T’as compris la fin d’Inception ? 

— Non, banane ! Je suis en train de perdre les eaux ! Viens voir ! » 

Euh… Non, merci. 

 

« T’es sûre ? 

— Ben oui ! C’est pas quelque chose qui s’invente ! 

— Tu sais, à la maison de retraite, les résidents ne sont pas sur le point d’accoucher. Et pourtant, il leur arrive de… 

— Oh ! Arrête un peu. Prépare-toi. C’est le grand jour, j’te dis ! 

— OK. Alors fais vite, faut que je prenne une douche, moi aussi. 

— Quoi ? 

— Oui, c’est important. Je ne veux pas accueillir mon fils en tenue d’Aragorn. C’est un chouette héros, certes, mais un héros qui sent la vase et qui a des champignons entre les orteils… Non, vraiment, je pense qu’il appréciera d’avantage un papa qui sent bon et rasé de près. 

— Parce que tu comptes te raser, en plus ? » 

 

La femme est aux quatre cents coups. 

« Ce n’est pas exactement le meilleur moment pour se refaire une beauté. Je suis en train de perdre les eaux, là. T’imprimes ? 

— D’accord. Mais imagine : si ça dure longtemps, comment on fait ? Je vais sentir la transpiration, moi ! 

— Parti comme c’est parti, je t’assure que ça ne va pas prendre trois plombes. Les contractions s’accélèrent, je sens que ça va être très vite plié ! 

— Bon… » 

 

L’homme fait la moue. Les négociations sont rudes. Il tente néanmoins sa chance. 

« Est-ce que je peux au moins prendre une mini-douche, histoire de me réveiller. C’est moi qui conduis : il vaudrait mieux que je sois pleinement opérationnel. 

— Bon, d’accord… Va pour la mini-douche. » 

 

L’arrivée à la maternité se fait sans dérapage au frein à main sur le parking et avec un timing honnête, mais bien loin du record établi quelques semaines plus tôt. La faute à des contractions de plus en plus douloureuses et sensibles au moindre virage ou à la moindre bosse. La conduite de l’homme se fait en douceur et ce n’est pas du luxe. Il a beau être un mordu de courses automobiles, il a bien compris qu’il fallait ménager sa compagne et ne pas faire trop confiance à ses yeux et son esprit encore tout crottés. 

La nuit, tous les chats gris portent conseil… 

 

L’inconvénient de débarquer à 2h du matin, c’est justement de se retrouver devant des portes closes. Il y a bien une espèce d’interphone, mais… L’homme hésite. 

Merde. C’était pas au programme, ça. 

 

La femme, à moitié pliée en deux, elle, n’hésite pas. Elle ne crie pas parce que ce n’est pas la mode, mais le cœur y est. 

« Sonne-les ! Ils sont là pour ça, non ! 

— T’as raison. » 

 

L’homme appuie sur le bouton et entend un crépitement dans le haut-parleur. 

« Bonsoir. » Dit-il. 

« Bonsoir, lui répond-on. C’est pour quoi ? » 

La quatre fromages et les deux calzones. C’est bien ici, non ? 

« Ma femme est enceinte, explique l’homme maladroitement. Enfin, plus pour très longtemps, visiblement. Je vous ai appelé, tout à l’heure… 

— D’accord, je vous ouvre. » 

 

La voix lui indique comment arriver dans le service et le couple s’embarque, bras dessus, bras dessous, dans leur dernier voyage en tête-à-tête.  

 

« Bon. C’est pas mal. » 

 

La sage-femme qui les a reçus se penche sur le moniteur d’où sortent plusieurs séries de graphiques. On dirait un sismographe. 

« Votre contractions marquent effectivement le début du travail. Elles sont encore petites, mais je suis optimiste pour vous. Bébé va arriver dans la journée. 

— Euh… Dans la journée quand ? Genre, dans la journée dès cette nuit, ou dans la journée, journée ? » 

 

La sage-femme se contente d’un sourire énigmatique puis leur annonce : 

« La chambre que vous allez occuper est prête. Je vais vous y accompagner. Vous me direz ensuite ce que vous souhaitez manger pour le petit déjeuner puis le déjeuner. Je transmettrai ça à mes collègues du matin, dès qu’elles arriveront. » 

Ça, ça signifie, dans la journée… Beaucoup plus tard, dans la journée… 

 

L’homme attend d’être seul avec sa femme pour lui faire part de son sentiment. 

« Nous y voilà… Et toi qui disais que ça allait pas prendre trois plombes…  

— Oh ! Toi, ça va, hein… » 

 

***

 

L’horloge tourne et les heures s’étirent… Le couple a finalement pu migrer de leur petite chambre vers la salle d’accouchement. Entre deux états d’éveil mi-baveux, mi-zombie, l’homme a cru comprendre que sa femme avait finalement gagné un niveau. Comment ? Il l’ignore. Il a juste entendu que le col de son utérus, resté bloqué à 2 pendant plusieurs heures, était enfin passé au level 3. Celui qui lui a permis de déverrouiller un bonus et pas des moindres : la péridurale. 

Bon. Ça, c’est fait. 

 

Maintenant que cette pièce va être la leur jusqu’à l’arrivée du petit, l’homme s’assoie sur LE tabouret.  

Oui. LE tabouret. 

Celui qui voit passer des centaines de culs de pères depuis plus de vingt ans. Celui qui, malgré son cuir de plastique usé et décoloré, continue de jouer du piston sans grincer. Sans grincer parce qu’il est LE tabouret. L’homme l’avise, donc, et pose son séant dessus. Un tabouret pivotant et monté sur roulettes, ça lui a tout l’air d’une invitation. De quoi l’occuper pendant près de trois quarts d’heure, facile… 

Pendant que sa femme, se contorsionne de douleur et soupire lorsque son corps daigne lui accorder un répit, l’homme, lui, préfère donc se lancer des défis pour passer le temps. Il exécute des contre-la-montre autour du brancard, se chronomètre, tente de faire la toupie en donnant l’impulsion parfaite qui lui permettra de se retrouver dans une position parfaitement similaire à celle dans laquelle il était avant de se lancer… Il s’essaie à mille jeux, développant une impressionnante palette d’imagination autour de cette seule et unique distraction. 

Puis, vient le moment de l’ennui. Le dos commence à lui faire mal, sans dossier. Et la fringale, la vraie, le guette. Les cernes se dessinant sous ses yeux, pèsent à présent tellement lourd qu’il a l’impression qu’elles emportent ses épaules vers l’avant. Il regarde la pendule de la pièce : 13h. 

« Tu as vu l’heure ? Lâche-t-il, la voix rauque. 

— Hmm ? Oui. Et alors ? 

— C’est pas le tout, mais je bosse, moi, aujourd’hui ! J’attaque à 14h. 

— Pardon ? 

— Bon je te laisse, sinon je vais être en retard. 

— Tu plaisantes, j’espère ! 

— Ben… 

— Si c’est encore une manifestation inopinée de ton humour, sache que la blague n’a rien de drôle. Tu plaisantes ? 

— Oui. 

— Abruti ! » 

 

Et c’est sur ce tendre échange d’avant tempête que la porte s’ouvre subitement à la volée. Entre alors en scène l’équipe de choc, composée de l’anesthésiste et de ses sages-femmes. Tout ce petit monde est prêt pour mettre en place la fameuse péridurale, Saint Graal de tous les soulagements. 

« Enfin ! » Soupire la femme.  

Ready… Fight ! Pense l’homme. 

 

***

 

Une fois la péridurale posée, il ne reste plus aux parents qu’à attendre. Et si l’une et allongée et l’autre mal assis, les minutes s’égrènent aussi lentement que dans une file d’attente d’Eurodisney. 

Et on n’est pas prêts de croiser Mickey. 

« Bon, dit l’homme 

— Hmm ? » Répond la femme. 

 

Le temps se suspend et les contractions poursuivent leur travail de fond, affichant des pics réguliers sur les graphiques du scope. Il n’y a pas grand-chose à faire. Alors, pendant que Madame, épuisée, grappille quelques minutes de sommeil ici et là, l’homme, lui, s’occupe comme il peut : il quitte la pièce pour se rendre au distributeur automatique du rez-de-chaussée. Le café y est dégueulasse, mais il s’en satisfait. Il aimerait aller en ville s’acheter quelque chose de chaud et de savoureux à se mettre sous la dent. Mais il n’ose pas s’éloigner à plus de 50m de la salle de naissance. Des fois que… On ne sait jamais ! 

D’ailleurs, ça lui rappelle un peu la fois où il est allé au ciné voir la version longue du Seigneur des Anneaux, Le Retour du Roi avec une furieuse envie de pisser. Quatre heures et douze minutes intenables qui furent un supplice pour sa vessie. Et encore, c’était sans compter le quart d’heure d’entracte ! Cette coupure aurait pu être une bénédiction pour se soulager, mais non, même pas… Il était tellement angoissé à l’idée de manquer la reprise, qu’il resta vissé sur son siège, les mains comprimées entre ses cuisses crispées. Le pire dans cette histoire, se souvient-il, c’est qu’il avait déjà été voir le film à trois reprises dans la même semaine… 

Et le voilà, aujourd’hui, dix ans plus tard, expérimentant de nouveau cette impatience maladive et paralysante. Le voilà, coincé là, dans son périmètre de sécurité, dans sa zone de confort, buvant du Coca et s’empiffrant de Mars et de M&M’s jusqu’à l’écœurement.  

Je pensais avoir tout prévu pour cette journée. J’avais tort… Mon estomac n’était pas préparé…   

 

Heureusement, l’attente se rythme un peu par les quelques passages des sages-femmes. 

Elles se pointent tour à tour, de temps en temps, pour enfiler l’un de ces étranges gants jetables à seulement deux doigts (mais qui ne sont pas des moufles !). Elles explorent les abords du col de Madame sans grande douceur, tout en levant les yeux vers le plafond comme si la réponse à leur examen s’y trouvait. « Dilaté à 3. » Puis, « Dilaté à 4… Mais vraiment en forçant un peu. Disons 3 et demi… » 

A chacune de leurs visites, elles reprennent ce rituel et continuent de scruter les grilles du faux-plafond. C’est à se demander si elles ne jouent tout simplement pas à la bataille navale avec un adversaire invisible. Et à chacune de leurs visites, l’évolution du travail s’avère de moins en moins encourageante. 

« Oh ! Je ne m’inquiète pas pour vous. A 15h, vous aurez accouché. » 

 

Puis, à 15h : 

« Allez, courage, il n’y en a plus que pour deux petites heures. Après vous serez libérée. » 

Libéréééée, délivrééée ! Non, je ne pleure pas… 

 

Et, une fois les deux heures supplémentaires écoulées… 

« Vous êtes dilatée à 5. C’est bien. La moitié du chemin est fait ! » 

 

Résultat des courses, ce n’est pas avant 22h que les différentes sages-femmes se concertent pour enfin décider de contacter le gynécologue. 

« Ça y est, votre col est dilaté à 10. Ça va bientôt être le moment. Dès que le médecin sera là, nous commencerons à vous faire pousser. Pour voir… Il est possible, néanmoins, qu’il vous parle de césarienne, étant donné que vos contractions n’ont pas été franchement productives… » 

Sans blague ? C’est seulement après 20 heures de travail que vous vous en apercevez ?   

« Une césarienne ? 

— Ne vous inquiétez pas. Vous allez d’abord essayer de pousser. La possibilité que vous accouchiez par voie basse n’est pas encore totalement exclue. » 

Attendez une minute ! Est-ce que quelqu’un a évoqué l’éventualité d’une césarienne pendant les cours de préparation à l’accouchement ? Non. Alors remballez votre matos, morues ! 

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