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Dans quelques instants ils vont venir me chercher, j'ai donc peu de temps pour t'expliquer ce qui s'est passé. J'espère que cette lettre parviendra jusqu'à toi. L'une des femmes qui partage la cellule avec moi quitte cette prison aujourd'hui et a accepté de prendre mon message et de te l'apporter. Peut-être va t elle leur donner ce témoignage, peut-être va-t-elle le lire et le déchirer. Je ne la connais pas vraiment et n'ai pas de raison de lui faire confiance ; mais en ce moment elle est la seule possibilité qui s'offre à moi d'envoyer ce texte à l'extérieur alors que je ne sais pas ce qui va m'arriver. Si malgré tout ils récupèrent ce message, peut-être le fait que j'écrive en français les découragera. Je sais que tu es capable de lire dans cette langue. En ce qui me concerne c'était une idée de mon père. Il disait que parler plusieurs langues était le meilleur moyen de développer l'intelligence d'un enfant. Lui-même pouvait facilement dialoguer en arabe, turc et français et savait se débrouiller dans d'autres langues. Comme tu le sais, il récupérait les objets dont les propriétaires voulaient se débarrasser. Ainsi il avait récupéré beaucoup de livres en français au Liban. Pour moi, sa fille unique, il avait pris des méthodes d'apprentissage du spécifiques aux enfants arabophones du Moyen-Orient, je me souviens encore de leurs dessins très colorés. Excuse mes fautes si j'en fais, ne pratiquant pas la langue française tous les jours.

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Publié le 14 mars 2014
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Paternité
Langue Français

Extrait

Dans quelques instants ils vont venir me chercher, j'ai donc peu de temps pour t'expliquer ce qui s'est passé. J'espère que cette lettre parviendra jusqu'à toi. L'une des femmes qui partage la cellule avec moi quitte cette prison aujourd'hui et a accepté de prendre mon message et de te l'apporter. Peut-être va t elle leur donner ce témoignage, peut-être va-t-elle le lire et le déchirer. Je ne la connais pas vraiment et n'ai pas de raison de lui faire confiance ; mais en ce moment elle est la seule possibilité qui s'offre à moi d'envoyer ce texte à l'extérieur alors que je ne sais pas ce qui va m'arriver.
Si malgré tout ils récupèrent ce message, peut-être le fait que j'écrive en français les découragera. Je sais que tu es capable de lire dans cette langue. En ce qui me concerne c'était une idée de mon père. Il disait que parler plusieurs langues était le meilleur moyen de développer l'intelligence d'un enfant. Lui-même pouvait facilement dialoguer en arabe, turc et français et savait se débrouiller dans d'autres langues. Comme tu le sais, il récupérait les objets dont les propriétaires voulaient se débarrasser. Ainsi il avait récupéré beaucoup de livres en français au Liban. Pour moi, sa fille unique, il avait pris des méthodes d'apprentissage du français spécifiques aux enfants arabophones du Moyen-Orient, je me souviens encore de leurs dessins très colorés. Excuse mes fautes si j'en fais, ne pratiquant pas la langue française tous les jours. Parfois mon père me parlait tout d'un coup dans cette langue, d'autres fois il me dictait une lettre pour des clients ou des amis et nous relisions ensuite ensemble ce que j'avais écrit et il corrigeait, mais en général je faisais peu de fautes et il riait en disant que je l'étonnais, lui qui pourtant connaissait plus de langues que moi.
Maintenant, cette époque heureuse est bien loin. Bien sûr, comme tout le monde ici, nous avions vu s'accumuler les signes inquiétants. Mais nous avons décidé de les ignorer. Mon père avait seulement déménagé son magasin d'antiquités dans un endroit calme de la banlieue de Damas. Nous espérions l'apaisement. La vie quotidienne, avant les tensions n'était pas souriante, mais nous y étions habitués. La bombe, cachée dans une voiture, près de la vitrine de son magasin, tua mon père et plusieurs passants et en blessa beaucoup d'autres. Mon oncle, qui venait le voir, fut le premier à voir les corps déchiquetés, entourés de fumée, dans la rue.
Choqué, il rentra criant et pleurant, je ne l'ai jamais vu ainsi. Quand il fut calmé il me demanda de partir avec sa femme et ses enfants, au Nord du pays, à Alep, nous mettre à l'abri. Le lendemain nous partîmes sans lui, car il avait encore des affaires à régler à Damas et nous rejoindrait d'ici une semaine maximum. J'aurais tant voulu rester pour l'enterrement, au moins voir le corps, mais mon oncle m'en dissuada : le cadavre était en très mauvais état et avec les combats les routes n’étaient pas sûres et donc rassembler toute la famille pour une cérémonie était difficile. Nous ne savions pas encore la durée de tout ce bouleversement, nous espérions encore un règlement rapide du conflit. Le meurtre de mon seul parent encore vivant et ce départ précipité, m'ont empêché de te prévenir à ce moment. J'étais complètement anéantie, j'en aie oublié mon téléphone et la plupart de mes affaires.
Le voyage fut très difficile, surtout aux environs de la ville de Homs. Notre chauffeur s'arrêtait fréquemment et demandait par talkie walkie si la voie était dégagée avant de poursuivre.
Arrivés à Alep, nous passâmes chez notre cousine récupérer les clés de l'appartement. Elle me présenta ses condoléances et me parla d'un étranger qui était passé la voir au sujet d'un livre que mon père pouvait avoir.
Je me rappelle encore de sa parole :
- Il avait l’air anglais et a dit être un client à ton père, mais je ne l’ai jamais vu. Il a parlé d’un livre mis de côté par ton père pour lui, écrit par un poète arabe, un certain Abdul al-Hazred. Tu le connais ?
Je n’en avais jamais entendu parler et nous avons trouvé étrange qu'un client, étranger en plus, se présente à Alep, chez notre cousine, et non à Damas. Ce n'était pas non plus très important sur le moment. Nous avons donc retrouvé notre appartement d'Al-Hamdanyé et ma tante m'a chargé de faire les courses, pendant qu'elle s'occupait de l'intérieur. Nous étions en juillet et le soleil du matin éclairait les lieux.
En allant au marché je pris compte des changements qui avaient lieu dans Alep, ville ayant pourtant la réputation d'être restée à l'abri des tensions.
Je ne reconnaissais pas les gens, il y avait beaucoup d'étrangers, des hommes aux regards agressifs, à la barbe fournie, habillés différemment des syriens, parlant nerveusement avec un accent étrange.
Une main puissante me serra le bras à m'en faire mal et me tira en arrière, sous un porche. Une femme légèrement plus petite que moi, me tenait fermement. L’expression dure de son visage et l'homme à côté d'elle, étaient effrayants. Elle me parla mais je ne pu comprendre un seul des mots à la sonorité si étrange qu'elle prononça. Je commençai à m'affoler et en même temps je n’offrais aucune résistance, rien de ce qui se passait ne me semblait réel, comme dans un mauvais rêve. La femme parlait de plus en plus vite.
Une voix masculine retentit de l'autre côté du porche, elle semblait s'exprimer dans le même langage que celui de mon assaillante, mais d'une façon plus calme, presque indifférente. La main qui me tenait se desserra et je pus secouer mon bras engourdi.
Je regardai plus attentivement : à quelques mètres de nous, dans l'ombre, il y avait un homme. Le couple à qui il s'adressait partit rapidement. La tête me tournait mais avant que j'ai repris complètement mes esprits, l'étranger me demanda si j'étais bien la fille de Jacob l'antiquaire. Il venait de parler en arabe, sans aucune hésitation, d'une façon impeccable, même si son intonation mécanique donnait une impression de froideur à ses paroles. Ceci dit, cette faculté de passer sans difficulté et aussi vite d'une langue à l'autre m'impressionna.
La conversation entre nous deux je m’en souviens :
- Oui, je m'appelle Dinah. Mon père est mort à Damas, dans un attentat. Vous le connaissiez ? Nous sommes nous déjà rencontrés ?
- Mes condoléances. Non, c'est la première fois que nous nous voyons, mais vous ressemblez beaucoup à Jacob et il m'avait montré une photo de vous. Je suis John Long, un client américain, votre père et moi avons déjà fait affaire, d'ailleurs il a une annexe près d'ici il me semble.
- C’est vrai, oui. Merci beaucoup en tout cas pour votre aide, mais qui étaient ces gens ? Et que me disaient-ils ? Leur langage était étrange.
- Je ne les connais pas, non, mais ils parlaient un dialecte tchétchène, du Kisti sans aucun doute. De ce que j'ai compris, ils vous ont pris pour une des leurs qui devaient les rejoindre dans une rue de l’autre côté du marché. Je leur aie dit qu’ils se trompaient de personne et d'endroit et leur aie indiqué comment aller à leur point de rencontre. Par contre, pourriez-vous me faire rentrer dans l’annexe ? Je veux juste vérifier s'il y a un livre dont votre père m’avait parlé.
Et alors que j’hésitais, il a ajouté « ne vous en faites pas, je regarde et je pars, rien d'autre ».
Finalement, je me suis décidé et l'ai amené, ce n'était pas loin, juste avant une zone plus trouble, où quelques mères maquerelles tenaient des maisons closes, remplies de femmes venant d'Irak ou des quartiers pauvres d'Alep. Une fois arrivés, j'ai offert du thé à John Long, puis il a commencé à chercher dans les étagères de la pièce principale. L'endroit était bien poussiéreux et j'étais en train de me dire qu'il faudrait le nettoyer, quand mon invité se redressa brusquement un livre à la main et se figea. Je m'approchai un peu de lui, je ne voyais pas bien entre ses doigts la couverture, je ne suis pas sûr d'avoir lu dessus écrit en arabe "Le livre du musicien". Mon invité ne semblait pas croire à ce qu'il tenait, il avait la bouche ouverte et les yeux lui sortaient de la tête.
- Vous allez bien ? C'est le livre que vous cherchiez ?
- Avez-vous déjà entendu parler d'ethnolinguistique ?
- De quoi ? Non, jamais. Qu'est ce que c'est ?
Mais John Long répondit à ma question par une autre question : "Puis je vous prendre encore un peu de thé ?"
Alors que je me retournai pour prendre la théière, nous entendîmes des rafales. Je courus à la fenêtre observer ce qui se passait dehors. De là où je me trouvai je ne voyais rien à part des rues vides et quelques hommes en train de courir, j'entendis des cris, puis plus rien, un silence lourd.
Je revenais à la pièce pour la trouver vide l'étranger était parti, je pris le temps de chercher mais ne vis aucun vieux livre à la couverture semblable à celle qu'il tenait.
De ce jour la situation à Alep se dégrada, quartiers par quartiers, combats après combats. Réfugiés dans notre appartement nous ne pouvions rien faire d'autre que regarder le désastre et attendre.
Nos rêves se remplirent de paysages énormes, étranges et changeants, où l'on entendait le son
aigu du vent et sentait une menace dans l'air comme si une formidable créature se cachait en dessous et n'attendait qu'un moment d'inattention pour s'éveiller et nous frapper. Le matin où nous nous rendîmes compte que nous avions tous les cinq les mêmes images en tête, nous fûmes tellement saisis que nous n'osâmes plus jamais nous raconter nos visions oniriques, de peur de constater la poursuite de ce phénomène anormal. Je regrettai l'absence de Joseph, si fort pour interpréter les rêves.
Nos vies dépendaient des combats entre l'armée nationale et les rebelles. Nous pouvions attendre pendant des heures la fin des hostilités. Les premiers jours de combat, les routes menant à Alep furent totalement fermées à la circulation. L'électricité et les moyens de communication furent aussi arrêtés pendant plusieurs jours. Puis une nouvelle vie complètement différente de celle d’avant commença. Il y eut les jours où rien ne marchait, et les autres où ça marchait quelques heures. Il fallut s'adapter, apprendre à profiter au maximum des moments, où il y avait l'électricité et être patient le reste du temps. Le prix de la nourriture explosa. Chaque fois que nous pensions toucher le fond, la profondeur du gouffre où nous tombions augmentait encore, on a d'abord peur d'être blessé, puis d'être tué, puis vint un moment où on est saturé d'horreur et on espère n'importe quel changement même la mort devient une issue souhaitable à toute cette folie.
Il y eut la violence des bombardements aériens, la multiplication des enlèvements, d'hommes, de femmes et d'enfants, contre rançons. Les familles les plus riches étaient principalement visées par les ravisseurs, mais avec la difficulté de se nourrir et la hausse des prix, les enlèvements s'étendirent à d'autres niveaux de la population. Parfois les gens revenaient après plusieurs jours de torture pour savoir si, combien et où ils avaient cachés de l'argent. Nombreux furent ceux qui s'enfuir, d'abord au plus près en Turquie, puis au Liban, en Jordanie et parfois encore plus loin.
Nous ne savions pas où aller, alors nous sommes restés.
Les rumeurs dans la rue, disaient qu'à Homs c'était encore pire, parlaient d'attaques chimiques, de gazs invisibles et inodores, qui provoquaient d'abord des hallucinations, puis des pertes de connaissances, des convulsions et après quelques minutes la fin de la vie.
Les femmes plus encore que les hommes étaient particulièrement en danger, il ne s'agissait pas seulement des blessures ou de la mort, elles pouvaient vivre des expériences de violence bien plus intenses et variées, comme les agressions sexuelles en nombre croissant, et le mépris de leur entourage, pour celles qui avaient subies ces agressions, les considérant comme déshonorées et déshonorantes. Être grosse d’un enfant aussi était désormais une période où il y avait bien des difficultés, inexistantes pendant la vie en temps de paix.
Les hommes étaient jeunes et les durs combats qu'ils vivaient, où ils voyaient leurs camarades mourir les entraînaient à satisfaire rapidement leurs besoins par la force si nécessaire. Je n'aime pas le dire, mais il faut quand même en parler, de ce moment où j'ai été moi-même enlevée, tout le monde pense que j'ai été abusée mais ce n'est pas la vérité, ne les crois pas.
C'est très gênant, mes souvenirs de ce moment ne sont pas cohérents. Je vois une série d'images effrayantes, le visage de celui qui m'a enlevé, ni un combattant, ni un étranger, un fils de bonne famille, connu de toute la société aleppine, ensuite je me souviens m'être réveillée par terre, du mal à bouger, à voir... la suite, je ne sais pas si je l'ai rêvée, je vois John Long, le livre ouvert devant lui, les lèvres remuant mais je n'entends rien, puis des formes, je ne peux pas dire autrement, je ne peux les décrire correctement dans aucune langue, mélange de tentacule à écailles, de chair gélatineuse blanche, d'ailes de chauve souris et bien d'autres choses comme le dictateur de ce pays, couvert de sang et riant comme si tout n'était qu'une vaste blague, me disant sans arrêter de rire : "ne te rebelle pas, sinon je te trouverai et te tuerai, comme j'ai tué ton père, maintenant fais moi un bisou"… Puis une grande lumière a pris toute la place et je me suis réveillée ici dans cette prison, vivante mais je n'ai plus ma jambe gauche, elle a été coupée un peu au-dessus du genou. J'ai hurlé la première fois que j'ai vu mon bout de cuisse, pourtant je ne ressens et ne ressentirai jamais plus rien dans cette partie de mon corps. Mais la perte de ma jambe n'est rien à côté de ce que je vois ici, les femmes sont très courageuses et supportent des traitements que je ne pensais tout simplement pas possible, nous récitons entre nous des numéros de téléphone, pour que la première à sortir puisse prévenir chacune de nos familles que nous sommes encore vivantes. Hier, par chance la petite fille d'Alma a pu récupérer du papier pour dessiner, c'est ce papier sur lesquels moi et les autres sommes en train d'écrire pour faire passer des messages.
je les entends venir c'est l'heure ces hommes qui me menacent ne me donnent aucune explication et me demandent ce qui s'est passé me disent que je suis la seule survivante trouvée au milieu de cadavres et me demandent des noms et des renseignements sur l’étranger Je ne sais pas si je vais partir d'ici vivante mais je pense à toi à chaque instant puisses-tu ne pas m'oublier
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