Rapport d'information déposé (...) par la Commission des finances, de l'économie générale et du plan sur la taxe générale sur les activités polluantes et la politique de l'eau
Le rapport fait l'état des lieux de la pollution des eaux et des politiques menées (réduction des pollutions industrielles et domestiques, pollutions diffuses) par les différents intervenants (rôle essentiel des collectivités locales, faiblesse de l'échelon national, réussite des organismes de bassins au niveau régional). Il insiste sur la situation particulière des agriculteurs par rapport à la pollution (faible participation du monde agricole au financement des agences de l'eau, mauvaise reconnaissance de la contribution positive des agriculteurs à l'environnement, nécessité d'une réorientation des soutiens de l'Etat). Après avoir souligné le caractère novateur de la pénalisation financière et ses difficultés d'application, le rapporteur retrace l'évolution de la position du gouvernement sur la réforme de la politique de l'eau (établissement de prélèvements nouveaux, réforme des redevances existantes) et avance des propositions concernant notamment la perception des redevances et les comités de bassin. Il propose le renforcement des moyens nationaux de la politique de l'eau, le maintien de l'autonomie du FNDAE (Fonds national pour le développement des adductions d'eau) et des solutions pour faire participer le monde agricole (taxe ou redevance) à la lutte contre la pollution sans toutefois que les prélèvements pèsent trop lourd sur les comptes de l'agriculture.
Paternité, pas d'utilisation commerciale, partage des conditions initiales à l'identique
Langue
Français
Extrait
N1807
ASSEMBLE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 ONZIME LGISLATURE
Enregistr la Prsidence de l'Assemble nationale le 22 septembre 1999.
RAPPORT DINFORMATION
DPOS
en application de larticle 145 du Rglement
PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE LCONOMIE GNRALE ET DU PLAN(1)
La taxe gnrale sur les activits polluantes et la politique de leau
ET PRSENT
PARM. Yves Tavernier,
Dput.
(1) La composition de cette commission figure au verso de la prsente page.
Impts et taxes.
1
La commission des finances, de lconomie gnrale et du plan est compose de : M. Augustin Bonrepaux,prsident ; M. Didier Migaud,rapporteur gnral ; MM. Jean-Pierre Brard, Arthur Dehaine, Yves Tavernier,st,ice-videnprsMM. Pierre Bourguignon, Jean-Jacques Jgou, Michel Suchod,secrtaires Maurice; MM. Adevah-Poeuf, Philippe Auberger, Franois d'Aubert, Dominique Baert, Jean Pierre Balligand, Grard Bapt, Franois Baroin, Alain Barrau, Jacques Barrot, Christian Bergelin, Eric Besson, Alain Bocquet, Jean-Michel Boucheron, Michel Bouvard, Mme Nicole Bricq, MM. Christian Cabal, Jrme Cahuzac, Thierry Carcenac, Gilles Carrez, Henry Chabert, Didier Chouat, Alain Claeys, Charles de Courson, Christian Cuvilliez, Jean-Pierre Delalande, Francis Delattre, Yves Deniaud, Michel Destot, Patrick Devedjian, Laurent Dominati, Raymond Douyre, Tony Dreyfus, Jean-Louis Dumont, Daniel Feurtet, Pierre Forgues, Grard Fuchs, Gilbert Gantier, Jean de Gaulle, Herv Gaymard, Jacques Guyard, Pierre Hriaud, Edmond Herv, Jacques Heuclin, Jean-Louis Idiart, Mme Anne-Marie Idrac, MM. Michel Inchausp, Jean-Pierre Kucheida, Marc Laffineur, Jean-Marie Le Guen, Guy Lengagne, Franois Loos, Alain Madelin, Mme Batrice Marre, MM. Pierre Mhaignerie, Louis Mexandeau, Gilbert Mitterrand, Jean Rigal, Alain Rodet, Nicolas Sarkozy, Grard Saumade, Philippe Sguin, Jean-Pierre Soisson, Georges Tron, Philippe Vasseur, Jean Vila.
introduction7
2
Sommaire
I. Un tat des lieux : les pollutions des eaux et les politiques menes13
A. La matrise ingale des pollutions des eaux 13
1. La rduction des pollutions industrielles et domestiques13
2. Leproblme des pollutions diffuses, en particulier agricoles15
B. LA POLITIQUE DE LEAU : LES DIFFRENTS INTERVENANTS 17
Pages
1. Un rle essentiel des collectivits locales, renforc par la loi de 199218
2. La faiblesse de lchelon national19
a) Les moyens limits de ltat
b) Un instrument spcifique : le FNDAE21 c) Une organisation administrative complexe22
20
3. Lchelon rgional : la russite des organismes de bassin et ses limites 23
a) Les agences ont rpondu aux normes besoins dinvestissement du secteur de leau 23
b) Cependant les agences se voient reprocher une drive mutualiste 24
c) Les comits de bassin restent insuffisamment dmocratiques 28
d) La faiblesse de la base juridique des redevances fragilise tout le dispositif28 II. lES AGRICULTEURS ET LES POLLUTIONS DES EAUX : une situation part33
a. Le monde agricole a su rester hors du dispositif des agences de leau, tout en bnficiant de programmes publics 33
1. La faible participation du monde agricole au financement des agences de leau34
2. La drive du programme de matrise des pollutions dorigine agricole 35
3. Une mobilisation progressive autour des bonnes pratiques agricoles 38
4. Un programme public lincidence relativement limite : les mesures agri-environnementales42
B. La contribution positive des agriculteurs lenvironnement ne reste que partiellement reconnue 43
c. La structure des concours publics lagriculture ne favorise pas le respect de
lenvironnement 45
3
1. Le poids des concours publics lagriculture46
2. Une structure des financements qui ne met pas lenvironnement en avant 47
3. La ncessit dune rorientation des soutiens48 4. Une approche diffrente vis--vis du problme des excdents dazote et de celui des produits phytosanitaires50
III. QUOI SERVENT LES PRlvements objet environnemental et, en particulier, la taxe gnrale sur les activits polluantes ?55 a. Les instruments de pnalisation financire : une pratique plutt rcente en France 55
B. Affecter ou non les prlvements objet environnemental : cest avant tout un choix politique 57 1. Les arguments thoriques plaident plutt pour la non affectation de prlvements obligatoires des dpenses denvironnement58 2. Le primat revient au choix politique59 3. Les enjeux communautaires sont importants61
C. Les difficults pratiques de linstauration de nouveaux prlvements objet environnemental 62 1. Des incertitudes subsistent63
a) Est-on certain de la moindre nocivit des produits de substitution ?63 b) Loutil conomique est-il ncessairement pertinent ?64 c) Sait-on dterminer les modalits utiles (assiette, rendement) dun prlvement environnemental ?64
2. Les objectifs rechercher doivent tre concilis64
a) Simplicit et quit65
b) Faisabilit et efficacit vis--vis de lenvironnement65
c) Rendement et effet dissuasif66
d) Neutralit et efficacit vis--vis de lenvironnement66 e) Acceptabilit et principe pollueur-payeur66
IV. Que peut-on faire ?69
A. Lvolution de la position du Gouvernement 70
B. Quelle rforme pour la politique de leau et les organismes de bassin ? 74
1. Des redevances plus dmocratiques, plus quitables et plus lisibles, pour un prix de leau plus transparent75 2. La mise en place de redevances pour modification du rgime des eaux 76 3. Des comits de bassin plus reprsentatifs77 C. UNE PREMIre mesure : le renforcement des moyens nationaux de la politique de leau 78 1. Fonds de concours ou compte spcial du Trsor ?78 2. La question du calendrier et du montant79
3. Quelles interventions ?80
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D. Lvolution du FNDAE constitue un dossier indpendant 83
E. Les industriels de la chimie peuvent supporter de nouveaux prlvements 84
1. Quel instrument pour dcourager lusage des phosphates ?84 a) Une taxation est-elle conomiquement supportable ?85 b) Le dbat sur la nocivit compare des composants des lessives85
c) Instrument rglementaire ou taxe ?86
2. Les producteurs dintrants agricoles : une industrie concentre et capitalistique87 a) Lindustrie des engrais87
b) Lindustrie des produits phytosanitaires88 c) Un lment de fait prendre en compte : lapplication du taux rduit de TVA aux intrants agricoles89
f. Lagriculture doit bnficier dune approche prudente mais dtermine 89
1. Lvaluation du montant utile des prlvements et de leurs modalits les plus efficaces est difficile89
a) Lvaluation des cots environnementaux90
b) Lvaluation des effets de dissuasion90
c) Le choix des modalits dimposition91
2. Les prlvements envisageables psent lourdement sur les comptes de lagriculture93
3. Faut-il affecter les prlvements sur lazote agricole et les produits phytosanitaires ?95 a) Une affectation explicite dans le domaine de lenvironnement ?95
b) Une affectation politique ?97
c) La ncessit de coupler prlvements et interventions99 G. Les extractions de granulats : taxe ou redevance ? 99
1. Une taxation diffrencie est seule mme davoir un effet dissuasif100 2. Le prlvement envisag est modr101 3. Le prlvement pourrait sinscrire dans une logique de redevance101
H. Mettre contribution les dcharges internes des entreprises 102
CONCLUSION : propositions du rapporteur103
EXAMEN EN COMMISSION111
ANNEXES117
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introduction
Deux principes simples imprgnent toute rflexion sur lenvironnement : la nature est un bien collectif, fragile et menac ; celui qui la pollue doit en payer le prix. Toute action, pour en assurer la protection, doit allier prvention et protection. Leur mise en uvre par les pouvoirs publics prend la forme de la rglementation et de la fiscalit.
La prise de conscience des enjeux environnementaux pour le devenir de lhumanit est relativement rcente. Pendant longtemps la croissance conomique lie un modle exclusif dindustrialisation de toutes les formes de production tait la condition du bonheur des peuples. Production tait synonyme de progrs. On ne se souciait pas alors des consquences de lactivit humaine sur lenvironnement.
Ainsi, jusqu une date rcente, leau tait, en Europe occidentale, considre comme un bien de cueillette, disponible sans contrainte, en quantit et en qualit. Aujourdhui elle est perue comme un bien limit et menac. Leau de source est rarement potable et les poissons prouvent des difficults survivre dans les rivires.
Ce constat a conduit le Parlement lgifrer et le Gouvernement rglementer. Depuis une dizaine dannes, la France sest engage dans une politique fiscale pour atteindre ses objectifs environnementaux. Ainsi, au fil du temps a t cre une multitude de taxes ou de redevances pour lutter contre toutes les formes de pollution et pour financer les actions de dpollution. On en compte une cinquantaine aujourdhui, dans tous les domaines. Ce foisonnement nest pas source defficacit. Chaque disposition fiscale concerne un domaine particulier, sans souci dune cohrence densemble.
Cest pourquoi votre commission des Finances a souhait engager une rflexion densemble sur la fiscalit cologique, cest--dire lintgration des proccupations denvironnement dans notre systme fiscal. Cette rflexion a dj conduit un rapport de porte gnrale rdig par notre collgue Nicole Bricq, o celle-ci dresse un constat critique de la multiplication des prlvements dans le domaine de lenvironnement : On observe une tendance la superposition, voire la sdimentation de mesures ponctuelles, ce qui tmoigne dune insuffisance de rflexion globale. De faon gnrale, il apparat que la France ne se donne pas les moyens, sur le plan fiscal, de ses objectifs environnementaux, voire dans certains cas, que la fiscalit constitue un obstacle leur ralisation.()
Une deuxime critique est frquemment formule : le produit des taxes est trop souvent affect au secteur qui les gnrent. Le pollueur
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rcuprant une partie de la taxe verse peut considrer quil a un droit lgitime prenniser sa manire de faire.
Cest pour rpondre ces problmes et ces difficults que la loi de finances pour 1999 cr, en son article 45, une taxe gnrale sur les activits polluantes (TGAP).
Elle a pour objectif de moderniser, dunifier et de simplifier la fiscalit pesant sur les activits polluantes, dans le souci de rendre plus efficace lapplication du principe pollueur-payeur. Cette TGAP est affecte au budget de ltat et elle sinscrit dans la perspective dune future cotaxe europenne .
Elle se substitue, dans un premier temps, aux taxes existantes sur la pollution atmosphrique, sur les dchets mnagers, ou industriels spciaux, sur les huiles de base et sur les nuisances sonores. Ces taxes taient jusque l perues par lAgence de lenvironnement et de la matrise de lnergie (ADEME).
Ces dispositions se veulent une premire tape sur le chemin de la fiscalit cologique. Elles ne concernent ni le domaine de lnergie, ni celui de leau.
Pour ce qui est de lnergie, le Gouvernement a annonc son intention dinstituer partir de 2001 une taxe spcifique, qui constituera une fraction de la TGAP.
Dans le domaine de leau, par une communication au conseil des ministres date du 20 mai 1998, Mme Dominique Voynet, ministre de lAmnagement du territoire et de lEnvironnement, avait exprim la ncessit de voir appliquer, dans les meilleurs dlais, le principe pollueur-payeur.
Cest pourquoi, le projet dune TGAP-eau a t mis ltude pour faire lobjet dune premire srie de dcisions dans le cadre de la loi de financement de la scurit sociale pour lan 2000. Elles devraient tre compltes par des dispositions lgislatives concernant principalement les agences de leau et les comits de bassin. Ce dossier devrait tre abord, dans le cadre de la prparation du VIIIme dintervention des programme agences. Il pourrait faire lobjet dun projet de loi dbattu par le Parlement en 2000-2001.
Les propositions du Gouvernement annonces au cours du premier semestre 1999 sont de trois ordres :
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elles concernent principalement le secteur agricole avec linstauration dune taxe sur les engrais ou les excs dazote et sur les phytosanitaires (pesticides, fongicides et herbicides) ;
le secteur industriel serait notamment mis contribution dans le secteur des lessives comportant des phosphates et dans celui de lextraction des graviers dans le lit des rivires ;
enfin, un prlvement est envisag sur les agences de leau afin dabonder un compte spcial du Trsor.
Naturellement, la fiscalit cologique sur le secteur agricole est de loin la plus sensible. Aux donnes techniques, conomiques sajoutent des considrations psychologiques et politiques qui les perturbent. Comment aborder un tel dossier avec srnit ! Il mrite quon sy attarde.
La vision de la relation du paysan la nature, dans nos socits fortement urbanises, est pour le moins ambivalente.
Pour les uns, il demeure le jardinier qui accueille agrablement, dans son gte rural, le citadin puis par la vie des grandes cits et lui fait connatre les produits sains du terroir. Pour les autres, il est le premier responsable de la dgradation de notre environnement. La course effrne la production entranant une surconsommation dengrais et de pesticides aboutit une grave altration de la faune et de la flore.
Il est vrai que le lisier des porcheries bretonnes dgage une odeur qui fait fuir le touriste, rend leau impropre la consommation et menace les plages du littoral o il est responsable de la prolifration des algues vertes. Il est vrai aussi que lagriculture franaise est lune des plus performantes au monde et quelle contribue fortement lquilibre de notre balance commerciale.
Ainsi la France est le deuxime exportateur mondial de produits agricoles, mais elle est aussi le deuxime utilisateur dengrais et le troisime consommateur de produits phytosanitaires. Lagriculture est le principal metteur global dazote et le deuxime pour le phosphore. Si les performances techniques et conomiques sont remarquables, le cot pour lenvironnement et les dangers pour la sant sont tout autant inquitants.
Tel est le bilan dune politique agricole conue dans les annes de laprs-guerre et mise en uvre par les grandes lois dorientation de 1960 et de 1962.
A une vision passiste, statique et ractionnaire de lagriculture
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et du monde paysan a succd une approche volontariste, productiviste et moderniste. La rvolution silencieuse des jeunes agriculteurs a triomph, mais quel prix ?
La course infernale aux rendements conduit lagriculture dpenser toujours plus dargent pour produire. Il en rsulte une situation de surproduction qui entrane une baisse des prix. Pour assurer ses dpenses de production et maintenir son revenu, lagriculteur doit produire encore davantage. Ainsi entre 1960 et 1994, la consommation franaise dengrais chimique a doubl, celle des phytosanitaires a t multiplie par huit, pour un triplement moyen de la production agricole().
Le soutien financier une telle agriculture cote trs cher lUnion europenne et aux pays membres. Elle est bnfique aux industriels fournisseurs des intrants et aux gros producteurs qui reoivent lessentiel des aides. Elle ne rpond pas aux intrts de la majorit des agriculteurs, elle irrite les contribuables qui la financent et elle provoque des nuisances majeures et durables pour notre environnement.
Les agriculteurs apparaissent autant comme victimes que comme acteurs dune politique ignorante de ses consquences environnementales. Cest, donc, dans ce contexte global que doit tre apprhende la nature dune politique fiscale visant rduire fortement les pratiques nuisibles lintrt gnral.
La taxation des produits chimiques utiliss par les producteurs doit accompagner une rorientation de la politique agricole commune et des politiques nationales vers les objectifs dun dveloppement durable.
Une partie du monde paysan est consciente de cette exigence. Il convient de lencourager et de laider. Certains demeurent attachs une dmarche spculative et la dfense de leur rente de situation. Il faut les contraindre.
La pollution des nappes phratiques, la crise de la vache folle , le scandale de la dioxine donnent lopinion publique une image trouble de lactivit agricole et des produits agro-alimentaires. La recherche de la qualit dans le respect de lenvironnement est aujourdhui une exigence de la socit toute entire.
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Telles sont les donnes et les proccupations qui ont guid votre Rapporteur. Lapproche du dossier technique, administratif, juridique, financier est claire par les donnes sociologiques et politiques des milieux concerns. Pour tre efficace, une fiscalit finalit prventive doit tre comprise et admise par ceux auxquels elle doit sappliquer. Les moyens pour lutter contre la pollution de leau ont t jusquici peu efficaces. Le journal Le Monde du 29 juillet 1999 titrait : La Bretagne choue dans sa reconqute de l au et il ajoutait en sous-titre : Malgr la mise en place e dun programme de 1,4 milliard de francs, la pollution des sols et des rivires par des nitrates dorigine agricole dans les quatre dpartements de la rgion est remonte, en 1998, ses niveaux records.
Notre socit ne peut pas accepter que cette situation perdure. La mise en uvre dune co-taxe peut contribuer, parmi dautres mesures, contraindre les pollueurs trouver les voies de la sagesse.