DE Quoi la litterature africaine est elle la litterature
227 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

DE Quoi la litterature africaine est elle la litterature , livre ebook

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
227 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Au cours du XXIe siècle, on a régulièrement insisté sur l’urgence de penser la littérature depuis l’Afrique et la nécessité d’adapter les principes et les méthodes de l’exercice critique aux particularités de sa littérature – qui, selon certains, n’existerait même pas en tant que telle. Étant soumise à un double statut social et culturel et à des affiliations culturelles multiples, la littérature africaine d’expression française mérite pourtant un traitement critique différencié qui parachève ses possibilités de réalisation.
Écrit avec érudition et élégance, cet ouvrage propose une réflexion sur la validité scientifique et sociale d’une philosophie de la rupture, indispensable au développement d’une certaine critique. Par ailleurs, des entretiens avec quatre écrivains permettent de répondre à des questions qui servent de jalons tout au long du livre : la littérature africaine existe-t-elle ? Que valent ses écrivains et leurs éditeurs ? Où sont ses lecteurs et son public ? Qu’en disent ses critiques, les collections qui l’accueillent, et les prix littéraires qu’elle reçoit ? De quelle couleur sont ses agents et ses traducteurs ? En en quel français s’écrit-elle ?

Informations

Publié par
Date de parution 17 janvier 2022
Nombre de lectures 53
EAN13 9782760644663
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1300€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Éric Essono Tsimi
De quoi la littérature africaine est-elle la littérature?
Pour une critique décoloniale
Les Presses de l’Université de Montréal



La publication de cet ouvrage a été possible grâce à un prix de recherche PSC-CUNY, financé conjointement par le Professional Staff Congress et la City University of New York. Mise en page: Chantal Poisson Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Titre: De quoi la littérature africaine est-elle la littérature? Pour une critique décoloniale/Éric Essono Tsimi. Noms: Essono Tsimi, Éric, auteur. Collections: Pluralismes (Presses de l’Université de Montréal) Description: Mention de collection: Pluralismes | Comprend des références bibliographiques. Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20210052864 | Canadiana (livre numérique) 20210052872 | ISBN 9782760644649 | ISBN 9782760644656 (PDF) | ISBN 9782760644663 (EPUB) Vedettes-matière: RVM: Littérature africaine—Histoire et critique. | RVM: Postcolonialisme. | RVM: Décolonisation. Classification: LCC PL8010.E87 2021 | CDD 896 .09—dc23 Dépôt légal: 1 er trimestre 2022 Bibliothèque et Archives nationales du Québec © Les Presses de l’Université de Montréal, 2022 www.pum.umontreal.ca


Nous ferions mieux de moins invectiver contre les Blancs et de boire davantage.
René Maran, Batouala
Nun bin ich endlich geboren! – Enfin je suis né !
Goethe, cité par André Gide, De l’influence en littérature


Avant-­propos
Imaginons qu’un kamikaze surgisse au moment d’un rituel médiatique d’une relative importance dans la vie et la circulation des idées et des livres. Disons, par exemple: au moment d’une émission de télévision, La grande librairie sur France 5, dont l’auteur du présent ouvrage serait l’heureux invité. Imaginons ensuite que le terroriste ne soit ni arabe comme à Charlie Hebdo ni noir comme chez Tierno Monénembo. Imaginons qu’il soit blanc. Ses motivations seraient inconnues. Parce qu’il lui faut une origine, disons qu’il serait venu exprès de Norvège ou de Nouvelle-­Zélande pour tout faire exploser. Imaginons que tout compte fait, à la vue de ce beau linge, des lumières du plateau, du sourire contagieux de François Busnel, et de la panique du public en petit nombre ( unhappy few ), le terroriste hésite à semer la mort et la désolation. Imaginons qu’il renonce momentanément à sa cruauté, à la condition que votre serviteur, qu’il a interrompu en plein étalage de savoir, lui raconte une histoire qui le fasse pleurer de chagrin… Imaginons donc qu’il fasse l’aumône d’un ultime sursis: à cette seule condition, digne d’un sultan des Indes, qu’une histoire à pleurer lui soit contée à chaque crépuscule et que les caméras continuent à tourner dans ce qui sera enregistré dans le Guinness des records comme le plus long direct jamais réalisé. L’écrivain en promotion, le chercheur, sommé de défendre, plutôt que son livre, l’émission LGL, voire le service public français dans son ensemble, raconte alors l’histoire de Musenzi.
Musenzi signifie, dans une langue africaine, «non-­civilisé»: une espèce de barbare de l’intérieur, un indigène, comme ils disent. En 1940, Musenzi a accueilli un commandant français, un certain Leclerc venu à bord de son navire amiral, sur les côtes camerounaises, à Douala. Leclerc avait été envoyé par de Gaulle. C’était après le fameux appel londonien, lancé depuis une certaine radio, un certain mois d’été: monsieur de Gaulle venait d’appeler la France libre et l’autre France, un peu défaite et un peu collabo, à résister comme une seule et même France. Ses amis britanniques lui avaient conseillé d’aller se ressourcer dans les bases arrière et militaires de l’Empire, en Afrique, pour venir à bout de l’ennemi nazi et libérer la France occupée. Musenzi fit alors du Cameroun le premier «rallié» de l’Empire: il était si content d’exister auprès de son ami français, ce Musenzi, que des années plus tard, il baptisa d’ailleurs l’hymne national camerounais «le chant de ralliement». Il y avait des alliés et il y avait donc des ralliés. Les Africains étaient ralliés. Pourquoi «ralliés» plutôt qu’alliés tout court? Dans les fables, les dénominations ne sont jamais les mêmes selon que vous êtes jugé puissant ou misérable. Il fut décidé que le Cameroun pourvoirait du caoutchouc, à partir du lieu-­dit appelé Dizangué, la Centrafrique et le Mali de l’or, et que l’Afrique-­Équatoriale française se mobiliserait corps et biens. En un mot, toutes les ressources naturelles et minières nécessaires aux armées américaine et de la France libre pour construire notamment force engins de la mort seraient mises à contribution. Musenzi n’avait jusqu’alors vécu que de chasse écoresponsable et de cueillette de cinq fruits et légumes par jour. Musenzi allait dorénavant aider de manière inlassable ses amis français, qui le lui rendraient bien en l’habillant décemment (en tenue de combattant, qu’il était désormais). Lui demandait-­on d’embarquer qu’avec joie, Musenzi embarquait. Voulait-­on qu’il débarque que Musenzi, avec plaisir, débarquait. Au point de se retrouver, lui, le chasseur camerounais, grimé en un tirailleur sénégalais; lui, le soldat noir, perdu dans une escouade blanche, pendant la bataille de Falaise, en Normandie.
Un jour, alors que l’escouade à laquelle il était affecté était en patrouille, un feu d’artifice et de mitrailleuses allemandes fondit littéralement sur lui au moment de traverser un verger normand, s’abattant sur l’escouade comme plus tard la misère sur la pauvre Afrique. Habile aux techniques de chasse à bout portant, adepte du corps à corps, Musenzi, crosse en l’air, rompit le rang. Les forêts camerounaises du Dja où il tuait sa ration quotidienne de gibier l’avaient formé: il courut vers les nazis sans peur, pour les étêter et les éviscérer morts ou vifs, comme de vulgaires sardines. «Un bon nazi est un nazi saignant», disait un haïku en sa langue. Et, zigzaguant d’un arbre à l’autre, au milieu de ces chênes disposés en quinconce, plus espacés que les arbres des forêts de son Dja-­et-­Lobo natal, n’écoutant plus les ordres de son chef d’escouade qui voulait à présent que les «chasseurs à pied» restent groupés, il s’était rendu jusqu’à l’ennemi. Alors que les balles déchiquetaient certains corps alliés pourtant restés à l’abri, rien ne l’atteignait. Les charges de l’ennemi l’esquivaient, glissaient sur sa peau noire maraboutée.
Après la guerre, Musenzi a souffert d’un syndrome de stress post-­traumatique, c’est-­à-dire, en langage profane, d’un trouble comportemental de guerre. Tant et si bien qu’il n’a plus pu manger de viande fraîche du Dja sans haut-­le-­cœur. C’est que toute cette orgie de chair et de sang humains l’avait changé, comme ramolli. Rentré au Cameroun après l’issue victorieuse de la guerre, il a fait une dizaine d’enfants à la première broussarde impressionnée par ses exploits. Comme une malédiction, toute sa progéniture a rêvé depuis lors de la douce France pour laquelle Musenzi se serait battu, sans qu’une quelconque version canonique, ni romans (merci quand même à mon frère d’âme, David Diop) ni médailles, atteste la véracité de ses prétentions.
Imaginons qu’au bout de cent jours à attendre sa première larme, après cent une nuits de séquestration sur ce plateau C du studio Pierre Desgraupes, au sous-­sol de France Télévisions, après que l’écrivain-­chercheur a multiplié les personnages et les péripéties de son conte schéhérazadien, après que Jean-­Pierre Devillers a perdu toute maîtrise de son émission, imaginons que le kamikaze ne soit guère plus convaincu que le premier jour de la sagesse de votre serviteur ni de la pertinence de lui acheter des livres, et n’ait pas été ému une seule seconde. Que se passerait-­il dans cette émission, désormais retransmise en mondovision, où ce décor si familier s’apprêterait à être transformé en scène de crime?
Même s’il peut en donner l’impression, le but du présent ouvrage n’est ni de plaindre ni de faire pleurer, et la cible n’en est pas l’Occident. Il ne vise pas à présenter les Africains comme des victimes, mais comme les acteurs défavorisés de rapports de force provisoirement désavantageux. Tels des Sisyphe roulant leur pierre sur la montagne, les écrivains et penseurs africains sont des héros pour les leurs, des Prométhée ayant volé quelque feu, mais tardant parfois à le ramener aux origines (les leurs et celles du feu). En tout état de cause, selon la formule du Mythe de Sisyphe , il faut imaginer ces héros heureux. J’ai choisi d’analyser, à travers ce glissement de l’âge solidaire (universalisme communautaire) à l’âge du self (communautarisme décolonial), des contemporains ayant réussi, des écrivains dont je suis souvent admiratif et qui ont le cœur rempli de leur «lutte elle-­même vers les sommets». Malgré sa tonalité neutre et un effort d’objectivité visant à en garantir la crédibilité et la justesse, cette réflexion peut présenter, dans certaines de ses conclusions, des traits et accents militants, caractéristiques du genre et significatifs des tensions vécues tout au long de ces dernières années de lecture, critique, recherche, collecte, analyse et traitement de données. Celles-­ci ont abouti à la production d’un roman Migrants Diaries (2014), d’un essai confidentiel sur l’identité (2013), d’articles savants (2016, 2017, 2019, 2021) et à présent de cette contribution interdisciplinaire, reflétant ma trajectoire intellectuelle: littérature, philosophie, psychologie et sociologie mêlées.
L’idée à l’origine de cette protomythologie introductive qui imite le principe des œuvres afrosporiques (afrodiasporiques), celles des «enfants de la postcolonie» (novellisation des postures, métaphorisation, allégorisation, fictionnalisation) et des pères (et mères) de la mouvance décoloniale, n’est ni normative ni axiologique. Elle ne prétend pas convoquer les écrivains a

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents