Qu'est ce qu'est, que peut être, l'homme médiocre ?

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• Publié par: ybezakit
• Nombre de lectures: 200
• Langue: Français

Extrait

Qu’est ce qu’est, que peut être, l’homme médiocre ?

(30 mars 1938)

« Quelle opinion avez-vous de vous-même? ». Voila la question d’un écrivain à ses lecteurs.

La question ne fait de mal à personne. En définitif, nous avons des opinions sur tout, la guerre

entre les Chinois et les Japonais, la prose et la poésie, le bonheur de l’humanité avec ou sans

civilisation. Pour une fois, demandons-nous de manière honnête : que pensons-nous, donc, de

nous-mêmes ? La réponse à cette question, c’est, dans une certaine mesure, notre vie. Nous

sommes parfois fiers, parfois humbles, mécontents ou réconciliés avec nous-même. Mais

toutes ces sensations sont troubles, sans contrôle ni mesure. « Que se passe-t-il donc, avec

moi-même ? » C’est la question que chacun d’entre nous devrait se poser clairement. Est-il

vraiment capable de répondre ? Laisse-t-il la responsabilité de cette réponse au monde qui

l’entoure?

Il est presque certain, au fond - pendant les « moments de décrues »- que chacun croit au fond

de lui-même être un homme médiocre. Chacun, même le plus grand, trouve un être devant

lequel il est petit, il ressent alors un complexe d’infériorité. Croyez-vous par exemple que

Jules César, dans l’absolu, se croyait grand? Son rêve n’était que de suivre les traces

d’Alexandre le Grand, et de conquérir l’Empire perse. César était tué, le 15 mars; il devait

partir en campagne contre les Perses le 17 mars. Et Napoléon ? Sa fierté était de se prétendre

l’héritier des Césars. L’illustre Bonaparte prenait cela très au sérieux, à tel point qu’il ne

pouvait accepter que l’historien Tacite ait critiqué des empereurs de Rome ; il alla même

jusqu’à interdire la revue Mercure, pour un article où Chateaubriand faisait l’éloge de Tacite.

Ce même Napoléon s’exclama aussi dans une phrase célèbre : « Et si j’étais mon propre

fils! ». Mais, ne pouvant être son propre héritier, Napoléon se contenta d’être un descendant

des Césars.

Si César et Napoléon sont conscients de leur médiocrité relative, alors cela rend d’autant plus

explicable notre sentiment ? Peut être est-ce une bonne explication, mais ce n’est pas

réfléchi ; en tout cas, ce n’est pas sain. Un tel sentiment est accablant, paralysant. De même,

le sentiment d’être un génie mal compris n’est pas sain. Entre les deux positions extrêmes

illustrées ici, n’y a-t-il pas de place pour une approche de ce qu’est l’être humain, avec toutes

ses limites ?

Au fond, que signifie être médiocre ? Tu es médiocre à l’école ; mais l’école n’est pas tout.

Ta carrière professionnelle est médiocre, mais la profession n’est pas tout. Tu es médiocre en

societé, mais cela ne veut rien dire. Y’a-t-il des médiocres dans l’Eglise ? As-tu des raisons de

te trouver médiocre, alors que là, tu ne te mesures avec personne ? Il est fort possible que

cette médiocrité dont on parle soit le résultat, au moins le développement, au cours du siècle

dernier, d’un monde où on a commencé à avoir foi en l’intelligence de l’homme plutôt qu’en

son essence même. Oui, l’homme est un être intelligent, mais plus ou moins intelligent. On

peut instaurer une mesure. Mais un homme à part entière reste un être à part entière. Souvent,

en ce qu’il concerne, tu ne te demande même pas s’il est médiocre.

Beaucoup d’entre nous ne serez dignes d’intérêt qu’à condition de ne pas se sentir médiocres.

Est-ce que vous connaissez le roman de Thomas Mann, « La montagne magique » ? C’est un

livre très bien écrit, trop complet dans son genre, très instructif. Le héros est un homme

médiocre. Je me demande, même, si la première idée de l’auteur n’a pas été de montrer à

quel point la vie d’un homme médiocre peut être intéressante. Je pense, dans ce cas, qu’il a

réussi. L’auteur raconte, sur plus de mille pages, les journées, les préoccupations, les ennuis