Gracq, a writer and geographer
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Description


Gracq, whose real name is Louis Poirier (1910-2007)
"It sums up beautifully the complex and often ambiguous art and geography. '
(Armand Frémont, 2005)
A writer and geographer draws its geographical culture to feed his work. It has first of all a specific vocabulary. Sometimes Gracq employs italic typography to highlight some of the technical terms familiar to the geographer. Questioned this approach, he says it means: "Here, I have no better word than the word scientist to express what I mean, I'm sorry." We found among many other geographical terms and emphasized: open field, podzol, nunatak, draille, Chott, gour, igarape, bluffs, adret, watergand, the acronym ZIP industrial port area, etc ...
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Langue Français

Extrait

Julien Gracq, un écrivain-géographe(1/3) : des mots et des paysages
Julien Gracq, de son vrai nom Louis Poirier (1910-2007) « Il résume merveilleusement les rapports complexes et souvent ambigus de l’art et de la géographie. » (Armand Frémont, 2005)
Un écrivain-géographe puise dans sa culture géographique pour nourrir son œuvre. Il dispose tout d’abord d’un vocabulaire spéciîque. Parfois, Julien Gracq emploie une typographie en italique pour souligner la technicité de certains termes familiers au géographe. Interrogé sur cette façon de procéder, il répond que cela veut dire :« voilà, je n’ai pas de meilleur mot que le mot savant pour exprimer ce que je veux dire, je m’en excuse ».Nous avons relevé parmi beaucoup d’autres les termes géographiques ainsi soulignés : openîeld, podzol, nunatak, draille, chott, gour, igarapé, bluFs, adret, watergand, le sigle Z.I.P. pour zone industrialo-portuaire, etc... En revanche, l’auteur a sans doute estimé mieux connus d’autres emprunts au vocabulaire géographique et ne les a pas diFérenciés à l’aide des italiques : polder, planèze, bouclier, hinterland, névé, lagune, moraine, Lèche, steppe, canyon, replat, arroyo, épaulement, delta, oued, serre, thalweg, bocage, étier, falaise morte, estive, etc... Une grande partie de ces termes appartient à la géomorphologie dans laquelle s’est spécialisé Julien Gracq à partir de 1933 ; il a d’ailleurs songé à une thèse de géographie physique sur la Crimée avant de faire porter ses recherches sur la morphologie de la Basse-Normandie.
orsqu’on examine l’emploi du vocabulaire géographique qu’en fait Gracq, nous relevons deux types d’utilisation.
e premier vise à choisir le terme technique jugé le mieux approprié pour qualiîer la forme ou le lieu décrit. Ainsi, lorsque l’écrivain se promène dans la forêt de Monts jouxtant son appartement vendéen de Sion, il avance dans la terre cendreuse de la pinède qu’il présente comme un « podzol », nom d’origine russe retenu par les géographes pour désigner un sol lessivé et cendreux. De même, dansLa Sieste en Flandre hollandaise, quand il décrit« tout ce pays très récemment endigué (qui) vient de sortir de l’eau »,le mot«polder » lui vient tout naturellement, mot qui signiîe pour le géographe un espace conquis sur la mer par endiguement et assèchement. En revanche, pour décrire le paysage agraire sans clôtures des campagnes d’Orsenna dansLe Rivage des Syrtes, il utilise l’expression « campagnes ouvertes » sans italique et sans être certain que le lecteur pense à son acception géographique. Mais dansLettrines 2, pour désigner le même paysage qui remplace par endroits le bocage vendéen, il n’hésite pas à user et de l’italique et du terme géographique d’ « openîeld ».
Une deuxième forme d’utilisation du vocabulaire géographique compose un réseau lexical métaphorique auquel Julien Gracq fait souvent appel pour la description des paysages. Ainsi, quand il voit la trace large et poussiéreuse faite par« le trajet quotidien de la migration juvénile et moutonnière »des enfants des colonies de vacances à travers la forêt de Monts, il emploie le mot« draille » qui désigne pour le géographe les sentiers de transhumance de la rance méridionale. Dans cet exemple, la métaphore de la trace laissée par la migration des moutons apparaït sinon évidente, du moins confortée par plusieurs correspondances.
Forêt de Monts (Vendée) près de Sion où Julien Gracq possédait un appartement
Parfois les descriptions engagent la métaphore sur des chemins plus osés mais non dénués de poésie. Ainsi dansLettrines 2, Julien Gracq décrit le spectacle de la rue de Grenelle depuis les fenêtres de son appartement, les toits parisiens inondés de soleil surplombant la rue invisible et grondante:« Ce petit monde des hauteurs, avec ses replats, ses portants, ses redans, ses ravins, ses arêtes -monde que j’ai en vue presque à portée de la main par-delà la gorge ombreuse et verticale de la rue de Grenelle, dont le fond m’est caché et d’où monte seulement jusqu’à mon balcon la lointaine rumeur de torrent - est déployé, étalé, inondé de soleil comme la terrasse d’un alpage suspendue au-dessus de la muraille verticale des forêts ». Si la plupart des termes géographiques utilisés dans cette description, comme ravins, crêtes ou alpage, sont passés dans le langage courant, il n’est pas sûr que tout le monde connaisse par exemple l’acception précise du motreplat qui désigne une étendue plane sur un versant entre deux parties déclives.
’écrivain-géographe ne se contente pas d’employer une terminologie propre au discours géographique, il se déînit aussi comme un auteur qui sait analyser des paysages. Il possède un savoir et il a acquis des réLexes lui permettant de dégager rapidement la physionomie et la structure d’un paysage. Dans son entretien avec Jean-ouis Tissier (1986), Julien Gracq le conîrme :« quand je voyage(...), ma formation géographique laisse pointer le bout de son nez (...). Instinctivement on a une autre manière de voir, plus structurale. Je me demande quelquefois ce qu’est le monde des gens qui n’ont pas de formation géographique. Le voyage doit être pour eux une espèce de fantasmagorie mal liée, une juxtaposition heurtée de formes étranges où rien ne s’enchaîne ».Nombre de passages de l’œuvre gracquienne tirent proît de ce remarquable coup d’œil de l’écrivain-géographe. En témoignent par exemple les lignes extraites deLettrines 2décrivant la vue qui s’oFre au voyageur depuis le balcon de sa chambre d’hôtel à Saint-Hippolyte en Alsace :
Village du vignoble alsacien au premier plan et Vosges boisées avec le château du Haut-Koenigsbourg à l’arrière-plan
« Du balcon de ma chambre, vers l’ouest, la vue plonge dans les vignes, un compact de vignes sans une lacune jusqu’à mi-pente des collines(...). A droite, à gauche, tout près, presque à portée de cri, les clochers de brique des deux villages voisins pointent chacun derrière l’épaule d’une colline vineuse. Au-dessus des vignes, sans transition, la forêt, et les rondes et noires petites montagnes dont l’une, juste en face de ma fenêtre, porte haut à sa cime le donjon vernissé de neuf du Haut-Koenigsbourg. La coupure nette des zones étagées, l’échelle riante et tout humaine des distances et des altitudes, qui accorde au paysage l’ampleur sans le grever de l’incommodité, la sonorité, la transparence de l’air, l’étalement sous les yeux, voluptueux et pentu, du paysage lisible de haut en bas comme une carte(...) ». Tout y est dans cette description du versant alsacien des Vosges. ’orientation
d’abord : le regard porte vers l’Ouest, c’est-à-dire vers les sommets du versant vosgien où se niche le château du Haut-Koenigsbourg, citadelle perchée près d’une frontière souvent contestée. A droite et à gauche, tout proches, les deux villages voisins de Saint-Hippolyte, c’est à dire Orschwiller au Nord et Rödern au Sud, le long de la route des vins. Derrière l’observateur, l’Est, c’est à dire la plaine du Rhin. Autre aspect clé du paysage : la coupure nette des zones étagées, celles-ci étant caractérisées par une occupation humaine et une mise en valeur diFérentes en relation avec des conditions naturelles spéciîques : la zone la plus basse correspondant aux collines sous-vosgiennes avec son vignoble de qualité et ses villages coquets proches les uns des autres car la vigne est ici -comme bien souvent - une culture peuplante ; au-dessus des collines viticoles (Gracq écrit « colline vineuse »), la zone plus élevée du massif ancien recouverte par la forêt et pratiquement vide d’hommes.
e seul séjour extra-européen de Julien Gracq, un séjour de deux mois aux Etats-Unis pendant l’été 1970 en tant quevisiting professorà l’Université de Madison dans l’Etat du Wisconsin, illustre l’aptitude de l’écrivain-géographe à saisir rapidement l’essentiel d’un paysage. C’est encore dansLettrines 2que nous pouvons lire cette petite leçon de géographie: « le sommet des mamelons souvent assez raides est occupé uniformément par de petits bois : la culture, on dirait, s’essoue vite ici au long des pentes trop déclives. (...) A l’inverse de la civilisation mexicaine et andine, c’est partout une civilisation des plaines basses, qui ne mord pas sur les hauteurs, qui pourtant évite aussi les thalwegs et les abords marécageux des euves(...) on est surpris de l ‘aspect sauvage, non maîtrisé, non aménagé, des fonds de vallées(...) les agglomérations(...) se logent uniformément dans les creux, près des conuents et sur les plaines : pas une seule ville perchée ici (...) la vie s’étale seulement entre les niveaux extrêmes qui circonscrivent la zone des commodités(...) Peu familier du continent américain sinon par la connaissance livresque et photographique, Julien Gracq pointe pourtant ce qui fait l’originalité du paysage du Wisconsin. ’acuité du regard trie les indices et révèle par comparaison, elle lit et interprète à la fois, combinant l’exactitude descriptive et la vision d’ensemble. Dans cette région proche des Grands acs américains, le paysage est assez vallonné malgré l’altitude peu élevée avec ses« mamelons souvent assez raides »,ses collines, ses pentes déclives mais aussi ses plaines basses et ses fonds de vallées. es collines parfois accidentées renvoient aux débris morainiques déposés par les anciens glaciers quaternaires, aujourd’hui rétractés dans la partie septentrionale du bouclier canadien.
Mais l’originalité de cet espace situé au Nord des plaines du Middle West réside avant tout dans l’histoire de sa mise en valeur : celle-ci s’est faite récemment par une population de pionniers peu dense dans un contexte d’immense réserve spatiale dotée de grandes étendues de terres fertiles. Inutile de s’échiner à aménager des fonds de vallées souvent marécageux, inutile de mettre en valeur des pentes supérieures trop déclives et aux conditions climatiques moins favorables, l’espace intermédiaire sut largement à faire vivre la population peu nombreuse : c’est partout« une civilisation des plaines basses »qui ne
ressemble en rien à ses homologues américaines des hauts plateaux mexicains et andins.
Daniel Oster
URL pour citer cet article:http://www.cafe-geo.net/article.php3? id_article=2564
Julien Gracq, un écrivain-géographe (2/3) : une géographie sentimentale
es paysages sont au cœur de l’œuvre gracquienne, leur importance s’accroït même dans les œuvres publiées à partir d’Un balcon en forêt (en 1958). Si le géographe est tenté d’utiliser sa pratique et son discours pour donner son point de vue sur une notion qui lui est familière, il est en même temps embarrassé par le paysage gracquien indissociable de la création littéraire, domaine qui n’est pas le sien. Pourtant, Armand rémont n’hésitait pas à armer en 1976 que « la région de Madame Bovary (est) plus géniale géographiquement que n’importe quelle Haute-Normandie de géographe ». Pourquoi dès lors le géographe n’emprunterait- il pas les sentiers de la création littéraire pour approfondir sa connaissance des lieux et notamment des formes paysagères ?
es paysages gracquiens appartiennent à deux registres de l’aveu même de l’auteur. Il y a d’une part les paysages des romans qui selon Julien Gracq sont des paysages synthétiques, qui se souviennent des paysages réels mais sont recomposés, souvent fondus l’un dans l’autre. Ainsi les paysages duRivage des Syrtesrenvoient autant à l’Orient qu’à l’Occident, les commentateurs évoquent les références au golfe libyen des Syrtes, à l’Afrique du Nord, à l’Italie surtout, Venise notamment, mais aussi à la presqu’ïle de Guérande en Bretagne...
Un paysage possible pour « Le Rivage des Syrtes »
En tout cas, le paysage des romans ne sert pas de décor. Gracq nous éclaire lui-même en disantque « les paysages sont « dans le roman » comme les personnages et au même titre (...) Tout cela est totalement soudé et il est impossible, comme dans la vie réelle, de les séparer l’un de l’autre. ».a description gracquienne s’appuie sur des paysages qui ont un véritable statut de narrateur latent : l’espace sollicite le regard qui tente de l’interpréter. DansLa presqu’îleparue en 1970, un passage parmi beaucoup d’autres illustre cette fonction du paysage :« un nuage glissa par-dessus les collines et ït virer la teinte du bocage à un vert éteint (..).Il lui sembla soudain que la promesse d’Irmgard venait à lui dans cette douceur protégée (...) dans une sorte de tendresse aveugle. ».
DiFérents sont les paysages desLettrinesqui eux sont des paysages réels, non recomposés. Ici il ne s’agit pas de îction mais de choses vues. Encore une fois, Julien Gracq nous aide à comprendre sa démarche.« On tâche d’éliminer les poncifs et de saisir le point qui est frappant. (..) .Cela tient un peu à mes lectures géographiques. Parce que, quant on voit un paysage, en fait ce n’est pas une découverte c’est une comparaison entre une chose lue et une chose réelle. Cela ne défraîchit pas le paysage que l’on découvre, cela change seulement le mode d’attention et de surprise. »
Un second aspect des paysages gracquiens met en valeur les liens entre l’homme et l’environnement. DansPourquoi la littérature respire malparu en 1961 Gracq évoque« le sentiment perdu d’une sève humaine accordée en profondeur aux saisons, aux rythmes de la planète, sève qui nous irrigue et nous recharge de vitalité et par laquelle(...) nous communiquons entre nous ».C’est pourquoi les personnages des romans de Gracq sont souvent en osmose avec le milieu qui les entoure : êtres sensibles, ils captent les bruits, frémissent, sursautent, observent les changements de lumière. DansLa presqu’île,« Simon n’était plus qu’un guetteur aux yeux tendus, essayant de déchirer dans ce paysage les signes qui allaient dénoncer l’approche de la côte. ».Dans un entretien de 1977, l’écrivain précise cet aspect :« je crois que j’ai cette formation de géographe dont je ne me défais pas et j’ai toujours eu ce sentiment primitif, instinctif du lien entre l’homme et le milieu, l’homme et l’environnement. ».Toujours dansLa presqu’île,le personnage principal est le médiateur qui permet un échange incessant entre les paysages successifs. Ainsi l’espace deLa presqu’îlereprésente le sujet essentiel du récit, il révèle l’expérience du monde au travers du regard d’un être vivant avec ses humeurs changeantes, ses souvenirs, ses désirs dans le va-et-vient des heures.
La presqu’île de Guérande entre Océan et Loire
Cet appel des spectacles de la terre ne laisse pas Julien Gracq indiFérent. Il écrit :« je retiens aussi les paysages selon le plus ou moins de plaisir que j’ai à les découvrir. Je ne les regarde pas d’un œil indiérent. Pour moi ils inuent, sur le comportement. »D’ailleurs, c’est pour cela aussi qu’il apprécie leTableau de la géographie de la Francede Vidal de a Blache, il aime la réaction aFective de l’auteur qui n’hésite pas, par exemple, à parler de tristesse en quittant les paysages ensoleillés du Midi. es paysages électifs de Julien Gracq composent une véritable géographie sentimentale, l’expression est reprise par lui pour une prépublication de certains textes desLettrines.
es paysages-frontières, récurrents dans l’œuvre, notamment les rivages, les frontières politiques, les lisières, les terrains vagues, sollicitent la rêverie gracquienne. es conîns sont à découvrir ou à imaginer, ils voilent autant qu’ils dévoilent. Quant aux rivages, ils n’appartiennent ni à la terre ni à la mer sinon aux deux espaces à la fois. Dans ces paysages, l’homme sensible est aux aguets. Par ailleurs, il existe chez Gracq une attirance pour les points hauts, les vues panoramiques, à partir d’un promontoire ou d’un belvédère. Ici l’œil du géographe peut s’exercer à analyser le paysage, à tenter d’en révéler la structure. DansUn balcon en forêt-le titre du roman n’est pas anodin- un des personnages, le capitaine Vignaud, dit que le coup d’œil en vaut la peine :« de là le regard eeurait le sommet du versant en face, un peu moins élevé, on voyait les bois courir jusqu’à l’horizon, rêches et hersés comme une peau de loup, vastes comme un ciel d’orage. A ses pieds, on avait la Meuse étroite et molle, engluée sur ses fonds par la distance(...) ».Dans son entretien avec Jean-ouis Tissier, Gracq conîrme son intérêt pour les vastes paysages en constatant qu’il y a deux catégories d‘écrivains en ce qui concerne les impressions visuelles: « il y a ceux qui sont myopes et il y a ceux qui sont presbytes. Je ne crois pas que l‘on puisse avoir les deux capacités à la fois »Il continue plus loin :« personnellement, je m’intéresse plutôt aux panoramas, aux vastes paysages, et il est certain que si je dois me promener, si j’ai le choix, je prends un chemin de crêtes pour avoir des vues. »
Le plateau de l’Aubrac « où la pesanteur semble se réduire comme sur une mer de la lune »
Nous ne sommes donc pas surpris que les hauts plateaux du Massif Central, comme l’Aubrac et le Cézalier, fassent partie des paysages préférés de l’écrivain.« il y a l’Aubrac, haut belvédère de dépouillement et sublimité, plus lunaire, plus déployé, plus balayé que les paramos des Andes ».A sept reprises dans son œuvre, Julien Gracq s’attarde à décrire l’Aubrac, la plus méridionale des régions volcaniques du Massif Central, aux conîns de trois départements, l’Aveyron, le Cantal et la ozère. Ces hautes terres forment un bout-du-monde, vaste espace dénudé entre les forêts sises dans les vallées étroites du versant méridional et les pinèdes de Margeride. a perception du haut plateau dénudé a été remarquablement rendue dans lesCarnets du grand chemin:« Tout ce qui subsiste d’intégralement exotique dans le paysage français me semble toujours cantonner là : c’est comme un morceau de continent chauve et brusquement exondé qui ferait surface au-dessus des sempiternelles campagnes bocagères qui sont la banalité de notre terroir. Tonsures sacramentelles, austères, dans notre chevelu arborescent si continu, images d’un dépouillement presque spiritualisé du paysage, qui mêlent indissolublement, à l’usage du promeneur, sentiment d’altitude et sentiment d’élévation. ».a conscience de la disparition du manteau forestier au XIIe siècle participe à la sensation éprouvée au contact des grands espaces. a vue du ciel en est renforcée, l’altitude en est mieux ressentie ainsi que le sentiment qui lui est souvent associé, l’élévation. ’isolement complète ce registre métaphorique car il conduit au dépouillement qui lui-même favorise le retour sur soi, le ressourcement. Dans un autre passage desCarnets du grand chemin, Gracq écrit :« sur ces hauts plateaux déployés où la pesanteur semble se réduire comme sur une mer de la lune, un vertige horizontal se déclenche en moi qui, comme l’autre à tomber, m’incite à y courir, à m’y rouler, à perte de vue, à perdre haleine. »’exotisme du paysage de l’Aubrac projette le promeneur dans une géométrie de l’espace basée sur le plan horizontal de la nature et sur le plan vertical de l’esprit. Cette plongée dans
l’espace pousse Gracq à décrire les villages de l’Aubrac ainsi :« ce n’est pas l’échelonnement sans rues, mais rationnel, du village alpin en espalier, où l’ensoleillement commande tout, c’est comme un goût électif et têtu du bancal, de l’oblique, du bosselé, du pentu. »Ici, la traditionnelle verticalité de l’étagement montagnard, bien visible dans le paysage alpin par exemple, est remplacée par des variantes ténues de l’horizontalité déformée à certains endroits par les bosses et les courtes pentes.Sur le plateau d’Aubrac, le dépaysement absolu peut étreindre le promeneur qui prend conscience de la vertu « exotique » du paysage. e couple espace/temps se disloque, le temps s’eFace, il n’existe plus que l’immensité, les vastes espaces, les horizons vertigineux... es paysages ne sont plus que des fantasmes sans ancrage, loin de l’histoire, des paysages« au long desquels on marche comme sur une mer de lune, que l’herbe aurait colonisée immédiatement. »A trois reprises dans son œuvre, Julien Gracq utilise cette métaphore de « la mer de la lune » pour décrire ce sentiment à nul autre pareil qui le gagne chaque fois qu’il retrouve ces vastes surfaces herbeuses.
Par contraste, l’écrivain n’aime pas les petites plaines du Vaucluse comme celles du Roussillon :« le découpage en parcelles, trop mesquin, est sans harmonie ; rien de l’ample et large respiration chlorophyllienne du terroir hollandais »(Lettrines 2).S’il déclare une sympathie pour les massifs anciens comme le Massif armoricain ou l’Ardenne, il s’ennuie dans les paysages liés aux formations détritiques au pied des montagnes. Pour cette raison, il n’aime pas yon :« La laideur rebutée, le décombre hâtif et non trié de la moraine, comme un chantier de démolitions, transparaissent encore dans la bousculade montueuse de ses banlieues : un lotissement escaladant des champs d’éboulis ».Ici, l’écrivain-géographe critique les paysages d’origine morainique aux portes de la Dombes et du Bas-Dauphiné, à l’est de l’agglomération lyonnaise.
Nous citerons encore deux exemples qui prouvent que la culture géographique de Gracq soutient, entretient la qualité de ses descriptions paysagères. Avec l’Ardenne et la Vendée, il propose la notion depaysage-histoiredont l’identité repose sans doute sur des caractéristiques géographiques (massif ancien dans les deux cas, forêt pour la première, bocage pour la seconde) mais« dont les traits expressifs ne sont apparus vraiment qu’à la faveur d’un événement historique ».
Image satellite de la pointe du Raz située à l’ouest de « l’énorme masse de l’Europe et de l’Asie »
Avec la description de la pointe du Raz dansLettrines 2, il fait surgir une émotion intense de la connaissance géographique:« (...) tout à coup la mer que nous longions depuis longtemps sur notre gauche se découvrit à notre droite, vers la baie des Trépassés et la pointe du Van : ce fut tout, ma gorge se noua, je ressentis au creux de l’estomac le premier mouvement de mal de mer, j’eus conscience une seconde, littéralement, matériellement, de l’énorme masse derrière moi de l’Europe et de l’Asie, et je me sentis comme un projectile au bout du canon, brusquement craché dans la lumière. » Seul le géographe qui a en mémoire les cartes d’atlas prend conscience qu’il est à l’extrémité d’une în de terre prodigieuse : la pointe du inistère, cap occidental du continent eurasiatique, le plus vaste de la terre, face à l’immensité des eaux atlantiques, loin de l’autre continent, vers l’ouest, le continent américain. orsque Gracq écrit que le bagage technique, c’est-à-dire les acquis d’une formation de géographe, pourrait être dépoétisant mais qu’il ne l’est pas du tout, nous le croyons volontiers.
Daniel Oster
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