Aela - Tome 1 - extrait
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Premier chapitre de la trilogie Aela (anciennement La Légende de Kaelig Morvan)

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Publié le 23 août 2019
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Langue Français

Extrait

Aela
Tome I
La prophétie de Viviane
Romain Godest
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1 – Viviane
1675, le Tregor. Dans le silence de la nuit, un navire passait aux abords de l’île d’Er et s’engouffrait dans le bras de mer menant à Tréguier. Malgré l’absence totale de vent, la voile aurique du frêle esquif le poussait étrangement vers l’amont du Jaudy. Comme souvent en ce début d’été, la nuit avait enveloppé les côtes trégorroises d’un manteau brumeux et glacial. Seul, le regard perdu dans le brouillard, le voyageur ne semblait pas inquiet. Dans cette situation, la plupart des marins redoutaient les récifs et autres écueils et choisissaient de mouiller l’ancre en attendant que la brume se dissipe. L’étrange voyageur qui était encapuchonné dans son long manteau de lin leva les yeux au ciel pour écouter les cris des quelques goélands qui bravaient l’épaisse brume cotonneuse et referma nonchalamment sa cape sur sa barbe broussailleuse. Il serpenta dans la rivière pendant plus d’une heure avant de passer devant le fief de Saint-Yves. Là, le voile se dissipait légèrement et, même si cela était impossible, il crut apercevoir la flèche de la cathédrale.Si les gens
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savaient quel curieux bâtisseur était l’architecte de ce magnifique édifice, songeait-il. Perdu dans ses pensées, il observait la brume disparaître peu à peu et lui ouvrir la voie vers Troguéry. Le glissement de l’eau sur les bordées de bois de son canot breton lui procurait un plaisir indéfinissable. Le voyageur n’était pas un
marin, mais il savait apprécier la simplicité de la nature et vivait pleinement chaque instant en communion avec la mère créatrice. Il en était de même pour tous ses confrères, du moins pour les quelques survivants qui avaient réussi à perpétuer les traditions et transmettre leur savoir. Yann Guivarc’h était son nom d’homme et il le portait fièrement en toutes circonstances. Toutefois, dans les milieux qu’il estimait plus vertueux, on le nommait Delienn. En langue bretonne, cela signifiait branche d’arbre et il avait lui-même choisi ce symbole lorsqu’il avait été ordonné druide. Pour tous, la caste druidique ne représentait qu’une légende ou un regroupement d’illuminés adeptes de croyances archaïques. Quoi qu’il en soit, personne ne prenait au sérieux ces marginaux et personne ne connaissait d’ailleurs réellement de druides.
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Lors des grandes guerres du passé, les catholiques imposèrent leur religion et le dieu unique devint rapidement la seule croyance autorisée, symbole même du respect et de la tolérance des dirigeants de l’époque. Soumis en apparence, les druides se retirèrent du monde connu et fuirent la société. Ils n’étaient en rien des combattants. Ils occupaient le rôle de gardiens du savoir ancestral et de guides spirituels en lien direct avec les dieux gaulois. Toutefois, de nombreux témoignages laissaient croire que leurs pouvoirs dépassaient de loin les paroles de sagesse dictées dans les cérémonies nocturnes et l’Église s’en préoccupait dans l’ombre. Delienn faisait partie des derniers vatis, druides devins dotés d’une très haute spiritualité. Voilà plusieurs années qu’il observait en secret une famille sans jamais intervenir. Le temps avait prouvé que les hommes devaient réaliser leurs propres choix. Le libre arbitre représentait aujourd’hui le seul point de concordance qu’il avait avec les hauts membres de l’Église. Cependant, des événements récents allaient l’obliger à rompre ce mutisme pour dévoiler une lourde vérité à un seigneur breton.
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Lorsqu’il atteignit la grève du moulin de Bizien, le maërl griffa la coque du navire qui vint s’échouer lentement sur le rivage. Il affala la voile et la rangea soigneusement en nouant les bouts sur la bôme. Il jeta un coup d’œil vers l’ouest et aperçut le passage de Saint-Yves. Depuis plus de trois siècles, les pèlerins se pressaient en masse pour venir se recueillir dans la cathédrale du regretté prêtre. Aux yeux de Delienn, le défunt homme faisait partie des quelques religieux qui ne cherchaient que la paix du cœur et de l’âme plutôt que le pouvoir et la richesse. Lorsqu’il eut solidement amarré son canot à un rocher pour éviter que la marée ne l’emporte, il saisit son baluchon de lin et plongea dans la forêt qui bordait la rive. La lune brillait désormais d’un blanc immaculé et éclairait le visage fatigué du druide. Le poids des années et le fardeau du savoir semblaient peser sur les épaules du vieil homme. Si la connaissance est un don pour l’homme, l’ignorance peut parfois s’avérer plus paisible pour l’esprit. Delienn traversa le bois, les branches des cyprès et des pins maritimes s’agitant dans un ballet aérien au gré du vent d’ouest qui fraîchissait. La lune faisait briller les épines vert émeraude et la faune locale offrait au druide une myriade de
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tons, le vert s’alliant au bleu des rayons lunaires. Dans certains endroits, des toiles d’araignées tirées entre deux branches semblaient souffrir sous le poids de l’humidité. Quand il gagna enfin le chemin qui menait au bourg de Pouldouran, il accéléra le pas. Le soleil s’était couché depuis déjà deux heures et il s’impatientait de rendre visite à son
hôte. Les révélations que le druide allait donner au seigneur changeraient irrémédiablement sa vie et celle de sa fille. Depuis un mois déjà le malheur frappait la famille du domaine de Kerandraou. Aucun espoir ne semblait envisageable. Malgré tout, le vieux druide doutait parfois de son entreprise. Ses motivations l’avaient poussé à entrer dans le sacerdoce, mais l’allégeance à la vie était le poids à payer pour ce pouvoir druidique.
Il savait,car ilavait vécu le drame dans son esprit. Ses capacités de vatis ne témoignaient d’aucune faille et il devrait garder ce point secret pour le seigneur de Kerandraou, car comment un mari et père saurait comprendre le choix qu’avait été le sien lors de sa vision. Le chagrin envahissait le cœur du druide et sa peine s’amplifierait dans quelques instants. Pourtant, il ne pourrait jamais se confier sur ces émotions complexes dont sa volonté était seule responsable.
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Il ne pourrait jamais expliquer ses choix. Les hommes peinaient à entrevoir l’interaction des choses et des êtres. Certains faits d’apparence néfaste servaient parfois un intérêt plus grand. Dans sa marche nocturne, un vent de chaleur vint rompre sa monotonie, comme un courant de vie soufflé par les dieux celtes pour le soutenir dans sa mission. Oui, Delienn était en mission et tout se jouerait dans quelques minutes. Les senteurs de bruyère et d’ajoncs se mêlaient à la fraîcheur de la nuit. Les routes sinueuses et légèrement vallonnées avaient mené le druide sur les terres de Kerandraou. D’ici, le manoir présentait au druide son profil le plus avantageux. Même à cette distance, il parvenait à distinguer les nuances de couleur des pierres de façade. Les ardoises se teintaient de bleu nuit à la lueur de la lune. Le voyageur surplombait l’allée de châtaigniers qui menait à la grande porte et la lumière de l’astre frappait la tour intérieure. Il s’agissait d’une petite seigneurie, mais elle était, de mémoire, la plus ancienne du pays trégorrois, et même du Goélo. Fait rare, le seigneur Kaelig Morvan l’avait reçue en cadeau de la part du comte de Penthièvre en 1660 alors qu’il n’était âgé que de vingt-trois ans. Aux yeux de tous, il
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s’agissait plus d’une dette de la part du puissant seigneur que d’unhéritage.En effet, Kaelig avait sauvé la vie de son petit-fils, l’actuel comte de Penthièvre et il fut alors adoubé au rang de chevalier. Les années passant, le seigneur Morvan s’était montré à la hauteur de ce titre de noblesse qui suscitait admiration pour certains et dégout pour d’autres. Lorsque Delienn se présenta devant la grande porte de chêne, il eut une légère appréhension. Il allait devoir affronter le regard d’un seigneur endeuillé et tenter de lui faire entendre raison. Le druide allait devoir user de magie pour le convaincre et, même s’il ne le souhaitait pas, il serait contraint de le duper subtilement pour l’aider dans ses choix. Il cogna le heurtoir contre le bois par trois fois et attendit. Quelques instants passèrent quand des bruits de pas se firent entendre. — Qui va là ? interrogea une voix de jouvenceau. — Je me nomme Yves Guivarc’h et j’aimerais m’entretenir avec le seigneur Morvan. — Mon seigneur ne reçoit aucune visite. — Je le sais mieux que quiconque, répondit le druide. Mais il est impératif que nous nous parlions. Dites-lui que j’ai
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des révélations à lui faire sur la mort de sa famille. Il en va de la sécurité de sa fille. Le jeune homme ne répondit pas immédiatement puis reprit. — Attendez là ! L’homme qui revint quelques minutes plus tard n’était pas
le gardien. Le pas se faisait plus lent, plus lourd, plus assuré. — Qui êtes-vous ? questionna une voix rauque et dure. — Je me nomme Yves Guivarc’h. J’ai fait un long voyage pour venir vous voir, vous et Aela. — Comment connaissez-vous le nom de ma fille ? — Le nom de votre fille et celui de votre femme me sont connus tout comme le vôtre et celui de votre fils. Pourtant, je ne vous ai jamais vu. J’ai des révélations à vous faire, mais il me serait plus facile de les faire autour d’un thé chaud plutôt que dans le froid de la nuit. La porte s’ouvrit alors, dévoilant un homme puissant au regard sombre. Le seigneur Kaelig Morvan était large et une barbe brune et courte recouvrait son visage anguleux. Il plongea ses yeux de glace dans ceux du druide pour évaluer la détermination de son visiteur.
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— Je suis un vieillard avec des réponses, annonça le druide. Laissez-moi vous aider, rajouta-t-il. — Suivez-moi, répondit simplement le seigneur. Delienn pénétra dans la cour intérieure et les deux hommes longèrent la partie ouest du manoir. La façade était haute d’au moins huit mètres et le vieil homme aperçut une silhouette mise en évidence par une fine lumière derrière un rideau à l’étage. Ils franchirent une superbe porte sculptée et bardée de fer auprès de laquelle patientait le jeune gardien et pénétrèrent dans la demeure du seigneur. Une large tenture rouge brodée de fils dorés dévalait le mur dans l’entrée. Delienn suivit son hôte jusque dans la salle à manger. Là, un feu crépitait dans l’âtre, apportant une chaleur non négligeable en cette fraîche soirée de printemps.
Quelques tableaux ornaient les murs de pierre et deux belles tables occupaient l’espace avec des décorations finement choisies. De toute évidence, la défunte épouse du seigneur était une femme de goût. Dans un coin, un large fauteuil recouvert de cuir usé par le temps semblait attendre son maître. Quelques bougies offraient l’éclairage nécessaire, mais Delienn trouvait cela trop peu à son goût. — Prenez place, dit le maître des lieux d’un ton neutre.
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Il quitta la pièce et revint sans tarder avec un pichet et deux tasses. Il s’installa juste en face du druide et le toisa. — Je vous écoute, mais soyez direct. Le vieux druide dénoua sa cape et la posa délicatement sur le dossier de sa chaise avant de se racler la gorge. — Comme je vous l’ai dit, je me nomme Yves Guivarc’h, mais je suis également connu sous le nom druidique de Delienn. Je sais, continua-t-il en voyant le regard méfiant du seigneur, vous avez très certainement entendu maintes histoires sur les druides et peu d’entre elles servent ma cause, mais affranchissez-vous quelques instants de ces commérages de village. Je sais que vous souffrez actuellement du deuil de votre femme et de votre fils. Je n’ose imaginer votre peine, mais sachez que votre fille court également un grave danger. L’assaut que vous avez subi sur ce navire n’était pas le fruit du hasard. Votre femme et votre fille étaient les cibles de cette attaque. Ceux qui ont perpétré ces meurtres croyaient que tous avaient péri dans le naufrage et en aucun cas ils n’auraient imaginé que vous puissiez survivre. Ils vont revenir pour tuer votre fille et ils sont extrêmement déterminés.
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