Le maître, la chaîne et le chien dans Jacques le Fataliste - article ; n°1 ; vol.13, pg 269-282
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1961 - Volume 13 - Numéro 1 - Pages 269-282
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1961
Nombre de lectures 40
Langue Français

Extrait

Georges May
Le maître, la chaîne et le chien dans "Jacques le Fataliste"
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1961, N°13. pp. 269-282.
Citer ce document / Cite this document :
May Georges. Le maître, la chaîne et le chien dans "Jacques le Fataliste". In: Cahiers de l'Association internationale des études
francaises, 1961, N°13. pp. 269-282.
doi : 10.3406/caief.1961.2203
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1961_num_13_1_2203MAITRE, LA CHAINE ET LE CHIEN LE
DANS JACQUES LE FATALISTE
Communication de M. Georges MAY
{Yale)
au XIIe Congrès de l'Association, le 26 juillet i960.
A propos des romans de Diderot en général et de Jacques
le fataliste en particulier, Emile Faguet n'hésitait pas à écrire
en 1890 : « Où la composition est absente, mais je dis absolu
ment, tenez pour certain que c'est l'invention même qui
manque. Si l'on ne compose point, c'est qu'on n'a point
trouvé ou une forte idée à vous soutenir, ou un personnage
vrai, profond et puissant qui vous obsède (1). » Faguet re
présente fidèlement une longue lignée de critiques sur le
squels ce roman produisit l'impression d'un chaos indescript
ible. Même aujourd'hui, il ne manque pas de lecteurs de
bonne volonté qui demeurent perplexes ou déconcertés de
vant ce qui leur semble être un amas de thèmes disparates,
d'aventures hétéroclites et d'images hétérogènes. Fort heu
reusement quelques témoignages de poids, à commencer par
celui de Goethe (2), donnent à penser qu'un ordre secret
(1) E. Faguet, Dix-huitième siècle, p. 311. Malgré ce qu'il a de sommaire
et de borné, ce jugement fut largement partagé Ce dé\ eloppement de
Faguet est repris presque mot pour mot par A Colhgnon, Diderot (Pans,
Alcan, 1895), p. 13г. On trouvera d'autres jugements analogues cités dans
J. Robert Loy, Diderot's Determined Fataltst (New York, King Crown's
Press, 1950), chapitre Ier.
(2) Cf. R. Mortier, Diderot en Allemagne (Paris, P.U.F., 1954), p. 222-
224. 27О GEORGES MAY
règne peut-être dans ce bazar. Reconnaître, comme le fait de
nos jours un nombre croissant de lecteurs attentifs, que
Jacques le fataliste est, sinon un chef-d'œuvre — tous ne sont
pas d'accord sur ce point — du moins un des romans les
plus remarquables du XVIIIe siècle, c'est affirmer que le livre
ne manque pas de cette unité fondamentale sans laquelle il
n'est pas d'œuvre d'art authentique, c'est nous inviter donc
aussi à chercher le centre, le foyer d'où jaillit l'éblouissant
feu d'artifice.
Ce centre, ou, pour reprendre les termes de Faguet, cette
« forte idée », n'est autre que l'idée de liberté. C'est elle, je
pense, qui unifie les divers thèmes développés dans le roman,
c'est à elle aussi qu'il doit sa forme même. Ou, du moins, l'effort soutenu que fait Diderot pour résoudre, dans et
par son roman, le paradoxe inhérent à l'idée qu'il se fait de la
liberté, qui est le principe unificateur de Jacques le fataliste
et son maître. Je me propose d'illustrer ceci en étudiant
quelques-unes des images et métaphores fondamentales du
roman. A commencer par le titre lui-même qui indique déjà,
non seulement par l'adjectif fataliste, mais aussi et surtout
par le vocable maître, la notion sur laquelle est centrée l'atten
tion du romancier.
Il n'est pas difficile, en effet, de montrer que maître est un
des mots-clefs du roman. Prenons, par exemple, le thème
philosophique et moral du fatalisme. Ce thème correspond
évidemment à la nécessité éprouvée par Diderot vers 1770 de
préserver la liberté morale, dont il ne saurait se passer, de la
menace que fait peser sur elle le déterminisme matérialiste
à la pointe duquel il parvient dès 1769 avec le Rêve de ď Alem-
bert. Comme Jacques l'explique à son maître, il a cent fois
essayé de s'empêcher de rire ou de pleurer d'événements qui
échappent totalement à son contrôle, sans jamais réussir,
comme il le dit, « à me rendre parfaitement maître de moi (3).
(3) PI. A., 337 ; PI. В., 572 ; G., 574. Italiques de notre main. Ces
sigles représentent respectivement : PI. A (Diderot, Œuvres, éd. A. Billy,
Bibliothèque de la Pléiade, 1935) ; PI. В éd. A.
éd. H. Bénac, de Classiques la Garnier, 195 1) ; 1951). G. Toutes les Œuvres citations romanesques, de Jacques LE MAÎTRE, LA CHAÎNE ET LE CHIEN 27 1
Ailleurs Diderot recourt au même terme pour évoquer
l'assujettissement universel inhérent à la condition humaine :
« Jacques suivait son maître comme vous le vôtre ; son maître
suivait le sien comme Jacques le suivait. — Mais qui était
le maître du maître de ? — Bon, est-ce qu'on manque
de dans ce monde ? Le maître de Jacques en avait
cent pour un, comme vous... (4). »
Si nous envisageons maintenant l'intrigue ou les intrigues
du roman, nous ne tarderons pas à aboutir à des observations
fort semblables. Comme Herbert Dieckmann le souligne jud
icieusement dans l'introduction de son édition du Supplé
ment au Voyage de Bougainville (5), le thème romanesque
fondamental du roman est l'amour. Or, il est clair que la
manière dont Diderot le traite le relie fort étroitement à ses
réflexions sur la liberté. Tout d'abord le fait même de tomber
amoureux est une action involontaire échappant totalement à
notre liberté. C'est, du moins, ce que pense Jacques lorsqu'il
demande à son maître dès les premières pages du roman :
< Est-ce qu'on est maître de devenir ou de ne pas devenir amou
reux ? Et quand on l'est, est-on maître d'agir comme si on ne l'était
pas (6) ? »
Et, vers la fin du roman, reprenant la même terminologie,
Jacques demande narquoisement à son maître :
Mais si vous êtes et si vous avez été le maître de vouloir, que ne
voulez-vous à présent aimer une guenon ; et que n'avez-vous cessé
d'aimer Agathe toutes les fois que vous l'avez voulu (7) ?
Rien n'est donc plus fou que de promettre d'être constant
en amour, surtout dans un monde où la loi universelle est
le fataliste qui suivent seront accompagnées en note de références à ces
trois éditions.
(4) PI. A., 309 ; PI. B, 543 ; G., 537-538. Italiques de notre main.
(5) Genève, Droz, 1955, p. cvin, en note.
(6) PI. A, 275 ; PI. В., 509 ; G., 498. Italiques de notre main.
(7) PI. A., 488-489 ; PI. В., 723 ; G., 758-759. Italiques de notre main. GEORGES MAY 272
celle du changement. Les expressions de ce jugement fo
isonnent dans le roman, depuis le fameux passage sur « le
premier serment », repris du Supplément au Voyage de Boug
ainville, jusqu'à la fable de la gaine et du coutelet, en passant
par l'histoire de Mme de la Pommeraye et du marquis des
Arcis et les commentaires et discussions qu'elle suscite. Pro
mettre la fidélité, c'est vouer l'amour au malheur, ou encore,
pour reprendre le vocabulaire qu'illustre le roman, se donner
une maîtresse n'est sage qu'à condition de garder la liberté
d'en changer.
Si l'on en vient maintenant au troisième grand thème traité
dans Jacques le fataliste, celui de la critique et de la technique
du genre romanesque, on peut voir sans peine qu'il se rat
tache étroitement, lui aussi, aux réflexions de Diderot sur la
liberté. En effet, la question d'esthétique que soulève Diderot
en écrivant Jacques est de savoir si un genre aussi intégral
ement libre et même anarchique que le roman peut jamais
acquérir une valeur artistique réelle. A tout bout de champ,
on se le rappelle, Diderot souligne comme en passant qu'en
tant que romancier, il serait libre d'infléchir son récit à sa
guise, de faire dire aux personnages tout ce qui lui passe par
la tête, de les soumettre aux caprices de sa fantaisie souver
aine.
Les formules auxquelles il recourt sont révélatrices : « II
ne tiendrait qu'à moi... », « Qu'est-ce qui m'empêcherait... »,
ou même, revenant au même mot-clef : « N'aurais-je pas
été le maître de ... (8). » Puisque le romancier ordinaire
est le absolu de ses héros, Diderot au fond lui
adresse déjà le reproche que Sartre repren

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