L’évolution de la fécondité et la politique familiale québécoise - article ; n°2 ; vol.9, pg 63-74
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Santé, Société et Solidarité - Année 2010 - Volume 9 - Numéro 2 - Pages 63-74
Fondé sur un examen de la fécondité des générations québécoises, cet article a pour but de vérifier la vraisemblance d’un effet positif de la mise en place graduelle de diverses mesures de la politique familiale du Québec sur la descendance finale. L’analyse du comportement des générations permet de mettre en relation l’âge atteint par les générations successives ainsi que leur descendance par rang et le moment où les diverses mesures sont adoptées. On évite ainsi le piège des fluctuations de l’indice synthétique de fécondité essentiellement liées aux modifications du calendrier des naissances. Les résultats montrent qu’il est plausible que la progression lente, à l’occasion stagnante, mais inexorable, du développement de la politique familiale soit associée à la modeste remontée de la descendance des générations nées après 1956. On remarque toutefois que l’effet de la politique plus complète et plus généreuse qui existe depuis 2005 ne peut encore être observé, les générations qui peuvent en bénéficier étant en plein âge reproductif.
Based on an examination of the fertility of birth cohorts of Québec women, this article aims to confirm the likelihood of a positive effect of the gradual implementation of family policy measures in Québec on lifetime fertility. The analysis of the behaviour of generations of women explores the relationship between the age reached by the successive generations -- as well as their cumulative fertility by birth order - and the time at which the various measures were adopted. It is thus possible to avoid the trap of fluctuations in total fertility rates essentially linked to changes in birth schedules. The results show that it is plausible that the slow, and at times stagnant, but inexorable progression of the development of family policies has been associated with the modest rebound in the cumulative fertility of the generations born after 1956. However, the effect of the more comprehensive and more generous family policy that has existed since 2005 cannot yet be seen since the generations benefiting from it are still in the prime of their reproductive years.
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Publié le 01 janvier 2010
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LE F F E T D E S P O L I T I Q U E S F A M I L I A L E S S U R L A F É C O N D I T É
dossierPolitiques familiales et fécondité
L’évolution de la fécondité et la politique familiale québécoise
Évelyne LapierreAdamcykQUÉBEC Professeure émérite, Département de démographie, Université de Montréal
Fondé sur un examen de Résumé la fécondité des généra tions québécoises, cet article a pour but de vérifier la vraisemblance d’un effet positif de la mise en place graduelle de diverses mesures de la politique familiale du Qué bec sur la descendance finale. L’analyse du comportement des générations permet de mettre en relation l’âge atteint par les générations successives ainsi que leur des cendance par rang et le moment où les diverses mesures sont adoptées. On évite ainsi le piège des fluctuations de l’indice synthétique de fécondité essentiellement liées aux modifications du calendrier des naissances. Les résultats montrent qu’il est plausible que la progression lente, à l’occa sion stagnante, mais inexorable, du déve loppement de la politique familiale soit associée à la modeste remontée de la des cendance des générations nées après 1956. On remarque toutefois que l’effet de la politique plus complète et plus généreuse qui existe depuis 2005 ne peut encore être observé, les générations qui peuvent en bénéficier étant en plein âge reproductif.
Based on an examination Abstract of the fertility of birth cohorts of Québec women, this article aims to confirm the likelihood of a positive effect of the gradual implementation of family pol icy measures in Québec on lifetime fertility. The analysis of the behaviour of generations of women explores the relationship between the age reached by the successive genera tions – as well as their cumulative fertility by birth order – and the time at which the various measures were adopted. It is thus possible to avoid the trap of fluctuations in total fertility rates essentially linked to changes in birth schedules. The results show that it is plausible that the slow, and at times stagnant, but inexorable progression of the development of family policies has been associated with the modest rebound in the cumulative fertility of the generations born after 1956. However, the effect of the more comprehensive and more generous family policy that has existed since 2005 cannot yet be seen since the generations benefiting from it are still in the prime of their repro ductive years.
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e texte vise l’examen de l’évolution de la fécondité au Québec et de ses plusCfaibles parmi les sociétés occidentales. 1 liens avec la politique familiale . La fécondité du Québec est l’une des Depuis le début des années 1970, l’indice synthétique de fécondité (ISF) est passé sous le seuil de remplacement des générations et a fluctué entre un minimum de 1,36 enfant par femme au milieu des années 1980 et un récent maximum de 1,73 atteint en 2008. Parallè lement à cette évolution, le Québec a mis en place une politique familiale dont les objec tifs sont multiples, mais dont la dimension démographique est explicite (Roy, Bernier, 2006 ; Ministère des Finances, 2009).
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La vérification de l’existence d’un effet d’une politique familiale sur l’évolution de la fécondité s’avère une tâche complexe. De nombreux travaux théoriques et empi riques existent à cet égard, mais leurs résultatsrévèlentlacomplexitédesrelations entre politiques et phénomènes démogra phiques (Henripin, 2004). Les recherches empiriques produisent souvent des résultats contradictoires ; ces travaux tendent à montrer que l’effet porte davantage sur le calendrier de la fécondité plutôt que sur la descendance ellemême (Gauthier, 2007). Des évaluations plus précises, comme celle qui porte sur l’effet des congés parentaux en Autriche, requièrent des données très détaillées ainsi que des analyses du moment et des analyses longitudinales pour départager les effets de court terme des effets plus durables (Št’astná, Sobotka, 2009).
Cet article a des objectifs modestes : il se propose d’examiner l’évolution de la fécon dité des générations québécoises et de vérifier la vraisemblance de l’existence d’un lien entre ce phénomène et le développe ment de la politique familiale du Québec.
Pourquoi fautil analyser la fécondité des générations ?
Les fluctuations de l’ISF constituent un défi pour l’observateur qui cherche à vérifier si une politique familiale arrive à atteindre son but d’infléchir significativement et à long terme la fécondité à la hausse. On sait que
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cet indicateur est un reflet « théorique » du nombre d’enfants que les couples auraient au cours de leur vie, mais qu’il est fortement influencé par le rythme auquel les enfants naissent. Certes, l’ISF varie au fil des chan gements dans les désirs de fécondité, mais aussi au fil des modifications du calendrier de la venue des enfants, c’estàdire des variations de l’âge où les femmes mettent au monde leurs enfants et de l’espacement entre les naissances.
Pour observer les liens entre la fécon dité et la politique familiale, il semble plus opportun de se tourner vers des mesures de la fécondité qui tiennent compte du comportement à long terme. Ainsi, on peut observer la fécondité des générations en cumulant le taux de fécondité d’une géné ration de femmes à chaque âge entre le moment où elles ont eu 15 ans et un âge donné. Plus communément, on mesure la descendance finale en cumulant les taux de fécondité sur la durée complète de la vie fertile. Ces indicateurs sont plus stables et moins susceptibles d’être influencés par des circonstances de court terme que l’ISF qui est calculé sur une seule année.
Les démographes ont bien démontré que les fluctuations de l’ISF sont beaucoup plus marquées que celles de la descendance finale, et que l’ISF ne se rapproche qu’occa sionnellementde la valeur de la descendance finale (Henripin, 2003). C’est ainsi qu’au cours du babyboom qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale, l’ISF québécois a atteint pendant plusieurs années des valeurs d’envi ron quatre enfants par femme ; par contraste, aucune génération qui contribuait à la fécon dité de cette époque n’a atteint ce niveau, la descendance finale demeurant autour de 3,5 enfants. De la même façon, l’ISF des deux dernières décennies sousestime for tement la descendance finale des généra tions, aucune ne se situant endessous de 1,6 enfant comparativement à un ISF situé souvent autour de 1,4 et 1,5 (figure 1).
2 Les deux courbes de la figure 1 présentent l’évolution récente de la fécondité en liant l’ISF de 1969 à 2008 à la descendance finale des générations nées dans les années 1940
1. L’auteure tient à remercier madame Chantal Girard et monsieur Normand Thibault de l’Institut de la statistique du Québec qui lui ont fourni les données non publiées sur les descendances des générations québécoises. 2. La dernière année incluse dans les extrapolations des descendances incomplètes est 2008 (données provisoires).
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à 1979. Les générations des années 1940 sont les dernières à avoir eu deux enfants, celles qui les ont suivies ont mis en place le régime e de faible fécondité de la fin duXXsiècle. La descendance finale des générations atteint son point minimum chez celles qui sont nées en 19561957 ; ces femmes ont eu tout juste 1,6 enfant en moyenne. Malgré les appa rences illustrées par l’ISF, un retournement survient avec les générations nées vers 1960 à partir desquelles on observe une lente remon tée de la descendance, qui pourrait atteindre presque 1,8 enfant chez les femmes nées en 1975, si les tendances toutes récentes se maintiennent. Cette remontée se manifeste à tous les rangs de naissance. On le voit avec clarté à la figure 2 où sont comparées quelques générations sélectionnées à celle de 19561957, dont la descendance finale est la plus faible. Que ce soit pour l’ensemble des naissances ou pour chaque rang, d’une génération à l’autre les courbes sont de plus en plus élevées. Bien qu’une partie des courbes des générations récentes résulte d’une extrapolation fondée sur l’hypothèse du maintien des valeurs récentes des taux de fécondité à la fin de la vie reproductive, on observe que le niveau des courbes augmente d’une génération à l’autre, non seulement pour la partie estimée, mais aussi pour la par tie observée ; la hausse serait donc bien réelle. Même si l’augmentation qui en résulte est modeste et reste en deçà du souhait (maintes fois exprimé dans les sondages) d’une des cendance d’environ deux enfants, le nombre
t a b l e a u1Âge moyen à la naissance selon le rang, générations choisies, Québec
Âge moyen à la naissance er e e GÉNÉRATIONS1 rang 2 rang 3 rang
19561957
19631964
19681969
19731974
25,7
26,7
26,9
27,3
28,4
29,3
29,5
29,9
30,4
30,9
30,9
31,4
e 4+rangTotal
32,9
32,9
32,7
33,0
27,5
28,4
28,6
29,1
Source : Site Internet de l’Institut de la statistique du Québec
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d’enfants s’est véritablement accru à chaque rang chez les femmes qui ont contribué à la fécondité des années 1980 et après.
L’écart entre l’ISF et la descendance des générations s’explique, on le sait, par les modifications du calendrier de la fécondité au fil des années et entre les multiples géné rations de femmes. Ces modifications sont importantes et touchent les naissances de tous les rangs. Pour bien illustrer ce phénomène, la figure 3 montre la valeur relative de la des cendance atteinte à 30 ans et à 40 ans pour les générations sélectionnées par rapport à celle de la génération 19561957. On constate alors que la descendance cumulée jusqu’à l’âge de 30 ans, au total et pour chaque rang de naissance, n’a cessé de diminuer d’une génération à l’autre relativement à la géné ration repère de 19561957. Il ne s’agissait cependant pas d’une baisse de la fécondité, mais d’un report des naissances puisque la descendance cumulée à 40 ans de son côté n’a cessé de croître, audelà de ce qui était nécessaire pour compenser ce déplacement des naissances.
Pour qu’une telle augmentation de la des cendance à 40 ans ait pu se produire, il a fallu d’abord que des naissances soient reportées de la vingtaine vers la trentaine. Le tableau 1 confirme cette constatation : l’âge moyen à la naissance augmente systématiquement; il passe de 27,5 ans pour la génération 19561957, à 29,1 ans pour la génération 19731974, la dernière pour laquelle une estimation raison nable peut être faite (1,76 enfant) et cette tendance s’observe aussi pour chaque rang de naissance. Ensuite, il a aussi fallu qu’il y ait un surplus, car le seul report des naissances vers la trentaine n’aurait fait que maintenir la descendance à 40 ans au niveau observé pour la génération 19561957 ; or, ce niveau a nettement augmenté comme le montrent les courbes de la figure 3. Prenons un exemple 3 concret : à 30 ans, il y a une différence de 144 naissances pour 1 000 femmes entre les générations 19561957 et 19731974 (1 124980=144); entre 30 et 40 ans, la géné ration 19561957 a ajouté 455 naissances (1 5791 124=455) et celle de 19731974, 740 (1 720980) dont 144 reportées de la vingtaine à la trentaine, 455 pour atteindre
3. Il s’agit du nombre de naissances cumulées jusqu’à 30 ans et 40 ans pour des générations de 1 000 femmes.
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à 40 ans le même niveau que la génération 19561957 et finalement un surplus de 141 naissances qui lui permet d’atteindre 1 720, soit 9 % de plus que pour la génération de 19561957.
L’évolution des courbes illustrant l’évolu tion des naissances de rang 3 attire l’attention (figure 3). On remarque que la diminution de la descendance de rang 3 à 30 ans est moins accentuée dans les générations de 1962 à 1969 que dans les générations suivantes. Par contre, l’augmentation de la descendance de rang 3 à 40 ans se produit chez des géné rations plus anciennes. Il pourrait s’agir d’un effet de court terme de la politique visant le troisième enfant mise en place en 1988 au moment où ces générations étaient suscep tibles d’avoir un troisième enfant; l’effet aurait été transitoire, car il s’est beaucoup atténué à 40 ans. Cette constatation nous amène à l’examen de la politique familiale et de ses diverses étapes.
Évolution de la politique familiale du Québec
La politique familiale du Québec s’est éla borée lentement. Et lorsqu’on regarde son historique (Ministère de la Famille et des Aînés, 2010), on voit qu’elle prend naissance à travers un ensemble diversifié de lois, de mesures fiscales, d’aide directe aux familles, de lutte contre la pauvreté, de promotion de la femme, de mesures de conciliation entre famille et travail et de bien d’autres éléments que de nombreux travaux ont décrits (Roberge, Aubert, Bitaudeau, 2007 ; SaintPierre, Dan durand, 2000 ; Dandurand, Kempeneers, 2002). Il s’agissait souvent de mesures prises initialement par le gouvernement fédéral, reprises par le gouvernement québécois qui les a adaptées ou élargies selon ses besoins et ses ressources. Des mesures originales ont aussi été mises en place par le Québec, en particulier le développement du réseau des services de garde. Cet édifice, qui semble maintenant solide, s’est construit graduelle ment, avec des périodes de stagnation et de recul qui ont créé une atmosphère d’incer titude dont les effets ont pu être négatifs sur la vie familiale des Québécois.
Le soutien direct aux familles, sous la forme d’allocations familiales, constitue sans doute la mesure la plus ancienne. Nées en
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1945 à l’échelle du Canada, les allocations familiales existent depuis longtemps ; d’abord universelles, elles sont restées modestes jus qu’au début des années 1970 pour devenir ensuite plus généreuses mais offertes qu’aux familles à faible revenu. Au Québec, c’est avec le budget de 19881989 qu’elles prennent toute leur importance : elles redeviennent universelles, sont plus substantielles, varient selon le rang de l’enfant et manifestent une visée nataliste en ciblant particulièrement le troisième enfant. Ces allocations seront remplacées en 1997 par diverses allocations ou par des crédits d’impôt qui font dispa raître leur caractère universel, privant ainsi de nombreuses familles de ce soutiennéces saire, même dans la classe moyenne. En 2005, une nouvelle orientation apparaît avec le « soutien aux enfants » et la prime au travail ; l’universalité et la générosité reviennent, mais assujetties à des conditions de revenu. Complémentaires au soutien direct aux familles, diverses déductions fiscales ont aussi allégé,au fil du temps, la charge finan cière que représententles enfants. Ces deux composantes de la politique familiale, sou tien financier direct du gouvernement du Québec (2,7 milliards)et soutien direct et déductions fiscales dugouvernement fédéral (3,0 milliards), comptent dans le budget 20092010 pour 57 % des ressources des deux ordres de gouvernement consacrées aux familles du Québec (voir tableau 2).
Une troisième composante de la politique familiale est née de l’introduction en 1971 par le gouvernement fédéral du congé de mater nité de l’assurancechômage, qui ne durait alors que 15 semaines. Il n’a été bonifié qu’en 1990 par l’addition d’un congé parental de 10 semaines, dont la durée a été portée à 35 semaines en 2001 pour atteindre un total de 50 semaines de congé indemnisé accessible aux parents d’un nouveauné. Au Québec, cette longue évolution aboutira en 2005 à la création du régime d’assurance parentale qui englobe et élargit les modalités du congé de l’assurance emploi (autrefois assurance chômage). Par ailleurs, au Québec, depuis 1979, la loi très importante sur les normes du travail impose à toutes les entreprises un congé de maternité ou parental sans rému nération, qui protège les parents d’une mise à pied liée à l’arrivée d’un enfant.
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Un quatrième élément s’ajoute, et c’est là où le Québec s’est distingué par rapport à l’ensemble du Canada : la mise en place d’un réseau de services de garde à contribution réduite, en établissement ou en milieu fami lial, constitue une réalisation originale dont les objectifs multiples, visent notamment à améliorer la conciliation travailfamille et les conditions de développement des enfants, en particulier dans les milieux défavorisés. Lancé en 1980 par la création de l’Office des services de garde à l’enfance, le réseau s’est consolidé et développé depuis 1997 lorsqu’un financement stable en a assuré la pérennité et l’accessibilité. Il faut noter toutefois que les places à contribution réduite ne sont devenues accessibles que graduellement, en fonction de l’âge des enfants ; au départ en 1997, on a ajouté les places nécessaires pour accueillir les enfants de 4 ans, puis en 1998, ceux de 3 ans, ne rejoignant les enfants de 2 ans qu’en 1999 et ceux de moins de 2 ans en 2000 (Ministère de la Famille et de l’Enfance, 2000). Depuis 2006, les parents québécois profitent aussi de la prestation universelle pour la garde d’enfants, versée à toutes les
t a b l e a u2Soutien financier aux familles, aides québécoises et fédérales 2009 (en milliards de dollars)
NATURE DU SOUTIEN
Gouvernement du Québec Soutien financier aux parents Aide à la garde 1 Régime québécois d’assurance parentale
Gouvernement fédéral 2 Soutien financier aux parents 3 Aide à la garde
GRAND TOTAL
En milliards $
6,5 2,7 2,6 1,2
3,6 3,0 0,6
10,0
1. Les prestations sont estimées à 1,6 G$ en 2009. Toutefois, en tenant compte de la fiscalité, les prestations nettes versées aux parents sont de 1,2 G$. 2. Principalement la Prestation fiscale canadienne pour enfants et le crédit d’impôt non remboursable pour enfants. 3. Principalement la Prestation universelle pour la garde d’enfants. Source : Ministère des Finances du Québec (2009).
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familles canadiennes par le gouvernement fédéral ; il s’agit d’une prestation imposable de 100 $ par mois par enfant de moins de 6 ans qui vise à soutenir les familles qui ont de jeunes enfants, que les parents recourent ou non à des services de garde.
La politique familiale, telle qu’elle existe au Québec en 2010, a pris forme petit à petit pour devenir un ensemble cohérent ; elle s’est appuyée au fil des années sur plusieurs insti tutions crées par le gouvernement québécois dont le Conseil de la famille, le Conseil du statut de la femme, le Secrétariat à la famille et le ministère de la Famille qui ont pris divers 4 noms au fil des années . L’application de cette politique fait appel à des ressources considé rables : en 2009, les deux ordres de gouver nement y ont consacré 10 milliards de dollars (tableau 2).
Liens entre politique familiale et descendance des générations
Tentons maintenant de lier les principaux élé ments de la politique familiale à l’évolution de la fécondité du Québec. La figure 1 inscrit les points marquants de cet historique en les intercalant dans les courbes de la fécondité. Voyons d’abord les liens entre l’ISF et la poli tique familiale. La baisse de l’ISF se poursuit jusqu’en 1987, ne manifestant aucune réac tion à l’instauration du congé de maternité de l’assurance chômage (1971), ni à l’augmen tation des allocations familiales de 1973 (non illustrées). Un point de retournement brusque se produit juste avant le budget de 1988, une remontée s’amorce, puis l’ISF plafonne à un peu plus de 1,6 enfant au cours des années 1990 ; l’indice plonge de nouveau en 1997 jusqu’au début des années 2000, où s’amorce une nouvelle remontée. Ces fluctuations sug gèrent un effet de court terme des allocations familiales généreuses de 1988, dont l’exis tence a été compromise par le redéploiement des ressources suscité par la mise en place du réseau des services de garde à contribution réduite en 1997. Par ailleurs, l’effet du réseau des services de garde ne pouvait se faire sentir à court terme étant donné les limites qu’imposait un développement graduel et l’inévitable manque d’accessibilité. L’ISF n’allait se ressaisir que plus tard.
4.Ce rappel à grands traits des éléments principaux de la politique familiale s’est essentiellement inspiré de l’historique proposé par le site Internet du ministère de la Famille et des Aînés, 2010. En ligne : <www.mfa.gouv.qc.ca>.
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Ce qui semble plus pertinent, c’est l’exa men du comportement des générations que nous lierons aux divers points forts du déve loppement de la politique familiale. La baisse séculaire de la descendance des géné rations s’est atténuée avec les femmes nées dans les années 1950 et la descendance atteint son minimum avec celles nées en 19561957. À partir de cette génération, nous l’avons vu, s’amorce une remontée modeste, mais qui semble bien réelle. Pour vérifier la vraisem blance d’un lien entre le mouvement de la fécondité et les mesures de la politique familiale, voyons à quel moment dans leur vie les diverses générations ont été touchées par les mesures et si leurs comportements ont pu en être affectés. La figure 4 permet de faire quelques commentaires éclairants en mettant l’accent sur les points majeurs de la politique familiale.
Pour faciliter la compréhension, quelques générations ont été sélectionnées et le début de la courbe de la descendance cumulée à chaque âge est mis en relation avec l’année civile où la génération atteint l’âge de 16 ans. La génération 19561957, celle qui affiche la descendance finale la plus faible, avait 32 ans au moment du budget québécois de 1988. Au cours des années de vie fertile qui leur res taient, ces femmes ne semblent pas avoir réagi à l’attrait des allocations généreuses qui leur étaient offertes. Elles avaient 41 ans quand le réseau des services de garde a été mis en place ; il était trop tard pour modifier leur vie familiale, d’autant plus que la suppression simultanée des allocations familiales, pour de nombreuses familles de la classe moyenne, a pu avoir un effet négatif. Au mieux, ces mesures auraient empêché une baisse sup plémentaire par rapport aux générations précédentes. En revanche, les générations qui les ont suivies auraient été sensibles au nouveau contexte : elles ont eu en définitive un peu plus d’enfants, soit une augmentation d’environ 2 % pour les générations du début des années 1960 (illustrées ici par la géné ration de 19631964). Les générations inter médiaires (1957 à 1963), touchées par le budget de 1988 entre l’âge de 25 ans à 31 ans, poursuivront le mouvement de baisse de leur fécondité avant l’âge de 30 ans, mais se repren drontavant 40 ans, alors que leur descendance, au total et pour chaque rang, est systématique ment plus élevée que celle de la génération
de 19561957 (figure 3) et, comme déjà men tionné, le pourcentage est plus élevé pour la descendance de rang 3, ce que l’on pourrait associer à la politique du troisième enfant sur lequel le budget de 1988 insistait. Par contre, la mise en place du réseau des services de garde à contribution réduite les concerne vers la fin de leur vie reproductive, entre 34 ans et 41 ans, peutêtre un peu tard pour en apprécier les avantages. Ces générations ont pu être affectées également par la perte des allocations familiales.
Ce sont les générations suivantes qui voient leur descendance finale augmenter de façon un peu plus marquée, l’augmentation par rapport à la génération 19561957 pas sant de 3 % (génération 19641965) à 10 % (générations des années 1970). Ces femmes étaient au début de leur vie féconde lorsque les mesures majeures de la politique fami liale ont été mises en place. Par exemple, les femmes nées en 19731974 avaient 24 ans en 1997 lors de la mise en place du réseau des services de garde. En 2001, dès l’âge de 28 ans, elles bénéficient du congé parental de l’assurance emploi porté à 35 semaines (non illustré), amélioré par le Régime d’assurance parentale en 2005. À ce moment, alors au cœur de leurs années de vie reproductive, elles profitent également du retour des allocations familiales universelles qui, bien qu’assujetties à des conditions de revenus, sont généreuses. En 2006, s’ajoute la prestation fédérale pour la garde d’enfants (non illustrée) qui accorde 100 $ par mois par enfant de moins de 6 ans. À l’âge de 35 ans, dernière année où elles sont observées, leur fécondité dépasse nettement celle de la génération de 19681969 (2 %). Ce n’est que si l’on suppose la poursuite des tendances récentes que l’augmentation de 10 % de la descendance finale par rapport à celle de 19561957 est possible.
Ce sont donc les femmes qui amorcent leur vie reproductive maintenant, comme la génération née en 19781979 présentée à titre d’exemple, qui feront la démonstration que le nouveau contexte aménagé par la politique familiale constitue un cadre dans lequel les aspirations de fécondité peuvent mieux s’exprimer. Pour celles qui achèvent actuellement leur vie féconde, il n’est pas illusoire d’associer l’augmentation modeste de leur descendance au climat plus favo rable dans lequel elles évoluent. Quant à
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celles dont la vie reproductive s’est terminée plus tôt, les principales mesures ont été mises en place trop tardivement.
Vue d’ensemble et conclusion
La confrontation du déroulement de la période de vie reproductive des diverses géné rationsau rythme du développement de la politique familiale québécoise montre, mal gré l’ampleur des efforts qui ont été faits par la société québécoise pour soutenir les familles, que l’expérience n’a pas encore la profondeur historique exigée pour en tirer des conclusions définitives. Peu de généra tions ont traversé l’ensemble de leur vie féconde en ayant intériorisé la signification de la politique familiale et en ayant pleinement accès aux diverses mesures établies. Fautil rappeler que le mouvement vers l’augmen tation de l’âge à la maternité s’est poursuivi pour toutes les générations examinées et que l’on voit à peine poindre à l’horizon l’essouf flement de cette tendance ? Toutefois, il n’est sans doute pas vraiment nécessaire que l’âge à la maternité diminue pour arriver à réaliser les aspirations de fécondité exprimées dans les sondages, surtout si l’infécondité, qui semble avoir été jugulée dans les générations nées dans les années 1960 et observées jusqu’à
l’âge de 40 ans, continue de se réduire. La fécondité des trente dernières années s’est accomplie à travers divers bouleversements socioéconomiques. Les générations considé rées ont profité de l’accessibilité accrue de l’éducation supérieure, ce qui a eu pour consé quence d’augmenter la durée des études et de favoriser la participation soutenue au marché du travail. Ces générations ont traversé des périodes de prospérité, mais aussi des réces sions importantes qui ont pu, dans un sens ou dans l’autre, infléchir leur comportement. La transformation du marché du travail, mar quée par la flexibilité des conditions d’emploi ainsi que par leur précarité, a influencé les modalités d’insertion professionnelle, ce qui a eu des répercussions sur le déroulement de la vie familiale. Par ailleurs, il faut aussi constater que la reprise de la fécondité des générations, toute modeste soitelle, s’est effectuée dans un contexte de transformation du mariage, de progression de l’union libre et de l’instabilité conjugale. Étant donné tous les changements sociaux qui ont affecté ces diverses cohortes, il n’est peutêtre pas trop audacieux de croire que la politique fami liale québécoise a contribué au maintien de la fécondité des générations, et même à sa modeste augmentation.
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SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
73 N° 2, 2010
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