Consistances et inconsistances de l an mil - article ; n°37 ; vol.18, pg 91-97
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Description

Médiévales - Année 1999 - Volume 18 - Numéro 37 - Pages 91-97
En réponse au débat e-mail résumé dans ce numéro et sous un titre un tantinet provocateur, ce rapide article tente de prendre la mesure de nos inconséquences collectives face à un problème qui restera brumeux tant que nous ne nous donnerons pas sérieusement les moyens de le saisir par les deux bouts : comme une concrétion historique qu'il convient de saisir en contexte, mais aussi comme imaginaire d'un passé lentement sédimenté dont nous devons faire un objet d'étude propre pour pouvoir acquérir un peu d'autonomie de pensée.
Consistencies and Inconsistencies of the Year 1000 - In response to the e-mail debate summarized in this issue and under a slightly provocative title, this rapid survey attempts to take the measure of our collective inconsistencies in the face of a problem which will remain murky as long as we do not address it in its entirety : as a historical concretion which should be considered in the context, but also as the vision of a past shaped by slow stratification which deserves to be studied in its own right if we are to begin to acquire an autonomy of thought.
7 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1999
Nombre de lectures 14
Langue Français

Extrait

Monsieur Dominique Iogna-Prat
Consistances et inconsistances de l'an mil
In: Médiévales, N°37, 1999. pp. 91-97.
Résumé
En réponse au débat e-mail résumé dans ce numéro et sous un titre un tantinet provocateur, ce rapide article tente de prendre la
mesure de nos inconséquences collectives face à un problème qui restera brumeux tant que nous ne nous donnerons pas
sérieusement les moyens de le saisir par les deux bouts : comme une concrétion historique qu'il convient de saisir en contexte,
mais aussi comme imaginaire d'un passé lentement sédimenté dont nous devons faire un objet d'étude propre pour pouvoir
acquérir un peu d'autonomie de pensée.
Abstract
Consistencies and Inconsistencies of the Year 1000 - In response to the e-mail debate summarized in this issue and under a
slightly provocative title, this rapid survey attempts to take the measure of our collective inconsistencies in the face of a problem
which will remain murky as long as we do not address it in its entirety : as a historical concretion which should be considered in
the context, but also as the vision of a past shaped by slow stratification which deserves to be studied in its own right if we are to
begin to acquire an autonomy of thought.
Citer ce document / Cite this document :
Iogna-Prat Dominique. Consistances et inconsistances de l'an mil. In: Médiévales, N°37, 1999. pp. 91-97.
doi : 10.3406/medi.1999.1466
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medi_0751-2708_1999_num_18_37_1466Médiévales 37, automne 1999, pp. 91-97
Dominique IOGNA-PRAT
CONSISTANCES ET INCONSISTANCES DE L'AN MIL
« "Je cherche Dieu", dîtes-vous [...] Problème d'époque ?
- Oui, on devient religieux. Retour des sectes, des croyances.
C'est comme un deuxième Moyen Âge. C'est la deuxième
fois l'an mil1. »
Deuxième acte d'une même pièce : après les débats relatifs à la
« mutation de l'an mil », nous voici donc face aux terreurs, réelles ou
supposées, et à l'apocalyptique du tournant du deuxième millénaire. Le
premier acte était interne à la profession ; le second est largement sol
licité par le public, qui attend, à tort ou à raison, que les médiévistes
- « sur la trace de nos peurs » - se fassent prophètes du passé pour
éclairer et assurer l'avenir2. En réponse, les historiens du Center for
Millennial Studies de Boston invitent à mettre en œuvre tous les moyens
d'étude possibles pour « observer l'impact de l'accomplissement d'une
période de mille ans sur la société », en inventoriant post factum mais
aussi en fournissant des pronostics pour l'avenir sur la base des données
du passé3. Plus modestement, les médiévistes se contentent, dans leur
grande majorité, de s'interroger sur la pertinence du rapprochement
1000/2000. Le débat e-mail qui, des semaines durant, a occupé Patrick
J. Geary, Richard Landes, Amy G. Remensnyder, Timothy Reuter et
Barbara H. Rosenwein offre un bon instantané des tensions qui traver
sent la médiévistique sur le sujet et, surtout, de nos inconséquences
collectives face à un problème qui restera brumeux tant que nous ne
nous donnerons pas sérieusement les moyens de le saisir par les deux
bouts : comme une concrétion historique qu'il convient de saisir en
contexte, mais aussi comme imaginaire d'un passé lentement sédimenté
dont nous devons prendre la mesure pour pouvoir acquérir un peu
n° 1981, 1. Entretien 30.12.1987, avec p. 16 Jean-Luc ; cité par Godard C. Amalvi, à propos De l'Art de « et Soigne de la manière ta droite d'accommoder », Télérama,
les héros de l'histoire de France de Vercingétorix à la Révolution, Paris, 1988, p. 145.
2. Pour reprendre le titre d'un ouvrage d'entretiens donnés par G. Duby, An 1000
an 2000. Sur la trace de nos peurs, Paris, 1995.
3. Voir « The Mission of the CMS », http :www.mille.org/mission.html. 92 D. IOGNA-PRAT
d'autonomie de pensée. Tels seront les deux axes de mon bref comm
entaire.
Contextualiser
« Que nous disent les textes ? » se demande Timothy Reuter. La
question, en apparence obvie, ne manque pas de pertinence quand on
essaie de s'y retrouver dans la production actuelle sur l'an mil, riche
de multiples analyses renvoyant souvent à des documents tronqués. En
réponse, Richard Landes emploie l'image du sommet de l'iceberg (les
textes subsistants) et sa base immergée (la documentation perdue et les
réalités historiques à jamais inaccessibles). Si tel est bien le cas, il nous
faut faire avec, mais avec méthode, c'est-à-dire en restituant aux rares
traces encore lisibles toute leur intelligibilité. Cela suppose de ne pas
déroger à deux règles : s'astreindre à un strict travail d'étude de logique
textuelle et replacer les documents dans le contexte le plus pertinent
(« le plus » étant affaire de doigté et de professionnalisme). La première
règle oblige à traiter l'ensemble des textes étudiés et non pas des extraits
auxquels il est possible de faire dire tout et son contraire. Le fameux
passage de Y Apologétique d'Abbon de Fleury, cité ad nauseam, ne peut
avoir de sens que dans une étude intégrale du texte et, sur cette base,
comme un témoignage de l'activité réformatrice du moine fleurisien,
autrement dit dans le cadre large d'une stratégie à la fois textuelle et
politique - c'est tout un. Est-il bien raisonnable de se pencher sur le
De ortu et tempore Antichristi d'Adson de Montier-en-Der, sans rap
peler que la destinataire du texte, Gerberge, est une reine « chère à Dieu
et aimée de tous les saints » (Deo dilecte omnibusque sanctis amabili) ?
Pareille adresse dépasse la simple rhétorique ; elle sous-entend qu'étant
liturgiquement consacrée, suivant le rituel des ordines de couronnement
des reines qui s'élaborent à partir des années 850, l'épouse du souverain
- roi ou empereur - détient les clés du futur. C'est de sa pureté dans
le mariage et de sa fécondité que dépendent tant la pérennité de la
dynastie que la bonne marche du royaume4 ; d'où l'obsession de la
souillure de la génitrice propre à provoquer la déchéance de sa proies
et, du coup, à avancer le temps du dernier empereur.
De même, je ne vois pas très bien ce qu'il peut ressortir de pertinent
d'une analyse des Histoires de Raoul Glaber - « La » source du dossier
des « terreurs » de l'an mil - sans une étude fine, c'est-à-dire structurale,
de l'ensemble du texte ; seul un tel traitement peut permettre de révéler
les harmonies internes et le projet d'ensemble de l'idéologue monasti
que à la recherche des dérèglements du monde pour mieux mettre en
4. Sur la question des ordines de couronnement des reines, voir G. Wolf, « Kôni-
ginnen-Krônungen des friihen Mittelalters bis zum Beginn des Investiturstreits », Zeits-
chrift der Savigny-Stiftung fiir Rechtsgeschichte. Kanonistische Abteilung, 76, 1990,
p. 62-88. CONSISTANCES ET INCONSISTANCES DE L'AN MIL 93
valeur l'harmonie cachée qui organise d'un même mouvement la vie
des cœurs, des hommes, de la société chrétienne et de l'ensemble du
cosmos. Dans le cas de Glaber, pareille mise en contexte suppose, pour
le moins, de se demander quel est le sens des questions relatives à
l'eschatologie et à l'apocalypse dans le contexte du monachisme clu-
nisien lato sensu et, plus globalement, dans le cadre de la grande réforme
de l'Église, qui va largement contribuer au cours des XIe et xir siècles
à la structuration de la société, à la fixation et à la territorialisation des
pouvoirs. Cela suppose un minimum de retour en arrière, en particulier
à la pensée d'Odon de Cluny et à son Occupatio ainsi qu'aux sources
carolingiennes avouées de Glaber. Mais entrer ainsi dans l'officine des
idéologues monastiques nécessite surtout de poser clairement la ques
tion des possibilités et des limites de l'apocalyptique contemporaine.
Or nous savons fort bien, grâce aux travaux de Guy Lobrichon, que
toute interprétation littérale du livre de l'Apocalypse est barrée depuis
l'enseignement d'Augustin jusqu'aux commentateurs de l'École de
Laon à l'extrême fin du xr siècle5. Peurs, terreurs et dérèglements du
monde, réels ou supposés, ne

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