Deux ans de réflexion ou chronique de la mal-aimée - article ; n°1 ; vol.17, pg 131-140
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Description

Communications - Année 1971 - Volume 17 - Numéro 1 - Pages 131-140
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1971
Nombre de lectures 30
Langue Français

Extrait

Gérard Lagneau
Marie-Thérèse Basse
Deux ans de réflexion ou chronique de la mal-aimée
In: Communications, 17, 1971. pp. 131-140.
Citer ce document / Cite this document :
Lagneau Gérard, Basse Marie-Thérèse. Deux ans de réflexion ou chronique de la mal-aimée. In: Communications, 17, 1971.
pp. 131-140.
doi : 10.3406/comm.1971.2177
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1971_num_17_1_2177Basse et Gérard Lagneau Marie-Thérèse
Deux ans de réflexion ou chronique
de la mal-aimée
Telle une caricature, la boutade outre la réalité pour nous forcer à percevoir
son intention : « Ne dites pas à ma mère que je suis dans la publicité; elle me croit
pianiste dans un bordel », exemple percutant d'humour publicitaire, ou de
l'idéal type considéré comme un mode de la communication. Technicien de
cette dernière, et courtisé par les journaux, le publicitaire n'en a guère meilleure
presse pour autant et ce déficit de considération le remplit chroniquement d'amer
tume. Au soir d'une carrière « vouée à la passion de convaincre », le mieux connu
des chefs d'agence français, celui que ses confrères appellent gentiment « B-B »
doit reprendre une déjà ancienne lamentation sur la mauvaise réputation de
son métier1. 0 paradoxe étonnant : la publicité serait-elle impuissante à faire
sa propre réclame, et s'avouerait-elle capable de vendre n'importe quoi à l'excep
tion d'elle-même? Il paraît que les faiseurs de prestiges n'ont su en garder à leur
usage, et que les vendeurs de vent manquent de souffle pour se légitimer;
leur situation ne ferait même qu'empirer : je suis, constate aujourd'hui M. Bleus-
tein-Blanchet, l'ennemi numéro un. Or, remarquait naguère l'illustre affichiste
Savignac, « en quinze ans, la profession s'est dûment organisée; l'amateurisme
a disparu, le pianiste joyeux drille est devenu un savant et austère technocrate.
Il connaît sa bible publicitaire par cœur. Il enseigne, il éduque, il évangélise.
Il est établi. Il porte beau et noble. Tout en lui devrait inspirer le respect. Pourt
ant, c'est l'inverse qui se produit v.
Au vrai, la ballade publicitaire de la mauvaise réputation se chante depuis
plus de quinze ans et, sans remonter au déluge, on pourrait en trouver quelques
couplets pour montrer, par exemple, que depuis le début de ce siècle, les atta
ques contre la réclame ont changé de perspective, sinon de cible. Vers 1900, la
protestation de la « belle époque » est surtout esthétique : le slogan « marque mal »
dans le paysage, et les épigones du romantisme vitupèrent l'invasion d'une
Nature-sanctuaire par ces stigmates de l'industrie mercantile. L'entre deux-
guerres fournirait la matière d'un vigoureux couplet humaniste; cependant que
nos entrepreneurs s'essaient timidement au maniement économiquement ration
nel de l'annonce, les clercs, sourcilleux protecteurs de la liberté de l'esprit, dénon
cent un embarras diffus, l'installation dans nos univers quotidiens d'une toile de
fond publicitaire et importune qui gêne l'exercice de la pensée pure et rabaisse
en chacun de nous l'humanité potentielle. Après 1945, on a vu se développer et
1. Bleustein-Blanchet (M.), La Rage de convaincre, Paris, Lafîont, 1970, 437 p.
131 Basse et Gérard Lagneau Marie-Thérèse
se systématiser une critique économique de la réclame; la guerre des marques,
qu'exaspère l'affrontement des campagnes, ne conduit-elle pas à un gaspillage
ruineux du point de vue de l'intérêt général? De la persuasion clandestine soup
çonnée par Packard au poids de la techno-structure mesuré par Galbraith, la
réflexion sur les fonctions économiques de la publicité prend corps dans le
cadre de l'idéologie de la croissance et en contrepoint au dogmatisme keynésien.
Ce qui ne changeait pas d'une époque à l'autre, c'est la dualité des attaques
auxquelles le publicitaire se trouvait pratiquement en butte. Sans parler de la
concurrence entre confrères-adversaires qui n'est pas spécifique de ce métier,
les critiques venaient, viennent et viendront simultanément du monde des affai
res et de l'université, des industriels et des intellectuels, de l'intérieur et de l'exté
rieur de la profession. Les agences ne dédaignent pas d'employer le talent des
hommes d'esprit, mais rares sont ceux qui, comme Jean Cocteau, ont eu le cou
rage d'en faire parade. Les autres, conscients de l'indignité qu'implique l'expres
sion d'un art commercial, préfèrent « cracher dans la soupe avant de la manger ».
Le vrai client du publicitaire, c'est-à-dire l'annonceur, a tendance, quant à lui,
sinon au dédain, du moins à tenir la dragée haute à son fournisseur d'annonces,
chroniquement sommé de démontrer sa rentabilité et souvent embarrassé pour
faire cette démonstration1. Il résulte de tout cela ce que nous dénommerions
volontiers le dilemme fondamental du publicitaire : écartelé entre son public,
qui se méfie de ses dons de manipulateur, et ses clients, qui le soupçonnent d'être
inefficace, il craint autant de passer pour soumis et pour futuriste; afin de rassu
rer ses interlocuteurs obligatoires et successifs, entrepreneurs et « planificateurs
d'opinion », il s'efforce de présenter un visage alternativement bénin ou formi
dable, et perd sur les deux tableaux.
Dans cette tradition de la contestation antipublicitaire, on peut donc saisir
des constantes aussi bien qu'une évolution 2. C'est dans ce contexte social de
légitimité douteuse qu'éclatèrent les événements de mai 1968, durant lesquels
la publicité fut à la fête, dans tous les sens de ce mot.
D'une part, elle fournit une cible privilégiée aux écrivains publics qui, renou
velant les antiques techniques de l'album et de la rubrique, élevèrent en un rien
de temps la philosophie murale à la dignité d'un genre littéraire. En mai 1968,
la publicité a été particulièrement attaquée par le mouvement étudiant à tra
vers la critique de la société de consommation et du rôle moteur et complice que
la réclame y joue. Chacun a pu lire alors un certain nombre de graffiti : « Refusez
de consommer », « La publicité te manipule », « Vous finirez tous par crever de
confort », et autres gentillesses du même tonneau. Par ailleurs, des affiches
publicitaires furent ridiculisées par une surcharge d'inscriptions plus ou moins
humoristiques ou parodiques dans l'esprit du mouvement de mai 3. Les reproches
1. Un des « mots » les plus ressassés à propos de réclame tourne en dérision la ratio
nalité capitaliste de cet auxiliaire de la vente : « Quand je dépense un dollar en publicité,
je sais qu'une moitié en est gâchée, malheureusement je ne sais pas laquelle ».
2. La critique « humaniste » par exemple, continue de se bien porter; à preuve, le
n° 68 de la revue Diogène (fin 1969) consacrée à la culture de masse. Cf. notamment
l'article de Mason Griff : « La publicité, institution centrale de la société de masse ».
3. A nos yeux, le meilleur exemple de cette « publicité contrariée » fut un démar
quage de l'affiche créée par Savignac pour l'Institut de promotion économique par
l'action commerciale (I.P.E.A.C, défenseur attitré des publicitaires). Le graphisme
original mettait en valeur un chevalier en armure tricolore chargeant lance au poing
132 Deux ans de réflexion
les plus couramment adressés visaient la « connerie publicitaire », « l'économie
de gaspillage », « la manipulation des cerveaux ». On peut noter la large utilisa
tion de l'affiche et du graffiti par les étudiants comme moyen d'expression mais
aussi d'information de la contestation, ce qui peut être considéré comme une
reconnaissance implicite de l'efficacité (bonne ou mauvaise) de la publicité. A
notre connaissance, il n'a pas été dit alors que la publicité était sans effet, le
doute ne l'a pas atteinte sur ce point, où pourtant elle était vulnérable.
Il fallait s'attendre que les magiciens du verbe tinssent le devant de la scène
dans le sociodrame de mai où les paradoxes volaient bas (tolé

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