L enseignement inégalitaire et la contestation étudiante - article ; n°1 ; vol.12, pg 54-65
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Description

Communications - Année 1968 - Volume 12 - Numéro 1 - Pages 54-65
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1968
Nombre de lectures 20
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Noëlle Bisseret
L'enseignement inégalitaire et la contestation étudiante
In: Communications, 12, 1968. pp. 54-65.
Citer ce document / Cite this document :
Bisseret Noëlle. L'enseignement inégalitaire et la contestation étudiante. In: Communications, 12, 1968. pp. 54-65.
doi : 10.3406/comm.1968.1172
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1968_num_12_1_1172Noëlle Bisseret
L'enseignement inégalitaire
et la contestation étudiante
" L'expression « démocratisation de l'enseignement » est liée dans le champ des
représentations sociales à l'idée d'égalité des chances d'accès à l'enseignement
supérieur et d'égalité des chances d'accès au sommet de la hiérarchie socio
professionnelle. Sinon pour le grand public, du moins pour certains milieux au
courant des statistiques scolaires, cette expression appelle également dans le
champ des représentations les éléments relatifs à l'origine sociale des étudiants
et à leur répartition différentielle dans les facultés et grandes écoles (les facultés
de Lettres et de Sciences étant les plus « démocratisées »). Mais les éléments
concernant la sous-représentation des femmes et leur répartition spécifique
(quasi-exclusion des grandes écoles, regroupement massif en Lettres) sont géné
ralement moins souvent associés au terme de « démocratisation », bien que les
statistiques soulignent à cet égard une inégalité de fait entre hommes et femmes.
L'inégalité sociale des chances de réussite dans l'Enseignement supérieur est
devenu objet d'étude scientifique lorsque, conséquences de changements démo
graphiques et socio-économiques, l'accroissement des effectifs et la modification
de la composition sociale du milieu étudiant ont amorcé des processus de désinté
gration de l'ancien système. Dans un ouvrage actuellement bien connu, Les
Héritiers, présentant les résultats d'une étude centrée sur les différences spéci
fiques, selon l'origine sociale, des intérêts et des comportements culturels des
étudiants en Lettres, P. Bourdieu et J.-C. Passeron supposaient une élimination
plus fréquente des étudiants de classes populaires mis en infériorité par un héri
tage culturel que pénalise le système universitaire. La large audience que ces
thèses ont reçu auprès des intellectuels, comme nous le verrons par la suite, n'est
sans doute pas étrangère à la focalisation de leurs intérêts sur les éléments de leur
propre culture de classe, considérée comme transcendant toute position dans le
système socio-économique. Par un processus d'assimilation et de réinterpréta
tion significatif de leur situation dans le système de classe, ils ont ainsi transformé
une supposition en donné de fait.
Or l'hypothèse d'une sélection universitaire liée aux inégalités culturelles se
trouve en fait infirmée par les résultats d'une étude x que nous avons effectuée,
en partant de l'hypothèse que la gratuité et la mixité ne peuvent être des instr
uments d'égalisation massive des chances d'accès à l'enseignement que si paral-
1. Nous avons suivi dès le début de leur carrière universitaire et pendant quatre an
nées consécutives la population exhaustive des littéraires inscrits en propédeutique
à Paris en 1962, soit 6919 étudiants.
54 L'enseignement inégalitaire et la contestation étudiante
lèlement sont données les conditions d'une égalité économique réelle. Ceci est
exclu dans une société où est institutionnalisée la transmission héréditaire des
privilèges économiques et où la population féminine, [inactive pour les deux tiers,
se trouve statistiquement en situation de dépendance économique. Nous avons
analysé comment, en fin de carrière scolaire, la situation au sein du système
scolaire et les chances d'acquérir un diplôme élevé sont significatives de la posi
tion que confèrent dès le départ dans le système hiérarchique le sexe et l'origine
sociale.
Connaissant d'après cette étude les processus réellement en jeu dans la sélection
universitaire, connaissant en outre la représentation qu'en avaient en mai 1967
les étudiants de différentes catégories sociales que nous avons longuement inter
viewés sur ce sujet, nous nous sommes proposé d'analyser pour les confronter
à ces données, le contenu des textes résumant le travail de réflexion des commiss
ions d'étudiants, suscité par les événements de mai 1968. Nous résumerons x ici
la description des faits et la représentation qu'en avaient les étudiants un an avant
ces événements, puis nous analyserons à quel niveau de conscience se situe,
pendant et après ces événements, la perception des processus réels de sélection.
Par rapport à mai 1967, y a-t-il eu changement dans le système de représenta
tions du fonctionnement du système scolaire ?
1. Les processus enjeu : inégalité économique et réussite universitaire.
Dès la première année, la sélection s'opère en fait au détriment des étudiants
travaillant professionnellement 2. Le facteur économique est déterminant :
quelle que soit la classe sociale d'origine, les taux de réussite varient de 25 % pour
les salariés à 55 % pour les non-salariés ; mais les pourcentages d'étudiant ssala-
riés varient considérablement selon l'origine sociale : 22 % pour la classe bourg
eoise, 57 % pour les classes populaires. Il s'ensuit que les taux de passage en
licence tombent de 51 % pour les premiers à 36 % pour les seconds. Tout au
long des études de licence, les conditions matérielles de vie des étudiants de classes
populaires déterminent leur élimination progressive.
Convenons d'appeler « héritage culturel » les éléments expressifs des détermi-
nismes d'orientation subis dans le passé scolaire, en tant qu'ils cristallisent sans
l'englober entièrement une imprégnation culturelle diffuse donnée par le milieu
familial. Certes son rôle est important dans les possibilités pratiques d'orienta
tion au niveau du Supérieur : l'éventail des choix est restreint pour ceux qui n'ont
pas suivi les sections classiques composées des a meilleurs éléments » (compte
tenu des critères scolaires). Or les étudiants de classes populaires, quel que soit leur
degré de réussite, sont toujours relégués vers les sections modernes et techniques
et vers les « cycles courts ». En outre, la situation matérielle de leur famille les
pousse, en cas de réussite, à emprunter des filières détournées, garanties de
sécurité économique (écoles normales d'instituteurs, examen spécial d'entrée
1. Cf. « La « naissance » et le diplôme : les processus de sélection au début des études
universitaires », Revue française de Sociologie, numéro spécial 1968 — et « La sélection
à l'Université et sa signification pour l'étude des rapports de dominance », déposé début
mars 1968, même revue.
2. De cette catégorie sont exclus les travailleurs temporaires. Il s'agit ici d'étudiants
travaillant d'une façon suivie et inscrits au régime de sécurité sociale « salariés ».
55 Noëlle Bisseret
en faculté). Ils sont donc plus âgés que la moyenne des étudiants au moment de
leur première inscription en faculté, et plus ils sont âgés, plus ils risquent de de
voir travailler professionnellement. Les différentes orientations passées vers les
cycles courts (CE. G.), vers les études modernes, vers les écoles normales, sont
avant tout expressives d'un horizon temporel restreint, inhérent à l'insécurité
économique des familles de classes populaires, et non expressives en soi et seul
ement d'une absence d'information ou de la non-adhésion aux normes culturelles
« classiques ». Si l'on convient donc d'appeler « héritage culturel » la résultante
des déterminismes d'orientation subis dans le passé, il ne faut pas perdre de

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