La maturité de Guillevic, poète celte, dans le recueil « Avec » - article ; n°3 ; vol.78, pg 573-586
15 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

La maturité de Guillevic, poète celte, dans le recueil « Avec » - article ; n°3 ; vol.78, pg 573-586

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
15 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Annales de Bretagne - Année 1971 - Volume 78 - Numéro 3 - Pages 573-586
14 pages

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1971
Nombre de lectures 40
Langue Français

Extrait

Lucie Fournel
La maturité de Guillevic, poète celte, dans le recueil « Avec »
In: Annales de Bretagne. Tome 78, numéro 3, 1971. pp. 573-586.
Citer ce document / Cite this document :
Fournel Lucie. La maturité de Guillevic, poète celte, dans le recueil « Avec ». In: Annales de Bretagne. Tome 78, numéro 3,
1971. pp. 573-586.
doi : 10.3406/abpo.1971.2571
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/abpo_0003-391X_1971_num_78_3_2571FOURNEL Lucie
IA MATURITÉ DE GUILLEVIC, POÈTE CELTE
dans le recueil " AVEC "
Si Guillevic interroge le réel, il s'intéresse particulièr
ement aux objets qui sont comme le symbole de la matérial
ité du monde.
L'objet occupe dans sa poésie. une place privilégiée. En
ceci il se rapproche de F. Ponge ; mais sa démarche est
fondamentalement différente. Il se rapprocherait plutôt de
Jean Follain, son ami.
Que représente l'objet pour Guillevic ?
A cette question, il me répondit par une boutade : « Si
je le savais ,je n'en parlerais pas » !, puis sérieusement il
ajouta : « C'est vrai,, d'ailleurs, parce que je leur demande,
et je me demande, ce que nous sommes. L'objet est l'exté
rieur et j'ai besoin de l'extérieur pour être sûr de mon pré
sent ».
Cette petite phrase glissée, « et je me demande », recti
fiant » je leur demande », me semble révélatrice des inten
tions réelles du poète.
Bachelard écrit : « Par notre premier choix, l'objet nous
désigne plus que nous le désignons et ce que nous croyons
nos pensées fondamentales sur le monde sont souvent des
confidences sur la jeunesse de notre esprit (1) ».
Guillevic n'échappe sûrement pas à cette loi psychologi
que et nous verrons que de nombreuses « choses » consti
tuent l'univers mental du poète et se rattachent à son
enfance ; cependant il ne faut pas systématiser et il me
semble plutôt que Guillevic, par une sorte de pudeur,
aborde l'homme par le biais des objets.
(1) G. Bachelard, Poétique de la rêverie (P.U.F., Paris. 1960), p. 61. 574 LA MATURITÉ DE GUILLEVIC
L'objet est la projection de l'homme,, il témoigne de
l'homme. D'ailleurs les objets pour lesquels il a une prédi
lection particulière sont le plus souvent des objets faits-
par l'homme ; « choses » les plus simples : une armoire,
un buffet, une poupée, une table, une assiette, une chaise-
Ces objets sont le prolongement de l'homme, ils sont des
tinés à son usage. Guillevic ne prend pas « le Parti des
Choses », au contraire, elles ne l'intéressent que dans la.
mesure où l'on peut y distinguer la présence de l'homme,
de l'artisan.
Il apparaît que dans les derniers recueils de Guillevic,
depuis « Sphère », les objets ont une place de moins ea
moins importante. Je" vois dans ce fait une preuve de matur
ité : le poète, en effet, s'est libéré de la présence obsédante
des objets. Jean Tortel parle « du souci de délivrer l'univers
des objets, qui est aussi le nôtre, ou en tout cas qui agit
directement sur l'univers humain; d'une certaine présence
obscure mais toujours redoutable (2) ».
Quoi ! Vous ne serez pas meilleurs,
Plus tard, mes prairies, mes étangs.
Vous ne serez jamais
Couverts par l'innocence
Toujours à s'accrocher, continuer.
Tandis que nous, quand même,
Nous aurons plus de joie
Et sûrement moins peur
De vous aussi,
Mes noirs étangs, mes noires prairies.
(Gagner) (2)
Guillevic transporte ses contradictions personnelles au
cœur de l'objet. Il n'interroge pas les hommes, il n'interroge
(2) Jean Tortel : Guillevic. « Poètes d'aujourd'hui » (Seghers, 1962)»
p. 32.
(3) Gagner : Guillevic (Gallimard, 1949), p. 82. LA MATUIUTli DE CUILLEVIC 575
pas son cœur, ses sentiments. Le malaise qu'il ressent
devant la vie, c'est aux choses qu'il l'attribue :
Ces meubles qui ne voulaient pas
Se faire à notre chambre
A nos journées de veille... (4)
En somme, cette attitude de l'homme face à la nature,
aux choses, n'est pas originale en soi : Victor Hugo, A. De
Vigny ont, eux aussi, apostrophé la nature immuable,
« marâtre », qui survit aux humains. Mais jamais avec
cette simplicité tragique, cette dignité mesurée.
On sent chez Guillevic une nécessité impérieuse de se
raccrocher aux choses pour échapper au néant.
Il n'en fallut pas plus
Que toucher de la joue et contempler de près
La mousse au pied de l'arbre et quelques glands jaunis,
Pour se défaire du désespoir, des corridors, pardonner même aux pervenches
Leur beau miracle. (Rites) (5)
Ce qui fait la spécificité de la poésie de Guillevic, c'est
précisément ce regard neuf qu'il pose sur les choses les plus
banales. Pour lui, elles ne sont jamais inanimées, elles ne
sont vraiment choses au sens où on l'entend habituell
ement :
Mais c'est toujours l'humus
Demandant la parole. (p. 142)
Ce n'est plus le monde rassurant, immobile, où les objets
ont chacun une place attitrée que l'homme leur a attribuée.
C'est un monde méchant pour l'homme, dur, vindicatif.
Cette vision du monde, la psychanalyse l'expliquerait ais
ément par les images de l'enfance, de la pauvreté qui rend
sacré le moindre objet sensible, mal aimé et qui préférait
rejeter sur les choses qui constituaient son univers, la mal
veillance dont il était « l'objet ».
(4) « Créanciers », Terra que (Gallimard, 1942), p. 35.
(5) « Rites », Terraqué (Gallimard, 1942), p. 90. LA MATURITÉ DE GUILLEVIC 575
Gaston Bachelard pense que cette démarche vient du désir
d'imposer l'immobilité de la pierre au monde hostile, à
l'ennemi étonné. Et la psychanalyse ajouterait que ce désir
profond est provoqué par la représentation du père dont Te
regard immobilisait l'enfant.
Le monde des objets paraît opposer à l'homme une résis
tance depuis toujours. Il a l'air d'être là pour narguer
l'homme, pour l'obliger à travailler, à réagir, à se défendre
continuellement.
Il y a un fond pour boucher ta vue,
Qui sous tes regards reste comme il est,
Et çà t'incommode.
(p. 34)
Pas de trêve, pas de répit jamais. Et recueil après recueil,.
Guillevic lutte sans relâche tantôt par l'invective cinglante,
tantôt par la douceur conciliante comme on agit avec un
être aimé, qu'on veut conquérir et avec lequel on ne sait
pas comment s'y prendre. C'est ce qui rend la poésie de
Guillevic si charnelle. Même lorsqu'il maudit, qu'il semble
haïr, on sent un profond élan d'amour pour le monde animé
ou inanimé.
Ses réflexes sont sentimentaux et lyriques, ce n'est jamais
une attitude froide et intellectuelle.
On remarquera d'ailleurs que la haine, la malédiction
s'effacent peu à peu pour faire place à la compréhension, à
la souffrance lucide.
Ainsi, au fil des recueils, le poète a fini par accepter la
vie, la vérité du monde et la sienne, car :
... le pire est toujours
D'être en dehors de soi
Quand la folie
N'est plus lucide.
A force de se cogner aux murs il a compris que
... voir le dedans des murs
Ne nous est pas donné LA MATURITÉ DE GUILLEVIC 57T
... Bien sûr que c'est pareil
En nous et dans les murs (6).
Ces deux vers traduisent bien la difficulté qu'éprouve le-
poète à soulever « le voile sur les choses », mais surtout la
difficulté de vivre, d'être un homme conscient, « d'être au.
monde ».
Conquérant des choses
Que n'envie personne
Tu ne t'es pas caché.
Même pas
Derrière la lumière.
Au vu de tous
Tu l'accueillais.
Illisible était ton secret,
Irrévélable,
Sauf quelquefois
Par la parole.
Guillevic n'est pas « voleur de feu », il a conscience de-
ses limites, de son impuissance.
Le recueil « Avec » ne comporte que onze poèmes inti
tulés « Choses » venant après « Donc » qui ouvre le recueil
et ce n'est pas par hasard.
Ils traduisent le cheminement de la pensée depuis le pre
mier livre.
L'Océan, la mer.
— Lais

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents