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Informations
Publié par | CAHIERS_DU_MONDE_RUSSE_ET_SOVIETIQUE |
Publié le | 01 janvier 1973 |
Nombre de lectures | 25 |
Langue | Français |
Poids de l'ouvrage | 2 Mo |
Extrait
François-Xavier Coquin
La philosophie de la fonction monarchique en Russie au
XVIe siècle
In: Cahiers du monde russe et soviétique. Vol. 14 N°3. pp. 253-280.
Citer ce document / Cite this document :
Coquin François-Xavier. La philosophie de la fonction monarchique en Russie au XVIe siècle. In: Cahiers du monde russe et
soviétique. Vol. 14 N°3. pp. 253-280.
doi : 10.3406/cmr.1973.1177
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cmr_0008-0160_1973_num_14_3_1177Abstract
François-Xavier Coquin, Philosophy of the monarchie function in Russia in the XVIth century.
In less than one century, during the period going from the death of Ivan III (1505) to that of Ivan IV
(1584), the Great Prince of Moscow from a vassal of the Golden Hord changes into a sovereign by
divine right, tsar, and autocrat of the whole of Russia, whereas his capital takes over from Byzantium
and is acknowledged as the Third and last Rome. Such a metamorphosis could not be explained
without the patient effort of theoretical thought which was the task of the clerks of the XVIth century
striving to define and justify by a doctrine the prerogatives of the " new Constantin. " It is this
construction of an original theocratic absolutism, inherited from Byzantium and from the Russian
national past, that the present study outlines in its various stages. Quotations from the most significant
texts allow to clearly visualize this legal, political and religious revolution which culminated in the
correspondence of Ivan IV and Prince Kurbskij and which expresses this " new Russian orthodox
autocracy, " the ultimate destiny of which is known to all.
Résumé
François-Xavier Coquin, La philosophie de la fonction monarchique en Russie au XVIe siècle.
En moins d'un siècle, de la mort d'Ivan III (1505) à celle d'Ivan IV (1584), le vassal de la Horde d'or
qu'était le grand-prince de Moscou s'était mué en un souverain de droit divin, tsar et autocrate de toute
la Russie, tandis que sa capitale prenait elle-même la relève de Byzance et se voyait célébrer comme la
Troisième et dernière Rome. Cette métamorphose resterait inexplicable sans le patient effort de
réflexion théorique accompli par les clercs du XVIe siècle pour définir et justifier doctrinalement les
prérogatives du nouveau Constantin. C'est cette élaboration d'un absolutisme théocratique original,
héritier tout à la fois de Byzance et d'un passé national proprement russe, dont cette étude nous retrace
les étapes. La citation des textes les plus marquants permet de saisir sur le vif cette révolution politico-
juridique et religieuse qui culmine dans la correspondance d'Ivan IV et du prince Kurbskij, où s'affirme
cette « nouvelle autocratie russe orthodoxe » promise aux destinées que l'on sait.ARTICLES
FRANÇOIS-XAVIER COQUIN
LA PHILOSOPHIE
DE LA FONCTION MONARCHIQUE
EN RUSSIE AU XVIe SIÈCLE
L'héritage du xve siècle
Avec le règne d'Ivan le Grand (1462-1505), le xve siècle s'achevait
pour la grande principauté de Moscovie sous les plus brillants auspices.
« Rassembleur » de la terre russe et champion de l'orthodoxie face à
l'Occident latin, Ivan III avait également incarné, face à l'occupant
tatar, le sentiment national éveillé un siècle plus tôt par l'éphémère
victoire de Kulikovo (1380). Diplomatie, conquêtes, corruption, ... ou
captation d'héritages, il n'avait négligé aucun moyen pour assurer l'uni
fication des terres grand-russes, parachevée, avec l'annexion de Rjazan'
(1520) et de Novgorod-Severskij (1523), par son fils Basile III. En moins
d'un siècle, l'obscure principauté de Moscovie s'était muée en un véritable
État national, dont la superficie (mais non la population) dépassait déjà
celle de toute autre puissance européenne, et dont l'attraction commençait
à s'étendre sur la Petite et la Blanche Russie.
Longtemps considéré par les autres princes russes, rivaux ou ralliés,
et l'ancienne aristocratie des boyards comme un simple primus inter pares,
le grand-prince1 de Moscovie avait de son côté subi une métamorphose
comparable. Tandis que la chute de Constantinople, dont le destin contrast
ait avec la régulière ascension de Moscou, et la constitution (1459) d'une
Église russe autocéphale commençaient déjà à accréditer l'idée
relève de la « Deuxième Rome » par Moscou, Ivan III n'était pas resté
inactif : son mariage (1472) avec Sophie Paléologue, nièce du dernier
empereur byzantin, puis le refus de tout tribut aux Mongols à la suite
d'une rencontre indécise sur l'Ugra (1480), à 200 km au sud de Moscou,
consacrent définitivement le prestige du « souverain » (gostedar') moscov
ite. C'est alors en effet qu'il commence à s'intituler « tsar de toute la
Russie », d'un titre réservé jusque-là aux khans tatars et aux empereurs
byzantins, dont il reprend également — pour mieux affirmer sa nouvelle
1. Conféré par le khan tatar, ce titre essentiellement honorifique était devenu
héréditaire dans la dynastie moscovite (exception faite du bref règne d'Ivan II)
depuis le début du xive siècle. FRANÇOIS-XAVIER COQUIN 254
indépendance — le titre ď « autocrate » (ou samoderžec). Suivait enfin,
vers 1497, l'adoption de l'aigle à deux têtes byzantin comme sceau officiel.
Ainsi placé par son épouse (qui ne paraît pas avoir exercé l'influence
qu'on a dite dans l'adoption progressive par la Cour moscovite du cérémon
ial byzantin) au-dessus de tout autre prince russe, Ivan III s'employait
aussitôt à faire admettre ses nouvelles ambitions dynastiques par une
Europe qui renouait alors avec la Russie, après plusieurs siècles d'inter
ruption. Non content de se faire officiellement reconnaître par la Lithuanie
(1479) comme « souverain de toute la Russie », et de négocier avec Venise
et la Papauté qui briguaient son concours contre les Turcs, Ivan III
déclinait peu après (1489) le titre royal que lui offrait l'empereur Maxi-
milien Ier, en quête d'une alliance contre la Pologne. Le nouveau tsar
avait même profité de l'occasion pour proclamer hautement l'indépen
dance et l'éclat de son pouvoir souverain :
« Nous sommes par la grâce de Dieu souverains dans notre pays dès l'origine,
depuis nos premiers ancêtres. Dieu nous a institué tout comme nos ancêtres, et
nous prions Dieu qu'il nous garde pour toujours, à nous et à nos enfants, notre
souveraineté actuelle. Nous n'avons jamais désiré nulle autre investiture, et n'en
désirons pas davantage maintenant, a1
Antiquité de la dynastie moscovite que d'obscures traditions s'efforçaient
déjà de rattacher aux empereurs romains ; souveraineté de droit divin, et
domination héréditaire sur l'ensemble de la terre russe, — ainsi se trou
vaient esquissés dès 1489/90 les premiers linéaments d'une doctrine
monarchique que les clercs du xvie siècle devaient se charger de coor
donner et de systématiser.
Ces prétentions encore timides trouvaient une première consécration
en 1498 lors du couronnement de Dimitri, petit-fils d'Ivan III, qui préfi
gurait, avec un demi-siècle d'avance, le sacre d'Ivan le Terrible2. A cette
occasion, le métropolite de Moscou, Simon, avait, selon un cérémonial
inspiré de Byzance, revêtu le jeune grand-prince des insignes royaux3 et
apporté la caution divine aux ambitions politiques de Moscou. Geste
révélateur : depuis l'année 1325, où le « métropolite de toute la Russie »
était venu se réfugier à Moscou, l'appui de l'Église n'avait jamais manqué
aux grands-princes, dont la capitale était ainsi devenue un pôle d'attrac
tion sans rival. Non seulement les métropolites n'avaient pas ménagé
leurs bénédictions à l'œuvre de résistance nationale incarnée par Moscou,
1. Cf. Pamjatniki diplomatičeskih snošenij drevnej Rossii...( Documents diplo-
matiques de l'ancienne Russie...), Saint-Pétersbourg, 185 1, I, p. 12.
2. Pour assurer la stabilité de sa dynastie et prévenir tout conflit de succession,
Ivan III, qui avait déjà proclamé corégent son fils aîné (mort en 1490), avait
ensuite tenu à s'associer de son vivant son petit-fils Dimitri. La disgrâce, encore
mal expliquée, de ce dernie