Les masques du clerc (Le Tristan de Béroul) - article ; n°5 ; vol.2, pg 96-116
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Description

Médiévales - Année 1983 - Volume 2 - Numéro 5 - Pages 96-116
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1983
Nombre de lectures 41
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Jean-Charles Huchet
Les masques du clerc (Le Tristan de Béroul)
In: Médiévales, N°5, 1983. pp. 96-116.
Citer ce document / Cite this document :
Huchet Jean-Charles. Les masques du clerc (Le Tristan de Béroul). In: Médiévales, N°5, 1983. pp. 96-116.
doi : 10.3406/medi.1983.942
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medi_0751-2708_1983_num_2_5_942Jean-Charles HUCHET
LES MASQUES DU CLERC
(Le Tristan de Béroul)
Le plus souvent anonyme, le roman médiéval cherche, d'un même
geste, à protéger son anonymat et à traquer le visage caché de son
auteur. Il produit de multiples leurres dont se nourrit la fiction et qui
aveuglent à plaisir la lecture, mais qui se révèlent cependant de subtiles
interrogations de l'écriture romanesque.
Dans le Roman de Tristan, attribué à un certain Béroul, nom dont
les efforts de la critique n'ont pu percer le mystère, le clerc auteur
feint de livrer son nom (v. 1268 et 1790) (1) pour mieux dérober son
identité et se représenter masqué, ailleurs, dans la fiction. Le contexte
où émerge le nom pris pour la signature fait jouer habilement, comme
pour les mêler, la vérité et le mensonge. La première mention du nom
de Béroul (au cas sujet, « Berox ») intervient au moment où il faut
trancher du sort réservé par Tristan à Y vain, le chef des lépreux à qui
fut livrée Iseut « provee » d'adultère :
« Li conteor dïent qu'Y vain
Firent nïer, qui sont vilain ;
N'en sevent mie bien l'estoire,
Berox l'a mex en sen mémoire,
Trop ert Tristran preux et cortois
A ocirre gent de tes lois. » (v. 1265-70).
Au-delà des rodomontades à finalité publicitaire, Béroul ne revendique
son appartenance à la confrérie des « conteors » que pour mieux s'en
séparer, souligner le mensonge (travesti en méconnaissance) de ceux
qui ne « sevent mie bien l'estoire » et vanter l'excellence d'une mémoire
témoignant d'une transmission orale de 1' « estoire ». La vivacité du
souvenir tient d'ailleurs moins aux facultés de mémorisation qu'à la
chance d'avoir pu consulter l'écrit contenant la vérité de 1' « estoire »
et où Béroul dit l'avoir apprise :
- « Ne, si conme l'estoire dit,
La ou Berox le vist escrit,
Nule gent, tant ne s'entramerent » (v. 1789-91).
Cette source écrite — et perdue — exista-t-elle ? La critique, non sans
raisons, en a parfois douté (2). Serait-ce alors une invention du clerc
1. Nos références au texte de Béroul renvoient à l'édition d'E. MURET,
Le Roman de Tristan, C.F.M.A., Paris, 1969, 4* éd.
2. Pour les repères bibliographiques, on pourra consulter l'excellente
synthèse de D. SHIRT, The old french Tristrans Poems. A bibliographical
guide, Londres, 1980. grâce à laquelle il assoit la crédibilité de sa version ainsi que son
autorité ? Et qui dira s'il ment moins ou plus que les « conteors » ?
Béroul n'est peut-être que le nom reliant entre eux les multiples
leurres mis en œuvre par le texte, l'autre nom du suspens entre vérité
et mensonge, des contradictions du roman : l'archaïsme apparent (un
effet de style ?) d'une première partie démenti dans la seconde,
l'incohérence d'un baron tué à deux endroits différents du récit (3)...
La vérité du nom énigmatique est appendue à la vérité de
1' «estoire» qui cherche elle-même à se fonder, et pourtant s'égare,
par un geste de rupture avec une tradition légitimante. Le nom
« Béroul » répond dans le registre « biographique » par une énigme
au coup d'arrêt donné à la transmission qui fonde 1' «inventio». Le
nom se donne pour la marque de la vérité du récit singulier qui
« dé-ment » la tradition des « conteors ». Il personnifie la déviance
par laquelle le récit tente d'accréditer la vérité de la fiction, à faire
prendre le mensonge de la fiction pour la vérité de la fiction. Il ne témoigne
que de l'oscillation entre vérité et mensonge, deux pôles entre lesquels,
comme nous le verrons, le récit ne cesse d'hésiter, sans parvenir à
s'empêcher de les mêler. Car comment croire à la vérité de la fiction
et du nom qui en revendique la nouveauté, quand le récit ne laisse
pas de mettre en scène des personnages se payant de mensonges ? quand
le lecteur, convié à prendre la place de Marc dans le pin épiant les
amants, reste sourd à ce qu'avouent leurs mensonges ? quand, enfin,
l'ermite (la voix même de la vérité confondue avec celle de Dieu)
conseille de mentir (v. 2353-54) et tend au clerc un masque pour qu'il
se travestisse ? Le nom d'auteur fonctionne comme un leurre ; le clerc
est ailleurs, dissimulé derrière ses personnages, et préserve son ano
nymat sous les figures antagonistes du nain Frocin et de l'ermite
Ogrin afin de mieux livrer, et dérober à la fois, les secrets de son
écriture. A l'instar d'un ermite, le « nain devin » « set de maint latin »
(v. 636) ; il lit dans les étoiles (v. 322, 331, 736-37) comme l'ermite dans
le livre de Dieu (v. 2292). Ne conseille-t-il pas à Marc d'envoyer Tristan
porter à Arthur un «bref» (une lettre) (v. 649-54), dont on le suppo
sera auteur, au même titre qu'Ogrin rédige un « bref » transmis par
Tristan à Marc (v. 2356-2620) ? Enfin, Frocin ne se veut-il pas « conteor »
lorsqu'il dévoile la fiction d'une vie à venir :
« Qant il oiet un enfant nestre,
Les poinz contot toz de sa vie » (v. 326-27).
tout comme Ogrin, dans le « bref » tracé de sa main, conte; les
«poinz» de la vie passée des amants et anticipe leur avenir en un
récit digne du « conteor » Béroul ?
3. On a parlé d'Un Béroul I (v. 2-2754), fidèle à une version primitive du
roman dont le Tristrant d'Eilhart von Oberg est le meilleur témoin, et d'un
Béroul II, plus récent, s'écartant signincativêment du texte fourni par Eilhart. L'écriture impossible
Béroul est le seul auteur français ayant « conté » de Tristan à
nommer le nain : « Frocin » (aux vers 320, 328, 645) et « Frocine » (aux
vers 470, 1328, 1349). Singularité à coup sûr signifiante, qui fait à nou
veau achopper sur le mystère d'un nom. M. Delbouille a cru devoir
rapprocher le nom « Frocin » du mot « f roncin » (ou « froncine ») qui
désignait au XIV* siècle (4), dans la région picardo-flamande, un
parchemin (5). V. Gay, à qui il emprunte, définit ainsi le f roncin:
« Parchemin très blanc et de qualité supérieure qu'on appelait en
Flandres « francin ». La froncine, qui subissait peut-être une prépa
ration particulière, est presque toujours une peau de brebis passée en
chaux » (6). La rugosité du parchemin faisant image à la peau rêche
d'un crapaud, le mot « fro(n)cin(e) » aurait bientôt désigné un petit
crapaud ou un têtard, et Béroul aurait transformé le substantif en nom
propre pour résumer la hideur, tant physique que morale, du nain (7)...
Le nom conserve l'écho de son origine et souligne les accointances du
nain avec la question de l'écriture (8). On le dépliera comme un
parchemin. Mais qu'écrire sur cette page blanche appelée par le
nom, sinon la preuve des amours coupables de Tristan et d'Iseut,
dont le scandale emplit un jour la vue des barons félons sans pour
autant jamais s'offrir à celle de Marc ?
« Qar, en un gardin, soz une ente,
Virent l'autrier Yseut la gente
Ovoc Tristran en tel endroit
Que nus hon consentir ne doit ;
Et plusors foiz les ont veiiz
El lit roi Marc gésir toz nus » (v. 589-94)
II s'agit de capter dans les rets d'une représentation signifiante ce que
les yeux de Marc ne peuvent, ou ne veulent pas voir, de substituer à la
violence génératrice d'incertitude de l'image, la preuve d'un signe
écrit qui fasse à jamais trace de 1' « asenblee » de l'homme et de la
femme dérobée à la vue. Car l'image n'est pas sûre et fait le jeu du
4. Le mot a dû cependant ê

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