Louis-Joseph Proust (1754-1826) était-il pharmacien ? - article ; n°321 ; vol.87, pg 77-96

Josette Fournier

Description

Revue d'histoire de la pharmacie - Année 1999 - Volume 87 - Numéro 321 - Pages 77-96
On doit à Proust la loi des proportions définies. La partie productive de sa vie professionnelle s'est passée en Espagne. Il avait reçu avant son départ une formation d'apothicaire, inachevée, qui transparaît dans son activité d'analyste, ses relations, son souci d'applications et dans son intérêt pour des recherches destinées à améliorer la santé et à développer de nouvelles ressources alimentaires. Homme de raison et de conviction, il appartient à la génération des penseurs et savants idéologues en quête de lois naturelles.
Was Louis-Joseph Proust (1754-1826) a pharmacist ?
Proust's first formulation of the law of definite proportions was published in a paper on iron oxides (1794). He spent the major part of his professional life in Spain, where he contracted to take a teaching and searching position. He was apprenticed to his father to study pharmacy, and he studied chemistry with Hilaire-Marin Rouelle. His early interrupted education is shown through his abilities as an analyst, the persons with whom he was in communication, his share in manufacturers 'assays and his researches towards health and food chemistry. More fundamental was his behef in natural principles of order as representative of the thought of the idéologues.
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: REVUE_D-HISTOIRE_DE_LA_PHARMACIE
• Publié le: 01 janvier 1999
• Nombre de lectures: 27
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Josette Fournier
Louis-Joseph Proust (1754-1826) était-il pharmacien ?
In: Revue d'histoire de la pharmacie, 87e année, N. 321, 1999. pp. 77-96.
Résumé
On doit à Proust la loi des proportions définies. La partie productive de sa vie professionnelle s'est passée en Espagne. Il avait
reçu avant son départ une formation d'apothicaire, inachevée, qui transparaît dans son activité d'analyste, ses relations, son
souci d'applications et dans son intérêt pour des recherches destinées à améliorer la santé et à développer de nouvelles
ressources alimentaires. Homme de raison et de conviction, il appartient à la génération des penseurs et savants idéologues en
quête de lois naturelles.
Abstract
Was Louis-Joseph Proust (1754-1826) a pharmacist ?
Proust's first formulation of the law of definite proportions was published in a paper on iron oxides (1794). He spent the major part
of his professional life in Spain, where he contracted to take a teaching and searching position. He was apprenticed to his father
to study pharmacy, and he studied chemistry with Hilaire-Marin Rouelle. His early interrupted education is shown through his
abilities as an analyst, the persons with whom he was in communication, his share in manufacturers 'assays and his researches
towards health and food chemistry. More fundamental was his behef in natural principles of order as representative of the thought
of the idéologues.
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Fournier Josette. Louis-Joseph Proust (1754-1826) était-il pharmacien ?. In: Revue d'histoire de la pharmacie, 87e année, N.
321, 1999. pp. 77-96.
doi : 10.3406/pharm.1999.4934
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pharm_0035-2349_1999_num_87_321_493477
LOUIS-JOSEPH PROUST (1754-1826)
ÉTAIT-IL PHARMACIEN ?
par Josette Fournier *
La loi des proportions définies ou loi de Proust
La loi des définies, formalisée par Proust dans un débat avec
Berthollet qui s'est poursuivi pendant plus de six ans, a été qualifiée par
Duhem de seconde révolution chimique l. Sa première expression se trouve
dans une publication 2 de 1794.
Proust donne un critère expérimental pour distinguer les corps purs des
mélanges, c'est l'invariabilité de leur composition élémentaire quantitative.
Il l'appelle pondus naturae, loi naturelle, une expression déjà utilisée par
Stahl (1723). C'est véritablement l'acte de naissance de l'espèce chimique.
À l'issue de l'échange d'arguments avec Berthollet, il n'y eut ni vainqueur ni
vaincu, c'est Berzélius qui a établi la relation logique de Proust à Dalton et
reconnu au premier sa part dans la progression scientifique 3.
Proust assoit sa conviction sur les résultats de très nombreuses analyses de
composés inorganiques (minerais, météorites et fossiles), faites en Espagne,
où il réside. Il est l'inventeur de la méthode d'analyse par voie humide, il
introduit notamment l'usage du sulfure d'hydrogène pour caractériser les él
éments métalliques en solution, il découvre les hydroxy des (qu'il appelle
hydrates) et qu'il utilise à la fois comme réactifs et comme produits de réac
tion, pour identifier par addition de soude, le métal de sels en solution, il
introduit aussi l'eau régale pour « dissoudre » les métaux les moins oxy
dables 4. Il se fonde sur l'analogie de composition entre les sulfures et les
Exposé présenté le 12 mars 1998 lors de la réunion conjointe « Club d'histoire de la chimie - Société
d'histoire de la pharmacie ».
* 21 parc Germalain, Pruniers, 49080 Bouchemaine.
REVUE D'HISTOIRE DE LA PHARMACIE, XLVH, N° 321, l^TRIM. 1999, 77-96. REVUE D'HISTOIRE DE LA PHARMACIE 78
oxydes, c'est une évidence maintenant que l'on a des lumières sur la struc
ture électronique des éléments, mais à l'époque de Proust, c'était une véri
table trouvaille, soulignée justement par Chevreul 5.
Ayant reçu une formation de pharmacien, Proust ne pouvait négliger de
s'intéresser aux constituants des liquides biologiques, aux constituants des
huiles essentielles, à ceux des végétaux d'une manière générale, considérés
comme aliments ou comme médicaments ; le retiennent aussi les causes de
pollution des eaux naturelles, et la récolte du salpêtre ; partageant avec des
pharmaciens comme Parmentier le souci de parer aux crises de subsistance,
il extrait le sucre de raisin, la gélatine des os, l'hordénine de l'orge et il isole
la leucine de la caséine du fromage et du gluten du blé fermentes 6.
Ses communications comportent toujours des résultats quantitatifs, accom
pagnés d'une interprétation dans un cadre théorique ; Proust n'oublie jamais de
proposer des développements de ces recherches, industriels, artisanaux et
domestiques, en examinant leur adaptation pour une production en grand et les
aspects économiques. Il connaissait les « arts » par ses travaux sur les mines en
Espagne et par la pratique de la pharmacie. « La véritable science est celle qui
apprend à tirer des productions dont le créateur a peuplé notre séjour, le plus
grand parti, tant pour augmenter les moyens de subsistance, que pour enrichir
la médecine, l'économie domestique et les arts. » 7 Ce souci d'une science
utile est caractéristique de sa génération de penseurs et savants dits idéo
logues 8. Les idéologues sont les fondateurs d'un mouvement intellectuel ratio
naliste et pluridisciplinaire, ils ont le goût des voyages et de l'observation, ils
sont scientifiquement curieux, n'éhminant aucun objet d'étude, épris de détails
précis et minutieux ; dans tous les champs de connaissance, ils développent la
méthode analytique ; dotés d'un esprit pratique, ils sont convaincus que la
faculté de sentir et d'analyser nos sensations est la source de nos connaissances
et ils s'attachent à reconnaître des lois naturelles, constantes et universelles.
Proust se qualifie dans ses écrits et dans les actes de sa vie privée de pro
fesseur de chimie du roi d'Espagne, à Ségovie ou à Madrid, mais les phar
maciens le considèrent comme l'un des leurs 9. Ainsi, Bussy, dans la notice
nécrologique qu'il lui consacre 10, écrit : « Cette perte... sera surtout vive
ment ressentie par les pharmaciens, qui perdent en lui un des hommes qui ont
le plus honoré leur profession... il appartenait aux rédacteurs d'un journal
particulièrement consacré aux pharmaciens, de les entretenir quelques ins
tans de la perte qu'ils viennent de faire. . . » Que faut-il croire ?
À cette question, nous avons cherché une réponse par l'examen des circons
tances de sa vie et dans ses uvres. Né à Angers le 26 septembre 1754, Proust
avait trois ans de plus que Volney (Constantin-François Chassebuf de
Boisgirais, 1757-1820) u. L'un et l'autre étudièrent chez les Oratoriens d'Angers. LOUIS-JOSEPH PROUST ÉTATT-IL PHARMACIEN ? 79
À leur époque, il règne au Collège d'Anjou un jansénisme aimable et l'on y fait
des études sérieuses 12. Proust comme Volney ou La Révellière-Lépeaux, doivent
à cette éducation un esprit libéral, un sens critique vif et constructif, une grande
indépendance, le goût des langues, celui des sciences pluridisciplinaires, des idées
sur l'enseignement qui doit être « sensible », c'est-à-dire parler aux sens, un esprit
d'induction sans romantisme et une solide culture latine.
Le père de Louis Proust, apothicaire, s'était fixé vers 1750 dans une offi
cine qui existe toujours à Angers 13. Un recensement maison par maison, en
1769, fait apparaître 21 567 habitants dans la ville et ses faubourgs 14 et, entre
1775 et 1789, il y a de 7 à 9 apothicaires selon les années 15. Sorti du Collège,
Louis- Joseph apprend le métier avec son père selon l'usage.
En 1774, Proust tente sa chance à Paris
De Paris, le fils aîné Joachim aurait fait écrire à son père qu'une place avan
tageuse attendait Louis- Joseph dans la capitale. Après une longue délibération,
le père consentit à le laisser partir. Avant même de quitter Angers, Proust dit
avoir confié dans une lettre, ses observations d'apprenti apothicaire, à
Rouelle 16 : « Les fondemens des maisons de la ville d'Angers sont, la plupart,
bâtis avec des schystes ou ardoises qui servent également