Mendiants et policiers à Paris au XVIIIème siècle - article ; n°2 ; vol.1, pg 259-295
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Description

Histoire, économie et société - Année 1982 - Volume 1 - Numéro 2 - Pages 259-295
37 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1982
Nombre de lectures 52
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

Extrait

Christian Romon
Mendiants et policiers à Paris au XVIIIème siècle
In: Histoire, économie et société. 1982, 1e année, n°2. pp. 259-295.
Citer ce document / Cite this document :
Romon Christian. Mendiants et policiers à Paris au XVIIIème siècle. In: Histoire, économie et société. 1982, 1e année, n°2. pp.
259-295.
doi : 10.3406/hes.1982.1292
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hes_0752-5702_1982_num_1_2_1292MENDIANTS ET POLICIERS
A PARIS AU XVIIIème SIECLE
par Christian ROMON
Quand une certaine concentration et intensification du spectacle de la misère se
produit dans une société, l'accumulation des peurs individuelles se répercute dans les
mentalités et la pratique sociale, pour réaliser l'exclusion du pauvre. Au XVIIIème
siècle, il semble que toutes les conditions soient rassemblées pour poursuivre le rite
de purification commencé au siècle précédent. Dans un Occident tout de même privi
légié, la marche vers le capitalisme laisse hors du partage, et à titre définitif, un énorme
sous-prolétariat de sans travail et de chômeurs à perpétuité (1). Sous le coup des crises
sociales et économiques, on condamne l'oisiveté et on pourchasse les vagabonds.
Chaque ville a ses pauvres, Paris a les siens : ils sont près de 6000 en 1656-1657 lorsque
s'ouvrent les portes de l'Hôpital général, 8910 en juin 1701 dans ce même établiss
ement, 9000 en juillet 1702 (2). S'ils augmentent encore, et ce sera le cas dans la secon
de moitié du XVIIIème siècle, une opération de «triage et de discernement» (3) des
valides, des invalides, des femmes abandonnées, des veuves, des filles grandes, des petits
garçons, des vénériens etc.. est jugée nécessaire. Seul le pauvre authentique a des droits
sacrés sur le patrimoine des «nantis». Jadis, le mendiant qui frappait à la porte des r
iches n'était-il pas un envoyé de Dieu ? «Les apôtres qui voyaient Jésus-Christ même
dans la personne de tous les malheureux, étaient donc forcés à regarder leurs besoins
comme un des principaux objets de la sollicitude ecclésiastique» (4). Lorsqu'il s'agit
des mendiants et des vagabonds, c'est une toute autre histoire : la législation répressive
leur rappelle que le travail manuel est une obligation propre à la condition des classes
populaires (5). Ateliers publics et maisons de correction deviennent pour le coup le
1. F. Braudel, «Civilisation matérielle, Économie et Capitalisme — XVe-XVIIIe siècle», A. Colin,
Paris, 1979, t. 2, «Les jeux de l'échange», p. 450.
2. A.N. К 1024 nos 38,40.43.
3.К nos 35, 35 bis.
4. Abbé N. Baudeau, «Idées d'un citoyen sur les besoins, les droits, et les devoirs des vrais pau
vres», Amsterdam, 1765, chap. 1 (théorie), p. 145.
5. B. Geremek, «Inutiles au monde : Truands et misérables dans l'Europe moderne (1350-1600)»
Éditions Gallimard /Julliard, 1980, p. 75. 260 Christian ROMON
moyen classique de la socialisation ou de la pénalisation des vagabonds. Certes, mend
iants, vagabonds et gens sans aveu ne sont pas absolument confondus, en revanche,
ce sont les mêmes qui vont être vus soit à travers le vagabondage, soit à travers la mend
icité. Il n'est donc pas étonnant dans ces conditions que le traitement des mendiants
s'aligne sur celui des vagabonds. S'il récidive, le mendiant sera traité comme un crimi
nel et tombera sous le coup de l'ordonnance criminelle de 1670, de l'éditdemars 1720,
de la déclaration du 5 février 1731. Et c'est finalement la solution qui prévaudra dans
la deuxième moitié du XVIIIème siècle pour la majorité des pauvres à une époque où
l'internement se confère un nouvel espace répressif : les dépôts de mendicité.
Pourtant, l'ère du «grand renfermement» n'extirpe pas le mal. La police, en vérité,
est impuissante au point que dans les années 1782-1784, les indigents sont relâchés
sur le champ dans des proportions qui frisent les 70%. Dans les années pré-révolutionn
aires, cette classe sensible au changement des prix et à la diminution du pouvoir
d'achat a bel et bien basculé en deçà du seuil de pauvreté. Ce siècle a laissé à la postéri
té quelques grands textes législatifs : tout discours historique ayant besoin de repè
res (6), nous avons privilégié pour ce travail la période 1700-1784. En 1700, le défi est
lancé depuis plus de 40 ans (encore que la date de 1656 ne doit pas être prise au pied
de la lettre), nous prenons donc l'histoire de l'enfermement en marche. 1784, sera
notre second repère chronologique, d'une part parce que cette date correspond à l'édit
de mars 1784 «portant défense aux étrangers de quêter dans le royaume», d'autre part,
parce que cette même année est, au dire de chacun, l'année de la catastrophe nationale.
Troisièmement, nous avons choisi cette année charnière parce qu'aussi les mendiants et
les vagabonds pullulaient dans les archives judiciaires. Avec la climatique de
1784 qui a, il est vrai, d'autres répercussions que le drame de 1709, nous entrons dans
l'atmosphère des crises pré-révolutionnaires. Enfin, en 1784, la déclaration du 3 août
1764 n'est toujours pas passée de mode, même si la plupart des dépôts de mendicité du
royaume ont déjà rendu l'âme. Et puis, dans un tissu social déchiré à la fois par la faim
et par la misère, il est toujours bon de comprendre le comportement de la police face
aux pauvres. A Paris, la grande offensive policière menée par Lenoir, depuis août 1774,
bat son plein. Les mendiants sont là, affamés et menaçants, ils envahissent les rues de la
ville jusqu'au jour où ils se font surprendre par les forces de l'ordre.
*
* *
1 . MENDIANTS ET VAGABONDS FACE A L'ORDRE PUBLIC
Mendiants et vagabonds au banc des accusés
Au XVIIIème siècle, l'opinion s'inquiète des progrès numériques et des désordres
de la classe des mendiants. «Les rois sont les vrais pasteurs des nations», il est donc
normal qu'ils aient à prévenir le «crime» d'oisiveté par une vigilance sévère, et comme
6. Cf. P. Chaunu, «Histoire quantitative, histoire sérielle», Cahier des Annales n° 37, 1978, pp.
57-65, — «Histoire et décadence», Librairie académique Perrin, 1981, p. 30.
7. A.N. H 371 4ème dossier, pièce 105, «Mémoire sur la mendicité», 17 mars 1768, M. de
Corniac («Ancien président du tiers»). MENDIANTS ET POLICIERS 26 1
le vagabond n'est pas susceptible, par définition, de devenir jamais utile, de rendre
service à la société dont il implore l'appui, celle-ci l'écarté et le repousse en l'enfe
rmant dans les hôpitaux généraux. Le droit de punir «sera donc comme un aspect du
droit que le souverain détient de faire la guerre à ses ennemis» (8). En théorie, est
pauvre celui qui «n'a ny profession, ny métier, ny domicile certain, ny bien pour sub
sister, et qui n'est avouez, et ne peut faire certifier de ses bonnes vie et mœurs par per
sonnes dignes de foy» (9). En fait, la troupe des deshérités désignés par les mots
«mendiants» et «vagabonds» rameute tous les malheureux affligés par le dénuement
(absence de ressources ou de domicile certain) et la privation de tout moyen personnel
d'y remédier. Reste que l'errance des gens sans aveu et «demeurant partout» (10) est
éminemment suspecte, elle ne peut manquer d'être identifiée comme une menace pour
l'ordre établi. A écouter le langage des contemporains, on a l'impression que les mend
iants forment un sous-monde anormal, en retrait du monde normal placé au-dessus de
lui, lequel y verse les résidus, les incapables, les demeurés physiques. Monde déraillé de
la «voie légale» (11), c'est aussi pour la société une source continuelle d'insécurité et
de délit. Pour atteindre à la racine le mal et le danger que représentent les vagabonds,
il convient de frapper le principe même de la fainéantise «asociale, intentionnelle et
fautive» (12) par des ordonnances qui entendent proscrire la mendicité et assurer
l'ordre public. La principale caractéristique de la psychologie du pauvre paraît être l

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