Natalisme et nationalisme pendant la première guerre mondiale - article ; n°1 ; vol.45, pg 30-39

Judith Wishnia

Description

Vingtième Siècle. Revue d'histoire - Année 1995 - Volume 45 - Numéro 1 - Pages 30-39
Natalism and nationalism at the time of the First World War, Judith Wishnia.
Concern about the low French birth rate compared with Germany's demographie dynamism grew into a crisis during the First World War. Nationalism and natalism were from then on linked. The revelation of rapes committed by the German troops during the occupation of Northern and Eastern France posed a dilemma for part of French public opinion: natalism and nationalism clashed when faced with the possible response to the condition of women thereby made pregnant. The advocates of the prohibition of abortion won because, in spite of the circumstances of conception, a child born to a French mother, fed on French milk and brought up in France was French. The mother's nationality superseded that of the male seed.
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: VINGTIEME_SIECLE-_REVUE_D-HISTOIRE
• Publié le: 01 janvier 1995
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Extrait

Judith Wishnia
Natalisme et nationalisme pendant la première guerre mondiale
In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°45, janvier-mars 1995. pp. 30-39.
Abstract
Natalism and nationalism at the time of the First World War, Judith Wishnia.
Concern about the low French birth rate compared with Germany's demographie dynamism grew into a crisis during the First
World War. Nationalism and natalism were from then on linked. The revelation of rapes committed by the German troops during
the occupation of Northern and Eastern France posed a dilemma for part of French public opinion: natalism and nationalism
clashed when faced with the possible response to the condition of women thereby made pregnant. The advocates of the
prohibition of abortion won because, in spite of the circumstances of conception, a child born to a French mother, fed on French
milk and brought up in France was French. The mother's nationality superseded that of the male seed.
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Wishnia Judith. Natalisme et nationalisme pendant la première guerre mondiale. In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°45,
janvier-mars 1995. pp. 30-39.
doi : 10.3406/xxs.1995.3380
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_1995_num_45_1_3380NATALISME ET NATIONALISME
PENDANT LA PREMIÈRE GUERRE
MONDIALE
Judith Wishnia
Qu'est-ce qui détermine la «race» officiers ainsi que de nombreux féministes
d'un enfant? Le ventre féminin qui l'a s'accordaient pour dire que le devoir des
porté ou la semence masculine qui l'a Françaises au service de la nation était
engendré ? Pour les « épurateurs ethni autant de produire que de reproduire:
ques » de notre siècle, l'origine du père elles devaient rentrer les récoltes, travail
est primordiale. N'est-ce pas une ler dans les usines, particulièrement dans
consolation pour les victimes de croire celles des munitions et, en faisant des
le contraire? Pour les Français des bébés, enfanter pour la France. Pour
années 1920, aux prises avec les viols encourager la fécondité, des lois en faveur
commis par les soldats allemands dans du congé de maternité furent votées en
le Nord et l'Est de la France, la réponse même temps que l'on facilitait l'ouverture
en tout cas fut claire: la matrice des de crèches et de salles d'allaitement dans
femmes l'emportait sur l'origine des les usines. Les soldats furent envoyés en
pères. permission avec la consigne explicite de
«semer les graines» des futures générat
ions de petits soldats2. Une intense camL'inquiétude à propos de la dénatalité
pagne contre l'avortement, qui était évfrançaise face au dynamisme démo
idemment illégal, fut lancée. Des graphique de l'Allemagne a pris les
féministes eminentes telles Marguerite de dimensions d'une crise pendant la pre
Witt-Schlumberger de l'Union française mière guerre mondiale1. Le nombre
pour le suffrage des femmes et effrayant de morts et la chute rapide du
Jane Misme, rédactrice en chef de La taux de natalité a aiguisé la peur de voir
Française encouragèrent leurs sœurs à la France se dépeupler. Malgré la victoire
accomplir leur devoir patriotique. Alors militaire, elle risquait, vidée de sa jeu
que les hommes détruisaient la vie sur les nesse, de cesser d'exister en tant que
nation. Les hommes politiques, le clergé,
les personnalités du monde littéraire, les
membres des professions médicales, les
2. Dans son article, -Pronatalism and the popular ideology
of the child in wartime France the evidence of the picture
1. Pour un exposé succinct de l'inquiétude des Français avant postcard», dans R. Wall, J. Winter (eds), The upheaval of war:
la guerre face à la dénatalité, voir Karen Offen, -Depopulation, family, work and welfare in Europe, 1914-1918, Cambridge,
nationalism and feminism in Fin-de- Siècle France-, American Cambridge University Press, 1988, Marie-Monique Huss donne
Historical Review, 89 (3), juin 1984, p. 648-676. des exemples éloquents de cette propagande.
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: NATALISME ET NATIONALISME (1914-1918)
champs de bataille, les femmes la crée ces victimes, certaines se retrouvèrent
raient sur le front domestique l . enceintes.
Au début de l'année 1915, étant donné L'avortement avait beau être illégal, son
l'imbrication du natalisme et du nationa emploi comme moyen de contrôle des
lisme liés à la haine de l'Allemagne, ce naissances avait été endémique tout au
fut un choc pour la conscience nationale long du 19e siècle. Toutes les classes
que de voir natalisme et nationalisme sociales pratiquaient l'avortement, comme
entrer en conflit dans le débat sur la le fit remarquer le médecin féministe
réponse que devaient donner le peuple Madeleine Pelletier: les filles de familles
et la nation à la situation des femmes bourgeoises ne se suicidaient plus, elles
enceintes après avoir été violées par des se faisaient avorter3. Les estimations sont
soldats allemands. Fallait-il accorder le variées, mais la plupart des spécialistes
droit de vivre à ces «enfants du crime», à de l'époque avançaient pour l'avant-
ces «indésirés», à ces «intrus», ou bien fal guerre des chiffres allant de 200 à
lait-il permettre aux victimes de viol de 500000 avortements par an4. On trouvait
se faire avorter? Et si les enfants devaient des petites annonces explicites dans les
naître, qu'adviendrait- il de ces «mi- journaux, et chaque quartier avait son
boches», engendrés par le monstre hun? avorteur ou son avorteuse: une sage-
En dépit de la révision faite après guerre femme, un médecin, la boulangère du
quant à l'étendue des atrocités commises coin. Il n'était donc pas surprenant que
par les Allemands en Belgique et en de nombreuses victimes, enceintes dans
France, il n'y a pas de doute que, dans de si lourdes circonstances, aient résolu
son avancée rapide dans le Nord et l'Est le problème par une visite discrète à une
de la France à l'automne et l'hiver 1914, de ces «faiseuses d'anges». Mais pour
l'armée allemande poursuivit une polit d'autres femmes, à qui l'accès à un avor
ique programmée de terreur. Des récits de
teur était impossible, qui avaient trop peur
témoins oculaires ainsi que des enquêtes
de se faire avorter (la propagande gou
menées par des commissions internatio
vernementale ainsi que des anecdotes
nales attestent l'incendie de fermes et de
médicales effrayantes avaient mis en
villages, le meurtre de civils sans arme et
garde les femmes contre les risques de
le viol de femmes. De nombreux viols,
l'avortement illégal) ou qui refusaient des crimes «trop honteux pour être pour des raisons d'ordre décrits», n'ont probablement pas été
moral ou religieux, pour toutes ces victsignalés, et leur incidence a ainsi pu en
imes considérées individuellement et pour être sous-estimée, mais des récits de viols
la nation prise dans sa totalité, l'attitude néanmoins abondent: de village en vil
à adopter face à ces grossesses et au futur lage, jeune filles, vieilles femmes, mères
enfant était un problème angoissant. sous les yeux de leurs enfants2. Parmi
1. Phrase prononcée par M. Schlumberger dans un discours O QUE FAIRE DES «GRAINES DU BARBARE»?
devant les membres de l'association Action sociale et morale
en faveur de la maternité, et reproduite dans La Française du L'existence de ces victimes était connue 25 mars 1916. Plusieurs expressions de soutien pour une natalité
de tous, mais le problème ne fut pas évoaccrue parurent dans la presse féministe pendant la guerre.
2. Avec l'arrivée dans les territoires non occupés de réfugiés qué publiquement avant le 7 janvier 1915, fuyant les soldats allemands vinrent les premiers récits des atro
cités commises par ceux-ci. Les journaux en publièrent quoti
diennement, et plusieurs commissions d'enquête, notamment p. 3.7. Madeleine Pelletier, Le droit à l'avortement, Paris, 1917,
celles de Payelle et de Bryce, furent établies, qui interogèrent
les survivants. Pendant et après la guerre parurent des dizaines 4. • La protection de la maternité », La Revue philanthropique,
de livres sur la cruauté des Allemands. Il faut préciser que, 1920, p. 423- Pour une discussion élargie de la question de
une fois l'invasion terminée, les Allemands suivirent certes une l'avortement avant la guerre, voir A. McLaren, -Ab