Pourquoi les bolcheviks ont-ils quitté Petrograd ? - article ; n°4 ; vol.34, pg 507-527
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Description

Cahiers du monde russe et soviétique - Année 1993 - Volume 34 - Numéro 4 - Pages 507-527
Ewa Bérard, Why did the Bolsheviks leave Petrograd?
The departure of the Bolsheviks from Petrograd on March 10, 1918 and the transfer of the capital to Moscow marked the end of a two-hundred-year long Petersburg era of Russian history. Was this transfer that took place immediately after the signature of the Brest-Litovsk peace treaty, really dictated (as it was claimed) solely by the German military danger? The present article - supported by documents - promotes the thesis according to which this move had been decided earlier, after the dissolution of the Constituent Assembly, and was necessitated by the explosive situation in the city. Equally essential was the symbolic effect of the desertion of the anti-national Petrograd and of the rehabilitation of the old capital, on anti-revolutionary opinion: once they were established in the Kremlin, the Bolsheviks were endowed by their adversaries with the legitimacy of new assemblers of Russian lands.
Ewa Bérard, Pourquoi les bolcheviks ont-ils quitté Petrograd ?
Le départ des bolcheviks de Petrograd le 10 mars 1918 et le transfert de la capitale à Moscou ont clos deux cents ans de « période pétersbourgeoise » de l'histoire russe. Ce transfert, accompli au lendemain de la signature de la paix de Brest-Litovsk, a-t-il été réellement dicté, comme on l'а présenté, uniquement par le danger militaire allemand ? Documents à l'appui, l'article développe la thèse qu'il avait été décidé plus tôt, après la dispersion de la Constituante, en fonction de la situation explosive qui régnait dans la ville. L'effet symbolique de l'abandon du Pétersbourg « anti-national » et de la réhabilitation de la vieille capitale sur l'opinion antirévolutionnaire était essentiel aussi : installés au Kremlin, les bolcheviks se virent crédités par leurs adversaires de la légitimité de nouveaux rassembleurs de terres russes.
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1993
Nombre de lectures 30
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Ewa Bérard
Pourquoi les bolcheviks ont-ils quitté Petrograd ?
In: Cahiers du monde russe et soviétique. Vol. 34 N°4. Octobre-Décembre 1993. pp. 507-527.
Abstract
Ewa Bérard, Why did the Bolsheviks leave Petrograd?
The departure of the Bolsheviks from Petrograd on March 10, 1918 and the transfer of the capital to Moscow marked the end of a
two-hundred-year long "Petersburg era" of Russian history. Was this transfer that took place immediately after the signature of
the Brest-Litovsk peace treaty, really dictated (as it was claimed) solely by the German military danger? The present article -
supported by documents - promotes the thesis according to which this move had been decided earlier, after the dissolution of the
Constituent Assembly, and was necessitated by the explosive situation in the city. Equally essential was the symbolic effect of the
desertion of the "anti-national" Petrograd and of the rehabilitation of the old capital, on anti-revolutionary opinion: once they were
established in the Kremlin, the Bolsheviks were endowed by their adversaries with the legitimacy of new assemblers of Russian
lands.
Résumé
Ewa Bérard, Pourquoi les bolcheviks ont-ils quitté Petrograd ?
Le départ des bolcheviks de Petrograd le 10 mars 1918 et le transfert de la capitale à Moscou ont clos deux cents ans de «
période pétersbourgeoise » de l'histoire russe. Ce transfert, accompli au lendemain de la signature de la paix de Brest-Litovsk, a-
t-il été réellement dicté, comme on l'а présenté, uniquement par le danger militaire allemand ? Documents à l'appui, l'article
développe la thèse qu'il avait été décidé plus tôt, après la dispersion de la Constituante, en fonction de la situation explosive qui
régnait dans la ville. L'effet symbolique de l'abandon du Pétersbourg « anti-national » et de la réhabilitation de la vieille capitale
sur l'opinion antirévolutionnaire était essentiel aussi : installés au Kremlin, les bolcheviks se virent crédités par leurs adversaires
de la légitimité de nouveaux rassembleurs de terres russes.
Citer ce document / Cite this document :
Bérard Ewa. Pourquoi les bolcheviks ont-ils quitté Petrograd ?. In: Cahiers du monde russe et soviétique. Vol. 34 N°4. Octobre-
Décembre 1993. pp. 507-527.
doi : 10.3406/cmr.1993.2367
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cmr_0008-0160_1993_num_34_4_2367EWA BÉRARD
POURQUOI LES BOLCHEVIKS
ONT-ILS QUITTÉ PETROGRAD ?
Dans la nuit du 10 mars 1918, les dirigeants du parti bolchevik quittaient discrè
tement Smol'nyj et embarquaient, d'une gare de marchandises de Petrograd, pour
Moscou. Ils y arrivèrent deux jours plus tard et, le 15 mars, le IVe congrès des
soviets, convoqué d'urgence pour ratifier la paix de Brest-Litovsk, légalisait le fait
accompli en proclamant Moscou capitale de la Fédération russe des Républiques des
soviets. Après deux cents ans de domination, Saint-Pétersbourg cédait ses droits
usurpés à sa sœur aînée.
Qu'il s'agisse de l'histoire de la Russie prise dans son ensemble ou de celle de la
jeune République soviétique, le transfert de la capitale était un événement important.
Or, curieusement, il n'a pas alerté l'attention des historiens et on est surpris, à ce jour
encore, par le peu d'analyses et de commentaires qui lui sont consacrés. D'obédience
marxiste ou pas, les ouvrages d'histoire se contentent d'enregistrer le fait accompli,
en adoptant, explicitement ou implicitement, la version officielle de l'événement.
Celle-ci est fondée sur l'argument du péril militaire allemand : l'offensive de l'e
nnemi, explique-t-on, exposait à un danger mortel la capitale du Nord et, avec elle, le
pouvoir soviétique. Nous allons tenter de réexaminer cette thèse et de la confronter
à d'autres aspects de la situation qui régnait à Petrograd pendant l'hiver 1917-1918
afin de voir dans quelle mesure elle rend réellement compte de la décision du trans
fert de la capitale.
Les déclarations officielles de l'époque à ce sujet sont rarement citées intégrale
ment. Parmi les plus significatives, rappelons donc le communiqué du commissaire
du Comité militaire révolutionnaire de Petrograd, Lev Trockij, l'éditorial de la
Pravda et la résolution du IVe congrès des soviets :
« Le Conseil des commissaires du peuple ne saurait demeurer et travailler à deux
jours de marche de l'armée allemande », déclarait l'appel de Trockij signé le 1 1 mars.
Cahiers du Monde russe et soviétique, XXXIV (4), octobre-décembre 1993, pp. 507-528. 508 EWA BÉRARD
« Le transfert de la capitale s'avère nécessaire pour assurer la sécurité de Petrograd lui-
même. L'impérialisme allemand s'imagine qu'en s'emparant de Petrograd, il portera un
coup mortel à la révolution et au pouvoir soviétique. Le transfert de la capitale à Moscou
lui montrera que le pouvoir soviétique peut compter sur le soutien partout où il se trouve
et lui démontrera par là-même l'inutilité de l'attaque contre Petrograd. »'
La Pravda développa une argumentation semblable :
« Non, ce n'est pas une fuite. [...J En quittant Petrograd, en quittant une position trop
exposée au danger militaire allemand, le Sovnarkom affermit la situation du pouvoir révo
lutionnaire, en même temps qu'il protège Petrograd, qui, de ce fait, perd une grande part
ie de son importance en tant qu'objectif de l'attaque allemande. »2
Et la résolution de la fraction bolchevique adoptée par les députés du IVe congrès
des soviets proclamait :
« Dans les conditions de la crise actuelle que traverse la révolution russe, la situation de
Petrograd en tant que capitale a brusquement changé. Partant de cette constatation, le
congrès décide qu'à compter du moment présent et jusqu'au retour des conditions nor
males, la capitale de la République fédérale socialiste russe est temporairement transférée
de Petrograd à Moscou. »3
En 1957, le général Mihail Bonč-Bnievič, responsable militaire du Conseil supé
rieur militaire et frère de Vladimir Bonč-Bruevič, homme à tout faire de Smol'nyj,
affirmera dans ses Mémoires avoir été celui qui a convaincu le chef de la révolution,
« dans la deuxième moitié de février », de la nécessité de quitter Petrograd, la pré
sence du gouvernement dans la capitale du Nord agissant tel un « aimant » sur les
Allemands, qui préparaient une attaque par la mer et par la Finlande4. En 1962, on
publiera, dans les Œuvres complètes de Lenin, la décision du Sovnarkom, signée le
26 février 1918, d'entreprendre immédiatement, dans le plus grand secret, les prépar
atifs pour l'évacuation ď « une quantité minimum des dirigeants de l'appareil admin
istratif central, pas plus de deux ou trois dizaines » à Moscou, ainsi que de la
Banque d'État et de la Monnaie (cette décision stipulait également le début de l'év
acuation des richesses de Moscou elle-même)5.
Telles sont les données auxquelles on se limitera désormais. Plusieurs questions,
nous semble-t-il, restent pourtant sans réponse. La décision de procéder à l'évacua
tion des institutions centrales, qui avait déjà été prise une fois sous Kerenskij, en
août 1917, n'entraînait pas automatiquement celle du transfert de la capitale du pays.
Le nouveau siège du gouvernement, Moscou, risquait de n'être que provisoire,
exposé, lui aussi, à l'avance de l'armée allemande. « II se peut que le répit ne dure
que quelques jours », prévenait Lenin6. Pourquoi alors cette hâte de la proclamer
capitale ? Pourquoi ce geste de rejet à l'égard de la ville qui, comme l'écrira Troc-
kij, « avait fait toute seule la révolution de Février, le reste du pays n'ayant fait que
suivre » et qui avait porté les bolcheviks au pouvoir à peine quatre mois aupara
vant7 ? Cela pour l'aspect contingent de cet événement, et pour la place qui lui
revient dans l'histoire du mouvement révolutionnaire. Sa portée historique est cepen
dant bien plus vaste. Lorsque, au début du xvine siècle, Pierre le Grand avait fondé
la nouvelle capitale russe au bord de la Baltique et en avait fait « une fenêtre sur
l'Europe » pour son pays, il avait provoqué un tel tollé que la clôture de cette fenêtre POURQUOI LES

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