La foi qui sépare ou les épreuves de l amitié entre Charles Péguy et Jacques Maritain - article ; n°1 ; vol.49, pg 371-387
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La foi qui sépare ou les épreuves de l'amitié entre Charles Péguy et Jacques Maritain - article ; n°1 ; vol.49, pg 371-387

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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1997 - Volume 49 - Numéro 1 - Pages 371-387
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1997
Nombre de lectures 271
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Michel Bressolette
La foi qui sépare ou les épreuves de l'amitié entre Charles
Péguy et Jacques Maritain
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1997, N°49. pp. 371-387.
Citer ce document / Cite this document :
Bressolette Michel. La foi qui sépare ou les épreuves de l'amitié entre Charles Péguy et Jacques Maritain. In: Cahiers de
l'Association internationale des études francaises, 1997, N°49. pp. 371-387.
doi : 10.3406/caief.1997.1293
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1997_num_49_1_1293LA FOI QUI SÉPARE OU
LES ÉPREUVES DE L'AMITIÉ
ENTRE CHARLES PÉGUY ET
JACQUES MARITAIN
Communication de M. Michel BRESSOLETTE
(Université de Toulouse - Le Mirail)
au XLVIIIe Congrès de l'Association, le 18 juillet 1996
La correspondance entre Jacques Maritain et dom Louis
Baillet a l'originalité et l'intérêt d'être en grande partie
consacrée à leur ami commun Charles Péguy. Elle nous
permet de disposer d'une chronique détaillée qui rend
compte des débats religieux que connut Péguy lors de son
retour à la foi catholique. Ces lettres éclairent les tensions
et les difficultés qui ont marqué l'amitié entre Péguy et
Maritain, à partir de 1907, date à laquelle Péguy annonce
à son ami Maritain qu'il a fait le même chemin que lui et
ajoute : « le corps du Christ est plus étendu qu'on ne
pense » (1). On peut espérer que ces documents continue
ront à ébranler les pensées toutes faites et les jugements
d'autant plus catégoriques qu'ils sont simplistes sur Marit
ain et sur Péguy. On verra, lors de la publication prochai-
(1) Jacques et Raissa Maritain, Œuvres complètes, vol XII, Carnet de notes,
p. 174 Toutes les références aux œuvres de Maritain renvoient à l'édition
des Œuvres completes, Editions Universitaires, Fribourg (Suisse) et Editions
Saint-Paul, Pans, 1986-1995. 372 MICHEL BRESSOLETTE
ne de cette correspondance, l'actualité, pour nous, des
débats engagés à cette époque.
Les acteurs
Pour bien comprendre les positions de chacun, on ne
peut oublier au départ la profonde estime que le jeune
Maritain de 18 ans portait à Péguy, son aîné de neuf ans.
Dreyfusard, socialiste, plein d'aversion pour la société
bourgeoise, Maritain, fortement marqué par sa mère
Geneviève Favre, ardente républicaine, laïque fervente et
anticléricale, s'était abonné aux Cahiers qui venaient de
naître. Dans la première lettre adressée à Péguy en 1901,
et motivée par la lecture du texte de Casse-Cou,
Maritain n'avait pas hésité, avec une belle franchise et une
grande assurance, à reprocher à Péguy son intolérance et
son manque de sympathie envers Jaurès. Les injustes cr
itiques nées d'une amertume soupçonneuse blessaient le
jeune adolescent. « Je vous ai déjà dit que j'aimais Jaurès ;
[...] le socialisme révolutionnaire et libertaire ne dispense
pas de la politesse bourgeoise ni du respect qu'il est conve
nable de porter à un homme de la valeur intellectuelle et
morale, du dévouement et de la bonté de Jaurès » (2).
On ne peut être que frappé par la liberté de ton, et la
vigueur de pensée de ce brillant jeune homme, qui donne
à son aîné des leçons de tolérance : « Peut-être feriez-vous
bien d'imiter la largeur et la noblesse d'esprit de Jaurès,
qui, loin de rapetisser pour le plaisir des théories de ses
adversaires, leur prête au contraire toute la grandeur vivi
fiante de sa pensée » (3).
Cette générosité enthousiaste à l'égard de Jaurès, Mari
tain l'éprouvait aussi pour Péguy — Geneviève Favre n'a
pas manqué de le souligner, évoquant « l'affection et l'a
dmiration sans bornes » qu'il vouait au fondateur des
(2) Lettre de Maritain à Péguy 13 mars 1901, p. 13, publiée [in] Feuillets
mensuels 176, avril 1972, par l'Amitié Ch. Péguy.
(3) Ibtd , p. 12. PÉGUY ET MARITAIN 373
Cahiers (4). En retour Péguy accorde son parrainage au
petit groupe formé de Robert Debré, d'Ernest Psichari, de
Jeanne et Jacques Mari tain qui fondent le premier journal
socialiste pour enfants Jean-Pierre, qui, dès octobre 1901,
s'installe avec Les Cahiers de la Quinzaine, Page libres et Les
Journaux pour tous, au rez-de-chaussée du 8, rue de la Sor
bonně. La collaboration et le dévouement de Jacques
Maritain sont tels que Péguy demandera à ce dernier de
remplacer à plusieurs reprises « l'administrateur » des
Cahiers, André Bourgeois. En 1905, Maritain avance à
fonds perdus, à Péguy, la somme de dix-huit mille francs
qui lui revenait de la succession de son père. Selon Gene
viève Favre, Péguy comptait sur Maritain « pour prendre
une place exceptionnelle aux Cahiers pour en assumer...
peut-être un jour, la direction » (5).
En plus de cette collaboration, Péguy et Maritain sui
vaient avec leurs amis les cours de Bergson au Collège de
France. C'est le temps du « quatuor exultant » formé par
Péguy, Psichari, Jacques et Raissa Maritain. C'est aussi le
temps où Péguy est introduit chez Geneviève Favre, la
mère de Maritain, où se crée l'habitude des déjeuners heb
domadaires du jeudi chez elle, auxquels prennent part
Maurice Reclus, Péguy, Jacques et Raïssa. C'est le temps
où se noue entre Péguy et Geneviève Favre cette amitié si
profonde que c'est Geneviève qui recevra l'adieu de
Péguy au moment de quitter Paris pour le front en 1914.
Ainsi, l'ardeur dreyfusarde, la fougue socialiste et la
passion intellectuelle ont rapproché ces deux hommes
que leur milieu d'origine pouvait séparer. Le paradoxe
sera qu'une même foi, vécue différemment, va désunir
pour un temps ces deux amis.
Charles Péguy est un provincial, issu d'un milieu popul
aire en contact avec le prolétariat industriel de la petite
ville d'Orléans. C'est l'élève de l'école laïque ; il est un
(4) Geneviève Favre, « Souvenirs sur Péguy », Europe, 15 février 1938,
p 153
(5) Ibid., p. 158. 374 MICHEL BRESSOLETTE
boursier de la République qui entre à l'Ecole Normale
Supérieure de la rue d'Ulm.
Jacques Maritain, lui, est un héritier : il appartient à la
grande bourgeoisie parisienne, cultivée, pacifiste et anti
cléricale. Il a pour ami le petit-fils d'Ernest Renan, Ernest
Psichari. Jules Favre, son grand-père, fut Ministre des
Affaires étrangères, sénateur, académicien. La mère de
Jacques, Geneviève Favre, vit dans le culte de son père et
espère que son fils continuera la tradition familiale. Quell
e déception pour cette mère, lorsqu'elle doit consentir en
1904 au mariage de son fils avec une étudiante juive, fille
d'émigrés russes, et lorsqu'elle apprend plus tard la
conversion au catholicisme de ses enfants. Nul doute que
c'est sur Péguy qu'elle reporte une part de son affection
maternelle blessée et de ses espoirs déçus. Elle feindra,
consciemment ou non, de ne pas croire que Péguy est
revenu lui aussi à la foi catholique. Il est vrai que Péguy
agit avec elle de manière à laisser subsister le doute à ce
sujet. Ainsi, au printemps 1913, Geneviève Favre est
consternée d'apprendre la conversion d'Ernest Psichari.
Geneviève Favre rapporte alors la réaction de Péguy :
« Nous devons prendre le deuil d'Ernest : il est perdu
pour nous ; il est pris par les curés [...]. Comment, lui, tou
jours si merveilleusement inspiré en est-il arrivé là ? Don
ner un tel triomphe aux ennemis de son grand-père » (6).
Pareils propos peuvent témoigner de la part de Péguy
d'un souci d'atténuer la douleur de son amie en ména
geant ses sentiments anticléricaux et en faisant croire qu'il
les partageait, ce qui, d'une certaine manière, n'est pas
faux. Mais cela indique aussi que Péguy se rangeait aux
côtés de Geneviève Favre dans le clan des libres-croyants
et laissait volontairement l'ombre ses convictions
catholiques (7). Ainsi, l'amitié et la complicité qui s'éta-
(6) Geneviève Favre, « Souvenirs sur Péguy »,

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