Le Zeus d’Eschyle et ses sources proche-orientales - article ; n°1 ; vol.197, pg 27-44
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Description

Revue de l'histoire des religions - Année 1980 - Volume 197 - Numéro 1 - Pages 27-44
L'œuvre d'Eschyle atteste l'acuité à ses yeux du problème du mal. Tout se concentre sur la physionomie de Zeus, dieu suprême du polythéisme grec, en qui le poète théologien tend à voir un absolu métaphysique. Les Chœurs des Suppliantes élèvent vers lui un hymne de louange sans faille, cependant que l'Agamemnon montre en lui le rempart de justice instruisant l'homme par la souffrance. Mais le Prométhée enchaîné le présente comme un tyran cruel, auteur des malheurs du Titan et de ceux de l'innocente lo. Hésiode, source grecque d'Eschyle, avait déjà buté sur l'obstacle. C'est pourtant l'étude des sources proche-orientales de la Théogonie, avec les recherches qu'elles nous poussent à mener jusqu'aux poèmes mythologiques suméro-babyloniens, qui nous permettent de proposer l'esquisse d'une solution. En effet le Zeus d'Eschyle présente à la fois des traits certains de Marduk, le grand dieu babylonien de l'Enuma elish, vainqueur des puissances mauvaises, organisateur du cosmos, créateur bienveillant de l'Homme, et des traits évidents du rude et cruel Enlil de l'Atrahasis, auteur du Déluge par lequel il voulait faire disparaître l'Humanité. La difficile recherche d'une synthèse entre ces deux figures opposées apporte vraiment son sceau à l'œuvre d'Eschyle.
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1980
Nombre de lectures 14
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jacqueline Duchemin
Le Zeus d’Eschyle et ses sources proche-orientales
In: Revue de l'histoire des religions, tome 197 n°1, 1980. pp. 27-44.
Résumé
L'œuvre d'Eschyle atteste l'acuité à ses yeux du problème du mal. Tout se concentre sur la physionomie de Zeus, dieu suprême
du polythéisme grec, en qui le poète théologien tend à voir un absolu métaphysique. Les Chœurs des "Suppliantes" élèvent vers
lui un hymne de louange sans faille, cependant que l'Agamemnon montre en lui le rempart de justice instruisant l'homme par la
souffrance. Mais le Prométhée enchaîné le présente comme un tyran cruel, auteur des malheurs du Titan et de ceux de
l'innocente lo. Hésiode, source grecque d'Eschyle, avait déjà buté sur l'obstacle. C'est pourtant l'étude des sources proche-
orientales de la Théogonie, avec les recherches qu'elles nous poussent à mener jusqu'aux poèmes mythologiques suméro-
babyloniens, qui nous permettent de proposer l'esquisse d'une solution. En effet le Zeus d'Eschyle présente à la fois des traits
certains de Marduk, le grand dieu babylonien de l'"Enuma elish", vainqueur des puissances mauvaises, organisateur du cosmos,
créateur bienveillant de l'Homme, et des traits évidents du rude et cruel Enlil de l'"Atrahasis", auteur du Déluge par lequel il
voulait faire disparaître l'Humanité. La difficile recherche d'une synthèse entre ces deux figures opposées apporte vraiment son
sceau à l'œuvre d'Eschyle.
Citer ce document / Cite this document :
Duchemin Jacqueline. Le Zeus d’Eschyle et ses sources proche-orientales. In: Revue de l'histoire des religions, tome 197 n°1,
1980. pp. 27-44.
doi : 10.3406/rhr.1980.5105
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1980_num_197_1_5105LE ZEUS D'ESCHYLE
ET SES SOURCES PROCHE-ORIENTALES
L'œuvre d'Eschyle atteste Vacuité à ses yeux du problème
du mal. Tout se concentre sur la physionomie de Zeus, dieu
suprême du polythéisme grec, en qui le poète théologien tend à voir
un absolu métaphysique. Les Chœurs des Suppliantes élèvent
vers lui un hymne de louange sans faille, cependant que TAga-
memnon montre en lui le rempart de justice instruisant l'homme
par la souffrance. Mais le Prométhée enchaîné le présente
comme un tyran cruel, auteur des malheurs du Titan et de ceux
de l'innocente lo. Hésiode, source grecque d'Eschyle, avait déjà
buté sur V obstacle. C'est pourtant l'étude des sources proche-
orientales de la Théogonie, avec les recherches qu'elles nous
poussent à mener jusqu'aux poèmes mythologiques suméro-
babyloniens, qui nous permettent de proposer l'esquisse d'une
solution. En effet le Zeus d'Eschyle présente à la fois des traits
certains de Marduk, le grand dieu babylonien de /'Enuma elish,
vainqueur des puissances mauvaises, organisateur du cosmos,
créateur bienveillant de l'Homme, et des traits évidents du rude
et cruel Enlil de /'Atrahasis, auteur du Déluge par lequel il
voulait faire disparaître l'Humanité. La difficile recherche d'une
synthèse entre ces deux figures opposées apporte vraiment son
sceau à l'œuvre d'Eschyle.
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(Agamemnon, 160 sqq.).
« Zeus ! quel que soit son vrai nom, si celui-ci lui agrée, c'est
celui dont je l'appelle... »x.
Une pareille déclaration, mise par Eschyle, vers la fin
de sa vie, dans la bouche des Vieillards d'Argos, atteste chez
1 . Sauf indication contraire, nous citons Eschyle dans la traduction P. Mazon.
Revue de l'Histoire des Religions, cxcvn-1, 1980 28 Jacqueline Duchemin
le poète la croyance, sinon à un dieu unique — faut-il d'ailleurs
l'exclure tout à fait ? — , du moins à un dieu suprême et
transcendant, élevé tout à fait au-dessus des dieux de n'im
porte quel polythéisme. Est-ce à dire que ce Dieu eschyléen,
absolu, théoriquement absent des religions, mais non des
philosophies grecques, effectue en sa personne la synthèse de
toutes les Puissances et de toutes les Majestés dont Eschyle
pouvait avoir connaissance et dont les attributs divins pou
vaient contribuer à nourrir sa méditation ? Fixant sa pensée
sur cet absolu de toute façon infiniment éloigné, le poète
ne ne sent nullement gêné d'employer, pour le désigner,
le nom le plus haut de ceux que lui propose la religion de
son pays.
Mais ne trouverions-nous aucune ombre au tableau ? N'y
a-t-il pas d'autre aspect chez le Zeus que connaît Eschyle,
le dieu transcendant auquel il adresse son culte intérieur et
personnel ? Il serait étonnant qu'il n'y en eût pas, et que le
poète n'en eût pas la conscience aiguë. Le double aspect
— pour parler de façon globale et peut-être simplifiée —
du Zeus d'Eschyle, voilà le problème que nous voudrions
essayer de poser, sinon de résoudre. Des éléments de solu
tion peut-être, de complexité en tout cas, nous viendront des
rapprochements qui s'imposent avec des divinités proche-
orientales dont Eschyle avait, d'une façon ou d'une autre,
connaissance.
Nous sommes très vite éclairés par un passage de la
parodos de Y Agamemnon faisant suite à celui que nous avons
cité :
« J'ai tout pesé : je ne reconnais que Zeus propre à me
décharger de ma stérile angoisse », continue le poète, puis,
sans autre transition :
« Un dieu fut grand jadis, débordant d'une audace prête
à tous les combats : quelque jour on ne dira plus qu'il a
seulement existé. Un autre vint ensuite, qui trouva son
vainqueur et sa fin » (ibid., v. 167-172).
Le rappel est évident des luttes primordiales de la Théo- Le Zeus d'Eschyle 29
gonie hésiodique, avec la succession Ouranos-Kronos-Zeus.
Or, nous le savons depuis la première publication par Hans-G.
Giïtterbock2 des importants morceaux du Poème de Kumarbi
ou de la Royauté du Ciel, et de sa suite, le Chant d'Ullikummi,
ces poèmes hourrites, transcrits, ou plutôt adaptés en hittite,
sont la source évidente d'Hésiode, avec leur succession des
deux dieux du Ciel, Alalu et Anu, suivis de Kumarbi, puis de
Teshub, dieu de l'Orage, homologue de Zeus. Il est également
certain que les poèmes mythologiques en question doivent
beaucoup, à travers les intermédiaires et les adaptations ou
remaniements successifs, aux plus anciens poèmes sacrés du
monde suméro-babylonien, auxquels donc le chercheur est
amené à remonter. D'où de nombreux problèmes, sans parler
même de ceux qui concernent la migration des mythes en
direction du monde grec et d'Hésiode3. Le cheminement géo
graphique, la nature orale, puis écrite, des transmissions
littéraires donnent lieu à maintes hypothèses. Le fait cepen
dant de l'existence des sources et influences ne fait pas de
doute. Encore ne dirons-nous rien des lacunes, pertes, muti
lations de textes peut-être essentiels au cours des temps,
autant dans le monde grec que dans les pays du Proche-Orient.
Les aspects transcendants et le Z eus-Providence. — C'est
dans YOrestie, et particulièrement dans YAgamemnon, qu'il
nous faut chercher, de ce premier point de vue, la théologie
eschyléenne concernant Zeus4. Nous la trouvons encore dans
2. H. G. Gutterbock, Kumarbi, Mythen von churrutischen Kronos, in
Istambuler Schriften, 1946. Ajouter H. Otten, Mythen vom Gotte Kumarbi,
Neue Fragmente, 1950, et H. G. Gutterbock, The Song of Ullikummi, in
Journal of Cuneiform Studies, 1951 et 1952. Trad, anglaise in J. B. Pritchard,
ANET%, 1955, française de M. Vieyra, in Sources orientales : I. La naissance
du monde, 1959 et de R. Labat, in Religions du Proche-Orient, 1970. Les poèmes
hourrites, traduits ou adaptés en hittite, ont été découverts dans les fouilles
de Boghaz Koï (Hattusa).
3. Voir P. Walcot, Hesiod and the near East, Cardiff, 1966, ainsi que les
travaux de Martin L. West, son édition commentée de la Théogonie, 1966,
et celle des Travaux et jours, actuellement sous presse.
4. Les Euménides ont également une grande importance, surtout du point
de vue du mythe et de la solution apportée. 30 Jacqueline Duchemin
la parodos de ce drame, sous la forme d'un enseignement moral
assurément très remarquable à l'époque :


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