Les images de la nuit et de la lumière chez quelques poètes religieux - article ; n°1 ; vol.10, pg 58-68
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1958 - Volume 10 - Numéro 1 - Pages 58-68
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1958
Nombre de lectures 17
Langue Français

Extrait

Professeur Jean Rousset
Les images de la nuit et de la lumière chez quelques poètes
religieux
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1958, N°10. pp. 58-68.
Citer ce document / Cite this document :
Rousset Jean. Les images de la nuit et de la lumière chez quelques poètes religieux. In: Cahiers de l'Association internationale
des études francaises, 1958, N°10. pp. 58-68.
doi : 10.3406/caief.1958.2123
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1958_num_10_1_2123LES IMAGES DE LA NUIT
ET DE LA LUMIÈRE
CHEZ QUELQUES POÈTES RELIGIEUX
Communication de M. Jean ROUSSET
(Genève)
au IXe Congrès de l'Association, le 22 juillet 1957
L'art religieux au xvii* siècle, c'est généralement un
art de la méditation et de l'extase ; c'est souvent la
mise en œuvre d'une vision, d'une apparition, d'un ciel
qui s'ouvre pour une rencontre du visible et de l'invi
sible ; aussi cet art aura-t-il à se poser d'abord des
problèmes de lumière ; il devra élaborer un traitement
particulier de la et de l'ombre, du clair et du
sombre.
La peinture en offre aussitôt la manifeste illustra
tion ; on pense à Ribera, à Greco, à Rembrandt ; je
demanderai au seul Zurbaran de fournir un point de
départ et un cadre utiles à cet exposé. Zurbaran a peint
nombre de visions ; elles sont habituellement construi
tes — qu'on se reporte à la Messe du Père Cabanuelas
ou à V Annonciation du musée de Grenoble — sur deux
plans distincts : à l'arrière-fond, très en profondeur, en
échappée entre des murs ou des colonnes, une place, un
paysage, une architecture que baigne la lumière natur
elle ; au premier plan, la scène de vision ou de miracle,
soumise à un éclairage surnaturel ; entre deux, une
masse d'ombre, une véritable paroi obscure que vient
trouer le îlot de lumière céleste. La technique du lumi-
nisme que Zurbaran trouve répandue dans l'Europe de
son temps, il l'utilise à ses fins propres : la représenta
tion d'un moment mystique interprété en termes d'ombre
et de clarté : une obscurité qui se déchire pour faire ROUSSET 59 JEAN
place à deux sources lumineuses de valeurs franchement
différentes.
Ce faisant, Zurbaran nous invite à distinguer trois
règnes chromatiques, trois éclairages chargés d'ordonner
la mise en scène des rencontres entre l'homme et le
surnaturel.
Tournons-nous maintenant vers les poètes et relisons
la première des Stances de la Mort, de Jean de Sponde :
Mes yeux, ne lancez plus votre pointe éblouie
Sur les brillants rayons de la flammeuse vie,
Sillez-vous, couvrez-vous de ténèbres, mes yeux ;
Non pas pour étouffer vos vigueurs coutumières,
Car je vous ferai voir de plus vives lumières ;
Mais sortant de la nuit vous n'en verrez que mieux.
Le dispositif proposé par Zurbaran trouve ici son
exact équivalent : la nuit et les deux plans de lumière,
la « flammeuse vie » qui est la lumière temporelle, et
cette « plus vive lumière », qui est celle de l'au-delà ;
pour passer de l'une à l'autre, il faut traverser une paroi
nocturne, les yeux doivent se couvrir de « ténèbres » :
la mort.
Admirons au passage combien le dynamisme dramat
ique propre à Sponde trouve à s'exprimer dans l'oppo
sition nuit-lumière, qui accompagne tout au long de
son combat ce composé clair-obscur qu'est l'homme,
chez qui l'âme est une mèche allumée par le Créateur
et enveloppée des pénombres de la chair :
Hé ! que tâtonnes-tu dans cette obscurité
Où ta clarté, du vent de Dieu même allumée,
Ne pousse que les flots d'une épaisse fumée,
Et contraint à la mort son immortalité ?
(Ibid.)
Toutefois, à la différence de ce qui se passait chez
un Zurbaran, la lumière surnaturelle demeure
Sponde au second plan et s'entrevoit dans la profon
deur, tandis que c'est la lumière, ou la demi-lumière,
naturelle qui éclaire douteusement l'avant-scène, « om
brage touffu » qui se profile sur le Ciel et « noircit ses
clartés » ; la vie dans le temps fait ici écran à la vie JEAN ROUSSET 60
dans l'éternité. Aussi la zone nocturne à traverser est-
elle la mort. Sponde réserve la rencontre avec la pleine
lumière de l'Etre divin pour l'au-delà de la vie, alors
qu'un pur mystique admettrait qu'elle pût se faire, ou
du moins s'ébaucher, dès cette vie et dans notre condi
tion temporelle. Il convient sans doute de ranger
Sponde parmi les spirituels plutôt que parmi les myst
iques ; il est un poète de la méditation religieuse plus
que de l'union extatique ou de la contemplation. Homme
de désir, non de saisie, il se tend vers les « beaux sé
jours » de l'Invisible.
Au prix de qui le jour est un ombrage sombre,
mais il sait que la mort seule le délivrera de ce faux
jour d'une vie qui n'est qu'attente d'une « plus vive
lumière ».
Je poserai les mêmes questions à Agrippa d'Aubigné,
à maints égards si proche de Sponde, en me bornant
au dernier chant des Tragiques, Jugement, qui s'achève
sur une vision de la fin des temps ; qu'est-ce d'autre
que la fin des ténèbres devant l'irruption de la pleine
lumière ?
Mais quoi, c'est trop chanter, il faut tourner les yeux,
Eblouis de rayons, dans le chemin des cieux...
L'écran qui s'interposait entre la créature et le Créa
teur se déchire, l'homme va voir Dieu face à face :
Dieu paraît ; le nuage entre lui et nos yeux
S'est tiré à l'écart, il est armé de feux...
L'air n'est plus que rayons, tant il est semé d'anges.
Tout l'air n'est qu'un soleil...
Tout n'est que lumière, puisque Dieu est le « soleil du
soleil », plus rien de ténébreux, si ce n'est rétrospect
ivement, pour le regard ébloui qui se retourne vers le
soleil terrestre et ne voit plus qu' « une noire nuit ».
Il semble d'abord qu'Aubigné aille beaucoup plus loin
que Sponde sur la voie de la rencontre illuminative ; il
n'y a plus ni nuit, ni écran ; le clair-obscur de l'attente
est balayé par le plein jour. ROUSSET 61 JEAN
Mais l'illumination est anticipée, elle est le fruit d'une
imagination de poète visionnaire, vivant dans le présent
une expérience qui ne peut être que future. Pour Aubi-
gné comme pour Sponde, la vie est pure espérance et la
vision ne s'accomplit qu'au delà de l'existence terrestre.
La grande différence, c'est que Sponde renvoyait la
connaissance de l'immortalité lumineuse après la mort
individuelle, tandis qu'Aubigné la remet à la fin de
l'histoire.
Il y a un point sur lequel les Tragiques, parce qu'ils
se placent hors des conditions temporelles de notre exis
tence présente, se séparent et de Sponde et du cadre
initial fourni par Zurbaran : des deux sources de lu
mière, il n'en reste ici qu'une seule, la surnaturelle. Et
c'est ce qui va provoquer le brusque et admirable finale
du poème :
... je ne puis supporter le soleil...
Voilà d'Aubigné en accord avec l'expérience propre
aux mystiques, en l'une de ses phases essentielles : les
radiations de la Lumière incréée deviennent intolérables
à l'œil de la créature. Le poète s'avise qu'il a vu « ce
que l'œil n'a pu voir » et il renonce aussitôt à tout mou
vement de cette imagination qui l'a soutenu jusque-là.
Le cœur ravi se tait, ma bouche est sans parole.
Il s'abîme dans le ravissement qui est silence, et le
poème débouche sur une plénitude à laquelle ne peut
s'accorder que le vide de l'imagination et de la parole,
l'éclatement des pouvoirs poétiques ; il ne peut aller
plus loin.
Ce silence devant l'indicible, un indicible qui est en
même temps excès de lumière, d'autres l'appellent nuit.
Il y a chez les mystiques chrétiens, depuis Denys l'Aréo-
pagite, une équivalence habituelle entre le silence et la
« ténèbre ». La Théologie mystique du Pseudo-Denys
s'ouvre sur ces mots : « Trinité suressentielle... conduis-
nous par delà toute lumiè

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