Louis Massignon : Un médiateur entre le génie français et l Orient arabe - article ; n°1 ; vol.13, pg 85-101
18 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Louis Massignon : Un médiateur entre le génie français et l'Orient arabe - article ; n°1 ; vol.13, pg 85-101

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
18 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1961 - Volume 13 - Numéro 1 - Pages 85-101
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1961
Nombre de lectures 17
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Professeur Jacques Mercanton
Louis Massignon : Un médiateur entre le génie français et
l'Orient arabe
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1961, N°13. pp. 85-101.
Citer ce document / Cite this document :
Mercanton Jacques. Louis Massignon : Un médiateur entre le génie français et l'Orient arabe. In: Cahiers de l'Association
internationale des études francaises, 1961, N°13. pp. 85-101.
doi : 10.3406/caief.1961.2191
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1961_num_13_1_2191MASSIGNON : UN MÉDIATEUR LOUIS
ENTRE LE GÉNIE FRANÇAIS ET
L'ORIENT ARABE
Communication de M. Jacques ME RC ANTON
{Lausanne)
au XIIe Congrès de l'Association, le 25 juillet i960.
Le sujet que je vous propose appelle deux questions, utiles
puisqu'elles permettent d'en préciser le sens. Convient-il
de choisir comme objet d'étude l'œuvre d'un contemporain
vivant, qui n'est pas achevée, ne ménage aucun recul, et, en
quelque manière, se confond avec la présence active et conta
gieuse de son auteur ? Et, d'autre part, en quoi l'œuvre
d'un savant, linguiste, historien, sociologue, qui, très expres
sément, n'a jamais voulu faire « acte de littérature », intéresse-
t-elle notre recherche, celle des influences de l'Asie sur la
littérature et les arts français aux xixe et xxe siècles ?
La première question trouve aisément sa réponse : la cri
tique littéraire interroge le présent comme le passé, et l'on
peut dire même qu'elle les interroge l'un par l'autre. Si tel
phénomène actuel lui échappe quand elle en ignore l'origine
et l'histoire, tel autre ne se révèle du fond de son passé qu'à la
lumière de son présent héritage. De plus, dès ses premiers
travaux, l'œuvre de Louis Massignon a revêtu un sens précis
et catégorique, exactement, sans jeu de mot, une « orienta
tion », qui ne s'est jamais démentie par la suite. Enfin, insé
parable de la personnalité, mieux de la vocation de son auteur,
la plus singulière, la plus subjective qui soit, elle a tendu dès JACQUES MERCANTON 86
le premier jour, j'espère le montrer, vers une signification
parfaitement objective.
Cette apparente contradiction, qui fait la force vitale de
cette œuvre, constitue déjà une réponse à la seconde question.
Un savant, sans doute, mais dont la science s'est mise dès le
départ au service d'un témoignage spirituel, si bien que rares
sont les travaux de sa main, et les plus érudits, qui ne com
portent pas ce double aspect. Point de littérature, c'est vrai,
en dépit des dons du langage, mais une expression originale,
saisissante — à la fois, et d'un seul mouvement, savante et
inspirée — de l'Orient arabe connu, vécu, passionnément
aimé par un Français, et tel qu'il était ignoré jusqu'à lui.
Or, que la vraie littérature d'une époque donnée ne soit pas
seulement le fait des gens de lettres est une évidence. Que,
dans le passé comme dans le présent, notre intérêt découvre
des chefs-d'œuvre, même du point de vue littéraire, là où il
n'était nullement question de littérature, en est une autre.
Je n'ai pas l'intention d'en faire autant ici à propos de l'œuvre
d'un homme qui, des arts et des sciences, écrit avec sévérité
qu'ils « ne touchent l'homme qu'accidentellement, nous
effleurent à la surface », et dont l'étude s'est attachée à « la
réalité même, le fond de l'homme, l'intention sous l'intona
tion, — le sourire, sous le masque », et « sous le geste de la
personne, une grâce toute divine » (i). Mais voilà qui définit
le message du « chaykh admirable », comme l'appelle M. Jac
ques Berque dans une récente préface (2), voilà qui nous in
dique l'objet de sa médiation entre l'Orient arabe et le génie
français : une figure de l'homme, saisi dans sa profondeur se
crète, dans son intimité transcendante, dans ce mystère où
Dieu s'adresse à lui ; une figure de l'homme, voilée et mé
connue, si difficile à discerner d'une culture à l'autre, parfois
au sein d'une même culture, et que l'effort d'investigation
scientifique et morale de Louis Massignon a révélée à nos
yeux dans l'Islam : pour susciter notre rencontre, c'est-à-
dire, d'abord, pour exiger notre ressemblance. La littérature,
nouv. (1) Essai éd., 1954, sur les p. origines 138. du lexique technique de la Mystique musulmane,
(2) Jacques Berque, Les Arabes d'hier à demain, i960, p. 8. LOUIS MASSIGNON : UN MÉDIATEUR 87
en particulier notre littérature française, dans son inspiration
la plus constante, a-t-elle jamais eu un autre intérêt ? Le
jour s'éclaire pour elle dans le regard de l'homme, et c'est ce
même visage qu'elle interroge la nuit, non l'éclat des étoiles.
Cet écrivain qui n'est pas un auteur, ce savant, ce maître,
dans l'ordre de sciences multiples comme dans celui de l'unité
du témoignage spirituel, vous le connaissez : — cette fine
silhouette, légère et ferme, ce visage aigu dans une étrange
douceur, ce regard clair, argenté, en épée, glissant et brusque,
parfois baigné d'une lumière transparente — cette parole
nette et passionnée, qui touche et souvent déconcerte. Ce
sont là les traits mêmes de son style, qui font de tant de pages,
les plus chargées d'érudition et de signification intellectuelle
complexe, des messages singuliers, parfois d'étranges poèmes,
involontaires, rompus, poignants, au delà de la poésie. Un
sentiment superficiel peut suggérer quelque parenté de tem
pérament avec Michelet, en dépit de l'abîme moral qui les
sépare : énergie concentrée et abandon féminin, coup d'oeil
précis jusqu'à la dureté et sensibilité frémissante, rêve qui ne
puise qu'au réel, pour le transfigurer. Mais la langue de Mic
helet a une course nerveuse, fiévreuse, inquiète, à la pours
uite de l'émotion, jusqu'à l'égarement et l'ivresse, avec de
l'obstination et de la complaisance. Celle de Louis Massignon
n'obéit qu'au rythme d'une tension spirituelle, à la recherche
dépouillée, instantanée, du plus secret et du plus sûr. Elle
doit beaucoup, sans doute (ses traductions des mystiques
arabes, de Hallâj, en particulier, en font foi) à la pratique des
langues sémitiques, de l'arabe, « langue du recueillement
intérieur, de la parole de vérité, de la transcendance », et
aussi du « témoignage exaucé » (3), et il faut qu'elle en porte
la marque, pour que le témoignage s'incarne en s'universali-
sant : brièveté dans la plénitude, économie d'une syntaxe
(3) Cf. La syntaxe intérieure des langues sémitiques et le mode de tecueille-
ment qu'elles inspirent, ap. Technique et contemplation. Etudes Carméli-
taines, juin 1949, p. 37 à 47. 88 JACQUES MERCANTON
qui ne garde que les mots-clefs et force concentrée de chaque
mot, épithètes inédites, surprenantes, sobres dans leur pro
priété parfaite, formulation délicate, subtile et catégorique,
discours brisé, creusé, avec irradiation interne et illumination
d'en haut, en éclairs, accent intense et sourd, d'une séche
resse qui va parfois jusqu'à l'aiidité, soudain submergée par
un sursaut de tendresse. Aucune image, ou guère : le mot
suffit, dans l'étreinte de l'objet. On évoquerait Mallarmé,
celui de certaines pages de prose, les plus nécessaires, par
exemple, à la mémoire de Villiers de l'Isle-Adam. Il s'agit
pourtant de tout autre chose, et du moins esthétique qui soit :
notions spirituelles difficiles à transmettre, détours des âmes
et leurs menaces, vérités qui doivent être vécues, avec leur
risque, et surtout, à travers une dure pénétration des faits et
des motifs, invitation à un échange des cœurs. Depuis son
premier voyage en Orient, il y a plus de cinquante ans, Louis
Massignon n'a rien eu d'autre à proposer à ses élèves, à ses
lecteurs, à tous ceux, près

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents