De l'espace démographique soviétique au morcellement contemporain - article ; n°4 ; vol.26, pg 143-169

Catherine Gousseff, Alain Blum

Description

Revue d’études comparatives Est-Ouest - Année 1995 - Volume 26 - Numéro 4 - Pages 143-169
From Soviet demographic space to contemporary divisions.
The present article examines the relationship which, prior to independence, existed among the various component peoples of the USSR ; a start is made with behavioral demographic patterns, in order to understand how they have influenced the contemporary situation. Two major aspects are examined. The consequences of the Russian presence in Central Asia are studied through changes in fertility rates, beginning with an enquiry on this subject carried out in Uzbekistan in 1992. This enables the authors to highlight the importance of medical and teaching institutions in the shaping of individual attitudes. In the second part, the article considers how the different levels of territorial division and the specific nature of the Soviet territory led to particular alignments of Soviet geographical space which partially anticipated the carving-up into fifteen states. This present study has been carried out by using detailed data from the 1989 census to analyze population movements between place of birth and domicile. In particular, it shows how republican frontiers could already, to some extent, be regarded as national frontiers.
Les relations qui s'étaient établies entre les diverses composantes de l'U.R.S.S. avant les indépendances sont examinées ici, à partir des comportements démographiques, dans le but de comprendre leurs conséquences sur la situation contemporaine. Deux aspects principaux sont abordés. Les conséquences de la présence russe en Asie centrale sont étudiées au travers de la transition de fécondité, à partir d'une enquête sur ce thème réalisée en 1992 en Ouzbékistan. Celle-ci permet de mettre en évidence l'importance des institutions médicales et d'enseignement dans la formation des comportements individuels. Dans une seconde partie, nous examinons comment les différents niveaux de découpages territoriaux et le caractère spécifique du territoire soviétique ont conduit à des constructions particulières de l'espace géographique soviétique, qui ont partiellement anticipé la séparation en quinze États. Cette étude est faite en analysant, à l'aide de données détaillées du recensement de 1989, les flux de mobilité entre lieu de naissance et lieu de résidence. Nous montrons en particulier comment les frontières républicaines pouvaient déjà être partiellement considérées comme des frontières nationales.
27 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: REVUE_D-ETUDES_COMPARATIVES_EST-OUEST
• Publié le: 01 janvier 1995
• Nombre de lectures: 16
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 2 Mo

Extrait

Alain Blum
Catherine Gousseff
De l'espace démographique soviétique au morcellement
contemporain
In: Revue d’études comparatives Est-Ouest. Volume 26, 1995, N°4. pp. 143-169.
Citer ce document / Cite this document :
Blum Alain, Gousseff Catherine. De l'espace démographique soviétique au morcellement contemporain. In: Revue d’études
comparatives Est-Ouest. Volume 26, 1995, N°4. pp. 143-169.
doi : 10.3406/receo.1995.2766
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/receo_0338-0599_1995_num_26_4_2766Abstract
From Soviet demographic space to contemporary divisions.
The present article examines the relationship which, prior to independence, existed among the various
component peoples of the USSR ; a start is made with behavioral demographic patterns, in order to
understand how they have influenced the contemporary situation. Two major aspects are examined.
The consequences of the Russian presence in Central Asia are studied through changes in fertility
rates, beginning with an enquiry on this subject carried out in Uzbekistan in 1992. This enables the
authors to highlight the importance of medical and teaching institutions in the shaping of individual
attitudes. In the second part, the article considers how the different levels of territorial division and the
specific nature of the Soviet territory led to particular alignments of Soviet geographical space which
partially anticipated the carving-up into fifteen states. This present study has been carried out by using
detailed data from the 1989 census to analyze population movements between place of birth and
domicile. In particular, it shows how republican frontiers could already, to some extent, be regarded as
national frontiers.
Résumé
Les relations qui s'étaient établies entre les diverses composantes de l'U.R.S.S. avant les
indépendances sont examinées ici, à partir des comportements démographiques, dans le but de
comprendre leurs conséquences sur la situation contemporaine. Deux aspects principaux sont abordés.
Les conséquences de la présence russe en Asie centrale sont étudiées au travers de la transition de
fécondité, à partir d'une enquête sur ce thème réalisée en 1992 en Ouzbékistan. Celle-ci permet de
mettre en évidence l'importance des institutions médicales et d'enseignement dans la formation des
comportements individuels. Dans une seconde partie, nous examinons comment les différents niveaux
de découpages territoriaux et le caractère spécifique du territoire soviétique ont conduit à des
constructions particulières de l'espace géographique soviétique, qui ont partiellement anticipé la
séparation en quinze États. Cette étude est faite en analysant, à l'aide de données détaillées du
recensement de 1989, les flux de mobilité entre lieu de naissance et lieu de résidence. Nous montrons
en particulier comment les frontières républicaines pouvaient déjà être partiellement considérées
comme des frontières nationales.Revue d'études comparatives Est-Ouest, 1995, 4 (décembre)
pp. 143-169 - Alain BLUM et Catherine GOUSSEFF
De l'espace démographique soviétique
au morcellement contemporain
Alain BLUM et Catherine GOUSSEFF *
La construction statistique qui, en particulier, permettait de décompter de
façon uniforme la population de l'U.R.S.S., et donc de rendre non colonial
l'espace soviétique, est un bel exemple de la volonté, implicite le plus souvent,
de construire un monde qui ne soit pas réductible aux logiques étatiques tradi
tionnelles. Nous aborderons rapidement cette construction, en guise de mise en
garde, dans une première partie de ce texte. Derrière cette construction surgit,
bien entendu, la question de la description de l'espace géographique et surtout
de la relation qui a pu s'établir entre construction administrative et construc
tion étatique. Il s'agit de comprendre en quoi certaines formes institutionnelles,
reproduites par l'établissement des frontières entre républiques, qui n'étaient ni
des frontières régionales, ni des nationales, ont pu conduire à la créa
tion d'États.
Ce caractère formateur des frontières pose la question de la forme réelle de
la présence russe hors de Russie. Nous avons donc cherché à l'aborder à tra
vers son aspect le plus typiquement colonial, la Russie et l'Asie centrale. Il est
fondamental de comprendre les dynamiques démographiques en Asie centrale,
dont l'orientation contemporaine est la conséquence des chemins parcourus, si
l'on veut ramener ces nations sur un même plan que les pays frontaliers. Or le
politique était usuellement conçu, tant par les Soviétiques eux-mêmes que par
les soviétologues occidentaux, comme une action législative ou contraignante
exercée par le centre sur l'ensemble du territoire de l'U.R.S.S.. Cette concept
ion n'est manifestement pas pertinente pour expliciter les parcours et les dyna
miques socio-démographiques conduisant à la situation contemporaine. Pour
les comprendre, et donc pour saisir les traces de cette histoire passée, il est
nécessaire de relire la forme de l'action de la Russie dans ces espaces géogra
phiques périphériques.
Cette analyse nous conduit tout naturellement à expliciter la nature des fron
tières inter-républicaines et à considérer la question des similarités et des diff
érences entre ces frontières et des frontières étatiques. Pour ce faire, nous
* Institut National d'Études Démographiques, 27 rue du Commandeur, 75675 Paris
Cedex 14. Blum @ ined. fr. Une partie de la recherche présentée ici a été financée par
le Ministère de la recherche, dans le cadre de l'appel d'offre "Intelligence de l'Europe".
143 Alain Blum et Catherine Gousseff
examinerons dans la seconde partie de cet article comment l'analyse de la
mobilité géographique permet de répondre partiellement à cette question.
Représentations
Le regard unifié, qui a longtemps été porté sur l'espace géographique hétéro
gène que constituait l'Union soviétique, était la conséquence, et l'origine,
d'une négation de son caractère colonial. Il était surtout puissamment format
eur : l'U.R.S.S. fut avant tout homogénéisée par l'observation que l'on en fit.
Ce fut le seul empire colonial dans lequel le recensement, la comptabilité, la
statistique en général utilisèrent des outils, des catégories d'analyse, des ques
tionnaires identiques dans toutes ses composantes '.
Au XIXe siècle, la question était déjà soulevée mais la réponse généralement
autre. En particulier, la société non russe était considérée comme non réduct
ible à la société russe. Dessiner une carte de la structure sociale de l'Empire
revenait à dessiner une carte des Russes (ou des Slaves) et des non-Russes (ou
des non-Slaves). Ainsi, il n'y avait pratiquement pas de paysans (krestjan'e) en
Asie centrale, puisque ce terme faisait référence à une position sociale propre
aux Russes. Là était clairement posée la différenciation entre centre et périphér
ie. Les habitants des nouveaux territoires annexés, au sud ou à l'est de la Russ
ie, n'étaient pas décomptés au même titre que les Russes.
Cette différenciation disparaît très rapidement après la Révolution de 1917.
Le problème de l'utilisation d'un cadre unique ou diversifié de questionnement
est parfois explicitement évoqué dans les années vingt, mais, depuis le recense
ment de 1926, tous ceux qui ont suivi étaient identiques en Russie, en Ouzbé
kistan ou en Moldavie. Les recensements de l'empire colonial français
n'étaient pas identiques à ceux de la métropole. Les recensements des Indes
britannique différaient de de l'Angleterre. Les coloniaux
français différenciaient les "indigènes" des nationaux et classaient chacun
selon sa religion, classement totalement et constamment exclu des recense
ments de la métropole (l'enregistrement de la religion fut supprimé à partir de
1872 en France). Pour les administrateurs de la statistique de la fin du XIXe et
du début du XXe siècle, les territoires de l'empire colonial français et celui de
la métropole ne pouvaient être mesurés et décrits par les mêmes catégories. En
revanche, les recensements soviétiques avaient lieu en même temps, partout (à
l'exception du Grand Nord, en rai