DES NOUVEAUX MODELES DE FORMATION  A propos de la  formation  en cours d exercice   des enseignants
7 pages
Catalan

DES NOUVEAUX MODELES DE FORMATION A propos de la formation en cours d'exercice des enseignants

-

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
7 pages
Catalan
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

DES NOUVEAUX MODELES DE FORMATION A propos de la formation « en cours d'exercice » des enseignants AIS : est-ce encore de la formation ? 1Annie LANGLOIS Introduction Dans le cadre de cet atelier consacré d'une part à la dimension de la personne dans la formation et, d'autre part, à la problématique de l'alternance, je voudrais vous présenter les questions qui accompagnent la formation dite « en cours d'exercice » des enseignants en Adaptation et Intégration Scolaire (AIS). En effet, il me semble que le champ de l'AIS, champ qui est toujours un peu « à côté », « à la marge », du vaste champ institutionnel de la formation des enseignants, peut être, dans le même temps, considéré comme un champ expérimental dans le cadre de la mise en place des "innovations" du système scolaire. Car le champ de l'AIS, qui s'adresse à terme à un public d'enfants différents, en difficulté ou en situation de handicap, passe quelque peu, pour le grand public des enseignants, inaperçu… là le Ministère peut tester des innovations quelque peu déstabilisantes sans entraîner des levées de boucliers et pourtant cette formation "en cours d'exercice" risque bien de se généraliser dans les années à venir aux autres formations d'enseignants. Certes, dans ces années où le besoin d'enseignants se fait pressant, cette formation a le mérite de former rapidement un grand nombre de stagiaires dans des temporalités raccourcies ; certes, dans ces années où les différents ...

Informations

Publié par
Nombre de lectures 54
Langue Catalan

Extrait

DES NOUVEAUX MODELES DE FORMATION
A propos de la
formation « en cours d'exercice »
des enseignants AIS : est-ce encore de la formation ?
Annie LANGLOIS
1
Introduction
Dans le cadre de cet atelier consacré d'une part à la dimension de la personne dans la formation et, d'autre part, à la
problématique de l'alternance, je voudrais vous présenter les questions qui accompagnent la formation dite « en cours
d'exercice » des enseignants en Adaptation et Intégration Scolaire (AIS). En effet, il me semble que le champ de l'AIS,
champ qui est toujours un peu « à côté », « à la marge », du vaste champ institutionnel de la formation des enseignants,
peut être, dans le même temps, considéré comme un champ expérimental dans le cadre de la mise en place des
"innovations" du système scolaire. Car le champ de l'AIS, qui s'adresse à terme à un public d'enfants différents, en
difficulté ou en situation de handicap, passe quelque peu, pour le grand public des enseignants, inaperçu… là le Ministère
peut tester des innovations quelque peu déstabilisantes sans entraîner des levées de boucliers et pourtant cette formation "en
cours d'exercice" risque bien de se généraliser dans les années à venir aux autres formations d'enseignants.
Certes, dans ces années où le besoin d'enseignants se fait pressant, cette formation a le mérite de former rapidement un
grand nombre de stagiaires dans des temporalités raccourcies ; certes, dans ces années où les différents Ministères nous
parlent de restrictions financières, cette forme de formation à le mérite d'être peu coûteuse….
Mais peut-on toujours parler de formation?
Le contexte de sa mise en place
La formation des enseignants en AIS a ceci de particulier qu'elle n'est ni une formation initiale, ni une formation
continue :
-
elle n'est pas formation initiale parce que les enseignants qui s'y inscrivent, qu'ils soient du premier ou de second degré,
sont déjà titulaires ;
-
elle n'est pas formation continuée, parce qu’elle est validée par un examen et qu'elle est certifiante.
Les enseignants qui s'y inscrivent sont amenés à intervenir auprès d'élèves en difficulté ou d'élèves en situation de
handicap.
Jusqu'à cette année 2004, les stagiaires avaient le choix entre trois formes de formation :
Une formation dite « classique », d'environ 800 heures ; formation qui se déroulait sur une année, en présentiel. Les
stagiaires, dans ce cadre, étaient déchargés de classe, et consacraient leur année à la formation qui était alors regroupée sur
un centre de formation (IUFM, centre de Caen) académique ; ceci ne veut pas dire que cette formation était coupée de la
pratique, puisque de nombreux temps de pratiques accompagnées y étaient intégrés.
Cette forme de formation a été pendant longtemps la seule proposée aux stagiaires en AIS; elle avait le mérite d'être une
formation « en profondeur », dans la durée ; mais elle présentait un certain nombre d'inconvénients :
- elle demandait aux stagiaires, souvent mariés et responsables de famille, de mettre leur vie familiale entre parenthèses (du
moins pour les stagiaires qui n'habitaient pas le département du Calvados) ;
1
Maître de Conférences en Sciences de l'éducation, coordonnatrice de la formation au CAAPSAIS, IUFM de Basse Normandie
- elle suspendait le temps de la pratique en responsabilité; coupure qui, au nom de la liaison théorie-pratique, apparaissait à
certains concepteurs de formation comme préjudiciable ;
- enfin, inconvénient majeur, elle était coûteuse en moyens de remplacement. Elle ne permettait donc pas, au niveau
institutionnel, de combler sur le terrain, le manque d'enseignants spécialisés
2
; en effet, au regard des moyens
départementaux en possibilité de remplacement, très peu de stagiaires pouvaient être envoyés en formation
Pour répondre essentiellement à cette dernière difficulté, une formation
dite « en alternance » a été, parallèlement à la
formation présentielle, mise en place en 1997
(avec la « rénovation » du CAAPSAIS) Les stagiaires étaient alors nommés
en responsabilité sur un poste en AIS dès leur début de formation. La formation, qui se déroulait alors sur deux années,
alternait les temps de regroupement dans un IUFM et les temps de responsabilité sur le terrain.
Si cette seconde formule présentait l'avantage, pour les stagiaires qui le désiraient, d'un éloignement familial plus
mesuré et si la théorie pouvait plus facilement prendre appui sur la pratique, cette seconde formule, répartie sur deux ans
avec
800
heures de formation, demeurait cependant coûteuse en moyens de remplacement et coûteuse en frais de
déplacement. Comme pour la formation classique, peu de stagiaires étaient envoyés en formation par les Inspections
Académiques (qui garantissaient les moyens de remplacement et prenaient en charge les indemnités liés aux frais de
déplacement et les nuitées), elle ne permettait toujours pas de combler le manque en enseignants spécialisés.
Aussi pour répondre à cette dernière limite une troisième forme de formation fut mise en place en 2002. Dans cette
nouvelle forme dite « en cours d'exercice » (formation où les stagiaires étaient également nommés en responsabilité)
les
besoins en moyens de remplacement furent considérablement réduits puisque la formation passa de 800 heures IUFM à
200 heures. Heures auxquelles il convient cependant d'ajouter une journée de décharge par semaine consacrée à des
démarches personnelles de formation. Cette dernière formule permit d'envoyer de nombreux stagiaires en formation.
On voit bien là se dessiner au cours des années les économies institutionnelles.
Dans la première formule, les enseignants ne tiennent un poste spécialisé qu'une fois formés, leur opérationnalité est
donc différée, ce qui n'est pas le cas pour les deux autres formules : les stagiaires sont directement nommés sur un poste
spécialisé tout en se formant, mais dans la seconde proposition ils ne tiennent ce poste qu'à mi temps alors que dans la
troisième proposition ils tiennent pratiquement leur poste à ¾ temps… On voit se dessiner un moyen économique pour
faire face à la pénurie d'enseignants spécialisés.
Ces trois formules de formation, construites à partir des mêmes référentiels de compétences (rédigés avec
la rénovation
de CAAPSAIS
3
en 1997), étaient validées par les mêmes épreuves d'examen :
- une épreuve écrite qui vérifiait les connaissances législatives et conceptuelles communes à toutes les options (US1),
-
une épreuve orale (US2) qui se composait de deux parties :
* la soutenance d'un mémoire d’analyse de pratiques,
* la réponse à des questions se référant à l'option choisie.
-
une épreuve pratique passée dans la classe de référence (US3), il est à noter que cette dernière épreuve avait lieu dans
l'année qui suivait la formation.
Ces trois formules s'inscrivaient donc dans des durées longues (deux ou trois années) qui permettaient aux stagiaires de
construire leur professionnalité dans le double travail
que suppose toute formation, c'est-à-dire l'assimilation d'un nouvel
« objet » spécifique (les savoirs et savoir-faire de l'AIS) et la construction d'une nouvelle « personnalité professionnelle ».
J'emprunte cette expression à Gilles Ferry qui pouvait écrire dans son livre « Le trajet de la formation »
4
:
Quand les situations professionnelles à affronter sont telles que savoir et savoir faire ne peuvent s'y actualiser qu'en fonction
d'un type de présence qui met en jeu la personnalité profonde, on peut parler de « personnalité professionnelle ».
2
Selon des statistiques présentées par les "Dossiers documentaires" du Ministère de l'éducation nationale,
seuls 3945 enseignants
avaient le titre d'enseignant spécialisé sur les 19164 postes tenus dans l'enseignement spécialisé du primaire en 1999-2000. Aucun
chiffre n'est cité pour le secondaire. On doit noter qu'aucune statistique plus récente n'a été publiée.
3
CAAPSAIS : Certificat d'Aptitude aux Actions Pédagogiques Spécialisées en Adaptation et Intégration Scolaire
4
Ferry G., 1987,
Le trajet de la formation
, Dunod,
Collection "Sciences de l'éducation", p.43.
Et il ajoutait:
Ce concept inclut les motivations et les fantasmes, les interdits, les idéaux professionnels et leurs images.
Dans l'esprit des législateurs ces trois formules de formation devaient co-exister et le stagiaire devait pouvoir choisir,
en fonction de sa manière d'appréhender une formation et en fonction de sa vie personnelle, la formule qui lui convenait le
mieux. Mais la réalité institutionnelle fut tout autre : seule la formation en cours d'exercice, plus favorable pour combler
dans l'urgence le manque d'enseignants spécialisés, fut retenue par les trois Inspections Académiques de l'Académie de
Caen.
Cette formation en cours d'exercice fut donc la seule préparée à l'IUFM de l'Académie de Caen en 2003-2004
5
. Elle a
permis, dans une première promotion débutée en 2002-2003, de former une quarantaine de stagiaires (contre une dizaine
de formés lorsque la formation classique était, seule, proposée). Qu’est-il advenu de la construction de cette personnalité
professionnelle au cours de ces deux années? C'est ce que nous allons aborder maintenant.
Les conditions institutionnelles nécessaires à la construction de la personnalité professionnelle
J'aborderai ici deux conditions qui me paraissent nécessaires à respecter dans le cadre d'une formation pour que cette
« personnalité professionnelle » puisse être travaillée. En premier je parlerai de la « temporalité », en second je parlerai de
« l'en dehors ».
La temporalité
La formation en AIS est certainement une formation particulière. Ces enseignants vont être amenés, plus que d'autres, à
rencontrer la souffrance ; souffrance des enfants, souffrance des parents, souffrance aussi de leurs collègues qui ne
disposent pas toujours des réponses envers ces enfants. Mais ils rencontreront aussi, en écho ou en miroir, leur propre
souffrance. Aussi, la formation en AIS est une formation qui
implique
inévitablement le stagiaire, en définissant, avec
Jacques Ardoino, l'implication par « ce par quoi on tient à la vie ».
La formation en AIS implique donc un double travail d'assimilation de nouveaux concepts et de questionnement sur soi.
Ce double travail ne peut advenir que si la formation laisse une place à la
temporalité
c'est à dire au temps existentiel. La
temporalité ne se construit pas à partir de temps de formation programmés par d'autres, elle est un processus qui appartient
en propre à chaque Sujet.
Jacky Beillerot à ce propos, pouvait écrire dans son essai « Voies et voix de la formation »:
Le sujet ne se forme pas dans des actions et des ponctualités successives, mais dans une combinaison passé-présent, informations
de jadis et informations
de maintenant, dans un remaniement donc des représentations. Le processus est, ici, durée et
manière d'advenir
6
.
Ces remaniements ne se font pas de manière linéaire, ils s'accompagnent inévitablement de questionnements, de
résistances, de déstabilisations qui peuvent se traduire par des passivités, voire des régressions, avant que ne puisse se
construire une nouvelle stabilité plus conforme à la nouvelle professionnalité.
Gaston Pineau parle à ce propos de temporalité dialectique : la temporalité se construirait à partir de « temps parents »,
qui sont des temps d'avancée, de « contretemps », temps de doute et de régression, et « d'entretemps », temps de silences et
5
En 2002-2003, la formation dite "classique" était encore possible à l'IUFM pour les stagiaires
option D ( enseignants spécialisés
chargés de l'enseignement des enfants et adolescents présentant des troubles importants à dominante psychologique), la formation « en
cours d'exercice » était ouverte pour les options E (enseignant spécialisé chargé de l'enseignement et de l'aide pédagogique auprès des
enfants en difficulté) et les options F (enseignant spécialisé chargé de l'enseignement et l'aide pédagogique auprès des adolescents et
des jeunes en difficulté). A la rentrée 2003-2004, bien que la formation classique, option D, soit demeurée ouverte à l'IUFM, centre de
Caen, tous les stagiaires D, E et F ont été dirigés, par les Inspections Académiques, sur la formation en cours d'exercice.
6
Jacky Beillerot,
Voies et voix de la formation
, Editions universitaires, collection "Savoir et formation", 1988, p.33.
de transitions.
Les temps parents ne peuvent advenir que si deux dernières catégories sont, elles aussi, rendues possibles et
travaillées comme porteuses de sens
7
.
J'aurais tendance à dire que la formation en cours d'exercice, par ses temps contraints et ramassés, ne laisse que peu de
chance à cette temporalité dialectique de se mettre en place, je m'explique : par définition, cette formation en cours
d'exercice suppose que, dans le même temps qu'il se forme, le stagiaire soit en responsabilité d'une classe. Cette
responsabilité, qui suppose stabilité et prise de décision dans l'immédiateté, s'oppose au concept de formation qui lui
suppose questionnement, non certitude, prise de distance, et décision dans la non urgence.
Cette formation inscrit alors le stagiaire dans une double contrainte :
-
ou bien il accepte de se mettre en mouvement interne et prend alors le risque de la déstabilisation et de l'insécurité
passagère, il n'est pas alors en mesure d'assurer une responsabilité de classe (ceci est particulièrement vrai en AIS
où les élèves ont besoin d'enseignants contenants stables) ;
-
ou bien il assure avec maîtrise et stabilité sa responsabilité de classe et il ne peut, dans ce cas, prendre le risque,
dans les temps de formation à l'IUFM,
de l'inattendu.
Il y a là deux temporalités paradoxales qui s'affrontent et dont l'une, la responsabilité de classe, parce qu'incontournable,
risque bien d'imposer alors à l'autre ses lois.
La nécessité de « l'en dehors »
Pour Gilles Ferry, la formation ne peut se faire sans une prise de distance avec le faire de la classe :
La formation suppose une séparation d'avec la vie professionnelle dont elle suspend le cours [...] Etant en formation, l'enseignant
ou le futur enseignant n'investit pas les choses de l'école de la manière dont il le fait ou le fera au cours de ses années d'exercice. Il
lui faut en priorité recueillir pour lui-même tout ce qui lui est donné à voir, à comprendre, à essayer, à vérifier, à évaluer d'une
pratique provisoirement et partiellement mise à distance
8
.
Alors certes, les semaines de formation sont, dans cette formation en cours d'exercice, des temps de suspension de
l'action ; mais dans ce temps ramassé, sans phases « d'entre temps », le stagiaire ne met que difficilement à distance son
faire pour se laisser interroger ; l'inquiétude liée aux enfants que l'on abandonne pour le temps des semaines de
regroupement, a tendance à rester présente lors des temps d'analyse de pratiques, oblitérant la nécessaire prise de distance
pour que l'action puisse être réellement interrogée.
La validation de la formation en « cours d'exercice »
Cependant, en juin 2004, l'institution pouvait se réjouir des résultats obtenus par cette
première promotion de stagiaires
:
-
tous les stagiaires ont répondu à la validation de l'US1 (épreuve écrite), même si certains ont dû passer deux fois
cette épreuve ;
-
un seul stagiaire n'a pas eu son US2 validée (mémoire et questions orales).
On peut donc dire que les stagiaires ont répondu positivement à la validation institutionnalisée, on ne peut que s'en
réjouir; mais cela suffit-il pour
dire, qu'en bout de formation, ils ont tous construit leur personnalité professionnelle qui
suppose, comme nous l'avons vu, une double évolution? Il est permis, ici, de se questionner.
En effet, cette double évolution est rendue particulièrement visible à travers la temporalité de construction du mémoire :
les stagiaires centrés principalement en début de formation autour de questions d'outils (outils d'évaluation, outils
pédagogiques qu'ils pensent spécifiques et, en eux-mêmes, porteurs de remédiations)
évoluent peu à peu à vers une posture
nouvelle ; de l'interrogation sur la pertinence de l'outil ils portent leur attention sur le cheminement cognitif de l'enfant et
7
Note: voir article de Gaston Pineau "La formation permanente ou la conquête du temps", in actes du Colloque de l'ARFIRSE
"Temps, Education, Sociétés", Mai 93, tome 1, p.71.
8
Gilles Ferry,
Le trajet de la formation
, Dunot, collection Sciences de l'éducation,
1987, p. 61
sur les interactions adultes-élèves qui permettent à cet élève d'éveiller ou de révéler ses potentialités. Le questionnement
placé en début sur les outils et les procédures se déplace peu à peu sur les processus.
Or, en tant que formateurs, nous avons remarqué que cette bascule de regard se faisait avec plus de difficulté au cours
de ces deux dernières années. Certains mémoires sont restés centrés sur la description des outils et de l'action ou sur la
juxtaposition d'une théorie et d'une pratique sans qu'un lien de sens ne se fasse
9
. On peut certainement voir ici les effets de
la double contrainte décrite précédemment : les stagiaires, garants de la sécurité de leurs élèves, effectuent un repli
sécuritaire sur la maîtrise d'outils nouveaux sans saisir que ces outils ne sont performants qu'en tant que médiations. Je vois
là aussi une difficulté à se dessaisir de procédures d'enseignement qui avaient fait leur preuve lorsque ces stagiaires étaient
enseignants dans des classes du primaire.
La bascule vers de nouveaux processus d'aide à l'élève suppose que le stagiaire puisse se donner un temps pour
interroger ses pratiques, pour douter, pour différer ses réponses… La responsabilité d'une classe ne lui permet que rarement
ce travail.
Je vois là encore un indicateur pour plaider en faveur des pratiques pédagogiques accompagnées, tutorées, étayées
10
,
grâce à des espaces de compagnonnage où le stagiaire pourrait alors construire de nouvelles compétences en n'ayant pas à
porter seul la responsabilité de ses questionnements et de ses doutes
11
.
Nous pouvons donc penser que la conduite de cette nouvelle formation a été essentiellement certifiante, dans le sens où
elle a conduit les stagiaires à la réussite des épreuves de l'examen, mais a-t-elle été réellement qualifiante?
Le lien se fera-t-
il entre des concepts, bien maîtrisés, et une pratique de terrain? On peut l'espérer, car la formation ne s'arrête pas lorsque
l'accompagnement de l'IUFM s'achève, l'élaboration continue à cheminer, la temporalité n'est pas enfermée dans des bornes
instituées. Les résultats qui seront obtenus à l'US3 (validation dans la réalité de la prise en charge des élèves en difficulté ou
en situation de handicap, au cours de l'année scolaire 2004-2005) devraient nous apporter des réponses.
Et, pour tempérer nos inquiétudes, il nous faut bien dire que, malgré des conditions de formation difficiles et exigeantes,
malgré des ponts qui ne sont pas toujours construits entre la théorie et la pratique, nous avons vu ces stagiaires cheminer au
cours de ces deux années ;
- sur 38 stagiaires, une seule a abandonné la formation, en évoquant justement cette difficulté d'assumer, dans toutes ses
dimensions, un métier nouveau tout en devant répondre aux exigences de la formation ;
- trois ont retardé d'une année leurs épreuves de validation (là aussi placés devant la difficulté d'écrire un mémoire
d'analyse de leurs pratiques dans un temps contraint) ;
- et nous pouvons dire que parmi les 37 stagiaires qui ont suivi cette formation jusqu'à son terme, la plupart ont
fortement progressé dans la maîtrise des concepts mais aussi dans la manière d'habiter leur
nouvelle professionnalité.
Il semble donc bien, qu'en dépit d'un temps contraint et des dimensions paradoxales que nous avons évoquées, les
stagiaires ont trouvé des voies personnelles pour construire cette double évolution.
Il conviendrait alors de questionner comment s'est effectué ce double travail :
- comment
ont-ils concilié les temps de terrain et de formation?
- comment
ont-ils laissé advenir
les temps de doute et de déstabilisation?
- sur quels
supports contenants
se sont-ils appuyés lorsqu'ils ont rencontré ces temps de fragilité?
- quels moyens ont-ils mis en place pour mettre à distance la réalité du terrain pendant les temps de formation?
Une recherche en cours devrait nous permettre de mieux comprendre ces cheminements.
9
Cette remarque n'est évidemment pas valables pour tous les stagiaires, certains d'entre eux ont effectué un travail de mémoire
remarquable.
10
Ces temps de "pratiques accompagnées", où un enseignant spécialisé accompagnait la construction professionnelle d'un stagiaire,
étaient particulièrement présents dans la formation "classique". Il n'a pas été possible de les mettre en place, de manière
institutionnalisée,
pour cette première promotion de stagiaires en formation en « cours d'exercice ».
Cependant, après de nombreux débats institutionnels, il a été possible de remettre en place un accompagnement par des « référents de
terrain » dans le cadre de la formation en cours d'exercice pour les stagiaires de l'Académie de Caen, pour la rentrée 2004-2005.
11
Note: voir à ce sujet l'article « Pour une défense des formations présentielles en AIS, professionnalité, personne, temporalité de la
formation », Annie Langlois,
in
La Nouvelle Revue de l'AIS,
n°17, 1
er
trimestre 2002
Cependant il est permis d'avancer que la qualité des stagiaires est pour beaucoup dans ce cheminement : beaucoup
avaient déjà exercé dans un des secteurs de l'AIS, la plupart étaient jeunes, leurs études universitaires les avaient amené à
lire, à faire des liens, à conceptualiser ; ils avaient pour beaucoup déjà rédigé un mémoire…mais on peut se demander
jusqu'à quel point il est permis d'augmenter les contraintes de formation tout en réduisant le temps pour que ces parcours
soient encore considérés comme des formations.
Là où la temporalité devient temps comptable
Car ce dernier modèle de formation n'aura vécu que deux années. A la rentrée 2004-2005, avec la réforme du
CAAPSAIS, se mettent, à nouveau, en place de nouvelles procédures de formation.
La formation « en cours d"exercice » reste désormais la seule possible au niveau institutionnel et, de plus, elle a subi de
nombreuses modifications :
- les heures de formation sont passées de 200 heures à 400 heures ;
- on pourrait certes se réjouir de cette modification, si cette formation n'était passée de trois années à une année. De plus le
temps de formation institutionnalisée à l'IUFM s'est concentré : de deux années il passe à six mois (les stagiaires devant
passer leurs épreuves pratiques dans la même année).
En conséquence, les stagiaires, pour la plupart, découvriront leur
nouvelle professionnalité en septembre. A Pâques, les apports théoriques devront être terminés et le mémoire écrit ;
- de plus, contrairement au modèle précédent où les stagiaires bénéficiaient d'une journée de décharge par semaine, cette
nouvelle formule a été mise en place, tout au moins dans les textes officiels
12
, sans qu'aucune journée de décharge ne soit
accordée au stagiaire ;
- l'examen de certification a été modifié : deux épreuves ont été supprimées, les deux épreuves restantes (pratique de classe
et soutenance du mémoire) sont passées dans la même journée, avec le même jury.
13
Que penser de ce temps contraint, entre la responsabilité de classe
14
et les onze semaines de formation entre septembre
et Pâques, quelle place restera-t-il pour lire, pour assimiler de nouveaux concepts, pour se questionner et pour interroger sa
pratique?
Comment construire un mémoire d’analyse de pratique, à partir d'une pratique que l'on découvre en septembre et que
l'on conduit en pointillés ?
Dans ce cadre de temps concentré avec peu de temps de recul sur l'action, sans « entre-temps », on peut se demander
comment va s'effectuer ce nécessaire travail de construction de la personnalité professionnelle. Qu'en est t-il du Sujet? Est-
il encore légitime d'appeler cela une formation?
Conclusion
Cette nouvelle formation en cours d'exercice, en instaurant en règle le temps contraint et en niant la nécessité des temps
de marges, des entre-temps, risque bien de laisser le développement de la personnalité professionnelle au bord du chemin.
Dans cette injonction qui est faite au stagiaire de garder sa stabilité existentielle, garante de la sécurité des enfants, la
formation risque bien alors de s'inscrire dans une dimension où domine le rationnel, le prévu, le contrôlable. Il y a là un fort
risque de voir se développer des pratiques de formation qui excluraient la dimension du Sujet désirant pour se voir inscrire
dans la seule recherche de maîtrise d'outils et de stratégies d'enseignement spécifiques.
12
Les trois Inspections Académiques (Calvados, Manche et Orne) ont en effet accordé, malgré ces textes institutionnels,
six journées
de décharge à ces nouveaux stagiaires.
13
Les stagiaires, dans les formules de certification précédentes, devaient passer quatre épreuves au cours de trois années. Ces quatre
épreuves étaient évaluées par quatre jurys différents. Dans la nouvelle formule, formation et certification se passent sur la même
année scolaire, les épreuves, ramenées à deux, sont évaluées par un jury unique.
14
Nous n'abordons pas dans cet article consacré aux questionnements sur la formation les conséquences préjudiciables sur les enfants-
élèves. Les élèves en difficulté ou en situation de handicap, ont encore plus besoin que d'autres d'enseignants
qui soient des référents
stables. Ce nouveau modèle de formation qui amènera les stagiaires à être absents une semaine sur trois, posera de nombreuses
questions sur les terrains.
Les « enfants en difficulté » des textes fondateurs des « Groupes d’Aide Psycho-Pédagogiques » en 1970 sont devenus
des « élèves en difficulté » avec la création des réseaux d'aide en 1990 ; ce changement de terminologie était porteur de
sens. En même temps qu'on a réduit l'enfant à un élève, se sont développées les « remédiations cognitives ».
Les formations « en cours d’exercice », ne tentent-elles de réduire l'enseignant spécialisé à un spécialiste de ces
remédiations ; qu'en est-il du Sujet Enfant, qu'en est-il du Sujet Enseignant?
L'inconscient n'existerait-il plus?
Les formateurs devront-ils s'habituer à répondre à des commandes de plus en plus contraignantes et paradoxales au
détriment de leur éthique et du respect des futurs destinataires de ces formations: les enfants-élèves qui relèvent de l'AIS et
qui
ont besoin pour grandir et progresser de s'appuyer sur des enseignants capables de les étayer dans la construction de
leur savoir et de leur personne? Nous en sommes tous responsables, jusqu'où serons nous complices?
Bibliographie
BEILLEROT J.,1988,
Voies et voix de la formation
, Editions universitaires, Collection Savoir et formation.
FERRY G., 1987,
Le trajet de la formation
, Dunod, Collection Sciences de l'éducation
LANGLOIS A., 2002, « Pour une défense des formations présentielles en AIS »,
La Nouvelle Revue de l'AIS,
n°17.
PINEAU G., 1993, « La formation permanente ou la conquête du temps », Actes du Colloque de l'AFIRSE
Temps,
Education, Sociétés.
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents