La place du travail dans les identités
20 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

La place du travail dans les identités

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
20 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

L'enquête Histoire de vie permet de mettre en évidence la place qu'occupe le travail parmi les différents éléments constitutifs de l'identité des personnes ainsi que l'importance relative que celles-ci lui accordent. Si 40 % des personnes interrogées et 54 % des actifs jugent que le travail est l'un des trois éléments qui « leur correspondent le mieux, qui permettent de les définir », il vient en seconde position loin derrière la famille. 7 % des personnes interrogées considèrent le travail comme l'élément principal de leur identité et 60 % des enquêtés ne citent pas le travail parmi les trois thèmes d'identification. Les deux tiers des actifs en emploi indiquent que pour eux « le travail est assez important, mais moins que d'autres choses ». Deux effets semblent à l'oeuvre dans le fait que le travail semble concurrencé par d'autres activités, domaines de vie ou valeurs : l'un lié au travail et à ses conditions d'exercice, susceptible d'expliquer notamment la position de « retrait » des professions intermédiaires, des employés et des ouvriers, l'autre, extérieur au travail, qui met en évidence la concurrence objective dans laquelle se trouvent vie professionnelle et vie familiale, notamment pour les femmes. Les immigrés et les individus issus de l'immigration, surreprésentés dans l'enquête développent par rapport au travail une position que ces deux effets ne suffisent pas à expliquer.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 58
Langue Français

Extrait

SOCIÉTÉ
La place du travail dans les identités
Hélène Garner, Dominique Méda et Claudia Senik*
L’enquête Histoire de vie permet de mettre en évidence la place qu’occupe le travail
parmi les différents éléments constitutifs de l’identité des personnes ainsi que l’impor-
tance relative que celles-ci lui accordent. Si 40 % des personnes interrogées et 54 % des
actifs jugent que le travail est l’un des trois éléments qui « leur correspondent le mieux,
qui permettent de les défi nir », il vient en seconde position loin derrière la famille. 7 %
des personnes interrogées considèrent le travail comme l’élément principal de leur iden-
tité et 60 % des enquêtés ne citent pas le travail parmi les trois thèmes d’identifi cation.
Les deux tiers des actifs en emploi indiquent que pour eux « le travail est assez impor-
tant, mais moins que d’autres choses ». Deux effets semblent à l’œuvre dans le fait que
le travail semble concurrencé par d’autres activités, domaines de vie ou valeurs : l’un lié
au travail et à ses conditions d’exercice, susceptible d’expliquer notamment la position
de « retrait » des professions intermédiaires, des employés et des ouvriers, l’autre, exté-
rieur au travail, qui met en évidence la concurrence objective dans laquelle se trouvent
vie professionnelle et vie familiale, notamment pour les femmes. Les immigrés et les
individus issus de l’immigration, surreprésentés dans l’enquête, développent par rapport
au travail une position que ces deux effets ne suffi sent pas à expliquer.
* Hélène Garner appartient à la Mission Animation de la Recherche de la Dares (helene.garner@dares.travail.gouv.fr) et
Claudia Senik au PSE et à l’Université de Paris-IV (senik@pse.ens.fr). Dominique Méda était, au moment de la rédaction
de cet article, responsable de la Mission Animation de la Recherche ; elle est actuellement chercheur au Centre d’étu-
des de l’Emploi (dominique.meda@mail.enpc.fr). Cet article n’engage pas la Dares.
ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 393-394, 2006 21i la plupart des économistes depuis Smith place qu’occupe le travail dans les identités et Ss’accordent en première analyse sur le fait la manière dont les différentes activités s’articu-
que le travail est associé à une « désutilité » lent, se composent ou au contraire ne se compo-
acceptée en contrepartie des biens qu’il per- sent pas, selon le sexe, la structure familiale, la
met de créer ou d’acquérir, ils rejoignent sou- position professionnelle ou l’origine nationale
vent les sociologues et les psychologues pour des personnes. (1)
insister sur le rôle intégrateur et socialisant du
travail, effet bénéfi que dont on prend la mesure
a contrario par les effets néfastes de la privation
La place du travail dans de travail (Jahoda et al., 1991, Clark et Oswald,
1994). Le travail est-il un sacrifi ce de son temps l’identité des personnes :
ou un mode de réalisation de soi ? La question éléments théoriques
remonte au moins à Marx (1857-1858) : « consi-
dérer le travail simplement comme un sacrifi ce,
ans quelle mesure le travail constitue-t-il donc comme source de valeur, comme prix payé Dl’élément principal de l’identité des per-par les choses et donnant du prix aux choses
sonnes ? Marx est l’un des premiers à avoir suivant qu’elles coûtent plus ou moins de tra-
répondu de façon radicale à cette question : l’es-vail, c’est s’en tenir à une défi nition purement
sence de l’homme, générique et individuelle, est négative (…) Le travail est une activité positive,
le travail : « l’histoire dite universelle n’est rien créatrice (1) ».
d’autre que la génération de l’homme par le tra-
vail humain, rien d’autre que le devenir de la Cet article propose une approche quantitative
nature pour l’homme », écrit-il. S’il en est ainsi, de la place du travail dans l’identité des per-
c’est, d’une part, parce que le travail manifeste sonnes, non pas par la mesure du temps passé
au plus haut point la vocation de l’homme, qui au travail, mais par l’analyse de la perception
consiste à détruire (Vernichten) le naturel pour subjective de l’importance accordée au travail
mettre de l’humain à la place, et, d’autre part, par les individus. Il pose la question du travail
parce qu’il permet à chacun d’exprimer ce qu’il en tant qu’élément de l’identité des person-
a à la fois de plus intime et de plus universel : nes et en tant qu’activité, en concurrence avec
« supposons, écrit Marx (1844), que nous pro-d’autres activités qui, comme lui, sont à la fois
duisions comme des êtres humains : chacun des objets d’investissements affectifs et forte-
de nous s’affi rmerait doublement dans sa pro-ment consommatrices de temps. Il cherche ainsi
duction, soi-même et l’autre. 1. Dans ma pro-à apporter quelques éléments de nature à éclai-
duction, je réaliserais mon individualité, ma rer la question d’une éventuelle « relativisation
particularité ; j’éprouverais, en travaillant, la du travail », entendue uniquement au sens où le
jouissance d’une manifestation individuelle travail serait concurrencé par d’autres activités,
de ma vie, et dans la contemplation de l’ob-valeurs ou domaines de vie et non au sens où
jet, j’aurais la joie individuelle de reconnaître l’on constaterait un moindre attachement au tra-
ma personnalité comme une puissance réelle, vail par rapport au passé.
concrètement saisissable et échappant à tout
doute (…) 3. J’aurais conscience de servir de Ce travail statistique s’appuie sur l’enquête
médiateur entre toi et le genre humain, d’être Histoire de vie – Construction des identités
reconnu et ressenti par toi comme un complé-(dont l’intitulé opérationnel était Histoire de
ment à ton propre être et comme une partie vie) réalisée au printemps 2003 par l’Insee et de
nécessaire de toi-même, d’être accepté dans ton nombreux partenaires (Ined, Dares, Drees, Dep
esprit comme dans ton amour (…) » (2) (c’est Ministère de la Culture, Inserm, Délégation
nous qui soulignons).Interministérielle à la Ville). L’enquête, outre
des variables permettant de défi nir la situation
Comme on le voit dans ce texte, dont le objective des individus, comporte une partie
soubassement philosophique est directement consacrée à l’identité professionnelle, certaines
inspiré de Hegel, le travail se confond avec questions étant posées à l’ensemble de la popu-
lation, d’autres aux seuls actifs occupés. Ces
dernières concernent principalement la satisfac-
1. Karl Marx, « Le travail comme sacrifi ce et comme travail tion au travail, l’importance accordée au travail,
libre », in Principes d’une critique de l’économie politique, ébau-la conciliation famille/travail, les éléments de ches 1857-1858, Œuvres, Économie, tome II, pp. 290-292, La
Pléiade, Gallimard, 1979.leur travail que les salariés voudraient changer
2. Karl Marx (1844), Économie et Philosophie, Notes de lecture, ou garder. L’enquête Histoire de vie permet,
§ 22, in Œuvres, Économie, tome II, p. 33, La Pléiade, Gallimard,
pour la première fois, de mieux comprendre la 1979.
22 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 393-394, 2006l’activité humaine : la seule activité vraiment Dubar, dans ses différents travaux sur l’iden-
humaine est le travail. Le travail épuise la tité, est également très conscient de cette ques-
notion. Il est à la fois, de manière universelle, tion et reconnaît la pluralité des sources possi-
la matrice de l’activité humaine et permet en bles d’identité : « l’identité n’est autre que le
même temps l’expression de l’individualité. résultat, à la fois stable et provisoire, individuel
Il est le constituant principal, voire exclusif, et collectif, subjectif et objectif, biographique et
de l’identité, de l’identité individuelle et de structurel, des divers processus de socialisation
l’identité sociale. qui, conjointement, cons

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents