Le complexe d Esaü : Diderot et la fraternité - article ; n°1 ; vol.7, pg 7-21
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Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie - Année 1989 - Volume 7 - Numéro 1 - Pages 7-21
Françoise Dion : The Esau Complex : Diderot and his Brother.
This article discusses Diderot's relationship with his father and his brother and draws a parallel with the Biblical story of Esau and Jacob. Like Esau, Diderot renounced his privileges as the eldest son when he refused an ecclesiastical career. However, the canon's hostility to the philosopher, justified on religious grounds, can also be seen as jealousy for their father's preference for his eldest son.
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1989
Nombre de lectures 78
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Françoise Dion
Le complexe d'Esaü : Diderot et la fraternité
In: Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie, numéro 7, 1989. pp. 7-21.
Abstract
Françoise Dion : The Esau Complex : Diderot and his Brother.
This article discusses Diderot's relationship with his father and his brother and draws a parallel with the Biblical story of Esau and
Jacob. Like Esau, Diderot renounced his privileges as the eldest son when he refused an ecclesiastical career. However, the
canon's hostility to the philosopher, justified on religious grounds, can also be seen as jealousy for their father's preference for his
eldest son.
Citer ce document / Cite this document :
Dion Françoise. Le complexe d'Esaü : Diderot et la fraternité. In: Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie, numéro 7, 1989.
pp. 7-21.
doi : 10.3406/rde.1989.1030
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rde_0769-0886_1989_num_7_1_1030Françoise DION
Le complexe d'Esaù :
Diderot et la fraternité
un quelconque Parler de «complexe problème névrotique, » ici, ce n'est qui pas pourrait pour déceler, trouver chez une Diderot, explica
tion par référence à un thème unique.
A l'origine de cette recherche, il y a une lettre à Thomas Mann, du
29 novembre 1936, où Sigmund Freud s'interroge : «Y a-t-il un person
nage historique pour qui la vie de Joseph était un modèle mythique, de
telle sorte que derrière l'image complexe de sa vie, on puisse soupçon
ner ce fantasme comme un ressort démoniaque et secret ? Je réponds
que oui : ce personnage est Napoléon Ier».
Transposons la question posée par Freud à Thomas Mann : Y a-t-il
un personnage mythique dont la vie ait pu servir inconsciemment de
modèle à ce personnage historique, Denis Diderot? Peut-être ; et, ici,
un biblique nous vient à l'esprit : Esaù.
Tout d'abord, en quoi un personnage biblique peut-il nous aider à
connaître un homme tel que Diderot ? Dans la mesure où il vient d'une
famille très pieuse, où il faillit lui-même accéder à l'état ecclésiastique,
la supposition qu'il ait pu se trouver influencé par un épisode de la Ge
nèse (que, de toute manière, il devait bien connaître) n'a rien d'invra
isemblable. Dans cette famille, la lecture en commun de la Bible devait
être habituelle (voir Jacques le fataliste) . Par ailleurs, cette histoire avait
de quoi lui plaire : c'est un des plus beaux récits de mystification(s) que
propose la Bible, et l'on sait combien Diderot était amateur de mystifi
cations. Relisons donc la Genèse ; Isaac et Rebecca ont des jumeaux :
Esaù, l'aîné, et Jacob. Affamé après une chasse et pressé de repartir,
Esaù vend à Jacob son droit d'aînesse contre un repas et confirme sa
cession par un serment. « Alors Jacob lui donna du pain et du potage de
lentilles, il mangea et but, se leva et partit. C'est tout le cas qu'Esaù fit
du droit d'aînesse» (Genèse 25, 34).
Recherches sur Diderot et sur V Encyclopédie, 7, octobre 1989 8 FRANÇOISE DION
Examinons maintenant en quoi l'histoire d'Esaû peut être considé
rée comme le « ressort démoniaque et secret » de la vie d'un philosophe
né à Langres au siècle des Lumières. On trouve, dans la vie de Diderot,
un épisode parallèle à la cession des lentilles : le refus de l'état ecclésias
tique. Il reçoit les ordres mineurs en 1726 mais refuse le canonicat, en
1728, à la mort du chanoine Vigneron, son oncle. Il demande à poursui
vre des études à Paris. Son jeune frère reprendra la charge de Toncle,
deviendra prêtre, et passera toute sa vie à Langres, sédentaire comme
Jacob dans la Genèse. Denis Diderot se considère-t-il comme un
nomade chasseur, à l'image d'Esaù ? Évidemment non, les sociétés
étant trop différentes ; mais il est vrai que Diderot ne pouvait trouver le
milieu qui lui était nécessaire qu'en dehors de Langres. Il devait quitter
sa ville natale pour s'épanouir, et c'est peut-être là, dans cette idée du
départ loin de la maison paternelle, que se tient la ressemblance avec
Esaù. Mais ce départ n'a sans doute pas été sans difficultés ni craintes.
Une image de ces craintes, en effet, se retrouve à maintes reprises dans
son œuvre la plus tardive ; celle de l'intellectuel inutile à la société (dans
le Plan d'une Université, dans les Fragments Politiques...) :
Un père s'est enrichi par le commerce ; il a un grand nombre d'enfants ;
parmi ces enfants, il en est un qui ne veut rien faire ; ses bras faibles et
délicats lui ont donné de l'aversion pour la navette, la scie ou le marteau ;
il se lève tard ; il reste assis la tête penchée sur la poitrine ; il réfléchit ; il
médite ; il se fait poète, orateur, prêtre ou philosophe. Il faut qu'une
nation soit bien nombreuse et bien riche, pour qu'il y ait, sans conséquenc
e fâcheuse, beaucoup de ces individus qui pensent, tandis que les autres
travaillent (Plan d'une Université, Lew., XI, 840-841).
Ce personnage est généralement contraint de s'expatrier, ne trou
vant pas de travail dans son pays d'origine. Dans le pire des cas, il reste
un bohème, inutile à la société. Diderot en rencontra sans doute beau
coup, particulièrement en travaillant à V Encyclopédie. C'est un person
nage que, sans doute, son père a craint qu'il ne devînt, lorsqu'il le vit
échapper à l'avenir qu'il avait envisagé pour lui1.
Peut-on réellement parler de cession du droit d'aînesse, à titre sym
bolique, en rapport avec cette renonciation à l'état ecclésiastique? ou
plutôt, posons la question autrement : le fait d'être l'aîné eut-il de
l'importance pour Denis Diderot, et particulièrement dans un contexte
ecclésiastique ? Et le refus de l'état ecclésiastique fit-il perdre à Diderot
l'autorité qu'aurait pu lui conférer sa qualité d'aîné ? Peut-être. Exami
nons un bref passage des Mémoires de Madame de Vandeul :
1. Voir l'article de Marie Souviron. «Diderot, Langres et la religion», RDE, 4, avril
, p. 24. COMPLEXE DESAÛ : DIDEROT ET LA FRATERNITE 9 LE
Mon père fit un voyage il y a quinze ans dans sa ville. Un abbé Gauchat,
objet des plaisanteries de Voltaire, tenta de rapprocher les deux frères ;
mon père fit toutes les avances quoiqu'il fût son aîné (Lew., I, 800, mes
italiques).
Cette expression, «quoiqu'il fût son aîné», semble encore chargée
d'amertume et de rancœur. Elle ne peut guère être de madame de
Vandeul ; elle paraît bien plus être de Diderot lui-même. Cet épisode,
étant donné la date indiquée, doit avoir pris place pendant le voyage de
1770. Si l'on se réfère à la correspondance de cette époque, on trouve
trace en effet de cet épisode. Diderot fit bien des avances à l'abbé son
frère, à l'instigation de leur sœur Denise ; d'abord par une longue lettre
du 24 mai 1770 {Corr. X, 58-64) écrite de Paris, puis lors d'une ren
contre (l'abbé Gauchat s'était alors entremis). La lettre, comme la
contre, échouèrent. Cette réconciliation était tentée au moment où les
projets de mariage entre Angélique et le jeune Caroillon commençaient
à prendre forme. Elle échoua parce que l'abbé soupçonnait le jeune
couple d'irréligion.
L'abbé Didier-Pierre, rappelons-le, avait neuf ans de moins que
Denis le philosophe. Or, le rôle d'aîné avait alors une importance
réelle, non seulement familiale, mais économique, sociale, et neuf ans
font une grande différence d'âge. La présence de cet épisode dans les
Mémoires indique au moins que le fait d'être l'aîné avait de l'importance
pour Diderot.
Mais dans un autre épisode plus ancien, préfiguration de celui-ci, et
apparemment ignoré de Madame de Vandeul, Diderot fut contraint
d'oublier son droit d'aînesse pour se réconcilier avec son frère. En 1757,
le Fils Naturel est joué, et le texte déplaît vivement au père et au frère
de Diderot (sans parler de Rousseau, mais c'est une autre histoire). écrivit alors à son père et son frère séparément, le 29 novembre
1757, des lettres au ton soumi

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