Le hasard. Son rôle dans l histoire des sociétés - article ; n°2 ; vol.22, pg 419-428
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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1967 - Volume 22 - Numéro 2 - Pages 419-428
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1967
Nombre de lectures 11
Langue Français

Extrait

G.-H. Bousquet
Le hasard. Son rôle dans l'histoire des sociétés
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 22e année, N. 2, 1967. pp. 419-428.
Citer ce document / Cite this document :
Bousquet G.-H. Le hasard. Son rôle dans l'histoire des sociétés. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 22e année, N.
2, 1967. pp. 419-428.
doi : 10.3406/ahess.1967.421534
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1967_num_22_2_421534ET CONTROVERSES DISCUSSIONS
LE HASARD. SON ROLE
DANS L'HISTOIRE DES SOCIÉTÉS
à des Nous causes nommerons si nombreuses hasard, et le complexes fait que des qu'il événements est impossible isolés de sont les prédûs
voir, et traiterons surtout de ceux qui nous intéressent par leurs consé
quences historiques.
a) Qu'un tireur d'élite fasse mouche sans difficulté n'est pas dû au
hasard ; qu'un mauvais tireur y parvienne, le hasard est en cause ; mais,
si cent tireurs comme lui cherchaient à atteindre le but, ce ne serait pas,
de nouveau, un hasard que l'un d'entre eux y parvienne, car alors il n'y a
plus d'événements isolés. C'est une question de probabilités.
Nul doute que le calcul des probabilités ne soit applicable à l'histoire ;
c'est ce que semble avoir établi P. Vendryès dans un livre suggestif
(La probabilité en histoire ; Г exemple de V expédition ď Egypte.) Il y montre
que la pour que Bonaparte parvînt en Egypte, n'était pas plus
que d'un sur dix x.
Ce calcul en tout cas n'est pas de notre sujet. Revenons à ce que nous
disions : si je retourne la première carte d'un jeu longuement battu, seul
le hasard décide si elle sera rouge, ou noire ; mais il est humainement cer
tain que je n'en tirerai pas beaucoup, à la suite, de la même couleur, les
événements n'étant plus isolés.
b) Passons maintenant à des événements moins matériels, et intéres
sants parce qu'ayant eu des conséquences durables (accidents par exemple).
A celui que je vais citer et qui m'intéresse seul, chacun devrait en substi
tuer d'autres qui lui soient personnels et pour lui significatifs. Je tiens pour
certain que, si je suis devenu un islamologue, cela est nécessairement dû
(entre autres) à ce qu'un jour de septembre 1927, je croisai dans une rue
de Paris, où je ne passe jamais, un ancien camarade d'études, avec qui
j'étais assez peu lié, et que j'avais complètement perdu de vue depuis
des années. Cet événement, qui n'aurait guère pu se produire une minute
1. Ce livre, hautement recommandable, n'est cependant pas une œuvre achevée.
Après avoir, je crois, établi que cette expédition était un coup de dés, il prétend mont
rer que Bonaparte avait tout prévu dans sa campagne en Italie de 1800 ! Mais il
n'avait prévu ni l'obstacle du fort de Bard, ni qu'il perdait la bataille de Marengo,
quand Desaix survint pour remporter la victoire.
419 ANNALES
plus tard, ou plus tôt, eut des conséquences importantes pour ce dernier
aussi, entre autres son mariage. Je répète que ce fait est sans intérêt pour
les tiers qui, toutefois, pourraient juger que je suis trop énigmatique. En
deux mots : il était candidat à une charge de cours à Alger, tandis qu'on
me proposait un poste de lecteur à Prague, où il se maria.
c) La question est de savoir si, dans l'histoire des sociétés humaines,
le hasard peut avoir des effets de cette même importance relative. Seule
ment il s'agit de préciser de quel « événement » on parle. Étant donné ma
nature, ce n'est plus un hasard que j'aie été tenté de faire « une carrière
scientifique », et, si l'on prend cent jeunes gens ayant les mêmes tendances
que moi, on peut être assuré que ce sera le cas pour un grand nombre
d'entre eux. De même que mon ancien camarade ait, en raison de notre
rencontre, épousé à Prague Mlle X, est dû au hasard, mais ce n'est plus un
hasard si, sur cent célibataires de son âge, un grand nombre se marie ;
ou que, si, d'un jeu de cinquante-deux cartes bien battu, on en distribue
quarante, on puisse former (à volonté) des couples rouge-noir, mais ce ne
sera sans doute pas vingt en tout (alors qu'avec cinquante-deux, on peut
sûrement en former vingt-six).
Constatation importante et qu'on trouve à chaque instant dans l'his
toire des sciences : si nous admettons — ce qui est évident — l'existence
d'un milieu scientifique européen, avec ses méthodes et préoccupations
communes, le résultat des recherches n'est pas dû au hasard quand on les
envisage en gros, puisque, souvent, découvertes et inventions scientifiques
sont réalisées à peu près simultanément et surtout de façon indépendante
par deux ou plusieurs chercheurs. Tout cela est bien connu. Il y a donc
là, je crois, quelque chose de différent de ce qu'on observe dans l'histoire
de la création artistique, qui, en partie au moins, doit s'expliquer par la
naissance d'individus déterminés : seul un Dante pouvait écrire sa Com-
media, ou un Beethoven ses neuf symphonies.
Au contraire, et pour ne citer que quelques exemples, Ch. Cros a conçu
le phonographe en même temps qu'Édison, ce que les Français, sinon les
Américains, savent, mais en ignorant, ce que savent les Anglais, que la
planète Neptune a été « calculée » par Adams aussi bien que par Lever-
rier ; les Russes ignorent, sans doute que (sans parler de Newlands) Lothar
Meyer découvrit pour son compte la loi périodique de Mendeleieff, mais
ces ignorances diverses ne changent rien au fait sociologique.
Dans un domaine scientifique différent, j'ai montré que le système
mathématique de l'équilibre économique selon Léon Walras 1, découvert
1. Voir mon étude portant ce nom dans la Rev. Ее. Pol., 1964. Dans ses Considé
rations sur la marche des idées, etc. (I, p. 289), le grand Cournot expose bien pourquoi
même sans Newton, on serait arrivé à la loi de la gravitation. Il y a d'autres passages
dans ce livre qui intéressent notre sujet. Pour lui, comme pour Bourdeau (voir ci-
après), j'ai plaisir à reconnaître leur priorité sur moi, car je n'aime pas le plagiat.
J'ajoute, toutefois, que mon travail était rédigé, lorsque j'eus connaissance de leurs
travaux.
420 LE HASARD
(subjectivement de façon tout à fait originale) par ce grand homme, se pré
parait depuis longtemps, et même qu'un économiste bien doué, au cou
rant de la science du xvine siècle, aurait pu, au début même du xixe siècle,
en formuler les équations.
Ainsi, dans les théories et inventions scientifiques, on a à faire, non
pas à quelque chose d'artificiel, dû au hasard, mais de nécessaire, une fois
donnés le milieu et les hommes : le progrès scientifique a ainsi quelque chose
d'inéluctable.
En serait-il de même dans d'autres domaines de l'histoire des hommes ?
Ainsi, dans la mesure où l'histoire économique dépend des progrès de la
science désintéressée et de la technique, on peut avancer que, dans ses
grands traits, l'histoire de l'évolution économique du monde présente
quelque chose de fatal, — dans une certaine mesure, car les institutions
politiques et bien d'autres facteurs interviennent aussi en cette matière.
Mais le régime capitaliste n'est pas, lui, une conséquence fatale des progrès
de la technique, puisque sa technique a été en très grande partie imitée par
le communisme et un de ses résultats, l'augmentation de la production glo
bale, a été atteint aussi dans ce régime, bien que dans une moindre mesure.
Mais passons aux événements considérés (à tort ou à raison) comme
spécifiquement historiques et éliminons, a priori, deux conceptions méta
physiques diamétralement opposées, l'une niant la possibilité théorique
d'un examen scientifique, l'autre le rendant pratiquement impossible.
Première conception, celle, entre autres, de Bossuet (Discours, ch. VIII) :
« Ce long enchaînement de causes particulières dépend des ordres secrets
de la Providence. » Ce qui reste secret nous est entièrement inaccessible.
Seconde conception, celle du déterminisme universel : tout est sou
mis à des 

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