Le Miroir brisé ou Le Taoïste et son ombre - article ; n°3 ; vol.19, pg 205-222
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Description

L'Homme - Année 1979 - Volume 19 - Numéro 3 - Pages 205-222
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1979
Nombre de lectures 64
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Brigitte Baptandier
Le Miroir brisé ou Le Taoïste et son ombre
In: L'Homme, 1979, tome 19 n°3-4. pp. 205-222.
Citer ce document / Cite this document :
Baptandier Brigitte. Le Miroir brisé ou Le Taoïste et son ombre. In: L'Homme, 1979, tome 19 n°3-4. pp. 205-222.
doi : 10.3406/hom.1979.368005
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1979_num_19_3_368005'
/ 7
LE MIROIR BRISÉ
OU
LE TAOÏSTE ET SON OMBRE
par
BRIGITTE BERTHIER
Pour qui s'intéresse à la notion de féminité et cherche à savoir quel est son
champ sémantique en Chine, le taoïsme offre un terrain de choix. Les noms de
Dao et de Laozi1, pour être bien connus, n'en évoquent pas moins le plus souvent
l'idée d'une philosophie et de son « père ». Rien ne saurait pourtant en être plus
éloigné. Laozi est la personnification du Dao ; tous deux ne sont qu'une seule et
même chose : un corps servant de modèle universel. De récents travaux sinolo-
giques2 ont maintenant établi que ce corps est un corps de femme enceinte.
Et c'est là en effet ce que laissent entendre les textes taoïstes, en particulier
ceux qui, comme le Hunyuan shengji, relatent l'histoire de Laozi et celle de la
création de l'univers.
Or, si le corps de Laozi servant de modèle universel est bien un corps féminin,
il semble qu'il ne s'agit pas tant d'une femme que de ce qui fait l'étoffe de la
féminité. Laozi n'est pas une « déesse mère » comme on en trouve dans d'autres
mythologies. Dire que le modèle universel taoïste est un corps de femme pourrait
plutôt signifier que la représentation inconsciente de la norme chinoise est celle
de la féminité.
S'il en était ainsi, si les représentations taoïstes se structuraient selon le
langage de la féminité, s'ouvrirait là une faille par laquelle tenter de découvrir
l'originalité même de la civilisation chinoise, ce qui la fait différente d'autres
sociétés.
Il ne s'agit pas, dans cette tentative d'interprétation, de reconstruire à partir
de « notions occidentales » un modèle oriental d'intelligence du monde, mais
plutôt de partir de ce qui constitue la racine universelle, à savoir le fonctionnement
1. Respectivement Tao et Lao Tseu, selon la transcription du système EFEO.
2. Cf. Schipper 1978.
L'Homme, juil.-déc. 1979, XIX (3-4), pp. 205-222. BRIGITTE BERTHIER 206
de l'inconscient, pour trouver ce qui différencie précisément une culture d'une
autre. Lacan n'a-t-il pas dit, d'ores et déjà, que le Daode jing était une psycha
nalyse ?
Les textes concernant Laozi et le « taoïsme orthodoxe » ne sont pas les seuls
à attester la force de cette représentation féminine, et il ne faut pas s'étonner
de retrouver dans la littérature et dans le taoïsme populaire une interprétation
semblable. Aussi bien les Hongtou, prêtres et prêtresses taoïstes de tradition
populaire, se réclament-ils de Xujia, le palefrenier illettré qui accompagnait
Laozi lors de sa « passe vers l'Ouest », quand il énonça le Daode jing.
Ils se réclament aussi d'une femme, la dame Linshui, dont une légende,
le Linshui ping yao, élaborée à partir de bribes de mythes et de contes, origine
le culte en tant que grande maîtresse de la féminité. Il est frappant de voir,
à travers le foisonnement et la richesse de péripéties apparemment rocambo-
lesques, comment la langue mythologique n'est pas dupe de ce dont elle parle,
et comment il faut prendre garde de ne pas se laisser leurrer par le voile de la
parole qui cache, comme le dit la prose taoïste, « la porte des merveilles », celle
de l'inconscient.
Est-il besoin de préciser qu'il n'est pas question de démontrer que la Chine
serait le lieu d'un pouvoir féminin prenant sa source dans la langue mytholo
gique ?3 Nous nous demanderons plutôt à quoi correspond l'image que s'est
donnée la culture taoïste dans cette Chine où les femmes tiennent une place
centrale, celle de ce corps féminin et de sa féminité, et quels ajustements cela
implique pour les individus qui se réclament d'un tel modèle, et en particulier
pour les hommes placés face à « l'inconciliable » — au sens où l'entend Freud4 — ,
se prenant à rêver, non plus comme le faisait Zhuangzi, qu'ils sont des papillons6,
mais des femmes.
Nous partirons donc de l'histoire de Laozi et du Dao6, que tout d'abord nous
retracerons dans ses grandes lignes avant de nous interroger sur ce qu'il y est dit,
3. Cette notion de pouvoir reste cependant à définir dans cette Chine où le pouvoir
apparent n'est que la marionnette de celui qui, caché, l'anime.
4. Cf. Freud 1925.
5. Zhuangzi, chap. 11. Le rêve a en ce lieu un sens bien particulier, celui de hua, la trans
formation. Zhuangzi « rêvant » devenait réellement un papillon qui redevenait, hua, Zhuangzi,
dans une alternance ne connaissant pas le « ou » mais le « et » : et Zhuangzi, et le papillon.
Ainsi, de la même façon, les taoïstes avouent-ils à la fin de leur vie être devenus de « vieilles
femmes ».
6. Pour cette partie de notre travail, nous prendrons pour point de départ et de référence
l'article de K. Schipper, « The Taoist Body » (1978), ainsi que les textes qui faisaient l'objet
de son séminaire à l'École Pratique des Hautes Études, Ve Section, en 1976-1977 : le Hunyuan
shengji (Livre saint de celui qui fut à l'origine du chaos) et le Youlong zhuan (Biographie
de celui qui fut comme un dragon). Qu'il nous soit permis ici de le remercier de nous avoir
permis d'accéder à ce travail exhaustif sans lequel n'aurait pu s'élaborer notre questionne
ment. Le Daode jing et le Zhuangzi nous serviront également de référence constante. LE MIROIR BRISÉ 207
pour en arriver à l'histoire de la dame Linshui, avec pour guide l'idée que leur
ombre7 est la même.
Qui est donc Laozi, personnage étrange dont le nom signifie le « vieux maître »
ou le « vieil enfant », et dont, disions-nous, le corps ne serait autre que celui d'une
femme enceinte ? Il faut, pour se le représenter, considérer ce qu'est le Dao.
Le Dao est le principe inconcevable et indicible de la gestation, des cycles,
du temps-infini, hors du temps compté. Il est l'indicible maturation sur laquelle
on ne peut mettre aucun nom. C'est là ce qu'exprime le premier chapitre du
Daode jing : « Le Dao que l'on peut dire [dao, à savoir « articuler », ce sur quoi
on peut discourir] n'est pas le Dao, et le Nom que l'on peut nommer n'est pas
le Nom. »
En tant que cet indicible, le Dao est Spontanéité, ziran, il est hunyuan, l'origine
du chaos. Or ce Dao, ce hunyuan, est Laozi dans la mesure où, comme le dit
Ge Xuan (dans sa préface au Daode jing), « il en incorporait la Spontanéité et
c'est pourquoi il est né de ce Vide et avant ce Vide ». Laozi est donc le corps du
Dao. Il y a cependant Dao et Dao, corps et corps.
Car si le Dao est ce Vide dont parle Ge Xuan, c'est au sens où il se fait trou
vertigineux, cercle sans bords qui s'encercle, s'étend à l'infini. Ce Vide n'est pas
le vide au sens où l'entendent les bouddhistes, le néant. Étant l'origine, yuan,
il contient en son sein ce qui est indifférencié — le chaos, hun — et ce qui est
différencié — le Un, zhenyi — ; la matrice universelle, hundun, et le Réel, zhen.
Le chaos, hundun, cette outre prégnante, est partie de ce temps-infini, hunyuan,
partie de cette ombre, xuan6, qui les englobe au sens où le Daode jing dit : « Toutes
deux ont la même origine, et on les nomme toutes deux xuan, ombre. L'ombre
de l'ombre » (chap. i).
Le chaos, partie du hunyuan, est donc là encore Laozi. En tant que tel, il ne
peut qu'être archaïque, la forme, le corps, xing, du Dao, de ce temps d'ombre,
de ce lieu d'ombre originelle. Hundun, le chaos, contient en son sein, telle une
outre, tous les souffles primordiaux, qi, à l'état d'indifférence, de non-désir,
wuwei.
Or il advint que le chaos éclata, et que les souffles qu'il renfermait surgirent
de cette explosion. Ils apparurent à l'état de signes primordiaux, de zhenwen,
« écritures réelles », traînées mystérieuses préfigurant l

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